Présentation
Le documentaire actuel – celui qui triomphe sur nos écrans de télévision et que l’on évite de présenter en salles – est devenu un produit standard, semblable à lui-même d’un reportage à l’autre. Le goût du risque et de l’audace, longtemps considéré comme une règle essentielle par toute une génération de cinéastes québécois, disparaît pour laisser place à la sécurité d’un modèle. Ce documentaire-recette atteint une qualité technique quasi irréprochable et sait intégrer certaines leçons du direct; ainsi s’établit-il comme l’étalon invariable pour tous ceux que tente ce cinéma.
Lorsqu’une manière de faire – de filmer – devient trop normalisée, survient alors, comme dans toutes les formes d’art, un courant opposé. C’est ainsi que des cinéastes ayant quelque chose de nouveau à dire, ou ayant le goût de le dire autrement, se retrouvent à participer à une saine réaction 1. Leur démarche actuelle n’est pas nécessairement concertée; elle ne prétend pas faire du neuf à tout prix. Elle n’enraye pas non plus le courant dominant et toujours florissant du documentaire qui grâce à l’apport de nouvelles techniques s’ouvre une place à la télévision dans des séries comme on en programme aux grands réseaux américains. Ce souffle nouveau n’est pas le résultat de l’effort conscient d’un groupe; il se forme et apparaît au fur et à mesure dans quelques films de cinéastes d’ici et d’ailleurs. Ils n’en participent pas moins à un courant de pensée plus global et universel qui prône un croisement des genres et un métissage de tous les arts. Ces cinéastes se dirigent vers des zones inexplorées du cinéma.
Bien que difficiles et prématurées à définir, notons quelques tendances dans les nouvelles formes d’expression appréhendées dans le documentaire pour qu’il colle davantage à la diversité culturelle et corresponde à un processus émotionnel plus contemporain. Sans vouloir réduire le «sujet» à un simple prétexte, les événements et les thèmes abordés dans ces films analysent et réfléchissent plus directement l’univers intime de leurs auteurs. AU RYTHME DE MON CŒUR, JOURNAL INACHEVÉ, MÉMOIRE BATTANTE, MOTHER TONGUE. Le film prend souvent l’aspect d’un journal, ou d’une autobiographie. Certains cinéastes débordent l’étroit couloir du «style documentaire» pour y glisser des citations, références ou hommages aux autres modes d’expression artistique; car le cinéma leur apparaît comme la synthèse et le véhicule par excellence de toutes les formes d’art. À VOS RISQUES ET PÉRILS, LE FUTUR INTÉRIEUR, ALBÉDO. RETOUR À DRESDEN, LA COULEUR ENCERCLÉE, INVENTEZ!. Alors que les cinéastes de fiction puisent inlassablement dans le direct, on ne peut pas dire que l’inverse soit vrai. Ce cloisonnement, né d’une conception trop puriste de quelques réalisateurs, s’effrite peu à peu; on peut être documentariste et faire de la fiction, ou vice versa. Des documentaristes ne craignent plus d’expérimenter la fiction, de scénariser au montage, de se permettent des audaces dans les structures, telle l’alternance de scènes directes et d’autres fictionnalisées. LE DERNIER GLACIER, LE CONFORT ET L’INDIFFÉRENCE, MARC-AURÈLE FORTIN, CINÉMA CINÉMA, CAFFÈ ITALIA MONTRÉAL, LE MILLION TOUT- PUISSANT. L’imaginaire et le regard du cinéaste transparaissent. Ils ne sont plus camouflés par une trop grande obsession de la «vérité», – cette croyance trop facilement acceptée à se cacher derrière la réalité comme si elle était uniforme alors qu’elle peut naître, comme les idées, selon un processus associatif avec des images, des sons, des objets, des personnages qui sont susceptibles de s’évoquer mutuellement. DE LA TOURBE ET DU RESTANT, LA FICTION NUCLÉAIRE.
Pour faire sauter les barrières conventionnelles propres au documentaire, une utilisation des multiples formes ou approches du langage cinématographique est maintenant nécessaire. PASSIFLORA, LA TURLUTE DES ANNÉES DURES, LES TRACES DU RÊVE. Des techniques d’animation aux longs plans contemplatifs en passant par une «manipulation» périlleuse des sons, tous les moyens disponibles sont requis – même le faux documentaire – afin de rafraîchir et d’enrichir la communication entre l’auteur et son public.
Le travail des critiques, du moins ceux qui ont aimé et veulent faire aimer le documentaire, est de savoir reconnaître cette nouveauté, mais aussi ces éléments anciens, particulièrement chaleureux et humains sur lesquels se rythmait le cinéma direct, qui accompagnent infailliblement tout documentaire. Afin d’explorer ces nouvelles voies, nous nous en sommes tenus principalement à des analyses de films; quelques titres sur lesquels nos collaborateurs et nous croyons important d’attirer l’attention. Et pour compléter ce dossier, nous proposons une bibliographie sélective qui regroupe l’essentiel des textes sur le documentaire québécois publiés ces cinq dernières années.
Pierre Jutras
Notes:
- Tel fut d’ailleurs le cas du cinéma direct. Avant de faire école, il s’est révélé être une façon de résister au documentaire pompier établit à demeure dans les années 40 et 50. ↩
Sommaire
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Télécharger pdf Présentation (Pierre Jutras)
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Télécharger pdf Du documentaire au film-essai (Michel Euvrard et Pierre Véronneau)
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Télécharger pdf Derek May : L’École de Brighton (Robert Daudelin)
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Télécharger pdf AU RYTHME DE MON COEUR
Caméra-je et deleatur (Pierre Jutras) -
Télécharger pdf LE FUTUR INTÉRIEUR
La meilleure façon de filmer (André Roy) -
Télécharger pdf ALBÉDO
Le dernier objet (Denis Bellemare) -
Télécharger pdf Les frères Gagné :
L’autopsie du documentaire ? (Michel Larouche) -
Télécharger pdf LES TRACES DU RÊVE
Effet rétrospective et géométrie documentaire (Pierre Véronneau) -
Télécharger pdf LA TURLUTE DES ANNÉES DURES
L’Histoire revisitée par le cinéma (Gilles Marsolais) -
Télécharger pdf Identités en mouvement
Une analyse de la contribution des documentaristes néo-québécois à la cinématographie d’ici (Fulvio Caccia) -
Télécharger pdf Émotion et maîtrise (André Dugal)
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Télécharger pdf Ce drôle de transfert (Jean Pierre Desaulniers)
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Télécharger pdf Repères bibliographiques