La Cinémathèque québécoise

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SÉRAPHIN en écho

Revenons un peu en arrière. Nous avons vu que L’Anglais, en plein tournage du CURÉ, avait annoncé le début imminent de la suite d’UN HOMME ET SON PÉCHÉ. En effet le plan prévu est de tourner une trilogie : d’abord la dictature de Séraphin, ensuite la vengeance des habitants (SÉRAPHIN), enfin les qualités de l’épouse elle-même (DONALDA qui ne sera pas tourné). Le 7 septembre on entreprend donc le second volet de l’œuvre. On veut d’abord faire plus social, plus « fresque de la conquête du Nord », ce qui permettrait incidemment de tenir compte des critiques formulées quant au manque d’extérieurs dans UN HOMME… Après deux jours de tournage, Hector Charland tombe malade et doit être opéré d’urgence. On essaie de continuer en tournant toutes les scènes où il ne figure pas. Mais comble de malchance, deux semaines plus tard, c’est au tour de Nicole Germain de tomber malade. Le 24 septembre, QP se voit obligée de suspendre le tour­nage jusqu’au 22 octobre. À la reprise tout va bien et le 2 novembre la production est terminée.

On tourne la séance du conseil municipal
On tourne la séance du conseil municipal
Coll. Cinémathèque québécoise

Trois mois après la fin du tournage, comme d’habitude, SÉRAPHIN prend l’affiche au St-Denis. Grande première le 17 février 1950. Comme pour UN HOMME... on majore les prix: 60¢ et 80¢ plus les taxes. SÉRA­PHIN tient quatre semaines 1 à Montréal, toujours un peu moins en pro­vince. Cette fois-ci, presque l’ensemble des journalistes roucoule :

SÉRAPHIN, un divertissement filmé qui démontre l’amélioration de notre technique cinématographique

« SÉRAPHIN est un effort cinématographique, purement canadien, qui est d’un merveilleux intérêt. Plus que tout autre, en effet, ce nouveau film de QP démontre une certaine maturité cinématographique qui commence vraiment à nous faire espérer le développement artistique à coup sûr, de notre jeune industrie…

Mais même devant son marché attitré, soit celui du Québec, SÉRAPHIN, fait techniquement preuve d’immenses progrès. Cette fois, le jeu de la caméra est mieux que jamais contrôlé et dirigé. Elle commence, cette caméra canadienne-française, à très bien savoir où elle va dans l’art cinématographique lequel, à sa base, est bien technique. Mise en scène, découpage et montage viennent enfin, dans SÉRAPHIN, à l’aide du récit et de l’interprétation. C’est ce qui manquait le plus à nos films jus­qu’ici. Et cela augure à coup sûr pour l’avenir ».

Marc Thibeault, Parlons Cinéma mars 1950

Le soir de la première
Le soir de la première
Coll. Cinémathèque québécoise
Le soir de la première
Le soir de la première
Coll. Cinémathèque québécoise

SÉRAPHIN au St-Denis marque un beau progrès sur les productions précédentes

« SÉRAPHIN est un progrès et fait plus cinéma. Le scénario est un peu plus étoffé que le précédent, bien qu’il ne soit pas encore très fort. L’intrigue en elle-même est faible et tout l’intérêt repose sur le fait que Séraphin attrape sa raclée. À ceux qui suivent le programme de Claude-Henri Grignon depuis des années et qui sont au courant du ‘problème Séraphin’, le nouveau film plaira tout particulièrement. Pour la plupart, il y a l’accumulation d’une haine de dix ans à l’égard de ce personnage…

Du point de vue technique, SÉRAPHIN marque une grosse amélioration. Les éclairages sont sobres et contribuent à donner l’ambiance voulue; les images précises; le montage rapide; les fondus bien amenés. Les jeux de la caméra ne sont pas très variés, mais des gros plans étudiés et bien réussis contri­buent à briser le rythme du plan moyen… L’interprétation en général est excellente… Paul Gury a cherché à donner le plus de mouvement possible; le film n’est pas trop lent. Il a réussi à donner l’ambiance du milieu paysan ».

Roland Côté, Le Canada 20-2-50

 Sur le film SÉRAPHIN

« Le cinéma canadien travaille. Avec foi, intelligence et volonté. Rien d’étonnant que par bonds il avance dans la voie du progrès… Eh! bien le film SÉRAPHIN nous comble d’aise. Les vingt spécialistes invités à l’avant-première ont spon­tanément applaudi lorsque le mot fin s’inscrivit sur l’écran…

SÉRAPHIN est un bon film. Scé­nario plus étoffé, éclairage sans bavures, photographie nette. Cer­tains gros plans de M. Hector Charland sont fouillés et dénotent de l’étude. Ce n’est plus de l’image sans caractère, mais un caractère rendu vivant par l’image. Le son est d’un beau registre. Le décor est ce qu’il doit être. La technique est plus souple, le montage plus nerveux et les fondus qui relient les séquences ne sont plus des exploits ou des exer­cices mais de l’authentique savoir- faire. Surtout le cinéaste Le Gouriadec a “aéré” son film. Quelques ré pétitions, des vétilles ici et là, mais quel souci — et nous sommes heureux de le signaler — de cadrer la rude nature du Nord, de l’incorporer à l’action. L’interprétation? Sauf deux rôles faibles, tous les autres sont empreints de réalisme ».

Léon Franque, La Presse 18-2-50

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 Québec Productions, SÉRAPHIN

Le curé Labelle harangue les colons. La 2e à gauche, C.H. Grignon
Le curé Labelle harangue les colons. La 2e à gauche, C.H. Grignon
Coll. Cinémathèque québécoise

« Le nouveau film de la Québec Productions, qui s’intitule cette fois SÉRAPHIN, et qui pourrait s’ap­peler aussi justement “La Revanche des pauvres” a été présenté cette semaine en avant-première et a suscité un vif intérêt chez les journa­listes aimablement invités à cette projection. Tous furent unanimes à reconnaître que du point de vue technique, cette nouvelle réalisation ca­nadienne est excellente… Ceux qui déploraient la pénurie de scènes extérieures dans UN HOMME ET SON PÉCHÉ sont servis à souhait dans SÉRAPHIN qui donne dès le début l’impression d’être beaucoup plus aéré que son aîné…

Disons maintenant un mot du scénario. Évidemment c’est une histoire arrangée pour plaire au grand nombre d’auditeurs du programme UN HOMME ET SON PÉCHÉ en leur donnant une occasion unique de voir Séraphin “en arracher” à son tour et “cracher ses piastres”… Bien qu’il présente une image fidèle de la vie des défricheurs canadiens-français il y a 75 ans, et qu’il possède de nombreuses qualités, le nouveau film de la Québec Productions est encore un produit pour consom­mation locale à cause de la langue ty­piquement paysanne qu’on y parle et qui empêchera les étrangers d’appré­cier les mérites intrinsèques de ses acteurs et le travail de ses techni­ciens ».

Renaude Lapointe, Le Soleil 18-2-50

Par contre, les « intellectuels » regimbent. Jean Vincent, s’étant déjà fait reprocher ses remarques désobligeantes à l’égard du cinéma québécois, opte cette fois-ci pour l’humour :

SÉRAPHIN

« Je vous dirai aujourd’hui l’excel­lence du film SÉRAPHIN, même s’il me manque dix ans d’écoute radiophonique pour tout à fait le saisir. Le scénariste, M. Claude-Henri Grignon, a fait preuve d’une sobriété extrême… On n’accusera pas non plus M. Le Gouriadec d’avoir sacrifié la substance du drame à des virtuosités techniques. La caméra sert de ligne de démarca­tion : les acteurs devant, le camé­raman derrière. Ceci posé, on tour­ne. J’aime aussi chez M. Le Gouriadec ce souci d’honnêteté qui le pousse à répéter trois, quatre fois la scène du bûcheron coléreux, afin que chacun en comprenne le comique. Autre exemple…

Dialogue curieux, typique si l’on veut, mais parsemé d’anglicismes bien montréalais pour “une histoire des pays d’en haut”… Je ne savais pas d’autre part qu’on employât si couramment les imparfaits du subjonctif au nord de Ste-Adèle. Signaler la puissance d’éclairage des bougies qu’utilise Séraphin serait une chi­noiserie… »

Le Devoir 20-2-50

Bill Wabo fait chanter Séraphin : la séquence
Bill Wabo fait chanter Séraphin : la séquence
Coll. Cinémathèque québécoise
Bill Wabo fait chanter Séraphin : la mise en place
Bill Wabo fait chanter Séraphin : la mise en place
Coll. Cinémathèque québécoise

On voit le genre de prose. Jacques Giraldeau, lui, ne joue pas l’humour pour apprécier SÉRAPHIN, le péché de notre cinéma canadien 2 :

SÉRAPHIN 

« En commençant cet article, j’ai l’impression d’exécuter un pensum. Ce n’est plus guère intéressant de parler du jeune cinéma canadien au stade où, aujourd’hui, il est rendu. Aux reproches encourageants du début succèdent une impatience et un mécontentement fort justifiés. L’in­fantilisme dans lequel se vautre SÉ­RAPHIN, ne saurait certes mériter les éloges restrictifs mais plein d’es­poir qu’a reçus UN HOMME ET SON PÉCHÉ. Ce dernier film de Québec Productions possède tous les défauts d’un bon film et toutes les qualités d’un navet.

Il n’est basé sur aucun scénario, reposant à peine sur deux ou trois si­tuations mélodramatiques sans grand intérêt. La mise en scène est conventionnelle et pimentée de quel­ques gags réchauffés, à sauce améri­caine. Si l’on excepte quelques exté­rieurs pleins d’allant, la photo­graphie sans relief de ce mauvais film n’en rehausse pas la valeur. Parmi les interprètes, seuls Suzanne Avon qui a un réel talent pour l’écran, et bébé Alain Boisvert — quel symbole — méritent d’être cités.

Les auteurs de la musique de fond n’ont pas compris le rôle de la musique au cinéma, si on en juge par la bruyante insistance de leurs partitions verbeuses. Ces choses ne sont pas agréables à dire, mais pour ménager quelques susceptibilités, je ne louangerai pas une bleuette comme l’ont fait certains critiques, que dis-je, certains publicistes de Montréal. Le rôle du critique ne consiste pas seulement à diriger le goût du public, mais aussi à orienter la production, quand celle-ci est assez intelligente pour considérer froidement ses erreurs. Quand délaissera-t-on les programmes radiophoniques pour s’attaquer à des sujets vraiment cinématographiques? Le cinéma et la radio sont deux choses complètement différentes. Qu’on le comprenne à la fin! »

Le Front ouvrier

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SÉRAPHIN

noir et blanc, 101 min. 34 sec. (9141′)

Réalisation, adaptation et découpage : Loic Le Gouriadec. Scénario et dialogues : Claude-Henri Grignon. Musique : Arthur Morrow. Chef d’orchestre : Jean Deslauriers. Directeur de la photo : Drummond Drury. Opérateur : André Bellenot. Assistant caméraman : Don Wilder. Décors : Jacques Pelletier. Chef menuisier : J. Arthur Benoit. Ingénieur du son : Oscar Marcoux. Montage : Jean Boisvert. Assistant monteur : Jacques Blouin. Coiffures : Bernard’s. Directeur de production : Jean Boisvert, assisté de Talbot Johnson. Costumes : Marie-Laure Cabana. Maquillage : Denyse Ethier assistée de Mary Oliver. Scripte : Andréanne Lafond. Assistant réalisateur : Paul Colbert. Accessoiriste : Percy Graveline. Photographe : Roméo Gariépy. Machinistes : Réal Bienvenue, Lionel Bienvenue. Perchiste : Denis Mason. Publiciste : Jean-Louis Laporte. Producteur : Paul L’Anglais. Interprétation : Hector Charland (Séraphin), Nicole Germain (Donalda), Guy Provost (Alexis), Suzanne Avon (Artémise), Henri Poitras (Jambe-de-bois) Antoinette Giroux (Mlle Angélique), Arthur Lefebvre (Wabo), Marcel Sylvain (le docteur Cyprien), Claude-Henri Grignon (un révolté). Armand Leguet (Pit Caribou), Jeannette Teasdale (Délima), Eddy Tremblay (le curé Labelle), J. Léo Gagnon (Zacharie Lapaille), Camille Ducharme (le notaire), Alain Boisvert (le bébé), Eugène Daignault (le père Ovide) Lorenzo Bariteau (Isaac), Victor Pagé, Jacques Beauregard, Lionel Bousquet, Conrad Bureau, Jeanne Rolle, Mme Hector Charland.
Techniciens membres de l’IATSE

Dans le premier film tiré d’UN HOMME ET SON PÉCHÉ nous avons vu qu’Alexis, incapable de payer sa dette, se vit chasser par Séraphin, l’avare sans entrailles. Le jeune homme alla s’établir plus loin accompagné de son ami et confident, le quêteux Jambe-de-bois. Il épousa la belle Artémise et vivait heureux sur un lot qu’il commença à défricher de peine et de misère.

Nous sommes maintenant à l’été de 1890. Le Roi du Nord, l’original et infatigable curé Labelle conduira une dernière fois des nouveaux colons dans ce pays de monta­gnes, de rêves et de misère. Et c’est la longue caravane des paysans et défricheurs qui cherchent un coin de terre où s’établir soit à l’orée d’un bois, soit au bord d’un lac tranquille ou en bordure d’une rivière pleureuse dans un décor enchanteur, unique au monde situé à 50 milles au nord de Montréal. N’empêche que le pain est rare, le pain et l’argent. Seul Séraphin, toujours riche, continue à terroriser les pauvres.

Ceux qui écoutèrent le curé Labelle ne sont pas tous satisfaits de leur sort. Ils maudissent ces « terres de roches » où le tabac du diable ne pousse même pas pour em­ployer les propos d’un révolté qui veut empêcher le Roi du Nord de poursuivre son œuvre de colonisation. Les choses allaient si mal que l’énorme curé Labelle dut réunir les colons et faire éclater sa voix de tonnerre pour inciter les mécontents à rester sur leurs lots dans ce décor magnifique. La parole du curé produit un grand effet. Il faut voir aussi sa conduite à l’endroit d’Alexis et d’Art émise quand il apprend qu’ils n’ont presque rien à « se mettre sur le dos », pas même de quoi vêtir leur enfant. Le geste que le curé Labelle pose en cette circonstance nous fait voir un véritable apôtre dans toute la générosité de son cœur et qui se moque des conventions sociales.

Alexis n’a pas encore son billet de location. Il cultive un lot qui ne lui appartient pas. Jambe-de-bois, Pit Caribou et d’autres de ses amis viennent l’aider à « faire de l’abattis », à « faire » de la terre. C’est dur et les chaleurs de cet été de 1890 accablent les travailleurs qui ne se découragent pas.

Séraphin, qui se trouve agent des Terres et qui en veut toujours à son ennemi mortel Alexis, essaiera une fois de plus de le chasser de son lot et de l’envoyer ni plus ni moins en exil, mais l’avare avait compté sans le curé Labelle et surtout sans le docteur Cyprien.

Ah! ce cher docteur Cyprien, ami du Roi du Nord, ami des pauvres, illustre bien le véritable médecin de campagne d’autrefois! Mais il est aussi l’ami de cœur et de passion de la roucoulante Angélique, maîtresse d’école, maîtresse de poste et orga­niste qui a su conserver une certaine fraîcheur, même à un âge où d’ordinaire une femme a perdu tout espoir de « trouver un bon parti ». Cette Angélique romantique tire du grand et veut se faire belle pour plaire au gros docteur. Elle raffole des toilettes éclatantes, mais elle n’est pas riche. Elle a « son » prêteur dans la personne de Séra­phin. Il arrive un moment où la maîtresse de poste ne peut pas rembourser à l’échéance ce qu’elle doit à l’avare. Celui-ci attendra mais à la condition qu’elle donne en gage deux bagues qu’elle évalue à 500 $. Ces bijoux venaient de sa mère. Sé­raphin lui signe une reconnaissance. Un soir qu’elle jouait du piano, le docteur s’aperçut qu’Angélique n’avait plus ses bagues. Il l’interroge. Angélique saura mentir en femme astucieuse qu’elle est. Le docteur la croit sur parole et la fiance. C’est le bonheur.

Et la vie continue dans ce pays de montagnes où la culture ne paye pas son homme. On vit surtout de chasse et de pêche. Un jour Séraphin aperçoit de loin Bill Wabo en train de pêcher. Il s’approche des rives du lac et supplie le sauvage de l’amener prendre de la belle truite. Wabo, qui n’aime pas l’avare, vient le chercher quand même. Séraphin est surpris de voir que Wabo a déjà « sorti » plusieurs belles rouges. Il s’en promet! On jette l’ancre au bon endroit mais voici que Wabo fait un faux mou­vement et que Séraphin tombe à l’eau. Le sauvage sauvera son ennemi mais il y met le prix. Le désespoir de l’avare atteint au paroxysme de la comédie. Jamais peut-être il n’a connu un choc pareil. Il a la vie sauve mais il a perdu son porte-monnaie que Bill Wabo finira par trouver. Que contenait ce porte-monnaie? Beaucoup de choses et entre autres une lettre de Délima, la grand-jaune, sœur de Séraphin. Délima, qui a épousé Joe Greenwood et qui vit aux États, jouera un rôle capital dans l’existence tourmentée de l’avare. Souvent elle lui apparaît. Et pour cause. Jambe-de-bois, qui connaît toute l’histoire et qui a pris connaissance de la lettre, écrira à Délima de venir au Canada, que c’est très important, que le règlement des comptes approche. Jambe-de-bois est l’homme capable de nous éclairer. N’empêche qu’Alexis apportera lui-même à Séraphin le porte-monnaie intact. Ça lui permet aussi de voir Donalda.

Séraphin redoute toujours Alexis. Il est devenu extrêmement jaloux de ce beau jeune homme que Donalda avait aimé jadis. Aussi, l’avare presque tous les jours épand une couche de sable blanc autour de la maison afin de savoir qui peut venir chez lui lorsqu’il s’absente. Un soir nous assistons à une séance du conseil municipal. Il faut voir Séraphin maire et prêchant l’économie, mais le conseiller Lapaille y tient tête. Les questions qu’on y discute sont d’une importance capitale. Est-ce que Séra­phin a pour lui le peuple? À titre de maire peut-il nuire à Alexis? Et cette taxe sur les chiens provoquera-t-elle tout un drame? De retour à la maison et à la lumière jaune d’un fanal. Séraphin découvre des pistes sur le sable. Pas d’erreur, songe-t-il, c’est Alexis qui est venu puisqu’il avait quitté la salle du Conseil très tôt dans la soirée. L’avare tombe dans une colère blanche et fait une scène de jalousie à Donalda qui se défend comme elle peut. Est-ce bien Alexis qui est venu ce soir-là?

Mais les bagues d’Angélique où sont-elles? On aura vu Séraphin les enfiler dans un lacet de cuir qu’il porte au cou. Il ne faut pas que Donalda sache qu’il prête de l’ar­gent à la maîtresse de poste. Aussi ces bagues constituent un secret. C’est un poids qu’il porte, c’est une chaîne qui le tient rivé à l’avarice, ce péché qui le ronge jusqu’au cœur. Il arrive que Séraphin va jeter du foin aux bêtes; il grimpe sur la tasserie. Puis il en descend et porte la main à son cou pour constater, ô malheur! qu’il a perdu les bagues. Où? Il cherche, il se tourmente, il appelle Donalda, lui demande si elle a trouvé quelque chose. Il n’ose pas dire quoi. Il ne peut pas parler. Il se rend compte qu’il a perdu les bagues. Dans le foin. Peut-être. Il implore Dieu, saint Antoine de Padoue. Finira-t-il par les retrouver ces bagues qui font son malheur et sa punition? Jamais l’avare n’a traversé un tel orage. Donalda, affolée, court chercher monsieur le docteur. Ils arrivent et trouvent notre malheureux dans un état difficile à décrire. Avouera-t-il avoir perdu les bagues de mademoiselle Angélique? C’est ici que Séra­phin fera preuve d’une grande force de concentration. Et le drame va se jouer.

Le drame cependant n’est pas terminé. Voici que Délima, la grand-jaune, arrive au Canada. Que vient-elle faire? Depuis quelques jours elle avait apparu à Séraphin tel un remords, un châtiment véritable. L’avare ne peut pas éviter cette image qui le bou­leverse. L’image s’est transformée en réalité. Délima est là dans la cuisine, entourée d’Alexis, Jambe-de-bois, Père Ovide? Quel passé veut-elle rappeler à son frère? Cet été somptueux de 1890, ce décor de verdure, de lacs, de rivières et de rêves, semble ajouter au malheur qui pèse sur Séraphin. Réussira-t-il à sortir des tenailles du destin? L’avare en serait-il rendu à ce point crucial de sa vie qu’il veut vendre son âme au diable ou gagnera-il finalement la partie? Il a une carte à jouer, la dernière. La jouera-t-il? C’est là tout le drame de SÉRAPHIN.

Claude-Henri GRIGNON

Notes:

  1. Selon Parlons Cinéma, le film attire à Montréal les 4 premiers jours 25,000 personnes, soit presqu’autant que UN HOMME… Pas surprenant qu’un mois après sa sortie, le film ait déjà permis à QP de retrouver environ 75% de sa mise de fonds ($100,000.) ce qui signifie que presque 200,000 personnes ont vu alors le film au Québec.
  2. Giraldeau deviendra par la suite cinéaste. À l’époque il est un des rares à essayer d’être critique et non publiciste.