La Cinémathèque québécoise

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Les rendez-vous du cinéma québécois

À l’instar de l’affiche de cette 6ème édi­tion des Rendez-vous du cinéma québécois, nous nous trouvons sur un quai et pensions remettre les pendules à l’heure grâce aux projections, aux rencontres et aux échan­ges qui se multiplient décidément pour l’occasion. Comme toujours, des débats étaient prévus à l’horaire et il est impor­tant de noter que ceux-ci font aussi partie — peut-être pas de façon assez spectacu­laire ou provocante parfois — de la pro­grammation. Il était excitant de pouvoir comparer, soupeser, analyser la production québécoise de cette année où LE DÉCLIN DE L’EMPIRE AMÉRICAIN avait pro­pulsé (ou tiré, tel une locomotive) le ciné­ma québécois sur le devant des scènes in­ternationales. Et de fait la suite était prise, toute proportion gardée, par THE KID BROTHER et UN ZOO LA NUIT. Sans conteste cela renforçait notre intérêt pour cette édition avec, à la clef, la confirma­tion ou l’infirmation de la vigueur du ci­néma d’ici. On pouvait avoir le sentiment de se trouver avec le film d’Arcand, de­vant «l’arbre qui cachait la forêt» ou bien face au «chant du cygne»… Sans toutefois faire du DÉCLIN l’aune et le mètre de tous les films et de toutes les productions; sim­plement s’il s’agissait d’un révélateur, il fallait savoir de quoi et pourquoi.

Trois petites lettres qui me faisaient sau­ter sur mon banc : ZAP! Il paraît qu’il y en avait 250 fois dix secondes, de quoi nous bombarder des zapperies pendant presque une heure. À quoi rimaient ces fragments, ces poussières, ces fétus d’ima­ges à la mode du précuit pour ne pas dire prédigéré et du micro (tellement micro) onde. Tout ce tapage pour quelques vétil­les, broutilles et nugae… non c’était un peu court et, à tout prendre, j’aime encore mieux le lion de l’Ars gratia artis ou le géant de la Rank.

Belle ouverture par contre avec le moyen métrage de Serge Giguère, OSCAR THIFFAULT. Sorte de chronique des belles et moins belles heures d’un compositeur-interprète de musique populaire, sorte de plongée libre dans la vie d’un homme que les succès et les insuccès n’ont pu attein­dre et qui a conservé son intégrité authen­tique. Ce qui veut dire que ses rêves sont conservés, que le jugement d’élection ne l’a pas entamé. Si Oscar Thiffault éprou­ve une grande joie à construire des simu­lacres d’avion dans son jardin, à pousser encore quelques fois les notes et les paro­les du Rapide Blanc, c’est tant mieux. Des morceaux de mémoire sont encore vivants et il sait les évoquer sans en ressasser in­terminablement les à-côtés. Le film nous fait partager avec un égal bonheur les mo­ments passés ou présents de cet homme qui incarne une génération, peut-être plus que cela. Qui connaît a priori l’origine d’un symbole? Et d’où naît la mythologie? «Ah ouignin hin hin» est comme une incanta­tion qui nous introduit dans un formidable rite de la communication comme en témoi­gnaient les réactions spontanées des spec­tateurs dans la salle. À moins que ce film ne soit une pierre dans le jardin des films qui se prennent au sérieux et nous servent, incontinents, des leçons, des prêchi-prêcha indigestes, pour la plupart. Auquel cas ce serait une pierre ponce, car le ton est tout, sauf pesant, il sautille léger, et la passion enjouée n’est refroidie qu’en apparence. De quoi laisser dans les têtes un air de fête. Le cinéma a des prolongements insoupçon­nés: quelque temps après j’entendai chan­ter le Rapide blanc à une délégation d’acrobates chinois. Tiens donc…

Autre moment de réflexion sur la force du cinéma, le film de Richard Boutet, LA GUERRE OUBLIÉE, d’un caractère brechtien appuyé, dévoilait un morceau de l’histoire du Québec que bien des raisons officielles auraient laissé enseveli. Sans ce film précisément, la raison historique (don­neuse de leçons trop vite oubliées) eût été une fois de plus travestie en fantôme pâle et rien n’en eût paru. Soit, la scandaleuse loi de conscription qui forçait les Québé­cois à aller mourir à Verdun, ou ailleurs, devait être et a été combattue. Des hom­mes sont morts, mais pas seulement là où on s’attendait qu’ils mourussent. Dans la ville même de Québec, des soldats ont tiré sur des civils, et, une fois de plus le Québec a été victime des lois de l’Empi­re. Énoncé comme cela, on dirait un épi­sode de LA GUERRE DES ÉTOILES. À vrai dire il y a quelque chose de similaire dans les deux cas. Le film de Boutet joue beaucoup sur la fascination qu’exerce «la Madelon» interprétée par Joe Bocan, pa­rangon de l’innocente victime, archétype d’un personnage ambivalent de mère, sœur et femme ou amante à la fois. Sur elle repose le sens allégorique du film re­haussé par des chansons que Joe Bocan in­terprète brillamment. La construction du film intègre l’alternance des styles fictionnel, documentaire, d’archives, pour don­ner à l’argument une souplesse et une ab­sence de rugosité originales. La prise avec l’histoire contemporaine est moins avenan­te. La grippe espagnole comme retombée de la guerre de 14/18 est un effet de con­tact. Le virus transmis par les soldats de retour du front ne doit rien au bricolage technologique qui aboutira à la bombe ato­mique dont la menace des retombées, sem­ble pour Boutet, équivalente. La charge — émotive — l’emporte et devient une figu­re de style moins en liaison avec les pro­pos précédents. Il n’était point besoin d’une telle évidence caudale pour convain­cre de l’horreur de toutes les guerres.

TRAIN OF DREAMS de John N. Smith, pose la question difficile et classi­que de la vérité au cinéma. Vérité du ci­néma et vérité présente dans le cinéma. Re­constitution ou reconstruction, cette hybridation de documentaire et de drame fictionnel aboutit au fond à la création d’une oeuvre dont le ressort est le même que celui des films d’annonce publicitai­re. Une situation qui pourrait être celle de la réalité, devient l’occasion de transmet­tre un message sur tel ou tel produit de consommation de masse. Dans ce film on apprend comment un jeune délinquant peut arriver à se réadapter à une vie sociale nor­male et convenable après un passage dans un centre de redressement pour adoles­cents. La réalisation est précise, directe et bien conduite. Les interprétations sont étonnantes. Étonnantes de véracité? Au contraire, surprenante d’intensité comme seule une parfaite mise au point peut en produire. Et les accès de rage, les brutali­tés, la conversion même qui s’opère chez le jeune homme que nous suivons font «plus» que vrai. C’est ce «plus» justement qui à mon avis est la marque même du ca­ractère publicitaire. Au fond du film s’agite quelque chose qui doit rassurer. Oui, l’ir­réductible peut toujours se polir, oui la ci­vilisation est inévitable, ex-ecclésia… Le paradoxe pourtant c’est que cette affirma­tion se nourrit de l’existence des termes op­posés. Faut-il dire toujours que les barba­res sont à nos portes pour justifier une certaine «police»? À vrai dire dans TRAIN OF DREAMS les choses sont dissoutes dans le creuset des prisons où se manifes­tent — à froid — les protections rigides contre la violence et l’irrationnel. 

De la prison, le film LES BLEUS AU COEUR de Suzanne Guy nous parle en di­rect. Les entretiens donnés par les femmes sont passionnants au plus haut point. Au­tant TRAIN OF DREAMS est composé, autant LES BLEUS AU CŒUR est dé­lié, sans arraisonnement de la part de la réalisatrice qui joue d’une certaine trans­parence pour nous livrer des personnages vrais. Tant de douleurs contenues, tant d’espoirs avides de s’exprimer et une lu­cidité impressionnante contribuent à lester le propos et les témoignages du film. Tant et si bien que parfois j’ai eu le sentiment d’être happé dans une spirale sans fond, au cœur d’existences qui soudain me pa­raissaient si proches et si étranges à la fois. L’authenticité, la simplicité traduisent mieux que le discours cet univers carcéral dont on a trop dit qu’il constituait une sor­te d’envers maudit de la société. À voir le film de Suzanne Guy on se rend compte que cela n’est pas exact. D s’opère une mu­tation très subtile, au contraire, chez ces femmes qui savent transformer leur échec. Il est vrai que les conditions de détentions sont apparemment plus douces et loin des clichés sur les prisons «4 étoiles» payées par nos taxes. Aucun des plaignants de ce type et adeptes d’une solution finale — pourquoi pas — ne voudrait, ne pourrait envisager même de passer 24 heures dans une telle situation d’emprisonnement. Rien n’est plus ignoble que ces protestations sur le trop bon traitement des prisonniers (e)s et LES BLEUS AU CŒUR devrait ser­vir de document exemplaire et obligatoire d’information, il a l’étoffe des grands films de parole.

MARIE S’EN VA-T’EN VILLE est le premier long métrage de Marquise Lepage; l’exclusion et la prostitution arment ce film comme on tend une corde d’arc. La tension repose sur deux interprètes prin­cipales, Frédérique Collin et Geneviève Lenoir. Elles représentent les deux termes d’une même équation. Le contraste simul­tané qui en résulte est poignant. Il sourd de la rencontre de ces deux personnages comme une chanson douce malgré les vi­cissitudes et les difficultés et les violences. Comme une manière de dire que le par­cours de chacun n’est jamais à l’abri d’un moment de joie véritable; cette joie paisi­ble qui transforme la vie de Sarah et que le film traduit en de longs survols panora­miques de Montréal. Ces toits infiniment opposés aux trottoirs de la ville. La suite géométrique du film passe aussi par cet ar­pentage passionnel des lieux: de l’horizon­tale à la verticale. Ça n’est certainement pas un hasard si l’appartement où se déroulent quasiment toutes les scènes d’in­térieur est situé haut, bien haut au-dessus de la rue. Une respiration simple passe dans ce film qu’on aimerait conserver dans un coin de mémoire. Il révèle une jeune actrice et confirme une prodigieuse Fré­dérique Collin dans les rôles principaux.

Les Rendez-vous présentaient aussi les moyens métrages de la série l’Américanité. Le Québec grâce à la réflexion de plu­sieurs auteur(e)s se regarde dans le miroir d’un Nouveau Monde comme si pays signi­fiait modernité. Dans ce renversement, les confusions de genres sont fréquentes et on ne sait jamais bien comment un voyage bifurque tantôt dans le temps, tantôt dans un chemin de traverse. A bien suivre les œuvres du cinéma québécois, précisément ce sont ces traverses qui nous conduisent. Fort heureusement il n’existe encore aucune carte pour s’orienter, mais des carrefours, des rendez-vous.

Henri Welsh


Critique de cinéma, distributeur en France, vit maintenant au Québec et travaille pour la promotion d’œuvres cinématographiques et de spectacles des arts de la scène.