Présentation
L’univers dans lequel nous plonge le cinéaste documentariste Michel Moreau n’est jamais ordinaire. Il s’intéresse à des personnages qui, dans notre société, sont perçus comme étranges: ses sujets de prédilection sont immanquablement des êtres singuliers. Que ce soit dans ses films où l’approche psychosociale est manifeste, ou même dans ceux dont les caractéristiques éducatives et pédagogiques sont clairement définies, il utilise toujours la charge émotive véhiculée par des cas d’exception. Les titres qu’il donne à ses films ou à ses séries révèlent déjà une partie importante de ses préoccupations: TROIS LECTEURS EN DIFFICULTÉ, L’ENFANCE INADAPTÉE, LA LEÇON DES MONGOLIENS, Le combat des sourds, LE RÉVEIL DES AVEUGLES, LES ENFANTS DE L’ÉMOTION, LE POIDS DE L’ÉTIQUETTE : L’ÉPILEPSIE, Les chocs de la vie, etc.
C’est par souci de captiver le spectateur qu’il nous les donne à regarder dans des moments difficiles, souvent en état de crise, quelquefois dans des situations à la limite du supportable, exacerbant notre malaise, mais sachant très bien qu’ainsi il nous les rend inoubliables. C’est comme s’il braquait un projecteur sur eux pour nous révéler brutalement, dans une lumière crue, des êtres qu’on a toujours marginalisés, cachés.
Cette exhibition qu’ils nous donnent d’eux-mêmes, minutieusement préparée et mise en scène par Moreau, nous fait sentir ce qui se cache au fin fond de ces personnages. D’anonymes qu’ils étaient, ils tentent de nous apporter un éclairage nouveau sur leur situation jusqu’au moment où tout bascule et que le tragique surgisse, les exposant davantage aux spectateurs. Voilà le travail du cinéaste: nous les rendre plus visibles et tangibles par une accentuation du dramatique.
C’est ainsi que Michel Moreau explore notre société et parvient petit à petit, de personnage en personnage, à exprimer sa vision cinématographique du monde. Cette fresque, reflet des habitudes de vie de la collectivité québécoise, qu’il continue toujours à élaborer, est particulièrement réussie dans ENFANTS DU QUÉBEC et LES TRACES D’UN HOMME. Dans ces deux longs métrages, les plus caractéristiques et les plus accomplis du style Moreau, nous sommes confrontés à cet implacable et prévisible déroulement de notre existence. En plus de l’incontestable valeur des images documentaires qu’ils nous livrent sur la société nord-américaine d’après les années 50, ces films évoquent des situations où chaque individu prend douloureusement conscience du destin qui pèse sur sa vie, sa nature même.
Pierre Jutras
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