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Vidéo Femmes : “Les dames aux caméras“*
La vidéo : un choix toujours actualisé

En 1980, Copie Zéro consacrait tout son numéro(6) aux cinéastes québécoises. Une page y fut consacrée à Vidéo Femmes, collectif féministe de production et de dis­tribution de vidéo établi à Québec depuis 1974.

Au début, le choix de la vidéo s’était fait naturellement pour des raisons d’accessibilité technique et financière de ce nou­veau médium. Qu’en est-il aujourd’hui de ce choix? Laissons la parole à quelques- unes de ces vidéastes.

Hélène Roy (une des pionnières de Vidéo Femmes) : “J’ai connu les différen­tes phases de développement de notre col­lectif: les moments creux et les moments exaltants. Depuis quatre ou cinq ans, Vidéo Femmes ne connaît plus la grande insécu­rité financière du début. Nous avons pro­fité des grands progrès techniques du médium. Cela a favorisé l’extension de notre réseau de distribution et a nettement amélioré la qualité technique de nos pro­ductions. On a donc acquis une plus grande crédibilité auprès de nos bailleurs de fonds. Personnellement, je dirais que je n’ai jamais choisi la vidéo. Quand j’ai contri­bué en 73 à l’organisation du Festival inter­national de films et de vidéos de femmes, j’ai découvert la vidéo en même temps que les collectifs de femmes. Aujourd’hui, pour mon dernier projet DEMAIN LA CINQUANTAINE, une fiction traitant de la ménopause, le choix du 16mm ou de la vidéo ne s’est même pas posé. À cause de la formation acquise en vidéo et parce que je suis appuyée par une équipe où la hié­rarchie est moins contraignante qu’en cinéma, je n’envisage pas du tout de tra­vailler en film. Ce que j’ai fait comme ima­ges au moment du tournage se rapproche du cinéma en terme de traitement. C’est maintenant, au montage, que je compte uti­liser des effets spéciaux propres à la vidéo. C’est à ce niveau-là que je tiens compte et que j’explore les multiples possibilités que m’offrent les développements récents de la technique vidéo. Pour moi, la vidéo cons­titue le seul moyen de pouvoir oser une expression de soi.”

Aucune réalisatrice du collectif Vidéo Femmes ne rejette le cinéma. La plupart d’entre elles l’ont déjà utilisé et comptent le faire encore. À chacun des festivals annuels organisés par Vidéo Femmes, on a toujours fait part égale à la vidéo et au cinéma.

Nicole Giguère : “Entendons-nous bien, l’objectif premier de Vidéo Femmes reste toujours de produire et de distribuer des documentaires vidéo sur la situation des femmes. Après ça, que chacune d’entre nous ait ses propres projets de films d’auteure, en dehors de Vidéo Femmes, cela fait partie de la démarche personnelle de chacune. Moi, par exemple, j’expéri­mente le vidéo-clip et j’ai un projet où je compte utiliser le film et la vidéo en même temps. En attendant, pour tourner réguliè­rement, il faut travailler en vidéo. La seule frustration que j’ai avec la vidéo, c’est le manque de reconnaissance, la résistance du milieu cinématographique face à la vidéo (pour preuve: comptez les salles équipées d’un grand écran vidéo). Nous, à Vidéo Femmes, nous avons une vision réaliste de la distribution avec notre réseau en circuit fermé. Au moins, je suis sûre que mes pro­ductions sont vues et utilisées; j’en ai la preuve chaque jour. Et puis il y a le Festi­val annuel des Filles des vues à Québec qui témoigne aussi de la vitalité des vidéas­tes.”

Le festival 1986 aura lieu du 12 au 16 mars prochain à la Bibliothèque centrale Gabrielle Roy de Québec. Pour la neu­vième année consécutive, on y présentera les plus récentes productions film et vidéo, faites par des femmes du Québec, du Canada et d’ailleurs.

Pour sa part, Vidéo Femmes y procé­dera au lancement de trois productions – maison :

  1. DEMAIN LA CINQUAN­TAINE, vidéo 60 min : une fiction d’Hélène Roy sur la ménopause. (Le plus gros projet de Vidéo Femmes en termes de budget.)
  2. PORTES DE SORTIE, vidéo 60 min : un documentaire de Lise Bonenfant et Louise Giguère sur les alternatives à l’incarcération.
  3. TOILETTES, vidéo 30 min : une fiction toute en atmosphères et en impressions fugitives de Johanne Fournier et Françoise Dugré sur ce lieu qui peut facilement devenir cachette ou refuge.

Lise Bonenfant : “Pour moi, la ques­tion du cinéma versus la vidéo c’est un faux débat. Moi, j’ai commencé en 16 mm; les délais sont tellement longs en cinéma. J’ai présentement un projet de film en cours de scénarisation, mais ce sont les pro­ductions vidéo que j’ai faites à Vidéo Fem­mes qui m’ont permis de tourner, d’expé­rimenter, d’apprendre et de vivre avec un bonheur égal au cours des dernières an­nées. Travailler avec des équipes de fem­mes dans le respect et la confiance, c’est avec la vidéo que j’a connu ça.”

Louise Giguère : “La vidéo constitue, pour moi, une approche complète d’un outil: avoir la liberté et l’indépendance des moyens de production, pouvoir être tech­nicienne. À ce compte-là, le choix était évident. En film, on n’aurait pas fait grand’chose. On a suivi l’évolution du matériel. Maintenant, c’est un médium dif­férent à explorer. Avant de faire du 16 mm, je vais finir le tour de la vidéo.”

Linda Roy, Johanne Fournier et Fran­çoise Dugré affirment elles aussi que leur formation en vidéo les amène à la conti­nuité dans l’utilisation de ce médium. Les questions d’économie et d’accessibilité sont toujours vraies dans les raisons qui président à ce choix toujours renouvelé. Avec les possibilités de financement que la Société Générale du cinéma commence aujourd’hui à offrir, la vidéo a maintenant un avenir. Les membres du collectif Vidéo Femmes ont toujours cru à cet avenir.

Depuis plus de dix ans, le collectif a produit plus de quarante vidéos et assure la distribution de quelque soixante produc­tions réalisées par d’autres. Le groupe est reconnu internationalement et le réseau de distribution ne cesse de s’élargir. L’expan­sion des activités du collectif les a amenées non seulement à déménager dans de plus grands locaux, mais à redéfinir les fonctions de chacune. Ainsi un professionnalisme accru et une meilleure qualité règnent dans les deux sections de la production et de la distribution. Une certaine polyvalence demeure, mais elle a été débarrassée de ses aspects contraignants.

L’équipe de distribution composée de Nicole Bonenfant, Nathalie Roy et de Danièle Martineau assure une permanence. Les revenus de la distribution représentent aujourd’hui le quart des rentrées d’argent; depuis l’avènement du 3/4 de pouce, ce secteur va en se consolidant.

En 74, en pariant sur la vidéo, le col­lectif risquait gros. Aujourd’hui, les faits et circonstances leur donnent raison et tous les espoirs sont permis. Sur ce sujet, je laisse le mot de la fin à Hélène Roy : “Dans cinq ans, la place de Vidéo Femmes sera encore la même, aussi nécessaire qu’indis­pensable. On sait, par notre réseau de dis­tribution, quelles sont les demandes de documents vidéo pour les années à venir et elles sont nombreuses. On peut se per­mettre d’être raisonnablement optimistes du côté de la technologie et du finance­ment. Reste un effort à faire du côté de la conservation, de la critique et de la forma­tion dans le but d’implanter une véritable culture vidéo. Une chose est sûre: la sur­vivance de Vidéo Femmes est redevable à son orientation vidéo.

Martine Sauvageau


Actuellement, une des coordonnatrices du 9e Festi­val des Filles des vues, Martine Sauvageau a étudié en réalisation cinéma-télé à l’I.A.D. (Bruxelles) et a obtenu en 1984 un D.E.A. en études cinématogra­phiques à la Sorbonne. Elle a travaillé à Radio-Québec en région.


* “Les dames aux caméras” est le titre de la chanson composée par les Folles Alliées pour le document vidéo VIDEO FEMMES PAR VIDÉO FEMMES de Nicole Giguère et Linda Roy.