La Cinémathèque québécoise

Collections online

Ce site est rendu possible grâce à la fondation Daniel Langlois

Anciens périodiques

Télécharger pdf

1949 : France-Film de 1949 à 1952

1949

Maintenant que tous ses problèmes sont réglés, DeSève peut procéder à ses projets d’expansion. Son premier geste est de faire émettre le 2 janvier 49 par le Trust général des obligations en coupures de $5.00 et $ 1000 au montant de $900,000. Pour attirer les acheteurs, France-Film affirme qu’elle possède six salles au Québec, qu’elle en loue trois à Montréal (Cinéma de Paris, National, Arcade), qu’elle distribue en 35mm dans 150 salles au Canada et en 16mm dans 250 salles au Québec et que ses profits avant taxation pour 1948 ont été de $234,843. Cette émission doit servir à acquitter l’hypothèque du St-Denis et à des fins générales. Les obligations se vendent si bien que le 26 janvier, l’hypothèque du St-Denis est rayée. Comme il l’avait laissé entendre, DeSève conserve les principaux collaborateurs de l’ancienne France-Film. Par exemple, Roussy de Sales devient directeur général adjoint de France-Film et de la Compagnie cinématographique canadienne. Gustave Jif conserve son poste de directeur du bureau de Paris : DeSève lui rend même visite pour conclure les achats négociés, soit, selon le P.D.G. de la CCC, la totalité de la production française! A son premier voyage à Paris, au cours d’un déjeuner, l’ambassadeur du Canada Georges Vanier ne manque pas de louer le travail de France-Film en disant “combien le doux parler de France est cher à ces millions d’individus demeurés de cœur et d’esprit fidèles à l’héroïque et valeureuse France”, les Canadiens-français. Ce à quoi le directeur du Centre national de la cinématographie s’empresse d’ajouter: “Je formule de tout mon cœur le vœu que dans tous les pays du monde une société comme la vôtre, M. DeSève serve et défende les intérêts cinématographiques français. Votre société est un exemple à citer et surtout à imiter”

1950

Sous la houlette de DeSève, cette société à imiter reprend ses activités traditionnelles. Elle ne se limite pas seulement au cinéma. Elle organise aussi des saisons de comédie au théâtre Arcade : 12 spectacles pour $12.00 Mais pour France-Film, 1950 doit être l’année d’or du film français : “Celui-ci s’est toujours refusé d’être une imitation du cinéma américain ou britannique. Il a ses qualités propres. Il est français dans son essence, dans sa nature. Il l’est par son esprit, sa résonance humaine et par tout ce qui a placé si haut la pensée française… Que les cinéphiles du Québec continuent à encourager le film vraiment français, et non l’ersatz du doublé”. Encore une fois les appels et les discours idéologiques à connotation cocardière visent à servir les fins commerciales de France-Film. Et ce ne sera pas la dernière fois.

Mais DeSève ne se contente pas de ces proclamations : si 1950 est l’année d’or du film français, elle doit l’être aussi pour France-Film. Déjà l’année précédente, le chiffre d’affaire de la compagnie a augmenté pour atteindre $2,486,1 19. soit une hausse de près de $700,000. , avec des profits nets de $346,432. Elle loue maintenant en 35mm à plus de 210 cinémas et en 16mm à plus de 400 salles. Ce marché de plus en plus vaste l’oblige à acquérir de nouveaux fonds pour assurer et profiter d’une meilleure diffusion de ses films. Elle émet donc le 14 mars pour $1,450,000. de titres afin de racheter l’émission antérieure, d’acquérir d’autres actifs et d’augmenter son fonds de roulement. L’argent ainsi obtenu sert naturellement à se procurer des films français. Suite à son traditionnel voyage annuel en France, DeSève peut annoncer l’acquisition de près de 100 films, “la crème des œuvres récemment éditées”. Mais le plus important, c’est la rénovation du St-Denis. Décidée au printemps, elle s’effectue durant l’été. Le 26 août, c’est la grande ouverture. Voyons en quels termes on nous communique cette nouvelle par la voix du Courrier du cinéma :

RECONSTRUIT, TRANSFORMÉ, REDÉCORÉ, LE ST-DENIS S’AVÈRE DÉSORMAIS LE PLUS SOMPTUEUX CINÉMA DE MONTRÉAL

“Reconstruction, transformation, remémoration. Voilà les trois éléments mis en œuvre à un coût qui atteindra sûrement le demi-million lorsque les derniers détails auront reçu la dernière couche de vernis. La seule mention de ce chiffre donne déjà une excellente idée de l’envergure des travaux mais c’est dans la salle, à l’extérieur tout autant, qu’on en peut mieux juger. L’architecte Jean-Julien Perrault et l’entrepreneur général Alphonse Gratton n’avaient pas la tâche facile. Il leur fallait travailler rapidement et bien. Rendons-leur hommage : ils ont parfaitement réussi. D’abord la façade. Le dessin à arches d’autrefois a disparu pour être remplacé par une masse aux lignes droites. Granit, vitrolite aux belles couleurs, pierre à chaux, ces trois matériaux ont été utilisés avec art pour obtenir un effet imposant. Les magasins de l’ancienne entrée ont été démolis afin d’utiliser l’espace ainsi récupéré au bénéfice de la clientèle. Voilà comment on a obtenu un très vaste foyer… si vaste que désormais le public n’aura plus à faire la queue à l’extérieur lorsqu’il y aura affluence. À noter tout de suite que le nombre des places a été porté à 2500 ce qui permettra à des foules considérables de voir les grands succès de la saison sans inutile ou trop longue attente… Au monumental foyer du rez-de-chaussée le marbre et les miroirs, le verre dépoli, le métal blanc, le plancher de terrazzo accordent aux spacieuses dimensions de ce hall une somptuosité incomparable… Est-il besoin d’ajouter que le décorateur a eu la plus grande liberté et qu’il a fait preuve de bon goût. Les teintes pastel modernes ont été utilisées avec une rare élégance de touche. De l’ancien auditorium il ne reste rien, à proprement parler. Le style de la décoration a été complètement refait dans le genre moderne le plus accepté, le plus récent. Remarquons les motifs en bas-relief qui décorent l’immense arche du proscénium. La salle a subi un nouveau traitement acoustique d’une perfection inimaginable. La direction du Saint-Denis a doté la nouvelle salle d’un grand orgue de concert avec carillon actionné à l’électricité, au moyen duquel il sera possible de faire entendre les œuvres des maîtres de l’art. Une grille métallique artistiquement travaillée permettra de voir l’organiste à son clavier. Au chapitre du confort, il importe de signaler la climatisation… Donc une salle qui en plus d’être belle, spacieuse, climatisée, confortable, est aussi munie de nombreuses portes de sortie, de boyaux, d’extincteurs en plus d’être TOTALEMENT à l’épreuve du feu. Ma foi, que demander de plus. France-Film est fière et avec raison, de cette nouvelle réussite. Le nouveau Saint-Denis continue son réseau de ses salles modernes. Ses nouveaux cinémas à Québec, à Sherbrooke; sa salle moderne à Hull, le théâtre qu’elle édifiera sous peu aux Trois-Rivières, la récente décoration de l’Arcade, les travaux qu’elle projette pour bientôt au National, voilà autant de réalisations qui prouvent l’intérêt que France-Film porte à la clientèle du cinéma français. D’autres salles seront érigées qui ne seront pas inférieures en confort et décoration à celles qui existent déjà”.

La réouverture du St-Denis sert une fois de plus aux discours moralisateurs. Regardons seulement ce qu’on publie dans l’organe officiel de la compagnie, Le courrier du cinéma. D’abord dans une chronique, Henri Dufresne écrit : “Si l’on s’arrête un moment à réfléchir, on se rend compte qu’il n’y a pas lieu de s’étonner puisque le film français, puisque l’image parlante de France, répondait chez nous à un besoin naturel et que nous y retrouvions ce que nous cherchions instinctivement depuis si longtemps : le pur génie français. Cette passion pour le film français montre aussi combien nous sommes semblables, par l’âme et le cœur, à nos, je ne dis pas cousins, mais frères de France. La diffusion de la culture française par le film aidant, nous recréerons cette ambiance qui est notre condition de vivre et sans laquelle nous nous étiolons dans un mortel dégoût de la vie”. Ensuite dans une page annonce proprement dite où, dans une iconographie caractéristique de la publicité France-Film (un fier chevalier et son écuyer posent sous la bannière “Le succès est au film français”), connotant fierté, tradition, force, hardiesse, “patriotisme à la trompette”, on lit : “Présenter du film français en terre d’Amérique est beaucoup plus qu’un simple commerce. En effet, au- dessus des considérations strictement économiques il faut bien comprendre — et c’est l’admettre de facto — que la fréquentation du film véritablement français est pour nous un moyen d’affirmer le fait français en Amérique du Nord et un facteur capital de notre survivance. Il ne s’agit pas de verser dans le discours patriotique mais d’être réaliste. Nous ne sommes qu’un groupe, important il est vrai, mais un groupe quand même dans cet immense pays canadien et il est essentiel que chaque jour et par tous les moyens, nous donnions la première place à la langue française. Le cinéma français est le plus éloquent de ces moyens. Il est une distraction saine, une école de bon parler, un enrichissement de la culture, la mise en lumière de valeurs intellectuelles et la manifestation d’un art moderne qui respecte les droits de l’Intelligence et de l’Esprit… Nous remercions notre vaste clientèle de son encouragement. Pour elles nous venons d’obtenir les droits exclusifs sur la totalité des meilleurs films français de la production 1950-51. Plus de 200 sujets et irréprochables à tous points de vue”. France-Film voit davantage de qualité à la quasi-totalité de la production française que jamais aucun Français n’en a vue!

Congrès du film français. On pose devant La Presse
Congrès du film français. On pose devant La Presse
Première rangée : Raoul Rickner, Charles Lalumière, Arthur Larente, X, Roussy de Sales, R. Hurel, Henri Diamant-Berger (réalisateur français), Adhémar Gagnon. On remarque en arrière Jos Cardinal, Paul de St-Georges (publiciste de France-Film), A.N. Lawand, E. Letellier de St-Just, Oswald Mayrand (rédacteur à La Presse), Jean Nolin, Henri Letondal, Norman Hennessy
Coll. Cinémathèque québécoise

Dans les années qui vont suivre cette année d’or, France-Film suivra son petit bonhomme de chemin, sans tempêtes, sans éclats. On lira bien en avril 52 dans RadioMonde qu’elle veut reprendre son vieux projet annoncé en juin 49 dans Parlons Cinéma et construire, dès que les restrictions sur l’achat des matériaux diminueront, un ensemble évalué à $2,000,000. qui contiendrait deux salles, un cinéma de 4000 places et un théâtre de 1200. Cet immeuble serait situé sur la rue Ste-Élisabeth, entre Ste-Catherine et Dorchester, sur un terrain que possède déjà sa filiale Théâtre Frontenac. Cet immeuble ne verra jamais le jour. Pour savoir pourquoi, il faudrait continuer l’histoire de la compagnie et celle de la demande et de la diffusion du film français. Or il convient de signaler que France-Film n’en a plus l’exclusivité depuis que certaines firmes américaines distribuent leurs films doublés et que certains étrangers sont venus la concurrencer sur son terrain. Parmi ceux-ci notons le couple Jean-Pierre et Marie Desmarais qui sont arrivés au Canada en septembre 1948, mettent sur pied la Francital Films, obtiennent un contrat d’exclusivité des films d’Eagle-Lion et ainsi voient s’ouvrir à eux le circuit Odeon. Marie Desmarais, que Parlons Cinéma surnomme la “Jeanne d’Arc du cinéma”, fondera ultérieurement la France-Europe Films et plus tard, Ciné-France Distribution. Comme on le voit, la situation du film parlant français devient plus complexe durant les années 50. Mais notre propos est de nous arrêter en ce début 50 où la production québécoise s’effondre et où la télévision fait son apparition; la seule extrapolation en ce sens se trouve en annexe III. Il est maintenant temps d’aller jeter un coup d’œil sur un autre volet de l’activité cinématographique québécoise auquel Joseph-Alexandre DeSève a été intimement mêlé : l’aventure Renaissance.

DCQ_1979_03_p038-Img1