La Cinémathèque québécoise

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Neuvième tournée (1905)

La neuvième tournée de l’Historiographe commence plus tôt en 1905 : dès septembre. Marie-Anne de Grandsaignes d’Hauterives et son fils sont à Joliette à l’occasion de l’Exposition agricole régionale 1, après avoir à nouveau passé l’hiver aux Bermudes et l’été à St-Louis 2. Ils présentent encore deux spectacles par jour, changeant toujours de programme à chaque représentation et montrant plusieurs nouveautés : PELERINAGE A LOURDES, LÉGENDE DE LA DISPARUE, CHASSE AUX MARIS, AMOUREUX DE LA LUNE, LE JUIF ERRANT, LE TRAVAIL DES MINES, LA FÉE AUX FLEURS, BRIGAN­DAGE MODERNE, LE MENDIANT, JOSEPH VENDU PAR SES FRÈRES, etc. surtout des films Pathé 3.

Début octobre, ils sont à Chicoutimi pour une semaine, à la salle de l’Hôtel de Ville 4. Les prix sont les mêmes depuis 3 ans : enfant 10 cents, admission générale 25 cents, siège réservé 35 cents. Comme d’habitude, la presse locale chante leurs louanges et comme à Trois-Rivières l’année précédente, un chroniqueur trouve le moyen de tirer l’oreille à ses concitoyens :

“Au cours des séances qui ont lieu cette semaine, tous les soirs à l’Hôtel de Ville, nous voyons des choses bien jolies; mais, par contre, des choses aussi bien désagréables, et qui donneraient aux yeux des étrangers une bien piètre opinion de nous. (…) On a vu, durant les représentations, des gens, on peut dire, à la douzaine, les pieds nonchalamment étirés sur les sièges, fumer la pipe, le cigare ou la cigarette, le chapeau sur la tête sans que même la jolie brunette qu’ils ont à leur côté, ne les dérange en aucune façon. Il n’est pas seulement du domaine de nos gendarmes de ramasser les brutes ivres qui se vautrent dans les rues; prévenir et même sévir contre ces désordres à l’Hôtel de Ville serait aussi une œuvre utile.” 5

Roberval les accueille la semaine suivante. On y inaugure une nouvelle école, que le directeur du journal local J.E. Boily a baptisée Monument du cinquantenaire. Voulant souligner l’événement par un spectacle exceptionnel, on a pensé à l’Historiographe… 6

Le 12 novembre, premier dimanche au Parc Sohmer 7. À Montréal, les concurrents sont maintenant plus actifs. Guy Bradford, agent de la Bioscope, occupe la salle Windsor où il présente des films concernant la révolution russe 8. Le Bioscope ayant de plus tenu l’affiche tout l’été au Parc Riverside 9, il décide de louer le théâtre Palais-Royal 10 et de la rebaptiser Bijou pour y présenter du vaudeville et des vues animées.

Ernest Ouimet est encore électricien et projectionniste au National, en plus d’être devenu opérateur “officiel” au Parc Sohmer 11 depuis janvier 1905 pour les films de la Kinetoqraph Cy of New York. Sa publicité est encore soignée. Bélanger a quitté La Presse 12, mais Gustave Comte qui le remplace louange lui aussi “M. L.E. Ouimet, l’opérateur, qui a droit à toutes les félicitations.” 13 Comte, également chroniqueur financier à La Patrie, devient en plus gérant du Théâtre Français 14. Il a tôt fait d’engager Ouimet pour présenter ses vues animées aux entractes 15. Ce dernier est aussi impliqué dans un autre événement qui va le pousser plus en avant. Le Musée Eden projette encore des films… Et à l’étage au-dessus, le Monument National reçoit en novembre 16 des projectionnistes américains, Merritt and Pritchard. Leurs vues Biograph, coloriées, plaisent beaucoup. LA LUCIOLE, LE BAPTEME DU BÉBÉ, etc. Ils sont déjà venus à Montréal durant l’hiver précédent 17 et ont fait une tournée en province qui n’a pas attiré les foules mais avait laissé bonne impression 18. Durant cette seconde visite au Monument National, ils doivent faire appel à Ouimet pour réparer leur projecteur. Constatant que l’opération ne peut être effectuée, Ouimet offre d’apporter sa propre “machine à vues” pour contenter le public qui s’impatiente. Quand il revient avec son projecteur, il entend passer le mot dans la salle : “Vlà Ouimet, on va en avoir des vues…” L’ovation qu’il reçoit présage de son succès futur 19 et La Presse du 23 décembre annonce “que la salle Poiré, sise à l’angle des rues Ste-Catherine et Montcalm, vient d’être louée par M. Ouimet qui y donnera des représentations de vues animées à partir du 1er janvier prochain.” 20 La salle s’appellera Ouimetoscope.

L’Historiographe par contre patauge en pleins déboires. Cela commence à St-Hyacinthe, par quelques chuchotements qui arrivent jusqu’aux journaux. “Espérons qu’on éliminera prudemment tout ce qui serait de nature à blesser les regards des plus délicats; car il ne faut pas oublier que les enfants assistent généralement en nombre à ces représentations.” 21

Quelques jours plus tard éclate une incroyable polémique qui a des échos partout. Mgr. Bruchési profite du passage à Montréal de Sarah Bernhardt pour publier une nouvelle lettre condamnant “le” théâtre et “les” théâtres, disant que “telle actrice dont nous ne dirons pas le nom” se produit dans des pièces où l’on ridiculise le mariage et la confession 22. Les journalistes renchérissent, s’entre-déchirant quant à la Divine mais n’osant surtout pas contredire l’intouchable évêque, qui “remet ça” une semaine après 23.

À Québec, l’Historiographe succède à Sarah 24 à l’Auditorium que l’évêque de Québec vient de mettre à l’index 25. Malgré une intense publicité, très peu d’âmes viennent voir LA PASSION, surtout pas le clergé (même invité gratuitement) 26. La série noire se prolonge à Victoriaville, exactement comme deux ans plus tôt. “Mme la comtesse d’Hauterives qui devait montrer les vues animées lundi et mardi (11 et 12 décembre 1905 N.D.L.R.) de cette semaine en a été empêchée à la suite d’un accident arrivé à la machine électrique qui fait mouvoir les vues animées. Elle écrit au secrétaire de la corporation pour l’avertir qu’elle ne pourra venir maintenant vu que l’itinéraire fixé à l’avance ne lui permet pas de changer. Mme d’Hauterives nous déclare qu’elle viendra sous peu.” 27

Sans doute pour sauver cette tournée dont les seuls bénéfices se font les dimanches au Parc Sohmer, l’Historiographe est aussi mis à l’affiche à la salle Windsor : 12 spectacles en 6 jours, avec le magicien Carman aux entractes 28. “Les vues… ont attiré hier des salles pleines, il a même fallu refuser du monde”. Le spectacle est prolongé pour toute la première semaine de janvier 1906 avec un autre magicien 29, le prof Stark Hermann, pendant qu’on inaugure le Bijou, le Ouimetoscope et le Canadian Cameragraph à la salle Stanley 30. Des magiciens furent souvent associés aux premiers spectacles de cinématographe; cette fois-ci ils sont témoins de la dernière tournée de l’Historiographe. Le 14 janvier 1906, Henry d’Hauterives installe une dernière fois son projecteur sur les tréteaux du Parc Sohmer : “Tous ces tableaux, posés à Paris dans des décors spéciaux, avec des costumes magnifiques, sont un chef d’œuvre de coloris, et rompent avec la monotonie des scènes américaines qui semblent toutes être sur le même modèle…” 31 La Presse du même jour annonce pourtant “M. Ouimet a décidé de donner toute une saison de vues animées” avec les scènes américaines “monotones” : HISTOIRE DE KIT CARSON, ROMAN DU SOLDAT, COMMENT JONES PERDIT SON ARGENT 32 qui attirent un “auditoire nombreux et très enthousiaste.” 33

ÉRUPTION VOLCANIQUE À LA MARTINIQUE de Georges Méliès (1902)
ÉRUPTION VOLCANIQUE À LA MARTINIQUE de Georges Méliès (1902)
collection : Les amis de Georges Méliès
La Presse, le jeudi 5 décembre 1907
La Presse, le jeudi 5 décembre 1907

Notes:

  1. L’Étoile du Nord, 14 septembre 1905
  2. Correspondance, Archives du Finistère, 60J67
  3. Le Travailleur, 5 octobre 1905
  4. Le Travailleur, 5 octobre 1905
  5. Le Travailleur. 5 octobre 1905
  6. Le Lac St-Jean, 12 octobre 1905
  7. La Presse, 11 décembre 1905; Le Canada, 11 décembre 1905
  8. La Presse, 14 novembre 1905
  9. Le Canada, 20, 27 mai 1905
  10. Herald, 23 décembre 1905; La Presse, 26 décembre 1905; La vie artistique. 16 décembre 1905
  11. La Presse, 3 janvier 1905
  12. La Presse, 20 août 1904
  13. La Presse, 3 janvier 1905
  14. La Patrie, 13 octobre 1905
  15. La Presse, 23 novembre 1905
  16. La Presse, 28 novembre 1905; Le Canada, 2 décembre 1905
  17. Le Star, 28 janvier 1905
  18. Le Progrès de Valleyfield, 19 janvier 1905
  19. La Presse, 31 août 1967; La Presse, 10 janvier 1966; The Gazette, 21 avril 1962; Léon Bélanger, Les Ouimetoscopes p. 47-50. Les souvenirs de Ouimet sont souvent contradictoires. Cependant, il a raconté cet incident plusieurs fois, donnant toujours la même version.
  20. La Presse, 23 décembre 1905
  21. Le Courrier de St-Hyacinthe, 18 novembre 1905
  22. Le Canada. 4 décembre 1905
  23. Le Canada, 4 décembre 1905
  24. L’Événement, 11 décembre 1905
  25. La Libre parole. 30 décembre 1905
  26. Le Soleil, 12 décembre 1905
  27. L’Écho des Bois-Francs, 16 décembre 1905
  28. La Patrie, 26 décembre 1905
  29. La Presse, 30 décembre 1905
  30. Montreal Daily Star, 27 décembre 1905
  31. Le Canada, 13 janvier 1906
  32. La Patrie, 2 janvier 1906
  33. La Patrie, 2 janvier 1906