La Cinémathèque québécoise

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3.2 : La série Panoramique (1957)

Au niveau de la production, les cinéastes travaillent à donner une suite à la série Passe-Partout et s’orientent vers des émissions d’envergure qui seraient un reflet sociohistorique et introspectif de la société canadienne-française. Ce sera la série Panoramique.

Cette série compte pour une des plus importantes produite par les Canadiens français à l’ONF; elle témoigne d’une nouvelle attitude à l’égard de la télévision 1, à l’égard de la fiction, jusqu’ici parent pauvre, et à l’égard des durées requises (développer des sujets sur plus d’une heure avait rarement été permis). Le rapport annuel 2 indique que sa por­tée nationale et sociologique n’échappait pas aux dirigeants de l’Office :

La série Panoramique est une étude de quelques aspects de l’histoire sociale de la province de Québec depuis les années 30 jusqu’à nos jours. Ces films recréent les prin­cipales étapes de l’évolution du Canada français au cours d’une génération. Ces étapes se dessinent nettement: la dépression économique, les difficiles années de guerre, les métamorphoses de l’agriculture, puis les jours de prospérité au lendemain du conflit mondial lors de la grande reprise de l’activité industrielle. En somme, Panoramique a voulu reconstituer, puis analyser du point de vue de ceux qui les ont vécus, les événements qui ont pour ainsi dire modelé le destin du Canada français à cette époque.

Le projet initial, auquel la majeure partie des cinéastes francophones travaille depuis la fin de 1956, est soumis à la direction le 15 février 1957, il comprend sept films totali­sant vingt-six demi-heures. Ce sont ABITIBI (quatre bobines), COLLETS BLANCS (trois bobines), AGRICULTURE (trois bobines), FRONTIÈRES (trois bobines), VIE ARTIS­TIQUE (trois bobines), LA GUERRE (cinq bobines) et CONSCIENCE OUVRIÈRE (cinq bobines). Le projet est accepté le 2 avril pour un budget total et sans précédent de 357 526.00 $. Nous ne pouvons étudier chacun en détail 3. Toutefois il convient de donner quelques précisions sur leur déroulement, car en cours de route, l’importance relative de chaque projet se modifie.

LES BRÛLÉS de Bernard Devlin prend de l’ampleur et devient une fresque historique en huit bobines. Son budget monte à 144 009.74 $, ce qui dépasse toutes les autres produc­tions. C’est d’ailleurs le premier film mis en chantier; il faut dire que Devlin était prêt depuis L’ABATIS et Houle et Julien ont bien raison de dire : «Douce revanche pour Dev­lin, incidemment petit-fils d’un ministre de la colonisation. LES BRÛLÉS allait être le premier, le plus ambitieux et le plus remarqué des films de Panoramique 4.

Le second film tourné, IL ÉTAIT UNE GUERRE de Louis Portugais, se maintient à sa dimension 5 originale, cinq demi-heures, mais pour un budget total de 62 489.63 $. L’aspect le plus notable de ce film est que pour la première fois, l’ONF réalise un film où la guerre de 1939-1945 est perçue du point de vue des Québécois et montre les réticences qu’ils avaient d’y participer 6. Cela choqua certains dirigeants de l’Office, mais le public réserva au film un accueil chaleureux: il s’identifiait à cette histoire et à la perspective dans laquelle elle s’inscrivait. TIT-COQ venait de perdre son titre de seul film de fiction portant sur la façon dont le Québec avait réagi et vécu la guerre.

LE MAÎTRE DU PÉROU de Fernand Dansereau s’en tient aussi à son format initial et coûta 36 888.99 $. Comme ce n’était pas la première fois qu’on traitait de la désertion des fils de cultivateurs à l’ONF, le film semble moins nouveau. Le quatrième film, LES MAINS NETTES de Claude Jutra, prend de l’importance, car il totalise quatre demi/heures pour une somme finale de 52 044$. Houle et Julien estiment le résultat avec beaucoup de réserves 7 :

Là encore, le regard n’est pas tendre. On dirait un entomologiste qui observe les phé­nomènes d’agression, de hiérarchisation, de grégarisme d’une quelconque meute ani­male. Et on a peine à éprouver de la sympathie pour ces personnages qu’on devine si mesquins, dont l’existence tout entière est soumise aux règles de la promotion sociale.

Le cinquième film, LES 90 JOURS, a été étudié plus en détail dans la thèse originale. Le sixième, PAYS NEUF, réalisé par Fernand Dansereau comprend une demi-heure de moins que prévu pour un budget de 35 911 $, le tournage ayant lieu en janvier. VIE ARTIS­TIQUE, le septième film, devait être tourné par Claude Fournier, mais le projet n’alla jamais plus loin que la rédaction du scénario.

Peu près le tournage de PAYS NEUF, Dansereau revient à la charge avec un projet qui avait été écarté en raison des problèmes financiers qu’il impliquait :

Il s’agit d’un film sur le thème du traditionnel voyage en Europe que génération après génération, tous les canadiens-français qui en ont les moyens, se sentent obligés de faire. (…) Ils (les personnages de l’histoire) seront les témoins et les exemples de cet apport spirituel et intellectuel constant que l’Amérique reçoit du vieux continent.

Ce thème de l’importance du voyage en France et la réalité même du geste pour plu­sieurs Québécois, surtout après la guerre, traduit bien la volonté d’échapper aux valeurs et au cadre étouffants de la société québécoise et d’aller puiser en France une liberté, d’abord une liberté intellectuelle et morale, qui manquait ici et dont semblent souffrir les cinéastes.

Pour donner plus de poids à son argumentation, Dansereau précise la dimension de la série 8 :

Depuis deux ans, nous avons entrepris de tracer le portrait de la société canadienne-française. Personnellement, j’ai inventorié successivement le monde ouvrier (ALFRED J), le monde rural (LE MAÎTRE DU PÉROU), le monde des collets-blancs (LES MAINS NETTES). Je ne détesterais pas de me retourner maintenant vers la classe à laquelle j’appartiens en fait, le monde bourgeois.

Peine perdue. Le sujet ne sera pas accepté.

La série fut télédiffusée du 15 novembre 1957 au 3 mai 1958 le vendredi à 21 heures (les huit épisodes des BRÛLÉS), puis le samedi à 20 heures à partir du 25 janvier 1959. La série bénéficia d’une publicité sans précédent dont plusieurs photoreportages et vingt-trois spots publicitaires. Les critiques furent très heureux de la qualité des émissions. Pano­ramique consacrait la présence et la force de l’équipe française.

L’envergure de l’événement et des films soulevèrent dans le public une attente considé­rable: on voulait avoir accès aux films. Il devint donc urgent de procéder à une révision du métrage pour en permettre une distribution communautaire. Or, si l’idée avait été évo­quée, elle était demeurée au niveau de l’hypothèse. Cela se révéla plus compliqué que prévu. On ne peut toucher aux MAINS NETTES et aux 90 JOURS parce que Radio-Canada ayant manifesté certaines réserves, les films n’ont pas encore été diffusés. Le comité de la distribution française, réuni le 25 avril, opte pour des durées de deux heures ou d’une heure selon les cas, c’est-à-dire avec un minimum de coupe.

Mais cela ne fait pas l’affaire du directeur de la production Grant McLean qui oblige Léonard Forest, en accord avec Louis Portugais et Victor Jobin, à proposer de nouveaux formats. Il s’exécute le 22 mai et cette proposition est soumise au Planning Distribution Committee le 27 mai. Celui-ci souhaiterait qu’aucun film ne dépasse soixante minutes et qu’on envisage en même temps, et le versionnage, et le sous-titrage des films. Pourtant il décide d’autoriser d’abord les deux films les plus courts et de réserver son jugement pour les quatre autres, dont les deux en suspens à Radio-Canada.

Quelques mois plus tard on s’entend sur des durées qui approchent des formats actuels, soit quatre longs métrages et deux moyens métrages, prévus pour diffusion en 1960-61. Comme on le voit, ce qu’on considère aujourd’hui comme la grande aventure de la fiction à l’ONF et le creuset du long métrage fut en bout de ligne soumis à des impératifs fort éloignés des perspectives qui animaient les initiateurs de la série; si on doit accepter les interprétations qui lient la nécessité du long métrage à une volonté d’expression nationale, il faut reconnaître que dans ce cas-ci, la réalité fut plus mitigée.

Notes:

  1. La série Passe-Partout coûtait à l’Office entre 60% et 70% du coût de production: il réussit cette fois-ci à faire assumer par Radio-Canada une part plus grande des dépenses.
  2. Office national du film du Canada, Rapport annuel 1957-1958. p. 11.
  3. Rappelons les sujets de ces films et leurs titres définitifs :
    LES BRÛLÉS : La colonisation de l’Abitibi.
    IL ÉTAIT UNE GUERRE : L’histoire d’une famille durant la guerre.
    LE MAITRE DU PÉROU : Les problèmes du monde rural comtemporain.
    LES MAINS NETTES : Les conditions de travail des collets-blancs.
    LES 90 JOURS : 90 jours de grève dans une ville minière.
    PAYS NEUF : Les défis qui attendent le Canadien français dans le domaine économique.
  4. Op. cit., p. 226.
  5. On y fait écho, pour la première fois dans le cinéma onéfien, au rejet massif de la conscription par la population.
  6. Op. cit.. p. 229.
  7. Dansereau, Fernand, Mémo à Pierre Juneau, mars 1957.
  8. Ibid., p. 5.