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La politique cinématographique fédérale de 1968 à 1983

Un public nombreux et attentif lors de l'atelier sur Les pratiques d'écritures et les choix des récits
Un public nombreux et attentif lors de l’atelier sur Les pratiques d’écritures et les choix des récits
Photographie Pierre Véronneau

La division des juridictions entre le gouvernement provincial et fédéral a toujours amené ce dernier à s’occuper de la production des films plutôt que de leur distribution. Depuis 1968, en ce domaine, le fédéral a initié trois politiques majeures. La première fut la création de la Société de développement de l’industrie cinématographique canadienne en 1968, la seconde, en 1975, la possibilité d’amortir 100% du coût de capital, et la dernière, en 1983, l’établissement du Fonds de développement pour la production d’émissions canadiennes. On nous promet depuis 1972 une politique cinématographique globale mais on attend toujours. Durant ce temps-là, tout ce qu’on peut faire, c’est d’examiner les démarches antérieures. Chaque initiative gouvernementale se produit au moment où la production atteint un niveau très bas. Quels que soient les problèmes qui confrontent l’industrie cinématographique canadienne, le gouvernement a toujours mis l’accent sur le nombre des productions. Pour lui la quantité vient en premier et la qualité en second. Malheureusement, même si l’accroissement temporaire de la production fut un des résultats des initiatives gouvernementales, celles-ci n’ont pas créé un niveau de qualité soutenu. Nous n’avons donc pas pu observer une politique cinématographique fédérale qui se concentrerait pleinement sur les problèmes du contenu et de la qualité.

La SDICC fut créée pour “soutenir et promouvoir le développement d’une industrie du long métrage au Canada.” Elle commença par appuyer la production de longs métrages sans se préoccuper de leur contenu. On pouvait produire plusieurs films de sexploitation pourvu que leurs profits servent au financement d’œuvres de qualité. Il fallait établir en priorité des compagnies de production aux reins solides. Mais cette théorie achoppa au fait que les films de sexploitation ne générèrent pas les fortunes prévues. Au contraire, ils firent naître de nombreuses plaintes pour mauvais usage de fonds publics. Mais lorsque la SDICC essaya de choisir des projets plus respectables, elle perdit systématiquement de l’argent et les investisseurs s’évanouirent dans la brume. En 1975-76, la SDICC prit à sa charge 65% du coût de production des 18 films qu’elle aida. L’industrie privée seulement 35%.

La solution fédérale à ce problème fut de mettre en place la possibilité de déduire 100% du coût de capital, d’un film. Comme prévu, cet abri fiscal suscita de nombreux investissements du secteur privé. Dès 1979 la production annuelle grimpa à 56 longs métrages. Néanmoins ce phénomène s’avéra très temporaire à cause de la combinaison d’un certain nombre de facteurs qu’il faut examiner en détail parce qu’ils ont toujours une influence importante sur le développement de l’industrie cinématographique canadienne.

Les encouragements fiscaux attirèrent l’attention de nombreux entrepreneurs qui y voyaient une possibilité de gagner rapidement de l’argent. Ils touchaient des honoraires sur le budget total du film, que celui-ci fasse ou non de l’argent. Pour organiser les détails financiers de chaque opération, ces entrepreneurs invitèrent des avocats et des courtiers qui imputèrent aussi leurs honoraires substantiels au budget des films. Les pauvres investisseurs qui finançaient ces budgets gonflés étaient souvent des médecins ou des dentistes absolument ignares de l’industrie cinématographique et des risques qu’on y encourrait. La SDICC aurait pu jouer un rôle positif en protestant publiquement et en soulignant le fait qu’une industrie ne devrait pas s’établir sur des budgets gonflés et la soif de profits rapides d’entrepreneurs sans scrupules. Au contraire elle alimenta le feu en fournissant du financement intérimaire à quiconque possédait les bonnes relations dans les cercles financiers. Certains avocats et experts de la finance trouvèrent la combine si lucrative qu’ils décidèrent de devenir eux-mêmes producteurs. Cette explosion soudaine de la production créa sur papier seulement une industrie cinématographique. Derrière les apparences, aucune substance.

En effet le gouvernement s’était démis de toute responsabilité au profit du secteur privé en ce qui concerne la qualité des films en espérant qu’une fois solidement établies, les compagnies s’orienteraient vers une production de meilleure qualité. Malheureusement la majorité de ces producteurs instantanés possédaient peu ou prou d’expérience en production. Personnellement ils firent de l’argent, mais non leurs films et les investisseurs perdirent une fortune. En une nuit, ces maisons de production-champignons disparurent. Les films firent rarement leurs frais, surtout avec leurs budgets gonflés pour couvrir des salaires et des honoraires exorbitants. Trop tard les investisseurs réalisèrent qu’en dépit de la déduction de 100%, ils perdraient de l’argent si le film ne couvrait pas ses frais. Il n’y avait pas de Père Noël. On dit même que depuis lors plusieurs de ces producteurs instantanés craignent de rendre visite à un dentiste… Même si le gouvernement resserra ses règlements pour prévenir les abus évidents, son action vint trop tard. Maintenant les investissements privés dans l’industrie cinématographique proviennent généralement de quelques professionnels qui connaissent les risques qu’ils prennent et pour qui les encouragements fiscaux sont secondaires.

Au fédéral, l’amortissement du coût de capital a maintenant été réduit à 50% pour la première année et 50% pour la seconde. Au Québec les effets de cette mesure ont été compensés par la volonté du gouvernement de hausser à 150% l’investissement déductible. Cela créera peut-être un engouement passager pour la production cinématographique québécoise mais aura peu d’influence à long terme. Les films devront faire des profits, que ce soit au guichet ou par des avances gouvernementales, pour attirer à l’avenir l’investissement privé.

Le cauchemar des déductions fiscales a mis en lumière une importante question de politique. En plus des problèmes déjà décrits, le gouvernement fédéral a découvert que, laissés à eux-mêmes dans l’industrie cinématographique, les entrepreneurs tendaient simultanément à engager le plus souvent possible des étrangers et à cacher l’origine canadienne des films. Même si la SDICC s’était donné de vagues consignes quant à l’emploi de Canadiens, le gouvernement dut introduire un système de points pour s’assurer que des Canadiens seraient effectivement engagés à la plupart des postes importants. Ces mesures furent renforcies récemment pour être sûr que des Canadiens contrôlaient réellement la production de films réalisés avec l’aide directe ou indirecte du gouvernement. Même si ce système de points est un acquis important, il ne contribue en rien à solutionner l’éternel problème du contenu des films. Les Canadiens ne produisent pas automatiquement des films de qualité, ni des films qu’on reconnaît à l’évidence comme canadiens, et encore moins des films qui font des profits. Le système de pointage assure l’emploi de Canadiens; c’est une mesure économique. Il ne fait pas de doute que le fédéral veut la mise sur pied d’une industrie cinématographique nationale au sens où des Canadiens sont engagés pour réaliser des films. Par contre, il n’est pas clair du tout que les politiques gouvernementales amélioreront la qualité des films qui sont produits.

C’est avec ce problème à l’esprit que cette année fut créé le Fonds de développement pour la production d’émissions canadiennes. La SDICC administre ce nouveau programme d’aide aux émissions de télévision pour enfants, de variétés et dramatiques. Pour établir des compagnies solides, on se tourne dorénavant vers la télévision comme base d’opérations. Les salles de cinéma deviennent un enjeu secondaire dans la production du film canadien. L’aide fédérale sera orientée principalement vers des films qui, tout en étant destinés aux salles, peuvent s’assurer d’un temps d’antenne de haute écoute. Même si la SDICC administre ce fonds, la responsabilité de l’industrie cinématographique canadienne, de sa qualité et de sa quantité, revient maintenant aux réseaux de télévision.

Jusqu’à ce jour, les producteurs privés d’émissions de télévision devaient vendre leurs produits à l’étranger pour équilibrer leur budget. Les réseaux canadiens, privés et publics, ne couvraient qu’une partie des coûts. Les réseaux privés achetaient une bonne part de leur programmation à des taux d’escompte à l’étranger. CBC et Radio-Canada produisaient plusieurs émissions canadiennes mais leur coût incombait aux contribuables. Que va-t-il se passer maintenant?

La SDICC semble croire que les émissions produites avec son aide généreront des profits. Si tel est le cas, ces émissions devront être vendues à l’étranger et les producteurs du privé seront tentés de jouer le même jeu et d’engager des vedettes étrangères comme ce fut le cas avec les longs métrages. Si l’on croit que ces émissions ne généreront pas de profits, le programme devient une aide directe aux compagnies privées choisies par les réseaux de télévision. Dans le cas des réseaux privés, il ne serait pas surprenant de constater que les élues possèdent des liens avec ceux-ci ou peuvent, d’une façon ou d’une autre, leur rendre des services. Donc tous les problèmes qu’on connaît vont demeurer les mêmes. Dans le cas de CBC et Radio-Canada, ces sociétés pourront recevoir une aide gouvernementale directe à condition qu’elles l’investissent dans la production privée. Autrement dit, cette nouvelle entente permet seulement aux réseaux publics et à la SDICC de se renvoyer mutuellement le blâme pour tout problème qui surgira.

En orientant sa politique du film vers la télévision, le gouvernement a au moins commencé à se poser le problème de la distribution. En 1975 certains ont fait brièvement l’effort d’ouvrir leurs salles aux films canadiens : Famous Players et Odeon acceptèrent volontairement de présenter quatre semaines par années du cinéma canadien. Famous Players tenta de respecter cette entente, mais Odeon fit à peine un effort; ironiquement l’acquisition d’Odeon par des intérêts canadiens se solda par l’élimination de ce minuscule effort. Cette expérience aurait dû profiter au gouvernement canadien. Il aurait dû comprendre que l’entreprise privée est mue principalement par la recherche de profits et que chacun de ses gestes se mesure à son effet sur le profit. La propriété canadienne n’entraîne pas automatiquement la subordination des impératifs de profits à quelque idéal national.

À mon avis on a accumulé assez d’erreurs depuis 15 ans pour en tirer quelques leçons. L’aide gouvernementale devrait être attribuée à chaque film pour des raisons artistiques ou des raisons économiques, mais non pour les deux. S’il arrive qu’un film subventionné pour des motifs économiques se révèle un succès artistique, tant mieux. Réciproquement, il serait merveilleux que des films de qualité fassent des recettes et créent des emplois. Néanmoins le gouvernement devrait faire la distinction entre ces deux sortes d’aide. Ainsi il serait facile de déterminer les priorités qui s’appliquent à tel film en particulier et à quel aulne l’évaluer après coup.

Qu’un film soit aidé pour des raisons économiques ou artistiques, je crois que ces décisions devraient être prises par un individu plutôt que par un comité. Je crois que les comités ont tendance à choisir les projets soumis par des cinéastes établis qui tombent dans la moyenne. Les comités éliminent les pires projets, mais se méfient des projets les plus innovateurs et ceux soumis par les jeunes cinéastes. Si elle veut se développer et grandir, il faut que notre industrie cinématographique innove. Si des individus prennent des décisions responsables, il devrait en avoir plusieurs qui œuvrent de façon indépendante pour qu’on puisse confronter leurs choix ultérieurement. S’il doit avoir compétition parmi ceux qui demandent des bourses, il doit aussi en avoir parmi ceux qui en attribuent.

Le gouvernement devrait y penser deux fois avant de favoriser la mise sur pied de grosses compagnies de production. Comme je l’ai souligné, soit que celles-ci produisent des films de masse de piètre qualité, soit qu’elles demandent des subventions pour survivre. Le gouvernement se verra obligé de supporter ces compagnies pour que des techniciens y conservent leur emploi tout en ayant peu de contrôle sur la production de ces compagnies; elles deviendront les Maislin Transports de l’industrie cinématographique.

Les salles ne disparaîtront pas. Les films qui leur sont destinés continueront à exercer une profonde influence culturelle. Même si depuis longtemps il convient d’aider la production pour la télévision, il faudrait revoir les initiatives récentes pour équilibrer les ressources disponibles pour les deux marchés. Aucun des deux ne devrait dominer l’autre.

Dans le marché des salles, les distributeurs et les exploitants se partagent les profits. Seul le distributeur s’arroge une part disproportionnée des profits générés par les locomotives hollywoodiennes qui font d’énormes profits. Au Québec, la loi 109 stipule que jusqu’à 10% de ces profits doivent être investis dans la production québécoise. Il s’agit là d’une innovation importante mais il reste aussi à voir si les distributeurs hollywoodiens réussiront à bloquer cette législation au moyen de recours juridiques ou d’un boycottage du marché québécois. De toute manière les distributeurs hollywoodiens possèdent une longue expérience sur la façon de protéger leurs revenus de par le monde, même dans les pays qui imposent un sévère contrôle des changes. Malheureusement, le Québec ne représente que 20% du marché canadien. Il vaudrait mieux que les gouvernements provincial et fédéral concertent leurs efforts.

Pour la majorité des films distribués en salles, l’exploitant conserve au moins la moitié des profits. C’est à ce niveau que le gouvernement fédéral peut agir efficacement. Famous Players est en vente. S’il est acquis par des Canadiens, on ne peut en attendre rien de mieux que ce qui s’est passé avec Odeon. Mais le gouvernement devrait songer sérieusement à acquérir 50% de Famous Players. Les revenus qu’il tirerait de sa part de propriété pourraient servir à subventionner un certain nombre de petites salles qui font partie des grands complexes multisalles qui appartiennent à Famous Players. Ces petites salles pourraient présenter des films canadiens exclusivement. Elles pourraient accueillir les surplus des grandes salles. En cas de succès d’un film canadien, celui-ci pourrait être transféré dans une salle plus grande à l’intérieur du même complexe sans nécessité de modifier la publicité. On assurerait ainsi la présence du cinéma canadien dans les salles d’exclusivité des centres-villes à un coût minimal. Les films québécois seraient convenablement diffusés ailleurs au Canada et réciproquement. Cette idée n’est peut-être pas facile à mettre en pratique, mais quel impact elle pourrait avoir sur ce que nous voyons dans nos cinémas.

La politique cinématographique canadienne a encore un long chemin à parcourir. Si j’ai critiqué Québec et Ottawa, ce n’est pas parce que je pense que la situation soit sans espoir. Toutefois une politique implique des objectifs spécifiques qui doivent reposer sur une idée claire du genre d’industrie cinématographique que nous voulons et sur nos raisons pour qu’elle soit ainsi. Il n’existe pas de solutions miracles qu’on peut importer de l’étranger. À nous de trouver nos solutions à nos problèmes.

traduction : Pierre Véronneau


Cet article a été écrit par John Roston. Cinéaste, producteur, critique, professeur, il est directeur associé de l’Instructional Communications Centre de l’Université McGill