Un moulin de projets
De ces dix années de la coop, et des quatre premières où j’y ai passé tout mon temps, il me reste une impression trop riche pour être facilement définissable, et les images subjectives sont certes les plus persistantes.
D’abord, les centaines de personnes qui y sont passées, comme j’y suis passé. Si la coopérative a connu un membership variant entre 12 et 65 membres (il y en a actuellement 16), une loi qu’on dirait naturelle a voulu que le groupe opérant ait toujours été d’environ douze à quinze personnes, dont les têtes et les projets ont changé au fil des saisons.
Sauf peut-être cette veille de Noël 71, dans le premier local d’une seule pièce de la coop : le loyer en était en souffrance, la production de LA VIE RÊVÉE étouffait presque dans son budget “première œuvre” de $105,000., personne n’était passé par là depuis quelques jours à cause du temps des Fêtes; nous nous sentions vraiment seuls, Marc Daigle, Mireille Dansereau et moi, songeant en termes pessimistes à l’avenir. La coop a survécu à cette première fin d’années, et à neuf autres.
J’ai évoqué LA VIE RÊVÉE, j’aurais pu ajouter TU BRÛLES… TU BRÛLES, LE LOUP BLANC, L’INFONIE INACHEVÉE, UNE NUIT EN AMÉRIQUE et toutes les productions qu’a suscitées l’Acpav. Elles demeurent et peuvent être vues.
Si on peut raconter l’aventure de l’Acpav par ces films qui en sont la manifestation la plus importante, on peut la raconter aussi par le biais de centaines de réunions hebdomadaires (ou plus fréquentes encore!). Une poignée de cinéastes administrait une compagnie de production cinématographique, et de la façon la plus difficile pour nous “Québécois” et “cinéastes”, en coopérant. Les mécanismes, pour ceux qui les ignoreraient, ressemblent beaucoup plus à ceux du syndicat de la compagnie qu’à ceux de son Conseil de Direction.
On a étiré et trituré toutes les notions de démocratie et de délégation, surtout au début où l’assemblée des membres avait tendance à administrer chaque production. Les comités, d’étude ou de régie interne, se sont succédés, certains inutiles, d’autres vitaux (c’est facile de juger, en rétrospective!). Il fallait rendre des comptes à cette mini-société de cinquante personnes où se créaient facilement des factions. C’était peu après 1968. “L’administration” avait mauvaise bouche. Les crises internes furent nombreuses.
Il est probable que ces expériences rejoignent celles de quiconque a vécu une expérience collective dans sa vie.
On pourrait s’étonner de ces dix ans de la coop quand on en a vécu l’implantation dans le milieu. Il aura fallu, à cette poignée de cinéastes indépendants que nous étions, convaincre les compagnies locatrices de services, les institutions gouvernementales ou bancaires, nos compétiteurs, de la viabilité de cette compagnie hybride, innovatrice par sa structure, marginale par son produit. Il a fallu modifier dix fois par année la planification pour tenir compte des revenus imprévisibles de la commandite, des projets de longs métrages qui “marchaient” ou qui “ne marchaient pas”.
Mais, à ce qu’il semble, la loi du nombre, la base du coopératisme, a prévalu. Si on constate que le produit est numériquement important, c’est que les 15, 20 ou les 40 membres ont fait fonctionner un moulin de projets et de réalisations presque continu depuis 1971, même aux pires moments de crise dans le milieu du cinéma québécois. On serait sans doute renversé si on faisait l’inventaire de ce qui “n’a pas marché”. Heureusement la problématique en a plus souvent été une de coordination, et non d’attribution.
Une image pour terminer: tous ces artisans qui ont réussi à faire des films qui n’auraient pas existé autrement, où tout (salaire d’abord!) était différé, et ce, en marge et à cause du fonctionnement “légitime” de l’Acpav, elle-même considérée par beaucoup comme marginale.
Je les salue et je salue tous mes collèges passés et présents de la coop.