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Mémoire présenté à la Commission Royale sur l’avancement des Arts, des Lettres et des Sciences par l’AMPPLC (Avril 1950) suivi de L’Interrogatoire des représentants de l’AMPPLC par la Commission

Principes généraux

Nous voulons attirer l’attention de cette commission royale sur l’industrie du cinéma au Canada. Comme point de départ nous formulons trois propositions :

  1. Nous devons d’abord considérer de quelle manière le gouvernement s’engage dans la diffusion de l’information, des nouvelles et de la culture et dans le développement du divertissement au pays lorsqu’il emprunte des avenues normalement réservées aux individus et à l’entreprise privée, particulièrement lorsque de telles pratiques conduisent dans l’immédiat ou à long terme à développer un monopole d’état.
  2. Si l’on en conclut qu’une agence gouvernementale est nécessaire dans ces domaines, alors il faut se demander si l’on doit régir ou non la concur­rence entre l’état et l’entreprise privée; auquel cas quelle autorité qui soit neutre pourrait y voir et jusqu’à quel point de tels règlements peuvent-ils garantir un rôle adéquat à l’entreprise privée.
  3. En plus de ces principes, on doit prendre en considération l’apport de l’initiative privée au développement passé et futur de la culture nationale, en particulier du Royaume-Uni et en Amérique du Nord.

Ces principes généraux sont sous-jacents à notre analyse de l’industrie du cinéma au Canada aujourd’hui…

L’ONF et les agences cinématographiques gouvernementales

Lors de sa création en 1939, l’Office n’était qu’un simple embryon d’une agence cinématographique. Unie à l’effort de guerre de ce pays, l’in­dustrie du cinéma s’engagea à fond avec son personnel qualifié, son équipe­ment, son expérience et ses services. Grâce à cette aide, l’ONF s’est dévelop­pé tel que nous le connaissons…

L’industrie ne regrette pas l’aide qu’elle a apportée à l’ONF mais, puisque la guerre est finie, nous pensons qu’il est temps de réviser les statuts, les buts et la nature de l’ONF et de repenser son rôle en temps de paix. Il faudrait particulièrement s’attarder à son rôle dans l’élaboration et la diffusion de l’information, de l’éducation et de la culture, et à ses relations avec le gouvernement et l’industrie.

L’ONF et la production cinématographique

L’ONF dans son mémoire a révélé qu’au cours des dix dernières années il a dépensé beaucoup de fonds publics pour acheter des caméras, des pro­jecteurs, des tireuses, etc. et pour produire des films. Le coût exact de ces dépenses pour le peuple canadien n’a pas été révélé.

TOUTES CES INSTALLATIONS ET CES SERVICES SONT ET ÉTAIENT DISPONIBLES AU CANADA DANS DES COMPAGNIES ET DES LABORATOIRES PRIVÉS.

Il a engagé et concentré à Ottawa un vaste personnel qui s’adonne, aux frais du public, à de la production de films.

DU PERSONNEL COMPÉTENT ET EXPÉRIMENTÉ ÉTAIT ET EST DISPONIBLE AU CANADA DANS L’ENTREPRISE PRIVÉE POUR LE GOUVERNEMENT, L’INDUSTRIE ET LE PUBLIC EN GÉNÉRAL.

Concentrer du personnel et des machines dans une agence gouvernemen­tale engagée dans toutes les sphères de l’activité cinématographique, sans prendre en considération le coût d’une telle entreprise pour le pays, représente un danger sérieux et véritable pour les firmes de cinéma existantes et constitue un obstacle réel à tout nouvel investissement canadien ou étranger dans ce domaine…

Concurrence malhonnête

Puisque l’Office ne paie ni impôt, ni diverses taxes, il est évidemment dans une position privilégiée pour concurrencer l’entreprise privée qui paie des taxes. De plus l’Office est exempté de frais de douane pour la plupart des achats d’équipement et de matériel qu’il effectue aux USA.

De plus l’Office est subventionné par d’autres ministères, en particulier par les Travaux publics qui lui fournissent gratuitement le logement, l’électricité, le chauffage, le téléphone, l’ameublement, etc.

Ces privilèges ont nui dans le passé à l’entreprise privée et seront de la plus grande importance si l’Office prend de l’expansion, ainsi qu’il le souhaite dans son mémoire, ce qui l’amènera à concurrencer à fond les entreprises de cinéma privées.

Résumé et recommandations

En passant en revue les 15 recommandations de l’ONF, il n’est pas irraisonnable de conclure qu’en réalité, son but est d’établir un super-ministère de la culture et de l’information suffisamment indépendant du gouvernement pour lui permettre d’avoir les coudées franches pour concurrencer l’entreprise privée mais suffisamment proche du gouvernement pour garantir la sécurité d’emploi et de retraite à son personnel tout en lui procurant des salaires comparables à ceux pratiqués dans le commerce.

Notre mémoire s’appuie sur le principe qu’il est injuste et malséant pour un gouvernement de concurrencer ses contribuables. C’est pourquoi nous for­mulons les recommandations suivantes :

  1. Que les producteurs et les laboratoires commerciaux puissent avoir la possibilité, sur la base d’une concurrence véritable, de produire et de combler les besoins cinématographiques de la télévision au Canada, peu importe que, dans ce pays, elle soit privée ou d’état.
    1. Que les corporations de la Couronne et que les agences qui utilisent le cinéma pour encourager la culture ou la diffusion de l’information soient limitées dans leur ampleur et dans leur développement à ce qu’il faut pour assurer une direction adéquate aux forces qui jouent un rôle culturel dans la société et que les tendances expansionnistes actuelles qui s’effectueront aux dépens de l’entreprise privée soient examinées.
    2. Que, dans la ligne de la politique générale que nous avons déjà énoncée, l’ONF se limite à la production de films culturels, informatifs et éducatifs de caractère non-commercial et non-commandité par des ministères, et que ces films soient défrayés à même les crédits que lui vote le parlement et non à même les budgets des divers ministères, ce qui mas­que au public une bonne partie du coût des activités de l’ONF.
    3. Que les laboratoires de l’Office ne servent qu’à ses propres expériences ou à développer ses propres films tels que nous venons de les définir.
    4. Que toutes autres productions cinématographiques ou travaux de laboratoire dont aurait besoin le gouvernement canadien soient confiés à l’industrie cinématographique canadienne sur la base de la libre concur­rence, incluant le retour au système de l’offre et de la demande; pour y parvenir, on devra retirer l’article 11 de la loi sur le cinéma de 1939.
    5. Que l’Office serve de conseiller auprès des divers ministères du gouvernement du Canada en ce qui a trait à leurs besoins cinématographi­ques et de lien et de coordinateur entre les producteurs commerciaux et les divers ministères pour la production et la distribution des films ainsi produits pour le gouvernement du Canada.
    6. Que l’Office poursuive la mise en circulation de ses films culturels, informatifs ou éducatifs, qu’il y ajoute ceux produits pour le gouvernement par l’entreprise privée et les films d’intérêts publics produits au Canada par l’industrie et le commerce. À ces fins, l’Office devrait poursuivre ses opérations dans ses circuits ruraux.
    7. Que l’ONF poursuive ses efforts pour diffuser internationalement les films tournés au Canada.
    8. Que toute découverte qui s’applique à la production ou aux travaux de laboratoire effectué par les services de recherche de l’ONF soit mise à la disposition de l’industrie cinématographique canadienne par l’entremise du Conseil national de la recherche.
    9. Que de véritables liens soient établis entre l’ONF et l’entreprise privée pour coordonner leurs efforts respectifs et éliminer les dédoublements de service et d’équipement.

En conclusion nous pensons que la mise en pratique de ces recommanda­tions mettrait fin au sentiment malsain de concurrence entre le gouvernement et l’industrie cinématographique canadienne et créerait un climat propice à la coopération et au développement positif d’un important aspect de la culture canadienne : le cinéma.

(Traduit de l’anglais)


Extraits de l’interrogatoire qui a suivi la déposition du mémoire de l’AMPPLC. Cette association était représentée par MM. Robertson, Chisholm, Singleton, Estey et L’Anglais. La commission est représentée par son prési­dent, V. Massey, et par MM Roberge, MacKenzie, Surveyer et Lévesque.

ROBERGE :
Vous croyez qu’existe actuellement ou plus tard le danger que se déve­loppe un monopole d’état?

ROBERTSON :
Je ne crois pas que nous ayons des critiques ou des objections à formuler. Pourvu que cela n’entre pas en compétition avec l’industrie locale, une in­dustrie qui croît naturellement par le développement de toutes les com­pagnies privées qui œuvrent dans le cinéma. Ce que nous affirmons, M. Roberge, c’est que l’ONF, par ses activités… est capable de stipuler que toute la production cinématographique au Canada doit passer par ses services. Deuxièmement nous disons que si vous voulez que l’industrie ciné­matographique soit d’un bon niveau artistique ou culturel, celle-ci doit recevoir de la nourriture et de l’aide. Pour y parvenir elle doit recevoir de l’argent pour tourner des films pour les ministères chaque fois que c’est possi­ble. Cet organisme ne devrait pas avoir le droit de dire, comme dans son mé­moire, qu’il est l’agence cinématographique officielle du gouvernement.

PRÉSIDENT :
Mais il en a le droit d’après la loi

ROBERTSON :
Je n’affirme pas qu’il ne devrait pas posséder les droits que lui confère la section 11 de la loi qui lui accorde le monopole de la cinématographie gouvernementale. J’affirme en toute sincérité que vous avez ici une industrie autochtone qui fait face au problème de se défendre et de s’implanter en concurrençant des industries bien intégrées qui ont leur base à Hollywood ou en Angleterre. J’affirme donc en toute sincérité que cette industrie doit recevoir toute l’aide possible et toutes les chances de couvrir le marché local, du moins dans sa dimension commerciale…

Si vous regardez à la page 70 de son mémoire, vous verrez que l’ONF demande non pas de s’accommoder de la loi mais de l’amender de façon à ce qu’il puisse prendre de l’expansion. Nous nous plaignons que ces derniers temps, il a développé une psychologie monopoliste expansionniste et qu’il est déterminé à parvenir à ses fins.

ROBERGE :
Vous faites allusion à une mentalité monopoliste et expansionniste. Affirmez-vous qu’il existe au Canada un monopole d’état pour la ciné­matographie gouvernementale?…

ROBERTSON : Oui.

ROBERGE :
Vous vous plaignez donc de ce que l’Office ne fournit pas assez d’ouvrage à l’extérieur?

ROBERTSON :
Je vous dis que la production de films pour le gouvernement devrait revenir à des commerçants qui tâchent de bâtir une industrie cinématographique locale qui, naturellement, devrait grandir en terre canadienne. Ils devraient donc avoir la chance de réaliser des films gouvernementaux, peut-être sous la direction et la supervision de l’ONF, mais non des films de l’Office. Voilà notre grief : que l’ONF fasse des films.

ROBERGE :
C’est peut-être votre grief mais cela ne reflète pas ce que contient votre mémoire. À la page 19… ne distinguez-vous pas films produits par l’Office pour ses propres besoins et films qu’il tourne pour les ministères?

ROBERTSON :
Notre mémoire établit une distinction mais il s’agit de savoir comment dé­finir « besoins de l’Office ». Notre opinion est qu’il existe des domaines où la production de l’Office lui est propre. Mais ce domaine est très limité et peut-être ne pouvons-nous pas le définir avec précision. Prenez par exemple LOON’S NECKLACE. Plusieurs pourraient penser: « Voilà un genre de film que seul l’Office pourrait produire puisqu’il n’a aucune visée commerciale. Mais il fut produit par un producteur commercial (Crawley) et pourtant, c’est un film artistique…

Nous déplorons que l’Office ait développé récemment des tendances monopolistes et produise en grandes quantités un produit que nous pourrions produire et pour lequel nous avons besoin d’une industrie nationale…

Notre position est la suivante. Nous reconnaissons qu’il y a place pour une autorité cinématographique. Mais nous ne voulons pas que cette autorité soit un censeur. Nous ne pensons pas qu’elle devrait l’être, pas plus qu’un arbitre du bon goût.

MACKENZIE :
L’Office censure-t-il vos films?

ROBERTSON :
Dans ses circuits de distribution… Depuis la guerre il a effectué du bon travail en approvisionnant des conseils du film et en mettant sur pieds des cir­cuits ruraux, mais dans son mémoire il affirme qu’il peut choisir ce qui lui convient et ce, pour des raisons de bon goût…

ROBERGE :
Revenons à la question que je vous ai posée. Croyez-vous que le commis­saire à la cinématographie ne devrait pas conseiller les différents ministères?

ROBERTSON :
Nous pensons que les ministères devraient bénéficier de l’avis et de la coordination d’une personne, que ce soit le commissaire ou une autre. Mais nous ne pensons pas que qui que ce soit devrait être en position de dire : “Nous vous conseillons de nous confier la réalisation de vos films”. S’il doit y avoir un conseiller, qu’il soit comme la femme de César : au-dessus de tout soupçon. Qu’il ne nous concurrence pas.

ROBERGE :
Affirmez-vous alors que chaque ministère devrait pouvoir faire affaire avec n’importe quelle compagnie de cinéma et accorder des contrats sans que le commissaire ait son mot à dire?

CHISHOLM :
Selon nous il y a évidemment place pour le commissaire et ses adjoints, mais pour faire le lien entre les ministères et les producteurs.

ROBERGE :
Que pense votre association en tant que groupe de la proposition faite par M. L’Anglais à l’effet qu’une des manières d’aider l’industrie ciné­matographique au Canada serait d’obliger les chaînes et les propriétaires de salles à réinvestir dans des productions canadiennes, disons 15 à 20% des profits qu’ils ont réalisés au Canada?

L’ANGLAIS :
Je n’ai avancé aucun pourcentage. J’ai seulement suggéré une façon de résoudre le problème

ROBERTSON : Nous n’avons pas envisagé cette question

CHISHOLM :
Nous ne sommes pas prêts à faire une déclaration

MACKENZIE :
Un quota aurait-il un effet quelconque sur votre problème?

ROBERTSON :
Je ne le pense pas.

CHISHOLM :
Dans les pays où l’on a imposé des quotas, ça n’a pas eu de grands effets…

ROBERGE:
Pensez-vous que la compétition de l’Office serait moindre s’il y avait des débouchés pour les films canadiens aux USA, ce qui n’est pas le cas actuel­lement?

CHISHOLM :
Nous ne craignons absolument pas l’ONF en ce qui concerne la distribu­tion des films canadiens aux USA.

ROBERTSON :
Il ne faut pas confondre distribution et production.

ROBERGE :
Si les films tournés par l’entreprise privée canadienne étaient distribués aux USA, cela ne placerait-il pas votre industrie en meilleure position?

ROBERTSON :
Si nous étions mieux distribués aux USA ou ailleurs, cela serait mieux au plan commercial parce que nous aurions plus d’argent. C’est un axiome il me semble…

ROBERGE :
Pourriez-vous nous expliquer ce que vous avancez à la page 16 de votre mémoire?

ROBERTSON :
Mon explication est la suivante. Supposons qu’un jour arrive une crise nationale et que le film 16mm ou de format plus large soit nécessaire pour l’effort national, peu importe lequel, il serait alors préférable d’avoir immé­diatement à la portée de la main une industrie cinématographique bien organisée qui pourrait se mettre en branle rapidement et supporter la sur­charge imposée au pays par la crise. Si on permet à l’Office de s’étendre et de s’emparer progressivement des secteurs où nous pourrions faire commer­cialement de l’argent, alors inévitablement vous posséderiez une industrie privée beaucoup plus faible quand la crise viendrait…

ROBERGE :
À la page 18 vous parlez de la télévision. Il n’y a pas actuellement de télévision au Canada mais ça peut venir. Je voudrais savoir si jusqu’à présent quel qu’organisme que ce soit a essayé de limiter les chances de l’entreprise privée pour ce qui est de fournir des films à la télévision?

ROBERTSON :
Nous craignons, et je pense que nous sommes justifiés de craindre les demandes de l’Office dans son propre mémoire.

ROBERGE :
Vous objectez-vous à ce que le gouvernement fasse produire par l’ONF des films pour la télévision?

ROBERTSON :
Non, dans la mesure où vous faites référence à une quantité minimale. Mais nous affirmons encore une fois que l’entreprise privée possède les capacités artistiques et culturelles pour le faire et qu’on devrait nous y autoriser, sans laisser le temps à l’Office de nous damer le pion.

(Traduit de l’anglais)