La Cinémathèque québécoise

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La politique québécoise en matière de cinéma (1966-1983) : le législateur et la production

L’exposé de François Dupuis prit une forme différente de celle des autres conférenciers. Il prépara une chronologie de 10 pages (disponible à la Cinéma­thèque) retraçant les interventions du lé­gislateur en matière de cinéma et rappe­lant les principales revendications des associations professionnelles de 1966 à 1983. Son exposé consista à commenter et à mettre en relief les différents faits relatés dans sa chronologie. À l’aide de celle-ci et des enregistrements de ses interventions, nous avons recomposé un texte qui indique les lignes de force de son discours.

“Les motifs de ma recherche et le sens que je lui ai donné m’ont amené à faire l’inventaire et à mettre en relation les mémoires et les multiples positions du milieu ci­nématographique qui ont balisé les nombreux parcours qu’adoptèrent les gouver­nements du Québec pour en arriver à la loi 109 sur le cinéma. Si j’ai consacré mes re­cherches au secteur de la production, secteur qui comprend aussi bien les réalisateurs que les producteurs, les techniciens que les comédiens ou les maisons de services, c’est que j’ai le sentiment profond que c’est de la production que sont issues la plupart des pressions qui auront amené le gouvernement à légiférer sur le cinéma et que les sec­teurs de la distribution et de l’exploitation se sont toujours retranchés dans une quel­conque forme de résistance à l’intervention gouvernementale. D’autre part il m’appa­raissait important de souligner les multiples contradictions qui existent entre les diffé­rents partenaires du secteur de la production, contradictions qui ont toujours eues tendance à être négligées, secondarisées, voire même occultées à cause des positions dominantes de la distribution et de l’exploitation.”

La création de la Société de déve­loppement de l’industrie cinématogra­phique canadienne en 1967 marque un pas majeur dans l’intervention du gouver­nement fédéral dans le domaine du cinéma. Dupuis rappelle que depuis lors, il y a toujours eu querelle entre Québec et Ottawa quant au partage des pouvoirs; il cite l’intervention de Pierre Laporte en 1967, alors dans l’opposition : “Si nous voulons que dans le domaine culturel, le gouvernement cesse de se payer de mots, il aurait pu et dû intervenir dans le domaine du long métrage.” Huit mois plus tard, en mars 1968, Daniel Johnson protestera contre l’intervention d’Ottawa “dans un domaine qui relève de l’éduca­tion et de la culture.” Dupuis note que la plupart des associations du secteur production ont toujours demandé au fil des ans le rapatriement du cinéma dans le giron québécois; il déplore que cet aspect semble mis de côté avec la loi 109.

Durant 10 ans le milieu du cinéma se battit pour obtenir une loi sur le cinéma. Il publia des mémoires, travailla à des projets, se structura de plus en plus en associations professionnelles spécia­lisées, alla même jusqu’à occuper en novembre-décembre 1974 le Bureau de surveillance. La loi vit le jour en juin 1975 et avec elle l’Institut québécois du cinéma. Une nouvelle décennie s’ouvre. Elle est marquée par des conflits entre le Syndicat national du cinéma et l’Asso­ciation des producteurs de films du Québec, par des réactions différentes au rôle de l’IQC, par l’élection du PQ et par l’impression de l’ARFQ qu’elle aussi est au pouvoir. Durant deux ans on demande et on attend une politique cohérente de la cinématographie au Québec. C’est en octobre 1978 qu’est publié Vers une poli­tique du cinéma au Québec et c’est en dé­cembre qu’a lieu la conférence socio-économique sectorielle sur les industries culturelles.

“On retrouve dans le livre bleu un certain nombre de propositions (billetterie na­tionale, visa dont le coût varierait selon le nombre de spectateurs, etc.) qui ne verront pas le jour à cause des contradictions existant dans le milieu. Le SNC lors de son premier congrès de mai 75 avait exigé le prélèvement de 30% du profit net réalisé au Québec par les films étrangers et demandé des mesures de contingentement du temps-écran. En mars 79 il réitéra ces demandes : on voulait que les profits des Américains soient réinvestis au Québec. Le SNC trouvait que la formule des visas était un moyen pour toucher les majors et nous fûmes les premiers à dire ça. Les réalisateurs ont em­barqué par la suite. Les producteurs ont été plus réticents car ils s’occupaient moins de culture que d’argent. Il faut dire que ce sont le SNC et l’ARFQ qui ont toujours maintenu des exigences culturelles sur la question cinématographique.”

Janvier 1981; le gouvernement forme la Commission d’étude sur le cinéma et l’audiovisuel. Reporté au pouvoir quelques mois plus tard, le PQ retourne le cinéma aux Affaires cultu­relles. Les attitudes du milieu face à la CECA varient, face au rapport qu’elle remet en juin 82 aussi. Exactement un an plus tard la loi 109 sur le cinéma est adoptée.

“J’aimerais y aller de quelques considérations sur la loi 109. Elle répond à une des attentes majeures du secteur de la production pris dans son ensemble dans la mesure où les dispositions sur les permis de distribution s’attaquent de façon signifi­cative aux monopoles étrangers qui nous dominent, d’abord en leur retirant une partie du marché, mais principalement en obligeant tous les distributeurs à investir dans la production de films québécois un pourcentage de leurs revenus. Cette disposition de la loi constitue la réponse du gouvernement du Québec à 20 ans de luttes. Cela va créer de l’emploi, faire l’affaire des techniciens et des maisons de services. Je me pose des questions en ce qui a trait aux réalisateurs car j’ai l’impression que ce sera la tendance commerciale, celle, culturelle ou pas, qui coûte cher, qui a de gros budgets qui sera renforcée car les distributeurs pourront réinvestir dans les films de leur choix et non pas dans le fonds d’aide administré par la Société générale du cinéma. On risque donc de se retrouver à très court terme avec un cinéma hollywoodien qui va très bien fonc­tionner. D’autre part, au contraire de l’ancien IQC, les membres de la SGC sont nommés par le ministre et le milieu n’a rien à dire. On peut craindre qu’une direction par des fonctionnaires ou par le gouvernement pourrait affecter le développement de notre cinéma. La loi 109 ne va pas régler tous nos problèmes. Il faudrait notamment que les cinéastes apprennent à ne pas toujours et uniquement dépendre de l’État. Il faudrait se regrouper davantage pour présenter des projets et produire. Le fait qu’il n’y ait qu’une seule coopérative de production, l’ACPAV, me désâme. Pourquoi du côté des jeunes ne voit-on pas de nouveaux regroupements. L’avenir est là. Il faut ouvrir des pistes nouvelles.”


Cet article a été écrit par François Dupuis. Réalisateur et monteur, il collabore également à la revue Format Cinéma et fut président du Syndicat national du cinéma