Correspondance avec Armand Fontaine (1937)
Lettre (17 mai 1937) 1 de Méliès à Armand.
Il s’agit de son gendre Armand Fontaine (à la scène : Pierre-Armand Fix), le père de Madeleine Malthête-Méliès (Madeleine et Mado, dans la lettre).
Allusion à la rédaction de Mes Mémoires (“… un volume de souvenirs.”) 2
Druhot (Léon) était le directeur du journal corporatif Ciné-Journal, Le Journal du Film.
En ce qui concerne la construction de Notre-Dame du Cinéma, voir ref 1
Orly, 17 mai 1937
Mon cher Armand,
J’ai accompagné hier Madeleine à l’opéra-comique, elle y a eu, et moi aussi, grand plaisir à voir la Tosca, elle est maintenant en âge d’apprécier la bonne musique et les chanteurs qui sont des chanteurs d’une autre valeur que le nommé Tino Rossi. Il y avait ensuite un ballet (la représentation de la 2e Rhapsodie se Litz (pardon Liszt) pour lequel monsieur Rouché, directeur, est venu dans la salle, aux fauteuils d’orchestre, juste devant nous, accompagné de l’artiste (remis en civil) qui venait de jouer Scarpia. J’ai lié conversation et félicité directeur et chanteur qui était excellent. Il se nomme Got. C’est un ami de Poujols, ce dernier ami également de Marthe et qui a joué chez nous autrefois à Montreuil. Poujols était dans les choeurs, il est maintenant artiste pour les rôles de 2e plan; mais avait déjà joué en province comme artiste avant d’entrer dans les choeurs de l’opéra-comique. Par lui, puisque Mado aime cela, on pourra sans doute avoir d’autres places pour d’autres pièces. Il faut bien tâcher de se refaire des alliés dans la place. Grâce à eux, on paie 6frs de taxe, ce qui met la place pas trop chère pour fauteuils ou balcon.
J’ignore si vous avez eu sous la main l’article inclus, je vous l’envoie à tout hasard. Vous y verrez que je suis, cette fois, qualifié du titre de “Père du cinéma”, ce qui est une nouveauté. C’est une nouvelle campagne qui s’amorce et qui se continuera par un volume de souvenirs. En attendant, Druhot vient de m’écrire. Vous savez, peut-être, que Monseigneur Verdier, avec l’élite des cinéastes, va faire construire à Joinville une grande église, N.D. du Cinéma. On m’a mis dans le Comité d’honneur et on a annoncé les membres de ce comité comme ceci : Lumière, inventeur du cinéma, Pathé et Gaumont, grands industriels du cinéma, G. Méliès, créateur du spectacle cinématographique. Mais, mes journalistes ont fait observer que cette classification était illogique, tant au point de vue de la vérité historique qu’à celui de l’ordre normal; parce que les grands industriels, ci-dessus, n’avaient fait que développer, à coup de gros capitaux, une industrie fondée et rendue possible par celui qui, avant eux, a créé le spectacle. Il s’ensuit que Druhot a promis dorénavant (car il est secrétaire et promoteur de la construction de l’église en question) d’observer l’ordre logique et chronologique : Lumière, Méliès, Pathé, Gaumont. Ce dernier venu au cinéma 3 ans après nous, et Pathé 2 mois et demi après moi. Et alors, voici, qu’après bien des années, semble vouloir se réaliser la prophétie de Noverre qui écrivit à Coissac lorsqu’il fit, dans son histoire du cinéma, tant de courbettes aux grosses maisons : Vous faites erreur en exaltant Pathé et Gaumont au détriment de Méliès à qui vous donnez la 4e place. Il n’y en a qu’une, en bonne conscience, pour Méliès après l’inventeur Lumière, et cette place c’est la première.
Attendons les événements, je me place, bien entendu, au seul point de vue “satisfaction d’amour propre”, mais je crois bien que je verrai l’heure de la fameuse “justice immanente” arriver, si toutefois je ne fais pas la bêtise de claquer avant!
Que voulez-vous, alors que la jeune génération qui ignorait, en 1930, jusqu’à mon nom, non seulement me connaît mais me fête à chaque instant à présent, cela m’est pénible encore de voir mes anciens contemporains me tenir en dessous des Pathé, Gaumont, Demaria et autres Aubert, et attribuer à ces deux derniers des rôles de fondateur qui ont été en réalité, tenus par moi. Tout cela parce que ces marchands se sont enrichis aux dépens des divers inventeurs : Demenÿ (Gaumont), Jolly (Pathé) et Emile Cohl (Disney). Toute question d’intérêts pécuniaires à part, car, sous ce rapport-là, je n’ai guère grand chose à espérer, cela me fait plaisir tout de même de voir s’amorcer un revirement et un reclassement plus conforme à la vérité historique et sur ce beau discours,
À bientôt.
Georges Méliès