La Cinémathèque québécoise

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Blues clair Salut, l’anar

Ici Patrick Straram le Bison ravi

 blues clair

salut, l’anar

… la fièvre monte à l’aurore, liberté en ce jardin ange journal…

Tout ce que je parle toujours s’intitule blues clair, et comporte toujours images et / ou musiques.

Ici une musique que me découvre Denis Bellemare, qui me prête une bande, merci, pour tout, Denis Bellemare : Javier Krahe, un chanteur madrilène d’au­jourd’hui, un anarchiste, Javier Krahe…

au tableau derrière l’orateur :

pour un sens critique, jalons, balises
une quintessence, pour moi, du Texte filmique :
Buster Keaton, Murnau, Godard, Straub/Huillet, Duras, Akerman
cinéastes dont le Texte m’est le plus proche ou dont je me sens le plus proche :
Grémillon, Visconti, Mankiewicz (Joseph Léo), Marker, Angelopoulos, Syberberg
une plus haute pointe d’argent du Texte filmique pour moi (le métal, pas le capital, si nécessaire et si nédaee à la production de films) :
Lang, Dreyer, Mizoguchi, Hawks, Buñuel, Welles
autres cinéastes au Texte fondamental dans lequel je m’investis le plus pleinement :
Cukor, Ophuls, Tati, Rivette, Groulx, Allio
suivent vingt-deux autres noms pour moi essentiels, de Cocteau et Bresson puis Antonioni et Ray (Nicholas) à Norman McLaren et Victor Erice, “et”…

Inutile de questionner mon sens critique si il n’y a pas présence (sans cesse lire et lire, voir et entendre et voir et entendre), présence de Friedrich Wilhelm Nietzsche… Et Montaigne… Et Sartre et Duras… Et “Ce que voient les oiseaux” dans “L’ère du soupçon” et “Esthétique” et “Mon petit” et “Eh bien quoi, c’est un dingue…” dans “L’usage de la parole” par Nathalie Sarraute… Et Robert Musil et Malcolm Lowry et Roger Vailland et Roland Barthes… “Ici “et” ailleurs” parle Jean-Luc Godard… Inutile de questionner mon sens critique sans présence de ces présences et

Ces lignes ne sont que quelques-unes d’un ensemble bien plus multiple (des semai­nes de travail).

Peut-être retour sur la guerre en Espagne de 1936 à 39 où je sens prendre racine mon devenir, commencé peut-être avec l’affaire Dreyfus en France fin du 19e siècle et début du 20e… M’entendre mot à mot. Et dans tous les pluriels que chaque mot sous-entend.

Saluer Luis Buñuel (22 février 1900-29 juillet 1983, trente-trois films), en me parlant.

Il ne s’agit pas de dire quel film est bon et quel mauvais. Mais de dire le plus in­tensément possible pourquoi et comment tel film me fait jouir, et tel pas. Tel être / ici, aujourd’hui, je.

(Sur un mur, chez moi, une photo de Buñuel entre celles de Pedro Rubio Dumont à l’Asociacion Española, d’un Goya, de Maria Casarès, d’un portrait de Cervantes…)

À 50 ans le 12 janvier prochain  : cherche emploi.

Dire comme circule en moi que sa philosophie fasse découvrir à Sartre l’anarchie en son être et qu’il entrevoie dès 1939 que l’envie de mettre son doigt dans un trou du cul chez l’enfant est ontologique d’abord, sexuelle, ce qu’elle devient ensuite évidem­ment, après seulement. Dire comme circule en moi que Barthes, en sens inverse mais identique, après essais critiques aspire à plaisir du texte. Voici pour moi l’essentiel. Que je sens la plupart refouler.

Pour moi, une exigence, préalable à goût de vivre et goût pour tout ce qui vit : cu­riosité et attention. Au moyen desquelles je me découvre adhérer de plus en plus à l’œuvre de Buñuel parce que d’abord elle questionne et expose la morale. Sans aucun souci de théorie. Parce que sans aucun souci de théorie. Que l’acte créateur soit libre. Sans morale, pas de critique (… critique menant à théorie…). Sans critique, toutes les censures décident (à commencer par celles qu’on s’inflige soi-même à soi-même, s’anéantissant sous prétexte de se protéger).

Aujourd’hui, ici (bien plus épouvantablement que partout ailleurs, où ça fonc­tionne aussi) : critique : pour véritables motifs et mobiles : parler-pour-ne-rien-dire. Soit tel magazine ou telle télémission  prétendant s’adresser au plus grand nombre pour camoufler un seul but : le plus gros tirage ou la plus grosse cote d’écoute avec pour modèles ce qui se fait ailleurs de plus pornographique, pour une société de plus en plus pornographique (sans critique, sans culture). Soit l’indigence du stéréotype sous prétexte de politique ou de sémiologie à quoi conformer un commentaire au sujet alors subsidiairisé, pour tenter toujours de s’approprier un micro-pouvoir sans criti­quer sinon entre fervents et fabricants un Système que programment et forcent à consommer des Pouvoirs qui nous annulent. De toutes les façons (dans les cas d’ex­trêmes limites peu importent les nuances) : parler-pour-ne-rien-dire. Plus de critique possible. Pour que resurgisse un devenir possible (sans devenir pas d’être), comment imaginer besoin et désir d’un discours le plus créatif bien plus que théorie sans objet sans discours?

Tout totalitarisme commence par moi. M’assujettir l’Autre. Puis l’Autre de l’Autre. Puis toujours tous les autres de tous les autres. C’est à mon assujettissement qu’aboutit mon totalitarisme. Seul renversement radical possible : sentir pleinement et œuvrer pour que si il n’y a pas ego trip il y a power trip.

Montrer le monde tel qu’il est avec le plus de scrupuleuse vigilance, pour y ins­crire en son entièreté la démesure d’un je voulant s’y consumer devenir (tout totali­tarisme incompatible avec une démesure des je en devenir)…

Le cinéma, théorie et discours. J’ai désir de parler Luis Buñuel. Homme de, des discours. Sans discours pas de théorie.

Je parle Buñuel en me parlant. Comme il se parle en filmant. Nos démarches sont-elles en apparence opposées l’une à l’autre. Pour moi c’est Buñuel que parlent ses films, je ne peux le parler qu’en me parlant. Buñuel et moi et les autres. Mise en abyme?…

Buñuel vit et l’expose en l’explorant un besoin/désir ontologique de liberté. Le sentir de la mort. Un dégoût le plus lucide pour toute idée d’un dieu (ou idéal) et pour tout clergé (ou parti) s’en réclamant. Le vouloir une critique la plus sainement sub­versive de tout totalitarisme, de tout dogmatisme, de tout sectarisme (et surtout si il est de surcroît élitiste). Fêtes souveraines avec toutes et tous. Solitude…

Prégnance de Buñuel : l’anarchie

Buñuel : un nouveau réalisme, se désirant radicalement et pleinement différence. Henri Lefebvre : “Que chacun découvre pour la prendre en charge, en usant de ses moyens (la langue, les œuvres, le style) sa différence.” Marguerite Duras : “Vous ne regardez plus. Vous ne regardez plus rien. Vous fermez les yeux pour vous retrouver dans votre différence, dans votre mort. (…) Vous regardez la maladie de votre vie, la maladie de la mort.” Au moyen de fictions d’un style à lui seul Buñuel filme sa maladie de la mort, et ce sont pour moi documents à propos de vivre de sentir sa mort, ce qui m’incite à vivre plus que toute théorie impossible sans sentir la motivant…

Claude Lévesque. “Le puits d’éternité”, dans “L’étrangeté du texte”, éditions vlb et Union générale d’éditions, collection “10/18” 1256. “Rien ni personne ne peut s’approprier et maîtriser le Dehors, le replier et le circonscrire dans le concept : il est ce qui toujours s’exclut de tout discours, ce qui toujours diffère de se présenter dans la pure parole, étant cela même qui ouvre l’espace nécessaire à tout discours et à toute expérience.” Claude Lévesque.

Citations informations, et nommer.

Par exemple (à la Bertolt Brecht). Dans Buñuel, que hante le mythe de l’androgyne, s’amorcent pour moi, Claire Lejeune, Juliet Berto, Paule Baillargeon.

Jamais un symbole, jamais un slogan dans un film de Buñuel, qui travaille comme un entomologiste et un chirurgien à saisir et s’exposer l’âme. Poésie la plus in­carnée à ne rien dévoiler que ce qui existe, fantasmes compris, dans la démesure de sa dissolution son devenir. Rien que ce qui est, et les abîmes du moi s’y forgeant en s’y di­sloquant. Rire du labyrinthe où se faire être, à seulement montrer (par la façon de le montrer) le moi dans-le-monde de son exclusion.

De L’ÂGE D’OR et TERRE SANS PAIN à LE CHARME DISCRET DE LA BOURGEOISIE et CET OBSCUR OBJET DU DÉSIR, un même cri et son éclat de rire de résistance à quelque loi que ce soit, tous les multiples d’une critique en se créant Buñuel, irréductible à toute théorie puisque c’est de l’appropriation du moi dans tous les débordements déchirants dépassements qu’il s’agit. L’être et son néant. L’art exis­tentialisme. Création dionysiaque dans les épousailles prométhéennes avec son enfer, curieux de et attentif à l’Autre et l’impossibilité d’une entente.

Proposition théorique : conteurs du réel (entier) de la modernité : Franz Kafka et Luis Buñuel…

Flux, nomadismes. Comme dirait Gilles Deleuze.

Dans l’exil, dans l’errance, l’idée fixe : utiliser les conventions qu’elles s’éclatent elles-mêmes. L’“ordre”, le “ce-qui-va-de-soi”, les mythologies, les cultes. Au point des béances sécrétées, des paniques infusées. Par la copie conforme, la faire pulvé­riser ses gènes dominants, le monstre. Et alors parvenir à un authentique du sujet, dans ce qui est. Ainsi, devenir…

Comme Kafka Buñuel ne montre que ce qui est (phobies et fables avec). Pour dire l’indicible de l’être.

Ici citer Hans Jürgen Syberberg. Ici saluons enfin ensemble Robert Daudelin le Héphaïstos blue monk et Claude Chamberlan le Jupiter jubilant, puisque c’est à la Ci­némathèque québécoise que je découvre les premiers films de Syberberg, dont je vais voir pour la première fois le PARSIFAL pendant le douzième Festival international du nouveau cinéma de Montréal. En quelques jours et nuits je lis “Parsifal / Notes sur un film” de Hans Jürgen Syberberg, collection “Cahiers du cinéma”, éditions Galli­mard (où il y a aussi “La rampe” de Serge Daney, que je lis une première fois en une journée le 24 juillet, dont je tiens moi la lecture pour absolument indispensable à la lecture maintenant de quelque film que ce soit, comme je tiens moi la lecture de son livre par Syberberg pour indispensable à la lecture de son film, collection “Cahiers du cinéma”, éditions Gallimard), et j’y lis, dans “Parsifal” : “… la vie naît de la tension, dût-elle aller jusqu’à la rupture.” / “Celui qui ne va pas jusqu’aux limites ici aussi, est perdu.” / “… dut vivre dans l’éclat de rire que sa vision inaccomplie et, à la vérité, inaccomplissable, faisait déverser sur lui.” /  “… où est le sens? demandent-ils. D’au­tant plus que dans la rage de leur pensée sans identité, ils ne sont guère entraînés à le trouver.” Hans Jürgen Syberberg. Mais qu’est-ce que nous faisons, Syberberg, Buñuel, moi, avant tout Nietzsche, sinon chercher et parler des sens à ce que nous existons, endurons, toujours menacés par tous les pièges, nous d’abord, et toute théorie, et ainsi de suite, blues clair…

On peut voir dans le cinéma de Syberberg comme un rejet du cinéma de Buñuel. Mais les notes écrites par le cinéaste allemand me semblent dire assez à qui n’aurait rien vu à Hiroshima que Syberberg continue, si autrement, comme l’avait fait l’Espa­gnol, Buñuel, en ce qu’il a de plus vital : la création pour et par sa critique, aucune théorie ici envisageable…

Bien malin qui pourrait dire quoi précède l’autre de la-critique-pour-ne-rien-dire ou de la création d’arts sans plus aucune substance. Ce qu’il faut dire, puisque c’est vivre qui est enjeu. C’est ce que Buñuel ne cesse de parler. Aucune théorie ne pouvant le prendre en compte, en rendre compte (comment théoriser la consumation de soi dans le discours s’énonçant création d’un art autonome qui parle l’être aux prises avec son faire cet être en son non-être?)…

La grande question en suspens au terme de ce survol bien trop sommaire d’une œuvre inépuisable pour l’esprit (question qui vaut bien sûr pour mon propre “éblouissement” / ce seul dernier mot ne prête-t-il pas lui-même à s’interroger?) : Buñuel à se vouloir le plus scandaleux des mystificateurs ne s’est-il pas mystifié lui-même?…

J’abandonnerais volontiers le problème aux théoriciens (qui m’intéressent / ne m’intéressent aucunement les marchands et leurs plus serviles serviteurs, les-critiques-pour-n’en-rien-dire). N’était ce problème que ce problème ne laisse aucune prise à quelque théorie que ce soit…

Et ainsi de suite…

Et tant mieux si il en est qui pensent à Gilles Groulx le Lynx inquiet, au scandale pour le Québec d’aujourd’hui qu’est le fait Gilles Groulx. Attendons de voir AU PAYS DE ZOM de Gilles Groulx…

Gilles Groulx. ENTRE TU ET VOUS.

Julio Cortazar, dans “Marelle” : “… pas oublier que tu es toi et que je suis moi…”

Angoisses, la mienne, la sienne, les nôtres, fondant mon estime pour Buñuel.

Buñuel, je peux bien le parler étant celui-ci que je suis. Tu l’entends étant celle-ci ou celui-ci que tu es…

Précisément, Buñuel…

Et ainsi de suite…

Sans fin… La mort… En vivre… Sans fin…

Julio Cortazar. “Marelle”. Éditions Gallimard. Et… Hermann Broch / “La mort de Virgile”. Malcolm Lowry / “Au-dessus du volcan” (Buñuel y travailla, renonça).

On pourrait tout recommencer… Avec qui, étant moi moi et toi toi?….

Guignol? (au moyen de simulacres spécifiques à toutes les sortes du show busi­ness dans tous les champs culturels?)…

Ou tragédie?

Mais je m’imagine sur quelles cimes pour que me parcoure ce sentir que personne ne saisira ironie et autovivisection?

Et, le parlant, de quels abîmes je me sers pour ne rien risquer en ne risquant que moi?…

Que ça fait mal…

Et cette misère qui me rive à l’impuissance et son hystérie…

En rire? En rire…

Allez, ricanez…

Et ainsi de suite… (Nathalie Sarraute détesterait la phrase précédente…)

Comme Buñuel filme, après Keaton et Murnau… Comme filment Straub/Huillet et Akerman et Syberberg…

Quant à Godemuche, attendons PRÉNOM : CARMEN. Si c’était ce que depuis tant d’années je pense, et

D’abord : densités… (préalables aux sens qu’alors elles s’exigent et génèrent…)…

Je parle en un lieu auquel convergent toutes les théories, où nulle théorie n’a plus lieu… (Éternel retour… Ainsi parle Zarathoustraram, ravi…)

Voir pour un sens critique, jalons, balises (des années de notes, de fiches, de mises en rapports, d’établissements de listes, de travail / pour y voir clair dans me sentir libre en toutes mes contingences angoisses et rires)…

Cinéma, théorie et discours. J’ai parlé Luis Buñuel en me parlant moi. Salut, l’anar! Salud! Hasta la vista! Blues clair (Salut, Gitan Django Reinhardt!)… Salut, Javier Krahe, qui salue Buñuel, dans son disque “Aparejo de Fortuna”, CBS S 25385!…

16 octobre 1983, 16 heures

(16 octobre 1970, Loi des

Mesures de Guerre au Québec, je me souviens, à cinq heures du matin arrêté puis dix-huit jours en prison…)


Cet article a été écrit par Patrick Straram. Animateur du Centre d’art de l’Élysée de 1959 à 1962, homme de radio et d’écriture, il participe comme critique de cinéma à de nombreuses revues et a publié plusieurs ouvra­ges