La Cinémathèque québécoise

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LE SEL DE LA TERRE a toujours eu droit à une place à part dans l’histoire du cinéma. D’abord ignoré, ou au mieux dénoncé comme entreprise de propagande (“… Les patrons sont représentés comme des monstres inhumains et les ouvriers comme ‘le sel de la terre’. Une simplification aussi outrée se ruine d’elle-même, sauf parmi les plus primitives intelligences et les intellectuels les plus fanatiques…” FILM IN REVIEW, avril 1954), le film de Biberman fut progressivement “réhabilité” pour être à nouveau attaqué (par Jean-Luc Godard et Christian Zimmer entre autres) après 1970 pour son caractère “non-révolutionnaire”…

Mais par son obstination à durer, à travers une existence presqu’uniquement souterraine qui en a fait un outil au service du mouvement ouvrier américain pendant plus de 20 ans, LE SEL DE LA TERRE s’est imposé comme une référence essentielle dans l’histoire du cinéma social. Son influence, loin de se limiter à l’Amérique, a marqué les expériences de cinéastes pro­gressistes dans les jeunes cinémas du Tiers-Monde. La richesse thématique du film, la justesse de sa mise en scène, et l’histoire même de sa production expliquent que LE SEL DE LA TERRE demeure encore aujourd’hui une œuvre exemplaire.

LE SEL DE LA TERRE est un geste de solidarité de pro­fessionnels du cinéma américain avec les luttes des travailleurs de leur pays; c’est aussi leur réponse courageuse au maccar­thysme dont les tribunaux d’inquisition avaient récemment envoyé neuf cinéastes (dont Biberman) derrière les barreaux.

LE SEL DE LA TERRE fut un film de combat dès sa mise en chantier. Le film fut fait contre tous : contre les grands studios hollywoodiens qui tentèrent d’en saboter la production, contre les syndicats professionnels qui ne voulaient pas y être mêlés, contre les laboratoires qui obéissaient à d’obscures consignes et ne faisaient plus leur travail, contre le F.B.I. qui poursuivait la comédienne principale et finalement la déporta dans son pays d’origine, le Mexique…

Mais, comme l’écrivit par la suite Juan Chacon, le président du syndicat qui devint le Ramon Quintero du film, LE SEL DE LA TERRE n’est pas un film ‘contre’ quelque chose. C’est un film ‘pour’ quelque chose. C’est un film qui montre ce qu’on peut faire quand on s’organise, quand les ouvriers mexicains et les ou­vriers américains s’organisent ensemble. Les compagnies de la région ont toujours eu peur d’une alliance Mexicains-Américains. Pendant plus de 100 ans nos employeurs, afin de nous payer moins cher et de nous couper de nos autres cama­rades de travail, ont soutenu que nous étions ‘d’une nature diffé­rente’, des hommes ‘d’un type différent’. LE SEL DE LA TERRE dénonce cet énorme mensonge. Le film montre que les ouvriers peuvent s’entendre, quelles que soient leur religion, leur couleur et même leur appartenance politique. Le film montre ce que vous avons réussi à gagner avec notre syndicat.”

Pour toutes ces raisons, LE SEL DE LA TERRE est un film qui demeure extraordinairement actuel. Aussi nous a-t-il semblé utile d’utiliser ces Dossiers de la Cinémathèque pour rendre ac­cessibles, pour la première fois en français, les témoignages de Juan Chacon et Rosaura Revueltas, acteurs-témoins de cette aventure exceptionnelle.

Très actuel aussi le débat que Raymonde Borde avait suscité avec tant de pertinence, dès la sortie du SEL DE LA TERRE en France. Le cinéma américain récent (JOE, THE MOLLY MAGUIRES, NORMA RAE, F.I.S.T., HARLANCOUNTY U.S.A.) propose encore aujourd’hui des images contradictoires de la classe ouvrière américaine et de ses luttes, et seule la vigilance critique, telle que pratiquée dans le texte de Borde, sen­sible et attentive à toutes les dimensions du film, peut nous permettre de séparer la roublardise du témoignage honnête.


Choix de textes et traduction : Robert Daudelin

Les témoignages des deux principaux protagonistes du SEL DE LA TERRE, Juan Chacon et Rosaura Revueltas, sont traduits de l’anglais; ils ont originellement été publiés dans The California Quartely, Los Angeles, 1953. La chronique de l’historien et critique français Raymond Borde fut originellement publiée dans Les Temps modernes, Paris, juin 1955.


LE SEL DE LA TERRE (Salt of the Earth). USA 1953. Réalisation : Herbert J. Biberman. Scénario : Michael Wilson, Biberman. Images : Simon Lazarus. Musique : Sol Kaplan. Décors : Sonja Dahl, Adolfo Bardela. Production : Paul Jarrico-Independant Productions Corporation et The In­ternational Union of Mine, Mill and Smelter Workers. Interprétation : Rosaura Revueltas, Juan Chacon, Will Geer, David Wolff, David Sarris, Mervin Williams, et les mineurs du local 890 de la Mine, Mill and Smelter Workers et leurs femmes. N. et B. 92 min.


BIBLIOGRAPHIE

Découpage in L’Avant-Scène du cinéma, no 115, Paris, juin 1971. Fiche analytique in Dossiers du cinéma : Films 2, Paris, Casterman, 1972. Fiche analytique in Télé-Ciné, no 47, Paris, avril 1955. BIBERMAN, (Herbert), Salt of the Earth, the Story of a Film,  Boston, Beacon Press, 1965. BIBERMAN (Herbert) et JARRICO (Paul), « Comment fut tourné “Le Sel de la terre” », in Cinéma 55, no 4, Paris, mars 1955. BORDE (Raymond), « Syndicalisme et cinéma« , in Les Temps modernes, nos 114-115, Paris, juin-juillet 1955. Entretien avec Herbert Biberman, in Positif, no 107, Paris, été 1969. The California Quartely, Los Angeles, été 1953. Scénario et nombreux arti­cles.

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Photographie provenant du National Film Archive/Still Library, Londres
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