La Cinémathèque québécoise

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12. L’impact de la revue Parti Pris

Nous avons évoqué précédemment les limites de Liberté, particulièrement son manque de cohésion idéologique et de propositions politiques. C’est grosso modo ce qui explique la création, en partie d’anciens collaborateurs de Cité libre et de Liberté, de la revue Parti Pris. Cette revue anticolonialiste, marxiste (en fait plutôt marxisante), socialiste et indépendantiste a été, de 1963 à 1968, le principal porte-parole de la gauche québécoise radicale et a paru au moment où Cité libre tombait.

Se démarquant de Cité libre, Parti Pris avance que la désaliénation des Québécois repose davantage sur une désaliénation collective que sur celle des individus individualisés comme l’indiquait l’humanisme personnaliste de Cité libre. Elle essaie de conjuguer nationalisme et socialisme, sans y parvenir de façon significative, estime A.J. Bélanger 1, dans la mesure où les deux optiques se nient l’une l’autre.

De prime abord on s’attendrait à ce que des cinéastes œuvrant au sein d’un appareil fédéral ne puissent y collaborer ou s’y identifier. Or tel n’est pas le cas. Groulx et Arcand y sont reliés; ce sont d’ailleurs leurs films qui, dès le début des années soixante 2, lais­sent transparaître une lecture partipriste de la réalité: allusions à l’exploitation capitaliste au Québec, dimensions anticléricales, sentiment d’indignation et de colère face à la société ou à l’histoire.

Naturellement il serait abusif d’affirmer strictement que l’idéologie de Parti Pris orienta la teneur de nombreux films onéfiens. Toutefois il y a des concordances — des sensibili­tés communes — qu’on ne peut passer sous silence. Prenons par exemple un thème cher à la revue : la décolonisation et le colonialisme 3; il lui permet d’indiquer en creux non seulement des choix politiques mais aussi des avenues où peuvent se conjuguer nouvelle­ment nationalisme et dimension sociale, dépossession et aliénation québécoise.

Plusieurs films font écho à ce sentiment. Une partie d’entre eux témoigne de cette dou­ble réalité. Une autre, à l’inverse, veut affirmer l’identité québécoise par la valorisation de l’identité populaire qu’on estime plus vraie, plus fondamentale. Les films de Groulx, CHAMPLAIN de Denys Arcand et dans une certaine mesure QUÉBEC-USA de Michel Brault et Claude Jutra appartiennent plutôt à la première catégorie tandis que plusieurs œuvres du direct se rattachent à la seconde. Citons, parmi celles étudiées lors de l’analyse, LES RAQUETTEURS ou À SAINT-HENRI LE CINQ SEPTEMBRE.

On pourrait dire que ces films reprennent à leur manière l’objectif que fixait Paul Chamberland au travail de critique de l’aliénation poursuivi par Parti Pris en passant au crible les mythes et les idéologies de la vie quotidienne : «La révolution nationale vise en fin de compte à désaliéner la quotidienneté des membres de la nation» 4; il ne s’agirait que de remplacer «la révolution nationale» par «le cinéma québécois».

On pourrait voir d’autres manifestations de l’influence de la revue dans l’accueil distant que reçoivent à l’ONF les textes réflexifs de Le Moyne 5 (à un moment où ce genre d’huma­nisme abstrait est battu en brèche), dans la montée du nationalisme combatif et dans le rejet par plusieurs du biculturalisme qu’on retrouvera à l’ONF peu de temps après la fin de notre période. L’audience dont jouit Parti Pris paraît également lors du numéro spé­cial d’avril 1964 que la revue consacre à l’ONF et dont nous avons relaté le contenu au chapitre précédent.

La teneur même des propos indique les différences d’attitudes : les cinéastes de Liberté (Godbout, Carle, Perron) parlent justement davantage du point de vue du créateur franco­phone et des obstacles qu’il rencontre; les partipristes Arcand et Groulx craignent moins la dimension politique et les revendications qui en sont conséquentes, surtout Groulx lorsqu’il parle des rapports entre l’ONF, organisme d’État fédéral, et le cinéma et ses cinéastes.

Par contre l’éditorial que signe Pierre Maheu, même s’il précise qu’il n’engage pas nécessairement les cinéastes auteurs des textes, n’hésite pas à parler de l’ordre colonial qui règne à l’ONF, du sens du travail poursuivi par les cinéastes onéfiens (repersonnaliser le Qué­bec, le rendre à lui-même) et de l’objectif à poursuivre (s’engager dans la lutte de libéra­tion en éliminant les structures coloniales et en rapatriant le cinéma québécois) 6.

Ce numéro spécial dit clairement ce qui existe de façon plus diffuse, moins systémati­que, dans la pratique et le discours des cinéastes. Parti Pris radicalise les préoccupations de la majorité de l’équipe française: celle de dire le Québec contemporain, sa culture, son dynamisme, celle de dire le cinéma québécois et de l’établir.

Notes:

  1. Op. cit., p. 189.
  2. Et plus encore à la fin de la décennie et au début de l’autre alors qu’ils seront victimes de la censure onéfienne.
  3. La réflexion sur le colonialisme à Parti Pris, fut influencée par Frantz Fanon et les autres pen­seurs de la décolonisation; elle fut marquée par un processus de rapprochements qui faisait parfois abstraction des différences de conditions entre le Québec et les pays du Tiers-Monde.
  4. Paul Chamberland, «Aliénation culturelle et révolution nationale». Parti Pris 1 : 2, novembre 1963, p. 21
  5. Parti Pris dénonce autant Le Moyne nommément que Cité libre.
  6. L’ironie de l’histoire fera que Maheu se retrouvera à l’emploi de l’ONF cinq ans plus tard…