L’Association des producteurs de films du Québec et l’ONF
Le 29 avril 1969, devant le comité consultatif auprès du Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion, l’APFQ présentait un mémoire. Certaines propositions de l’APFQ touchent à l’ONF. En annexe à ce mémoire, l’APFQ ajoute une lettre qu’elle adressait en 1967 au Commissaire, la réponse de celui-ci et des commentaires sur cette réponse. Ce sont ces documents forts pertinents que nous avons choisi de publier.
Montréal, le 11 juillet 1967
Monsieur le Commissaire,
Lors de sa dernière réunion, le Bureau de direction de l’Association des producteurs de films du Québec, association qui groupe trente-cinq maisons de production et laboratoires, a décidé de vous poser quelques questions essentielles. Le développement et l’existence même d’une production et d’une création cinématographique dans notre pays dépendent des réponses que nous obtiendrons.
- L’Office national du film entend-il produire des films de long métrage qui pourraient, dans les salles de cinéma, venir en concurrence avec la production réelle et potentielle de l’industrie cinématographique au Québec?
- Quelle somme le gouvernement canadien entend-il dépenser, par l’entremise de l’Office national du film, pour la production de spectacles cinématographiques destinés aux salles de cinéma, spectacles qui, par le fait même de leur présentation, constituent une concurrence déloyale envers les maisons de production, les cinéastes indépendants et les artisans du cinéma?
- À quelles compagnies d’exploitation et de distribution l’Office national du film confie-t-il ses productions commerciales et à quelles conditions? Les vend-il au prix coûtant ou sur une base commerciale capable d’amortir les coûts de production dans un délai raisonnable?
- Quel est l’ordre de grandeur des fonds publics que l’Office national du film destine à la publicité de productions qui font concurrence à l’industrie du cinéma au Canada?
- L’Office national du film a-t-il l’intention de faire des coproductions avec des compagnies privées nationales ou étrangères? Si oui, selon quels critères budgétaires, économiques et commerciaux?
Quels sont également les critères qui détermineraient le choix d’une compagnie plutôt que d’une autre? - L’Office national du film entend-il faire des coproductions avec la Société Radio-Canada et, par cela même, enlever un marché à l’industrie canadienne tout en lui faisant subir une concurrence indue?
Si oui, pour quelle raison, pour quel montant et sur quelle base économique?
La Société Radio-Canada paie-t-elle les films produits par l’Office national du film au prix coûtant? Quelles sont les conditions que Radio-Canada accorde à l’Office national du film et inversement?
- L’Office national du film entend-il faire produire des films éducatifs et pédagogiques pour les écoles du Québec?
Si oui, pour quelle raison, avec quel budget et sur quelle base économique?
- Quel est le programme de l’Office national du film pour la formation, au bénéfice du pays, de techniciens de cinéma?
Vous n’ignorez pas, monsieur le Commissaire, que, grâce aux fonds publics dont elle dispose, l’institution étatique que vous présidez peut, par des politiques de prestige ou autres, fausser complètement les lois du marché et créer un climat d’incertitude économique qui empêche l’industrie d’établir, en particulier en ce qui concerne le long métrage, toute politique d’investissement à long terme.
Aussi espérons-nous que les réponses qui nous seront données permettront, dans une grande mesure, d’éliminer un trop grand nombre de facteurs jusqu’à présent trop aléatoires qui empêchent l’industrie de se développer normalement.
Nous vous prions d’agréer, monsieur le Commissaire, l’expression de nos sentiments distingués.
ASSOCIATION DES PRODUCTEURS
DE FILMS DU QUÉBEC
Jean Dansereau,
président.
Montréal, le 24 août 1967.
Cher monsieur Dansereau,
Je vous remercie de votre lettre du 11 juillet et je vais m’efforcer de répondre ici à chacune de vos questions. Puis-je vous faire remarquer que, par leur rédaction même, ces questions portent déjà un jugement de valeur sur les politiques de l’Office que vous qualifiez en somme d’injustes et de fausses. Comme vous le savez, c’est le Parlement qui a créé l’Office national du film et qui lui a assigné comme tâche la production de films dans l’intérêt national. Il semble bien d’ailleurs que l’Office s’est acquitté de ce mandat à la satisfaction du Parlement.
L’Office étudie présentement pour son propre compte certains des problèmes dont vous traitez dans votre lettre. Mais vous admettrez facilement qu’il me faudra encore quelque temps avant de pouvoir établir nettement la position de l’Office à l’égard de toutes ces questions. Cependant, je puis dès maintenant vous faire les réponses suivantes :
- L’Office va probablement continuer de produire, à l’occasion, des longs métrages. Il n’est pas question cependant d’en réaliser en nombre beaucoup plus considérable que par le passé. Je vois mal que ces films, en nombre restreint et d’un caractère assez particulier, puissent faire une concurrence déloyale aux producteurs indépendants. Au contraire, il me semble que ces œuvres permettront aux cinéastes canadiens d’acquérir une plus vaste expérience en ce domaine particulier. Je crois également que ces films ne pourront avoir que des effets favorables pour l’industrie canadienne du long métrage puisqu’ils permettront d’étudier le sort qui sera réservé aux œuvres canadiennes sur le marché international.
- La politique de l’Office à l’égard des films de long métrage fait l’objet d’une révision à l’heure actuelle. J’ajoute que le gouvernement canadien n’a jamais établi lui-même quelle proportion de son budget l’Office doit consacrer au long métrage : il s’agit là d’une affaire de politique interne qui relève du Conseil d’administration de l’Office. D’autre part, je me réjouis fort que le gouvernement ait adopté une législation particulière en vue du développement de l’industrie du long métrage au Canada. Le texte de cette loi indique assez nettement quelles sommes le gouvernement est disposé à verser pour seconder l’industrie du cinéma, en plus du budget qu’il accorde déjà à l’Office. Ces sommes seront à la disposition exclusive du secteur indépendant. L’Office national du film n’y aura pas accès et ne sera pas chargé non plus de leur administration.
- Dans ses transactions commerciales avec les distributeurs, l’Office exige pour ses films les prix normalement en vigueur sur le marché.
- L’Office a été établi en vertu de la Loi nationale sur le film pour produire et distribuer des films dans l’intérêt national, et pour produire et distribuer les films requis par les ministères du gouvernement. Ces films ne font pas concurrence à ceux des producteurs indépendants.
- Le problème des coproductions fera lui aussi l’objet d’une révision au cours des prochains mois. Dans l’éventualité d’une coproduction avec une société étrangère, l’Office prendrait en considération d’abord le thème du film et les avantages que le Canada pourrait retirer d’une telle entreprise tant dans le domaine de la distribution que de la répartition des coûts de production. La participation des cinéastes, techniciens et comédiens de notre pays entrerait évidemment en ligne de compte elle aussi. Je crois qu’en amorçant certains projets et en faisant des expériences, l’Office rend ainsi service à toute l’industrie canadienne du cinéma. L’Office peut également rendre service aux producteurs canadiens en signalant leur savoir-faire et leurs possibilités à l’attention des producteurs étrangers. Enfin, il se peut fort bien que les accords de coproduction tombent à l’avenir sous la juridiction de la Société d’encouragement à l’industrie cinématographique canadienne et alors tout producteur canadien pourra se prévaloir de ces accords.
- À mon avis, les accords de coproduction que concluent deux agences du gouvernement en vue de l’intérêt national ne constituent pas une concurrence à l’entreprise indépendante.
Radio-Canada n’achète pas de films de l’Office national du film, mais retient simplement les droits de télédiffusion une ou deux fois à un prix convenu d’avance.
- L’Office n’a jamais produit de films pédagogiques ni pour les provinces en général, ni pour une province en particulier. Cependant, l’Office a produit au cours des années, et se propose de continuer à le faire, des films qui s’adressent à divers niveaux d’âge. Toute personne qui juge que ces films peuvent être utiles à un groupe en particulier a le privilège d’en acquérir des copies. Il va sans dire que de tels films, produits d’habitude dans les deux langues du pays, sont également disponibles sur le marché international.
- Il n’y a pas à proprement parler d’école de cinéma à l’Office national du film. Mais en fait de nombreux cinéastes qui œuvrent aujourd’hui dans le secteur indépendant ont appris leur métier à l’Office national du film.
Croyez, cher monsieur Dansereau, à mes sentiments les meilleurs.
Hugo McPherson
Dans son mémoire de 1969, l’APFQ, en considérant la correspondance échangée avec l’ONF, en vient à formuler quelques propositions qui rejoignent, sur le terrain québécois toutefois, les multiples demandes de l’AMPPLC.
Solutions immédiates
Puisque l’ONF continue à se comporter de façon déloyale vis-à-vis l’industrie, et que depuis cet échange de lettres elle s’est résolument engagée en particulier, dans la production de films de long métrage pour les salles, nous proposons les solutions suivantes :
- Si l’ONF doit continuer à produire des longs métrages, nous proposons que l’on confie à la Société de développement de l’industrie cinématographique canadienne, l’administration des budgets prévus à cet effet, puisque c’est désormais le rôle de cet organisme qui a été créé par le gouvernement.
- Puisqu’il est connu, que l’ONF a, par le passé produit des films avec des maisons étrangères, quelles sont les raisons qui motivent son refus de coproduire avec des maisons de production québécoises.
- Par ailleurs, nous proposons que l’ONF s’occupe principalement de mettre sur pied l’organisation nécessaire au recrutement et à la formation de techniciens spécialisés dans les domaines des communications électroniques.
- Nous recommandons finalement qu’au moins 50 % des films de commande que l’ONF est appelé à produire soient confiés à l’industrie québécoise qui a été la moins favorisée à date dans ce domaine.
Quant à l’article 7 de notre lettre (traitant des questions des films éducatifs), nous apprenons que l’ONF a l’intention de cesser ce type de production, ce dont nous nous félicitons.
En terminant, nous aimerions rappeler, pour mémoire, quelques-unes des recommandations faites par la Commission politique lors du Congrès du cinéma québécois en 1968, et ayant trait à l’ONF.
Attendu que l’ONF, institution entièrement subventionnée par les deniers publics, pratique dans un contexte économique de libre concurrence certaines politiques de production, de promotion et de distribution qui faussent le jeu du marché et qui, au départ, mettent l’industrie dans une position moins avantageuse, il est recommandé qu’à titre de compensation, l’ONF.
- confie la production de ses films de commande à l’industrie québécoise du cinéma, étant bien entendu qu’en 27 ans d’existence l’ONF n’a donné qu’un seul contrat du genre à l’industrie québécoise alors que dans le même temps l’industrie cinématographique des autres provinces bénéficiait de commandites extrêmement importantes;
- forme des techniciens et surtout des techniciens spécialisés en tenant compte des besoins présents et futurs de l’industrie;
- applique une politique généreuse d’achats et de diffusion des films produits par l’industrie québécoise.