Présentation
Les textes qui composent ce numéro ont été rédigés par des étudiants inscrits à mon séminaire de maîtrise portant sur le cinéma québécois, pendant la session hiver 1988 à l’Université de Montréal. Le but de la recherche effectuée était de mieux cerner diverses manifestations de l’expérimentation qui a eu cours dans le cinéma québécois, non pas au sein des œuvres indépendantes qui pourraient faire l’objet d’une autre recherche, mais dans ces films qualifiés d’art et d’essai qui ne répondent pas aux normes des films commerciaux. Mikel Dufrenne n’hésitait pas à voir dans cette production le signe d’une maturité intellectuelle, précisant que le cinéma québécois, malgré sa jeunesse et disposant de faibles moyens financiers, s’est voulu «artistique avant d’être commercial» («L’art de masse existe-t-il?», Revue d’esthétique, 3/4, 1978 (L’art de masse n’existe pas, Paris, 10/18, no 903), p. 17). L’orientation esthétique caractérise donc l’ensemble de ce numéro.
Chaque texte développe une problématique particulière révélée à partir d’analyses de films : certains ont déjà fait l’objet d’études et sont repris ici selon une orientation différente; d’autres n’avaient pas encore bénéficié d’une analyse attentive malgré leur importance reconnue (ex. : À TOUT PRENDRE); plusieurs enfin font partie de ce nombre important d’œuvres oubliées (ex. LES ALLÉES DE LA TERRE, UNE NUIT EN AMÉRIQUE). Il ne s’agit pas ici de rendre compte de tous les films qui offrent une forte dose d’expérimentation mais de présenter des avenues essentielles qui se sont développées dans le cinéma québécois. L’importance d’À TOUT PRENDRE méritait d’être soulignée et fait l’objet d’un article (James Brady). Il en est de même pour le cinéaste Jean Pierre Lefebvre (Michel Bessette). Nombreux sont les cinéastes qui ont effectué une recherche sur le langage sans qu’elle ne caractérise pour autant l’ensemble de leur production; Gilles Carle qui s’est orienté ces dernières années vers un cinéma commercial tient lieu ici d’exemple (Lucien Fortin). L’expérimentation peut aussi apparaître de façon spécifique dans certains passages seulement, comme l’illustre l’article traitant des interventions animées de Pierre Hébert (André Papineau). Elle peut s’élaborer non seulement à partir de l’image, mais aussi de la bande sonore, au moyen de l’utilisation de l’opéra par exemple (Louis Goyette). La présence d’autres arts comme le théâtre, créant contiguïté et interférence, peut raviver l’expérimentation comme ce fut le cas dans les films témoignant du passage du Grand cirque ordinaire au cinéma (Stéphanie O’Shea). Une recherche fondamentale apparaît au niveau de structures narratives complexes qui manifestent une volonté avouée de renouveler le langage (Johanne Larue). Mais un travail formel résulte aussi bien souvent d’un besoin d’assouplir le langage en fonction du sujet, comme le démontre l’étude de la conception de l’histoire chez Jacques Leduc (Alain-N. Moffat), de même que la réflexion sur les films autobiographiques (Sylvie Beaupré). Une conception de la réalité subversive par rapport à la perception conventionnelle entraîne aussi un renversement de nombreux codes établis comme chez Noël, Forcier, Harel (Line Bouteiller).
Ces analyses mettent en valeur, une fois de plus, toute la richesse qui caractérise le cinéma québécois. La tendance est certes aujourd’hui aux films exportables, qui répondent aux critères de l’internationalisme. Mais la singularité, la création originale qui fait évoluer le langage, qui s’ouvre à de nouvelles significations fait partie des biens les plus précieux d’une communauté culturelle.
Michel Larouche