L’incessante curiosité de Claude Jutra
Ayant été scénariste au département d’animation de l’ONF et ayant côtoyé un peu Norman McLaren je trouvais bizarre qu’un gars comme Claude Jutra, tout frais émoulu de l’école ait eu la patience et l’endurance de tenir le coup pendant des mois et des mois à tourner un film d’une durée de quelques minutes avec ce grand maître. Il fallait que Jutra ait un instinct cinématographique extraordinaire pour ainsi commencer sa carrière par ce type d’apprentissage. Il devait, à mon avis, voir dans ce travail de McLaren l’essence même de la chose cinématographique. Serait fin renard celui qui retrouverait dans ses films subséquents traces de cette initiation pour le moins non-orthodoxe.
Par la suite, à l’ONF, Claude Jutra en dépit de ses nombreux projets trouvait toujours le temps d’encourager ceux qui œuvraient à repousser tant soit peu cette frontière cinématographique.
Joe Koenig me disait récemment jusqu’à quel point il avait été émerveillé par l’engouement de Claude Jutra pour les films 8mm en boucles (tournés en 16mm) que Joe Koenig réalisait dans les années 60 en collaboration avec le Montreal Children Hospital et les docteurs S. Rabinovitch et M. Gollick. Il voulait absolument participer à cette aventure et collabora à une quinzaine de ces petits films. Joe Koenig me disait que Claude consacrait autant d’énergie et de dévouement à ces oeuvres qu’à ses longs métrages. Lorsque Koenig quitta l’ONF pour produire dans le secteur privé, Claude insista pour poursuivre sa collaboration dans cette série.
De mon côté, je réalisais à cette époque des documents pédagogiques au sein d’une équipe créée spécifiquement à cette fin par le secteur français de l’ONF. Les dispositifs techniques que mes collaborateurs physiciens fabriquaient pour le tournage de nos films (épicycles pour la démonstration du mouvement rétrograde des planètes, canon suspendu pour l’immobilisation par la caméra rapide d’un projectile en vol, etc.), intriguaient beaucoup Claude et, par la suite, il tenait à assister à certains tournages et à la projection des scènes qui en découlaient. Le fait que nous produisions des films « muets » à cette époque à l’ONF l’amusait.
Je crois que le cheminement de Claude Jutra a été très particulier, personnel et unique même s’il n’a pas réalisé tous les films dont il a rêvé. N’eût été la hantise du milieu québécois pour le long métrage Claude aurait pu apporter beaucoup à la réalisation de films différents, précurseurs de beaucoup de films que nous voyons actuellement à l’écran.
J’ai eu l’occasion de collaborer avec Claude à l’évaluation de cours de cinéma préparés par différentes universités du Québec et durant quelques-unes de ces sessions de travail où nous étions isolés par la force des choses, Claude m’avait dévoilé ses préoccupations selon lequel le cinéma ne soit pas l’apanage d’un seul groupe. Il insistait pour que les cours de cinéma en préparation soient à caractères polyvalents. Que toutes les routes étaient bonnes pourvu qu’elles mènent au cinéma.
Jacques Parent