La Cinémathèque québécoise

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Présentation de BEAUTY

BEAUTY
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Coll. Cinémathèque québécoise
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BEAUTY constitue, avec mon long métrage LE MAÎTRE ET LE GÉANT, l’un des points extrêmes, l’un des pôles de ma démarche entre documentaire et fiction.

On y trouve de façon aiguë la recherche d’une limite à ce qui reste acceptable dans l’image lorsqu’on se risque à briser l’interdit.

Il y a des films dont émane une impression de chaleur, d’autre de froid. BEAUTY travaille dans le froid.

C’est le monde du film policier, ses principes, qui sont ici détournés de leur sens, déroutés.

À travers le côté artificiel et faux du film, on assiste également à la création d’images quasiment insupportables.

C’est, par ailleurs, l’un de mes films qui continue à m’interpeller, à me gêner, car il révèle des choses de moi-même qui me mettent en question par leur caractère honteux, caché.

Toute l’action naît de quelques décors : une chambre avec de sombres papiers peints, très exiguë. Une évidente volonté d’user d’un espace très plat. La sensation de l’espace n’est jamais créée par une perspective à l’intérieur de l’image, mais toujours par la mise en opposition de deux images.

Seuls des éléments de construction produisent ici un effet spatial.

Souvent ces images opposées appartiennent aux catégories de la culture, de l’artifice et de la nature.

Les images de la nature ont plus de profondeur. Elles sont organisées en couches d’élé­ments qui se dévoilent. Cela par opposition à l’enfermement du personnage qui sans cesse se heurte à des murs, dans un espace sans aucune profondeur.

Ma volonté était que le spectateur soit à tout moment conscient de l’éclairage. Aussi ai-je non seulement éclairé l’action dans le décor artificiel décrit plus haut, mais aussi le décor naturel pour que la présence du personnage dans la nature soit également perçue comme antinaturelle.

Le montage hitchcockien repose sur le principe que deux choses que l’on assemble au montage entretiennent un rapport, se regardent, se menacent. Je joue, dans BEAUTY de cette règle sur laquelle repose le film de fiction, en utilisant les effets du champ/contre­champ d’une manière singulière.

En effet, le personnage regarde une chose et la chose regardée — le contrechamp — se situe toujours dans un autre espace.

En même temps, le montage produit un autre effet : il mélange les qualités primaires du réel, les perceptions sensorielles.

Le personnage est dans la rue, il regarde la foule. Celle-ci défile sur l’écran noir de ses lunettes solaires. En même temps, on entend couler de l’eau. En contrechamp à cette image, une piscine au bord d’un lac. On entend marcher. Le personnage est, à présent, derrière des barreaux. Il regarde une montagne.

Ce jeu du champ/contrechamp confronte donc des éléments très séparés dans la réa­lité, géographiquement et spatialement.

L’isolement ou la schizophrénie du personnage naît du fait qu’il ne sait plus joindre le champ et le contrechamp, que son monde est fragmenté. Le contrechamp est toujours l’autre. De même, les sons qu’il produit ne sont audibles que dans ce qu’il voit.

Le personnage, en sa quête de la réalité, pèse un flacon de parfum. Naturellement, il ne parvient pas de la sorte à qualifier correctement ce réel qui échappe à ses mesures. Car mesurer le poids d’un parfum fait appel à deux qualités qui ne sont pas sujettes à commun dénominateur. L’opération à laquelle je me suis livré était donc d’isoler les qua­lités tactiles, sonores et olfactives, et de les placer dans d’autres séries ou dans d’autres contextes.

Le montage d’un film n’implique donc pas seulement un développement du contenu, mais procède aussi à travers ces qualités primaires des choses et leurs oppositions : plat/pro­fond, lumière/ombre, mouvement/arrêt, chaud/froid, dur/doux, etc.

Ces qualités sont ici utilisées pour casser la perception d’un réel organisé, hiérar­chisé, pour y introduire un élément de résistance, de subversion.

C’est cette volonté d’ordonner le réel une fois pour toutes et le désespoir de ne pas y parvenir qui conduit le personnage de BEAUTY à se supprimer.

Ce traitement du corps met en jeu la peur de l’impuissance et notamment de l’impuis­sance sexuelle où s’enracine aussi le fascisme. Cette angoisse culmine dans la scène où le personnage masculin manipule le corps nu d’une femme de ses mains gantées de plasti­que. Mais elle est également évoquée par d’autres images évoquant l’enfermement : l’oreille munie d’écouteur, le cache-sexe, les yeux bandés. Tout cela est livré au spectateur de façon primaire.

(Ce texte de 1981 a été originellement publié dans Johan van der Keuken, Cinéaste et photogra­phe, Ministère de la Communauté française, Bruxelles, 1983)