La Cinémathèque québécoise

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Présentation

Le documentaire actuel – celui qui triomphe sur nos écrans de télévision et que l’on évite de présenter en salles – est devenu un produit standard, semblable à lui-même d’un reportage à l’autre. Le goût du risque et de l’audace, longtemps con­sidéré comme une règle essentielle par toute une génération de cinéastes québé­cois, disparaît pour laisser place à la sécu­rité d’un modèle. Ce documentaire-recette atteint une qualité technique quasi irrépro­chable et sait intégrer certaines leçons du direct; ainsi s’établit-il comme l’étalon invariable pour tous ceux que tente ce cinéma.

CAFFÈ ITALIA MONTRÉAL Coll. Cinémathèque québécoise
CAFFÈ ITALIA MONTRÉAL de Paul Tana (1985)
© ACPAV
LA FICTION NUCLÉAIRE
LA FICTION NUCLÉAIRE
© ONF

Lorsqu’une manière de faire – de fil­mer – devient trop normalisée, survient alors, comme dans toutes les formes d’art, un courant opposé. C’est ainsi que des cinéastes ayant quelque chose de nouveau à dire, ou ayant le goût de le dire autre­ment, se retrouvent à participer à une saine réaction 1. Leur démarche actuelle n’est pas nécessairement concertée; elle ne prétend pas faire du neuf à tout prix. Elle n’enraye pas non plus le courant dominant et tou­jours florissant du documentaire qui grâce à l’apport de nouvelles techniques s’ouvre une place à la télévision dans des séries comme on en programme aux grands réseaux américains. Ce souffle nouveau n’est pas le résultat de l’effort conscient d’un groupe; il se forme et apparaît au fur et à mesure dans quelques films de cinéas­tes d’ici et d’ailleurs. Ils n’en participent pas moins à un courant de pensée plus glo­bal et universel qui prône un croisement des genres et un métissage de tous les arts. Ces cinéastes se dirigent vers des zones inexplorées du cinéma.

MÉMOIRE BATTANTE Coll. Cinémathèque québécoise
MÉMOIRE BATTANTE
Coll. Cinémathèque québécoise

Bien que difficiles et prématurées à définir, notons quelques tendances dans les nouvelles formes d’expression appréhen­dées dans le documentaire pour qu’il colle davantage à la diversité culturelle et cor­responde à un processus émotionnel plus contemporain. Sans vouloir réduire le «sujet» à un simple prétexte, les événe­ments et les thèmes abordés dans ces films analysent et réfléchissent plus directement l’univers intime de leurs auteurs. AU RYTHME DE MON CŒUR, JOUR­NAL INACHEVÉ, MÉMOIRE BAT­TANTE, MOTHER TONGUE. Le film prend souvent l’aspect d’un journal, ou d’une autobiographie. Certains cinéastes débordent l’étroit couloir du «style docu­mentaire» pour y glisser des citations, réfé­rences ou hommages aux autres modes d’expression artistique; car le cinéma leur apparaît comme la synthèse et le véhicule par excellence de toutes les formes d’art. À VOS RISQUES ET PÉRILS, LE FUTUR INTÉRIEUR, ALBÉDO. RETOUR À DRESDEN, LA COULEUR ENCERCLÉE, INVENTEZ!. Alors que les cinéastes de fiction puisent inlassable­ment dans le direct, on ne peut pas dire que l’inverse soit vrai. Ce cloisonnement, né d’une conception trop puriste de quelques réalisateurs, s’effrite peu à peu; on peut être documentariste et faire de la fiction, ou vice versa. Des documentaristes ne craignent plus d’expérimenter la fiction, de scénariser au montage, de se permettent des audaces dans les structures, telle l’alternance de scènes directes et d’autres fictionnalisées. LE DERNIER GLACIER, LE CONFORT ET L’INDIFFÉRENCE, MARC-AURÈLE FORTIN, CINÉMA CINÉMA, CAFFÈ ITALIA MON­TRÉAL, LE MILLION TOUT- PUISSANT. L’imaginaire et le regard du cinéaste transparaissent. Ils ne sont plus camouflés par une trop grande obsession de la «vérité», – cette croyance trop facile­ment acceptée à se cacher derrière la réa­lité comme si elle était uniforme alors qu’elle peut naître, comme les idées, selon un processus associatif avec des images, des sons, des objets, des personnages qui sont susceptibles de s’évoquer mutuelle­ment. DE LA TOURBE ET DU RES­TANT, LA FICTION NUCLÉAIRE.

LE MILLION TOUT -PUISSANT Coll. Cinémathèque québécoise
LE MILLION TOUT -PUISSANT
Coll. Cinémathèque québécoise

Pour faire sauter les barrières conven­tionnelles propres au documentaire, une utilisation des multiples formes ou appro­ches du langage cinématographique est maintenant nécessaire. PASSIFLORA, LA TURLUTE DES ANNÉES DURES, LES TRACES DU RÊVE. Des techniques d’animation aux longs plans contemplatifs en passant par une «manipulation» péril­leuse des sons, tous les moyens disponi­bles sont requis – même le faux documentaire – afin de rafraîchir et d’enri­chir la communication entre l’auteur et son public.

Le travail des critiques, du moins ceux qui ont aimé et veulent faire aimer le docu­mentaire, est de savoir reconnaître cette nouveauté, mais aussi ces éléments anciens, particulièrement chaleureux et humains sur lesquels se rythmait le cinéma direct, qui accompagnent infailliblement tout docu­mentaire. Afin d’explorer ces nouvelles voies, nous nous en sommes tenus princi­palement à des analyses de films; quelques titres sur lesquels nos collaborateurs et nous croyons important d’attirer l’atten­tion. Et pour compléter ce dossier, nous proposons une bibliographie sélective qui regroupe l’essentiel des textes sur le docu­mentaire québécois publiés ces cinq der­nières années.

Pierre Jutras

Notes:

  1. Tel fut d’ailleurs le cas du cinéma direct. Avant de faire école, il s’est révélé être une façon de résister au documentaire pompier établit à demeure dans les années 40 et 50.
… Lire la suite › Minimiser

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