La Cinémathèque québécoise

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LA LUTTE ou la fin des combats en équipe

C’est grâce à la fin de la fameuse année fiscale et à un défi de Grant McLean, alors directeur de la production à l’Office national du film que LA LUTTE a été produit.

Il restait six semaines avant le 30 avril et de l’argent à dépenser, dilemme annuel à l’institution de la Côte-de-Liesse. Le défi posé par Grant : commencer et terminer un film de 30 minutes en six semaines. En général, il fallait une année entière de randonnées entre le bureau, la cafétéria et les salles de montage, pour compléter ce genre d’opus!

Depuis longtemps, j’avais pensé que la lutte qui remplissait alors le forum nous ferait un sujet intéressant, à nous les chevaliers de la caméra à l’épaule. J’en parle à Brault et à Jutra. Ils n’étaient jamais allés à la lutte. Nous y allons ensemble. Ils sont conquis.

Quelques jours plus tard, nous commençons à tourner des scènes préliminaires et surtout nous formons une équipe pour l’assaut aux images, lors d’une grande soirée de lutte au forum : Brault, Wolf Koenig et moi aux caméras; Marcel Carrière au son. À la dernière minute, Claude Jutra qui ne tournait presque jamais décide lui aussi de prendre une caméra, emporté par l’euphorie générale.

Pour la plupart d’entre nous, à cette époque-là, quand l’enthousiasme gagnait, le film de l’un devenait rapidement le film de tous. C’est ainsi que LA LUTTE s’est retrouvé avec quatre noms, en ordre alphabétique, au poste de la réalisation : Brault, Carrière, Fournier, Jutra, parce que nous étions si contents du résultat que nous voulions qu’il y en ait pour tous!

Brault était monté dans l’arène avec beaucoup d’images et plusieurs heures de montage ;

Carrière, lui, avec ses appareillages sonores;

Jutra y est allé de prises très particulières, fruit de son invention. C’est lui qui a lancé le clavecin dans le jeu, c’est lui qui a orchestré sur cette musique le ballet des lutteurs.

Quant à moi, j’avais eu l’idée du film; j’avais fait des images, j’avais monté… mais surtout j’avais réussi à garder tous les lutteurs en état de grâce et de combat, dans l’arène, les six semaines qu’il aura fallu pour faire le film et relever le défi de Grant McLean.

Trente ans plus tard, je ne peux m’empêcher de penser à l’ironie tragique de la situation : ce travail de cinéaste qui nous avait tous réunis et aussi un peu ce qui a fini par nous distancer ; et cela à un moment de la vie où il aurait été opportun de lutter en équipe plutôt que de dériver seul… et sans mémoire.

Claude Fournier