La Cinémathèque québécoise

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Anciens périodiques

Un métier d’homme en train de devenir un métier tout court

Je réalise qu’un cinéaste homme a “fait” le numéro précédent de Copie Zéro. Je réalise que celui-ci est consacré aux 50 femmes cinéastes que nous sommes.

Je réalise que je ne nous savais pas aussi nombreuses et que ça me fait drôlement plaisir de con­stater que ce qui, il y a quelques années, était considéré, les faits ai­dant, comme un métier d’homme est en train de devenir un métier tout court.

LA PÂQUE GRECQUE. à droite : Anik Doussau Coll. Cinémathèque québécoise
LA PÂQUE GRECQUE. à droite : Anik Doussau
Coll. Cinémathèque québécoise

Je réalise que, même s’il nous faut, nous autres femmes, nous mettre à 50 pour “faire” un numéro, c’est avec plaisir que j’apporte ma collaboration, car les occasions qui nous sont données de prendre la parole sont rares et ça vaut la peine de prendre celles qui se présen­tent. Seulement voilà : Que dire? parmi tant de choses à dire, si peu souvent dites. C’est d’autant plus difficile pour moi que l’année qui vient de passer a été entièrement consacrée à la réalisation d’une série dramatique pour enfants à la­quelle je suis en train de mettre le point final ces jours-ci (la copie finale du dernier épisode sort la semaine prochaine.)

Trop occupée par le “faire”, j’ai eu peu le loisir, en cours de route, de rationaliser, et pas encore celui de faire le bilan de cette ex­périence. C’est donc plus des réflexions du coq à l’âne que je fais ici. Ce qui m’étonne le plus aujourd’hui, c’est de constater que je suis arrivée au treizième épisode sans “décrocher” une seule fois, que, d’un bout à l’autre de la série, d’un film à l’autre, je me suis tou­jours “laissée prendre”, et que si parfois avant de commencer un nouvel épisode, j’éprouvais une certaine lassitude, elle disparais­sait aussitôt que j’entamais, avec la scénariste, la première ligne du scénario; que j’étais neuve à nouveau, pleine d’envie, envie d’essayer, de faire, de faire faire, de dire, de susciter…

Je ne veux pas dire que tout se soit passé dans l’euphorie la plus complète, ni que chaque journée de tournage ou de montage en a été une de création dans la joie. Mais seulement que plus je réalisais, et plus j’avais envie de réaliser, comme si faire un film me laissait toujours un peu sur ma faim, et finalement, me mettait en appétit pour le suivant.

Merveilleux métier qui, tous les matins, te permet d’avoir tout à recommencer…

Je tiens à dire cependant que mon prochain film ne sera pas un film pour enfants. Si ça me paraît important de le mentionner, c’est que je me souviens avec un certain agacement de l’approbation un peu condescendante que je suscitais, cette année, chaque fois que je disais ce que je faisais.

Comme si, née femme, il était normal que je me consacre de préférence à des films pour en­fants. Ça allait de soi en quelque sorte.

J’étais à ma place et tout tournait rond dans un monde qui aime bien mettre des étiquettes et préfère que chacun reste à sa place. Mais ma place, je ne la sens nullement définie une fois pour toutes, du fait de ma condition féminine.

MANGER AVEC SA TÊTE de Monique Crouillère Coll. Cinémathèque québécoise
MANGER AVEC SA TÊTE de Monique Crouillère
Coll. Cinémathèque québécoise

Je ne me sens pas plus vouée à faire des films pour enfants que je ne me sens obligée de prendre la parole aux noms de toutes les fem­mes, même si j’en partage pro­bablement toutes les préoc­cupations.

Je me sens libre et souhaite rester libre de choisir et de rechoisir, en tant qu’individu, ce que j’ai envie de dire, et comment, et à qui. Il se trouve que j’aime parler et travailler avec des enfants et pour eux, mais que j’aime aussi parler avec et pour des adultes, et demain, c’est ce que je vais faire!

Il y a cependant une chose que j’ai découverte cette année et à la­quelle j’aimerais donner suite: mon option pour le côté ensoleillé du monde. Je m’explique: si pendant des années, le film documentaire et le reportage m’ont amenée à prendre terriblement conscience de la guerre, de la maladie, de la pauvreté, du malheur et s’ils m’ont permis d’exercer et d’aiguiser une lucidité, une curiosité, un esprit critique qui constituent les lois du genre, “objectivité” oblige… la fic­tion m’a permis d’exprimer mon option pour tout ce qui, à mon sens, fait la beauté du monde: l’amour, la compréhension, la tolérance, le respect de la dif­férence, l’ouverture aux autres, l’humour et le sens de la relativité. Je me rends compte que cette op­tion, je l’ai prise jusque dans le choix des images et des gens qui travaillaient avec moi, optant de préférence pour le caméraman qui montrait la réalité dans toute sa chaleur, plutôt que pour celui qui en faisait ressortir le sordide. Il ne s’agit pas de vouloir faire croire que tout va bien dans le meilleur des mondes possibles, mais de donner, de me donner, par mes films l’impression qu’il y a, dans les impasses, des portes à ouvrir. Ce qui ne veut pas dire que je ne referai pas un jour du film documentaire ou du reportage, mais que si j’en fais, je voudrais qu’ils intègrent aussi ces choses dont j’ai découvert qu’elles m’im­portent plus que tout.