Une pièce filmée qui soulève l’enthousiasme
Le film qui suit AURORE fait aussi partie du doublé gagnant des années 50. À cette époque, le personnage le plus populaire du monde théâtral québécois est incarné par Gratien Gélinas : il se nomme Fridolin. C’est ce personnage qui permet à Gélinas de toucher au cinéma, d’abord avec une irrésistible parodie LA DAME AUX CAMÉLIAS, LA VRAIE (42), ensuite avec une série de sketches de sa revue FRIDOLINONS 45 que tourne l’ONF. Une de ces fridolinades du temps de la guerre qui connaît un énorme succès et que l’ONF a déjà filmée, c’est LE RETOUR DU CONSCRIT. Paul L’Anglais, toujours à la recherche de sujets populaires, approche donc Gélinas pour lui demander s’il ne consentirait pas à transposer le personnage de Fridolin à l’écran. Gélinas ne dit pas non, en songeant peut-être à donner de l’ampleur à un de ses sketches populaires. C’est ainsi qu’à la mi-novembre 1947, L’Anglais peut informer la presse de ce que très prochainement, vers le Jour de l’An, Fridolin annoncerait une très grosse nouvelle.
Cette grosse nouvelle à laquelle Gélinas travaille, c’est un texte originellement destiné au cinéma mais qui deviendra la pièce de théâtre Tit-Coq, une sorte de prolongement, en beaucoup plus fouillé, du RETOUR DU CONSCRIT. Le projet cinématographique ne se concrétise pas et Tit-Coq est joué pour la première fois au Monument national le 22 mai 48. Le succès est tel qu’un an plus tard, la pièce aura connu 200 représentations à Montréal. Il est intéressant de se rappeler que c’est le 26 janvier 49 que Delacroix déclarera à propos de Tit-Coq : « Je souhaiterais infiniment avoir un jour l’occasion d’en tirer un film » (voir Le succès est au film parlant français, p. 100). Or son souhait se réalisera trois ans plus tard. À la mi-août 52, DeSève et Gélinas annoncent la grande nouvelle : Tit-Coq sera porté à l’écran au coût approximatif de 87,000 $. Delacroix en sera le réalisateur et Paul L’Anglais le producteur. On est même décidé alors à faire sous-titrer le film en anglais, tant la pièce a déjà connu un bon accueil au Canada anglais et même aux USA.
Le tournage
Au tout début de septembre, Delacroix arrive à Montréal. À ceux qui craignent que le film ne soit que du théâtre filmé, on répond que les principaux artisans du film, Gélinas, L’Anglais, Garand, Delacroix ont suffisamment fait leurs preuves pour qu’un tel soupçon ne soit pas fondé. Pour ce qui est de Delacroix, Léon Franque précise:
« Delacroix est un spécialiste trop consciencieux — Sacha Guitry lui a fait confiance pour plusieurs de ses films — pour bâcler son travail » (6-9-52).
Durant ce mois de septembre, Delacroix et Gélinas travaillent donc à aérer le film, tout en lui conservant l’essentiel des dialogues de la pièce. Le 13 octobre, tout est prêt, tous les comédiens sont choisis, on commence à tourner. D’abord une journée en extérieurs pour profiter des soldats qui sont en ville à l’occasion des cérémonies de l’Action de Grâce. Puis le 14, on se rend en studio (Renaissance). La personne dont on parle le plus à cette époque, c’est de la nouvelle interprète de Marie-Ange, une découverte dit-on, Monique Miller. Après deux semaines de studio, on tourne en décors naturels : gare Windsor, rues, Carré St-Louis, etc. À la mi-novembre tout est terminé dans les délais prévus: quatre semaines ouvrables, comme d’habitude. Pendant que se déroulent les opérations de montage et les travaux de laboratoire, Le Courrier du cinéma consacre au film plusieurs articles volumineux.
La présentation publique
Finalement, le 20 février 53, éblouissante grande première au St-Denis. Ceux qui veulent voir le tout-Montréal doivent débourser entre 1.50 $ et 2.50 $. Cela en valait, paraît-il, la peine puisque la salle frisait le délire et que la radio, après la projection, transmettait en direct les réactions enthousiastes des célébrités présentes 1… Le 21, le film sort simultanément dans 5 villes du Québec. C’est un triomphe. En trois jours, 53,314 personnes voient le film. Le dimanche de la deuxième semaine, 12,000 personnes y assistent. En avril, on estimera à 300,000 personnes la fréquentation globale du film. 2 Pour une fois l’accueil du public coïncide avec celui de la critique.
TIT-COQ est un film bien fait, émouvant, dramatique
« Dire que TIT-COQ est le meilleur film canadien, c’est un pléonasme, car tous ceux qui connaissent Gratien Gélinas savent que cet artiste ne fait rien à la légère. Il est consciencieux et sévère. Le film est beaucoup plus émouvant que la pièce; le côté dramatique du personnage ressort beaucoup mieux à l’écran qu’à la scène; le spectateur se sent plus proche de lui. Et parce que le cinéma, de par lui-même n’est pas restreint à un plateau de quelques centaines de pieds carrés, le scénariste a plus de moyens mis à sa disposition pour exposer son problème. Grâce aux gros plans, et il y en a beaucoup et de magnifiques dans TIT-COQ, le spectateur entre en communion directe avec les personnages. Le drame s’intensifie progressivement pour arriver à un climax d’une extraordinaire puissance, qui sont les dernières scènes, celles où Tit-Coq rejette celle qu’il aimait vraiment… TIT-COQ est beaucoup plus un drame qu’une comédie et nombre de spectateurs se surprendront à verser des larmes. Quant à l’interprétation, elle est remarquable. »
Roland Côté (?), Le Canada 21-2-53
TIT-COQ
« On aime ou on n’aime pas TIT-COQ. Mais on n’y reste pas indifférent… À la scène on avait connu Tit-Coq, on avait vu sa personne, écouté ses rancœurs, ses rêves et ses désespoirs. À l’écran on a vu son âme. Ceux qui aimaient Tit-Coq, vont l’aimer davantage, ceux qui le trouvaient insupportable vont se réconcilier avec lui. Comme film de long métrage, c’est encore le meilleur. Il y a de la vie, il y a du rythme, il y a enfin un scénario! Le dialogue reste celui de la pièce, moins de nombreux “sacres”, plus quelques bons mots et d’autres moins bons ».
Jean Desprez
TIT-COQ
« Or le moins qu’on puisse dire est que TIT-COQ, filmé, tient le coup. Il le tient mieux que tous les films canadiens-français réalisés jusqu’à ce jour, bien que certains, d’un point de vue purement cinématographique, aient présenté plus d’intérêt. C’est qu’il apporte, le premier, un scénario vigoureux, une histoire bien construite et d’un intérêt humain indiscutable. Le drame nous atteint en direct, et l’on s’arrange avec le reste, mon dieu, du mieux qu’on peut. L’essentiel est quand même sauvé. Sauvé parce que la pièce était bonne, et parce qu’elle est, ici, remarquablement interprétée…
Ces remarques nous ramènent aux problèmes du théâtre filmé, que nous signalions au début. Malgré l’honnêteté générale de la réalisation, on peut regretter que Gélinas (ou Delacroix?) ne les ait pas attaqués un peu plus carrément. Trois ou quatre longues conversations, dans des décors presque inexistants, variées (si l’on peut dire) par un jeu de gros plans assez primitif, exténuent dangereusement la patience du spectateur… Nous regrettons d’autant plus cette sorte d’indifférence, que dans les rares passages où Gélinas a pris le parti du cinéma, les résultats ont été fort appréciables…
Mais si Gélinas voulait apporter plus tard au cinéma lui-même, son sens de l’action, son admirable conscience professionnelle, nous sommes assurés qu’il y réussirait des choses étonnantes. Peut-être même, avec lui, notre cinéma sortirait-il enfin des langes de l’amateurisme où il se débat depuis bientôt 10 ans. TIT-COQ le laisse espérer ».
Gilles Marcotte, Le Devoir 21-2-53
Autour d’un film
« La première du film TIT-COQ a suscité beaucoup de commentaires. Les uns ont crié au “chef-d’œuvre” (il se trouve toujours de ces enthousiastes impénitents), les autres ont été plus modérés dans leurs éloges. Il est évident que le film n’est pas parfait et qu’au point de vue cinéma pur : rythme, éclairage, extérieurs et même intérieurs, on a vu mieux déjà, ailleurs qu’au Canada évidemment. Cependant, ceux qui ont vu TIT-COQ à la scène, avoueront que l’esprit de la pièce a été conservé et que c’est en somme la pièce enregistrée que nous retrouvons à l’écran. Le film TIT-COQ aura eu un grand avantage, celui de nous révéler les grandes possibilités de Gratien Gélinas comme acteur de l’écran ».
Maurice Huot, Photo-Journal 26-2-53
TIT-COQ : succès absolu
« C’est l’ovation! Mieux encore c’est l’hommage rendu à une extraordinaire réussite et qui ponctue notre joie, notre totale satisfaction devant un succès qu’on désirait, qu’on exigeait, qu’on souhaitait entier et définitif. Nous voulions notre premier classique de l’écran canadien-français! Le voilà. Enfin!…Minutie et patience, travail acharné et puis une sorte de foi, voilà les éléments essentiels de cette remarquable réalisation qui nous autorise plus que jamais à croire à l’avenir d’un cinéma nettement inspiré de nous, conçu pour nous et en même temps assuré d’une honorable carrière sur l’écran mondial. C’est pour cela que TIT-COQ prend l’ampleur d’un immense événement…
Quand une technique a l’intelligence d’être à ce point discrète les acteurs font mieux que jouer des rôles : ils les vivent. Avec une aisance, une intensité et un naturel que les douze premiers films canadiens n’ont jamais réussi à obtenir complètement.
M. Gratien Gélinas n’est plus devant le public, sur une scène : il ne joue pas. Il est Tit-Coq. Amer et défiant d’abord; ébloui par l’amour et acharné à le défendre ensuite. Et, finalement, écrasé devant la logique des faits qui le cravachent, il reprend la route vers pas beaucoup plus qu’un espoir. Or, tout cela n’est jamais, pas une minute, du jeu d’acteur : c’est du vécu. Si vous saviez avec quelle joie nous écrivons cela.
Quel rôle redoutable que celui de Marie-Ange et qu’elle y est remarquable cette toute jeune Monique Miller. Révélation somptueuse. Présence de tous les instants, sans effort, sans recherche, sans “jeu”. Vous irez très loin, Monique Miller : vous avez un talent fou. Défendez-le toujours contre la facilité et le cabotinage et tous les succès vous sont promis.
Fred, l’excellent Fred Barry… Le padre n’est pas facile à jouer non plus. L’élégance racée de Paul Dupuis, son autorité (et son charme personnel, pourquoi ne pas le dire) apportent au personnage une conviction sincère, et, pour cette raison, le nouveau dénouement du drame devient d’une incontestable logique. Cette fois, c’est final ».
Léon Franque, La Presse 21-2-53
Avec TIT-COQ, le cinéma canadien sort des cavernes
« Enfin, ça y est. Au chant magique de ce Tit-Coq qui naguère nous rapprenait le chemin du théâtre, le jour se lève à nouveau. Au cinéma cette fois… Le cinéma canadien sort de l’âge des cavernes… et des forteresses!
Dieu! que c’est passionnant — et nécessaire — de se reconnaître sur un écran. Et, tout à coup, de ne plus être simplement intéressé à titre documentaire ou ému par fraternité humaine, mais de se sentir touché au vif et comme flambant nu, violé par l’œil d’une caméra.
L’Italie de Rossellini, la France de René Clair, les États-Unis de John Ford, tout cela nous atteint évidemment, doit nous atteindre. Dans ce monde explosif et ratatiné, les autruches sont condamnées à mort. Ou, du moins, à la cécité. Mais aucun peuple n’assouvira jamais la faim de son esprit qu’à même sa propre substance. Toute culture nationale est de l’autophagie.
Et barbares si l’on veut, il nous faut chanter à l’unisson, de nos voix mal assurées :
Plus me plaît Lemelin que le dernier Goncourt.
Et plus que C. Chaplin cet imparfait Tit-Coq.
Imparfait? Assurément. Ce n’est un régal constant ni pour l’œil ni pour l’oreille… Mais, et c’est ce qui compte le plus, c’est le commencement et la fin de l’essentiel : TIT-COQ est vivant, d’une vie rude agressive; il se passera sans peine des monstrueux poumons d’acier de la publicité-qui-se-déguise-en-critique et des couplets d’Achat chez nous. Il n’a nul besoin de respiration artificielle. Dès la première séquence, il saute sur vous à bras raccourcis et trouve, en une heure et demie, toutes les “ouvertures” qu’il faut pour vous décocher une série de directs au plexus solaire…
Inédite ou familière, chaque scène est campée avec soin et visiblement avec amour. Variété des angles, plans qui s’opposent sans se heurter, mobilité encore hésitante mais toute nouvelle de la caméra : la mise en scène de René Delacroix est d’une sûreté et d’une intégrité plus qu’honorables.
Quant à l’assemblage de toutes ces pièces, à cette union subtile et délicate des parties qu’on appelle montage, il est pour la première fois bien fluide et bien rythmé. S’il n’est pas truffé de trouvailles historiques, il révèle en tout cas (chez Roger Garand entre autres) un doigté qui vous emporte harmonieusement, sans à-coups, jusqu’au mot FIN.
La perfection? Jamais de la vie! Hélas, justement, jamais dans la vie… Mais qu’importe. Cela nous sera donné par surcroît. Maintenant que l’essentiel est acquis et que le cinéma a percé le secret de notre vie.
Car c’est nous cette histoire qui rit et qui pleure. C’est nous qui rions et pleurons d’apercevoir, comme dans une glace féérique et brutale, nos traits et nos tics, notre réalité.
Réalité rude et qui semblera peut-être informe à l’étranger. Mieux vaut prévoir le pire pour éviter les secousses… Étranger mon ami, si ce film passe sur ton écran, dis-toi bien, je t’en prie, dis-toi avant toute chose que là, pour la première fois, nous sommes. Bon nombre d’entre nous, en tout cas. Et c’est tels quels que nous sommes à prendre ou à laisser ».
René Lévesque, L’Autorité 28-2-53 3
La presse canadienne-anglaise dans son ensemble, qui couvre maintenant rarement le cinéma canadien, opine comme celle de langue française… Et cela pendant très longtemps. Par exemple, en juillet 55, dans le Canadian Newsreel, le critique de cinéma le plus connu au Canada Anglais, Gerald Pratley, écrit :
« Any conscientious and sincere film-maker who contemplates the production of a Canadian film following TIT-COQ should be fully aware that for a country in which the filming of movies for cinemas is still a painful undertaking, lacking the support and sympathy of financial, artistic, and certain public circles, it is most necessary to match or improve on TIT-COQ if a good name for Canadian films is to be created.
But Canadian producers are not in a position to make poor pictures because they must devote their energies to establishing an industry with a good reputation, enjoying the confidence of the film trade, the public, and banking sources… They must prove themselves worthy of saying something of interest, in an absorbing story, naturally characterised and simply told, and reflecting the spirit of this country and its people ».
Et Pratley de continuer, en parlant d’un film du réalisateur d’ÉTIENNE BRÛLÉ: « Melburn Turner’s THE LITTLE CANADIAN unfortunately does not ». Il ne faut donc pas se surprendre de ce qu’au Canadian Film Awards de 1953 (fin avril), TIT-COQ soit proclamé à l’unanimité le film de l’année; et c’est Dorothy Lamour qui remet à Gélinas son prix!
Avant d’en terminer avec TIT-COQ, nous aimerions citer un passage de la revue Projections. Tous savent qu’au Québec, nous n’avons pas été gâtés côté revues de cinéma. Pour les années qui nous concernent: une revue d’entreprise (Le Courrier du cinéma), une revue consacrée principalement à la nouvelle locale et internationale (Parlons Cinéma), une revue dédiée majoritairement au cinéma américain (Le Film) et finalement quelques revues qui se veulent vraiment de critique, comme cela existe ailleurs dans le monde (Découpages, Projections). Ces dernières, comme pratiquement d’ailleurs toutes celles du même genre jusqu’à l’apparition de la revue Objectif, considéraient le cinéma qui se fait ici comme moins que rien et daignaient très rarement lui consacrer quelques lignes. Un des rares exemples du contraire se retrouve dans l’article de Fernand Benoit du 17 octobre 53 intitulé « Les grandes misères du cinéma canadien ». On peut y lire notamment sur TIT-COQ ce qui suit :
« Je songe à ce qu’aurait pu devenir le film TIT-COQ si le metteur en scène avait su découper en des séquences plus habiles le scénario de M. Gélinas, et surtout, s’il avait su insuffler un rythme plus affermi, plus adéquat aux images du film. Seul, le metteur en scène peut apporter à un film le style unificateur nécessaire dont toute œuvre artistique requiert l’existence. Il est le chef d’orchestre dont on ne peut suppléer la présence et les producteurs de films canadiens auraient davantage à réviser leurs positions à cet égard.
D’ailleurs nos producteurs ne pourront indéfiniment compter sur l’indulgence du public canadien qui avant tout va au cinéma pour se faire raconter une histoire. Avouons que même les navets américains et français conservent un certain standard professionnel auquel notre public est habitué. Alors si le spectateur canadien se met à bouder les films canadiens!…
Le public aime peut-être les mélos à cause des sensations fortes qui lui sont ménagées mais il préfère les œuvres où il peut vraiment se reconnaître. Le succès de TIT-COQ au théâtre (et au cinéma) en est un indice. Il aime à se retrouver dans les situations, dans le langage et surtout dans les sentiments qu’éprouvent les acteurs à la scène ou à l’écran. La décision des producteurs canadiens de réaliser des mélos à la chaîne ne fait que retarder indûment, et peut-être dangereusement, la naissance d’un véritable cinéma canadien. Celui-ci ne pourra éclore vraisemblablement que lorsqu’un scénariste et un metteur en scène sauront toucher le spectateur par une œuvre authentiquement canadienne… Si dans les contingences actuelles, nous ne pouvons souhaiter la réalisation prochaine d’un chef-d’œuvre, nous sommes en droit d’exiger des œuvres valables dont nous n’aurions pas à rougir ».
Nous avons souligné tout à l’heure que dès le début du projet, on envisagea de faire sous-titrer le film en anglais. Cela fut fait. Le film fut bien accueilli par la critique torontoise, peu habituée à voir des films du Québec, qui parla de réussite.
Ce n’est que beaucoup plus tard, en février 57, que Gélinas pensa à fonder une compagnie, Les Productions Gratien Gélinas; c’est pourquoi à proprement parler, il n’y eut pas de compagnie productrice pour le film TIT- COQ.
TIT-COQ
noir et blanc, 101 min. 2 sec. (9093’)
Réalisation : Gratien Gélinas. Mise en scène : René Delacroix. Directeur de la photo : Akos Farkas. Caméraman : José Ména. Assistant caméraman : Benoit Jobin. Photographe : Fernand Laparé. Son : Marc Audet, André de Tonnancourt. Perchiste : Anthony Mamo. Décors : Michel Ambrogi. Costumes : Maggy Ambrogi. Habilleuse : Louie Baker. Maquillage : Denyse Ethier. Scriptes : Andréanne Lafond, Irène Zerebko. Régie : George Alexander. Accessoiriste : Percy Graveline. Accessoiriste de plateau : Lucien Desmarais. Chef machiniste : Frank Harris. Machinistes : Ludger Graveline, Jean-Paul Lussier, Achille Jodoin. Chef électricien : John W. Sawyer. Électriciens : Léo March, Abel St-Sauveur, Paul Sawyer, Georges Sawyer, Florian Darsigny. Chef menuisier : J. Arthur Benoit. Montage : Anton van de Water, Roger Garand. Directeur de production : Roger Garand. Régie d’extérieurs : J. Odilon Lemire. Secrétaires de production : Thérèse Lanoix, Pauline Moreau. Producteur : Paul L’Anglais. Musique : Maurice Blackburn, Morris C. Davis.
Interprétation : Gratien Gélinas (Tit-Coq), Monique Miller (Marie-Ange), Clément Latour (Jean-Paul), Denise Pelletier (Germaine), Fred Barry (le père Desilets), Amanda Alarie (la mère Desilets), Juliette Béliveau (tante Clara), Paul Dupuis (le padre), George Alexander (le commandant), Jean Duceppe (Vermette), Henri Poitras (oncle Alcide), Corinne Conley (Rosie).
Les techniciens sont affiliés à l’IATSE.« Bâtard! »
Le mot grossier siffla comme une balle.
Le soldat Arthur Saint-Jean bondit et fonça avec rage. Les coups de poing volèrent. Le diminutif troupier, surnommé « Tit-Coq » pour son humeur frondeuse, faisait à sa façon justice d’une expression insultante qui le blessait au plus intime de son être. Un joli tapage dans le cabaret…
Deux solides gaillards empoignèrent « Tit-Coq » et ce fut la fin de l’esclandre.
Une fin qui allait être le début d’un drame. Oui, Arthur Saint-Jean était un bâtard. À son commandant qui l’interroge en présence du padre et du camarade, piteux auteur du mot malencontreux, « Tit-Coq “raconte en phrases épicées de sarcasmes sa triste existence d’enfant trouvé, confié aux religieuses puis jeté à l’aube de l’adolescence dans la tourmente de la vie méchante et sans tendresse pour un gars de son espèce.
Oui, un bâtard! Seulement “Tit-Coq” n’a pas besoin qu’on lui lance son ignominie à la face.
Il en souffre suffisamment, allez!
Le commandant est perplexe. Dans quelques jours ce sera la Noël et l’on comprend qu’il hésite à jeter au cachot deux troupiers qui ont enfreint la discipline, les privant d’un congé à l’époque la plus heureuse de l’année.
La solution, c’est le soldat Jean-Paul Désilets qui la trouvera. « Oublions le mot, dit-il. Mon congé de Noël je le passerai en famille… que “Tit Coq” vienne avec moi et nous passerons l’éponge! »
« Tit-Coq “refuse car les réunions de famille, pour lui, c’est une belle blague! Le padre voit les choses autrement; le prêtre voit loin; il pense qu’il existe un baume à toute blessure et qu’il manque à ‘Tit-Coq” la tendresse d’un foyer pour l’aider à se réconcilier avec la vie et la société.
Le padre a donc tôt fait d’arrondir les angles et le commandant est heureux de son geste de clémence. Se doutent-ils l’un et l’autre de la tragédie qu’ils amorcent!
Voici “ Tit-Coq ‘chez les Désilets. De braves gens sans façon, bons comme le pain qu’ils servent, francs comme leur regard et généreux parce qu’ils sont pauvres. Le soldat Saint-Jean — que son camarade présentera comme orphelin ‘de père et mère’ — est sidéré au point d’en perdre la parole. Des frères, des sœurs, des oncles, des tantes et des cousines… à remplir une table. De la joie, du bruit, des rires et des baisers à bouche que veux-tu. Que c’est beau tout cela. À se demander s’il ne rêve pas. Le hasard, cette forme laïque de la Providence, lui fait don d’une famille pour quelques jours: profitons de cette abondance de tendresse, de chaleur humaine, d’affection spontanée.
Compassé à son arrivée, ‘Tit-Coq’ deviendra rapidement le bout-en-train de la fête. S’il pouvait crier son bonheur il le ferait. Mais devant la jolie Marie-Ange ‘Tit-Coq’ perd ses moyens: lui, le frondeur qui s’y connaît en matière de belles filles, est bouleversé et réduit au silence devant cette jeune enfant aux yeux si beaux, au sourire si simple. C’est trop de lumière: il est ébloui. ‘Tit-Coq’ n’a pas encore compris que l’amour est lumière.
De retour au camp ‘Tit-Coq’ se précipite chez le padre. Son secret est trop lourd, trop grand, il faut qu’il le livre tout entier, l’explique et le détaille.
Aimer, lui! Pas possible!
Être aimé, lui. C’est incroyable!
Pourtant ces coups précipités du cœur ne trompent pas. S’il faut rêver… autant aller jusqu’au bout de toutes les images du bonheur.
Le padre écoute. Le rêve de ‘Tit-Coq’ n’en est pas un. Aimer est un droit de tout être et la société, souvent rude, toujours sévère, oubliera le stigmate de la naissance de ‘Tit-Coq’, qui verra devant lui s’ouvrir le vaste horizon d’une vie normale.
‘Pourvu que Marie-Ange, n’est-ce pas, sache la vérité et t’accepte!’
Par son frère, Marie-Ange n’ignorait plus rien de l’état civil de “Tit-Coq” Saint-Jean. “Mon ‘Tit-Coq’ je t’aime tel que tu es et je t’aimerai toujours!”, lui dira-t-elle dès les premières rencontres, à Montréal, où son travail l’a ramenée. Le rêve est devenu réalité et le chant de l’amour, mélodie exempte de toute pensée malsaine et de tout geste équivoque, s’élève maintenant en deux cœurs. À l’unisson.
Marie-Ange adore son ‘Tit-Coq’; elle adore aussi la danse et aux bras de son promis — car on se mariera un jour, cela c’est juré — elle tourne, tourne, tourne…
… Jusqu’au jour fatal. ‘Tit-Coq’ va partir au-delà des mers. La guerre n’a que faire de l’amour. Pour tout bagage le soldat Saint-Jean, qui vogue vers l’inconnu, emporte deux choses: un album de portraits de famille (celle qui sera sienne un jour) et une promesse de Marie-Ange.
Promesse inacceptable. Promesse au-dessus des forces de Marie-Ange qui a juré de ne plus danser jamais. ‘Je danserai avec toi, ‘Tit-Coq‘ nul autre. Je t’attendrai.’
Comme ils sont longs les mois, comme elles sont réconfortantes les premières lettres; comme ils sont longs les jours, comme elles sont étranges les dernières lettres! Marie-Ange se meurt de retrouver son promis; elle se meurt de danser.
Et puis ils sont trop qui combattent contre elle. Il y a tante Clara qui remue de douloureux souvenirs qu’elle accompagne de réflexions amères mais justes; il y a Germaine, la copine d’atelier, vexante à la fin avec ses suggestions d’oublier “ce soldat qui vient d’on ne sait où’’; il y a papa et maman Désilets qui s’inquiètent sans trop dire mais qui observent!
Et Léopold Vermette. Ah ! celui-là! Mais il est patient, il est tenace et il aime Marie-Ange; il veut en faire sa femme . C’est vrai qu’il danse bien, Léopold Vermette.
Désarroi chez Marie-Ange, qui est devenue Mme Vermette. Colère chez “ Tit-Coq’’ qui, après avoir imaginé la catastrophe, en obtiendra la cruelle évidence le jour même de l’armistice. Colère de paria, colère de bâtard qui s’abreuve de mots, d’alcool. Le poing se dresse vers le ciel, le rictus se creuse sur un visage dépossédé de sa lumière d’amour mais possédé maintenant d’une affreuse nécessité. Se venger!
Dans le parc solitaire, témoin de leurs tendres effusions et de leurs pures caresses, deux êtres se retrouvent. Ennemis? Peut-être. Perdus de désespoir, c’est sûr, car Marie-Ange n’aime pas son mari et “Tit-Coq ’’ cherche une issue.
Sait-il qu’il n’en existe pas! Et puis après?…
“Partons ensemble. Nous avons droit à l’amour, au bonheur, à la vie. “Ils” ne pourront rien contre nous. Notre amour sera le plus fort …’’
Pauvre “Tit-Coq”, au creux de sa petite tête il sait bien qu’il est frondeur à nouveau, qu’il veut forcer le destin , franchir les barrières, enfoncer les lois. On lui avait tellement répété qu’il avait des droits comme tous les autres.
Hélas! Les droits sont en fonction des lois et “T it-Coq” devra écouter les paroles du padre. C’est cet homme-là qui a raison.
Pauvre “Tit-Coq”.
Va mon pauvre ami. Qui sait!
Un jour peut-être, dans une nouvelle lumière, verras-tu poindre le reflet du bonheur.
Qui sait?
Notes:
- On peut lire dans le RadioMonde du 28 février, en plus d’une critique de Boivin, un long échantillonnage de ces commentaires : Paul Colbert, Yves Létourneau et sa femme Paulette DeGuise, Jean Desprez, Louis Morisset, Nicole Germain et son époux Yves Bourassa, Dick Jarvis, etc. sont cités. ↩
- Il est amusant de signaler que dès cette époque, certaines personnes préfèrent attendre que le film passe à la télévision plutôt que d’aller le voir au cinéma. Mais en fin renard, DeSève garantit de ce danger en se réservant l’exclusivité du film pour six ans. ↩
- René Lévesque reviendra la semaine suivante sur TIT-COQ en proposant d’oublier tous les vagissements pas si lointains de la pellicule québécoise pour parler de l’an 1 du cinéma canadien. ↩