La Cinémathèque québécoise

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DIX ANS… ET APRÈS?

On peut utiliser ce mot usé jus­qu’à la corde : crise, il ne cesse de tambouriner à nos tympans. Crise du cinéma québécois? Eh oui, et depuis dix ans. Car on reviendra toujours à cette période bienheu­reuse, véritable oasis, celle des années 60 comme mesure étalon de notre singularité cinématogra­phique. En 81, la même persistante impression: un cinéma québécois, vraiment libre, autonome et créa­teur, est encore en état de sous- développement; on fait du sur­place, on régresse. Après “les années de plomb” de 70, l’ère du désenchantement, voire du décou­ragement, continue.

Dans les années 60, période eu­phorique s’il en est une, notre cinéma semblait né pour de bon, unique. Avec courage et ténacité, beaucoup de folie, pas mal de con­testation, des auteurs de films étaient nés sur lesquels nous misions beaucoup pour l’affir­mation de notre spécificité cinéma­tographique nationale. Les ci­néastes d’alors, ceux qui luttaient pour nous donner des longs métra­ges de fiction (baromètres de l’énergie cinématographique d’un pays), malgré tous les problèmes de gérance (comme à l’O.N.F.) et fi­nanciers (coopératives qui flopent, etc.), ont fait en sorte que leurs films existent. Pour eux, pour nous.

Mais rien n’est moins assuré et stable que l’industrie du cinéma. Les réalisateurs des années 60 ont traversé la décennie 70 en y perdant beaucoup de plumes, c’est-à-dire leur santé, leur argent, leur talent aussi. Que s’est-il passé?

C’est que nos très estimés ci­néastes ont été dupés. Au moment où une politique de création s’affir­mait par eux, une politique de production a été menée tambour battant par d’autres, coriaces fonc­tionnaires (ceux de la SDICC pour ne pas les nommer) et affamés producteurs (disons Denis Héroux), alors qu’il revenait à eux d’établir cette politique de produc­tion. Depuis, nos réalisateurs errent, tournant de peine et de misère, sans joie, souvent des films qui ne leur tiennent pas à coeur (le cas de Denys Arcand est typique 1). Sans continuité, ils ne peuvent se mesurer ni aux autres ni par rapport à un projet global personnel.

Ils travaillent, mais d’arrache-pied. Trente-deux films de longs métrages ont été tournés ici en 81; 75% d’entre eux sont parfaitement québécois (dans la réalisation et la production). Mais sans possibilité de se mesurer, ils ne tracent plus de ligne de partage entre cinéma et non-cinéma; tout ce qui tient d’une “écriture” personnelle s’amenuise, s’évanouit. Le résultat: il n’existe plus de référents: pas de ren­contre, de saisie de l’air du temps, du réel. Dans leur majorité, les films de 81 ne nous ressemblent pas.

Parce que sans système de production fondé par eux, nos réa­lisateurs n’ont pu choisir (et ne savent pas encore choisir) leur cinéma, que ce soit dans la grande industrie ou dans l’artisanat (car dans la machine-cinéma, le juste milieu n’existe pas). Or qui ne choisit pas, n’avance pas; il recule, il tombe. Si on ne peut pas établir sa propre stratégie, on ne peut pas affronter l’Adversaire (les pouvoirs, politiques et d’argent, et les dis­cours, leur bêtise et leur confor­misme). Et au cinéma, cette stra­tégie se nomme mise en scène et montage, où se trame “l’écriture” d’un auteur de films; ces formes spécifiques au 7e art, elles seules peuvent bien servir une production. Glissons en passant cette lapa­lissade: un bon film ne réside pas dans son scénario ni dans ses idées (aussi originales qu’elles soient) comme veulent nous faire croire instituts et sociétés de toutes sortes, mais dans sa réalisation.

Il s’agit donc de produire autre­ment. Pour qu’il y ait continuité dans l’oeuvre de chaque cinéaste — dans chaque cinéma. Or c’est bien ce qui semble avoir manqué dans notre récente industrie, depuis dix ans. Et pas de continuité sans passion (nos réalisateurs ne sont pas dépourvus de passion, je pense), mais surtout pas de passion, chez le spectateur (qué­bécois), sans cette continuité. Les grands cinéastes, aimés, sont ceux qui ont poursuivi de film en film les mêmes idées, sensations, émo­tions. Et qui ont su, dans tous les sens du mot, les produire. Malgré tout. On ne voit pas pourquoi ça ne se passerait pas ainsi chez nous… Un jour ou l’autre…

André ROY
critique de cinéma
à Spirale

À N’IMPORTE QUEL PRIX?

Depuis toujours, le cinéma qué­bécois a vécu ou plutôt survécu selon des principes cyclo­thymiques. 1981 n’a pas échappé à cette règle: une année de vaches maigres, une année de vaches grasses et ça recommence. Ce n’était pas normal, mais on s’adap­tait.

La Tradition (orale) voulait que chacun apprenne sur le tas et beaucoup s’improvisaient qui tech­nicien, qui réalisateur, qui produc­teur; après tout ça ne fait de mal à personne et puis tout le monde a bien le droit de s’essayer. Et puis, on avait le bon droit pour nous puisqu’il n’y avait pas d’écoles de cinéma. De même les compagnies de production poussaient comme des champignons; un film: un producteur “pouf”; une série: une maison de production “pof”; une “chicane”: deux maisons de produc­tion “pouf, pof”. Ça allait vaille que vaille.

Si vous vous interrogiez sur la compétence ou sur l’éthique pro­fessionnelle, vous ne trouviez guère de répondants. Pourquoi? Oui pourquoi ce flux toujours suivi d’un reflux inexplicable? Pourquoi ces courbes malicieuses acceptées de toutes et de chacun comme un mal nécessaire ou à tout le moins inévitable? Là dans ces graphi­ques, 1981 n’aura été qu’une baisse parmi tant d’autres, plus dif­ficile puisque les années pré­cédentes avaient connu des hausses plus vertigineuses.

Personne ne pouvait répondre ni pour 1981, ni pour 1977, ni pour les autres années que j’ai volon­tairement oubliées. Lorsque la manne est tombée, il fallait remplir ses paniers et faire ses provisions en vue des temps mauvais. Encore aucune réponse.

Le Syndicat national du cinéma s’interrogeait, ouvrait déjà le débat en 1980 sur l’apprentissage, sur le perfectionnement, sur le pro­fessionnalisme et tout ce qui en découle. C’est demeuré un débat isolé, inachevé. Quelquefois, un technicien recevait une bourse (ra­rement). Durant quelques mois, il ou elle pouvait acquérir des élé­ments essentiels à sa profession, puis revenait dans le milieu cinématographique québécois essayant au mieux de conserver ses acquis sans pouvoir les parta­ger et souvent se retrouvant cloisonné dans cette nouvelle spé­cialité ou l’oubliant, faute de prati­que.

Lorsque les courbes de l’indus­trie furent en hausse, on n’y pensa guère, trop occupés à travailler. On manqua même de techniciens spé­cialisés dans ce nouveau dévelop­pement; les politiques fiscales d’Ottawa semblaient un élément prometteur à la montée d’une industrie enfin nationale, nous ap­partenant, et puis la toujours possi­ble télévision à péage montrait le bout de son nez.

C’était en 1979 et puis plus rien, l’incertitude. En 1981, la chute de notre industrie nous montrait l’am­pleur de l’iceberg, la non- confiance, la méfiance, les essais d’Ottawa qui avait si peur de repar­ler cinéma en chambre (les inves­tisseurs perdaient de l’argent), l’avortement de la loi du cinéma à Québec, l’Institut essayait d’aborder les problèmes diffé­remment avec son plan quin­quennal. Tollé du milieu. Com­mande d’un rapport à la Com­mission d’étude sur le cinéma et l’audiovisuel. Doutes. Refonte du plan quinquennal. Hurlements! Tous les essais, tous les échecs. Qu’est-ce qui est à nous? Qu’est-ce qui ne l’est pas? La relève se meurt faute d’oxygène. Les vieux survi­vent assez bien merci!

Le chantage par les temps qui couraient demeurait le plus bel outil des producteurs. S’il n’y a pas de productions et que tu veux travailler, tu le fais aux conditions qu’on t’impose pour de bien bonnes raisons, le manque d’ar­gent ou la compétition. Peu importe, nous parlerons d’ententes tacites; enfin, c’est ce que nous en­tendrons souvent. Qui paie la note? Si tu veux progresser dans le cinéma, tu dois fonctionner. Pour rien ou pour des prunes, l’impor­tant c’est de travailler. Qui se préoccupe du perfectionnement, des conditions de travail quand la loi du silence prévaut sur tout? Qui se préoccupe d’une vie normale pour chacun d’entre nous?

Peut-être croyez-vous que je m’éloigne du sujet: le cinéma et les techniciens et techniciennes du cinéma en 1981. Mais non, je vous parlais au passé, à l’imparfait, je croyais que ça changerait. Mais les conditions de 81 se retrouvent en 82. Hier, c’est aujourd’hui. Il n’est pas facile de fonctionner, “bien” c’est encore plus difficile! Mais pas à n’importe quel prix!

Louise Surprenant
Technicienne, monteuse.
Membre du Syndicat national du cinéma

QUE LES STATISTIQUES NE NOUS ÉTONNENT PLUS! 

Copie Zéro me fait parvenir la liste des longs métrages québécois signés en 1981. Je la parcours. Pour ne pas les avoir tous vus, je ne connais pas le contenu de la plupart des films. Je me rabats donc sur un exercice élémentaire de statistique.

Et je m’étonne.

Trente-deux longs métrages. Alors que censément il ne se fait “rien” au Québec et que tout le monde chôme. Trente-deux, cela est bien. Seize longs métrages de fiction, et seize documentaires : cinquante-cinquante, cela est bien. Un bel équilibre, quoi. Vingt films en français, douze en anglais. Cela est bien, aussi. Quoiqu’il devrait peut-être s’en faire plus dans notre langue, mais à tout prendre, cela est loin d’être mauvais. Jean Renoir, lui aussi, a tourné en anglais.

Huit de ces films ont été faits par des réalisateurs et réalisatrices, membres de l’Association. Cela n’est pas trop bien. Non pas que ces cinéastes soient membres de l’Association, vous m’avez bien compris. Mais qu’il n’y ait pas plus de réalisateurs et de réalisatrices, membres de l’Association qui aient signé un long métrage en 1981. Qu’il n’y ait pas plus de ceux et celles qui ont signé ces films en 1981 qui soient membres de l’Association. Je profite donc de cet espace que Copie Zéro me consent, pour inviter les réalisa­teurs et les réalisatrices à se joindre aux rangs de l’Association. Cela ne fait pas mal. Cela risque, même, d’être bien.

Je m’étonne, donc, de tant de quantité, de diversité, de variété : fiction, documentaire, mélodra­mes, comédies, films de peur, films de c…, films pour réveiller, films pour endormir, films pour ins­truire, films pour abrutir, films qu’on a trop vus, films qu’on ne verra jamais. Se pourrait-il qu’a­près tout, la cinématographie qué­bécoise soit assez industrieuse, ait assez “le goût du miel” pour être déclarée en bonne santé?

Cela m’étonnerait.

Car au fond, n’est-on pas en train de s’évertuer à fabriquer une ciné­matographie en costume de Jean- Baptiste sur qui les kliegs brillent, mais dont l’ombre est celle d’un cowboy? Il faudrait que l’on se dé­barrasse du costume comme de l’ombre, du confort comme de l’indifférence. Que l’on arrive à filmer ce à quoi nous ressemblons véritablement, avec nos moyens. Et notre langage.

Par là, je n’entends pas une cinématographie-miroir, vous m’avez bien compris. Nous y sommes déjà, depuis trop long­temps. Il faut dépasser la notion de cinématographie nationale. Nous l’avons déjà. Il faut arriver à une notion et une pratique de cinéma­tographie critique, courageuse et consciencieuse. Qui regarde et qui casse les idées reçues de toutes sortes. Des films costumés de toutes les façons, mais critiques, et drôles. Quelle belle république, cela ferait. Avec Jean Renoir comme saint patron. Il faut y tra­vailler. Pratiquer notre métier de réalisateur. Faire beaucoup de films.

Et que les statistiques ne nous étonnent plus.

André Théberge
Président de l’Association des réa­lisateurs et réalisatrices de film du Québec
 

Notes:

  1. Voir ses interviews à la sortie de Le confort et l’indifférence
… Lire la suite › Minimiser

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