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Re : ACPAV / 10 ans

TU BRÛLES... TU BRÛLES de Jean-Guy Noël. Coll. Cinémathèque québécoise
TU BRÛLES… TU BRÛLES de Jean-Guy Noël.
© ACPAV

Je me souviens de ma première visite à l’Acpav, au 96 Sherbrooke Ouest, au 3e étage dans la grande pièce qui semblait bien petite pour l’assemblée de 96 personnes gonflées à bloc d’espoir, d’ambition, de pouvoir fictif sur la réalité (ou sur les autres) que donne le cinéma à ceux qui ont l’impression d’arriver au monde au milieu du monde. Bref, il y avait là beaucoup de monde: François Beauchemin, Pierre Véronneau, Marc Daigle, René Gueissaz, Guy Bergeron, Jean Chabot, Pierre Harel, Roger Frappier, Alain Chartrand, André Forcier, Mireille Dansereau, Diane Cailhier, Claude Beaugrand, Michel Caron, Danielle Kelleny, Jean Béliveau et Gordie Howe… Mets une “gang” comme celle-là dans ton “char” puis t’auras plus besoin de gaz pour avancer, mais il n’y aura plus de place pour toi aussi. Tout le monde assis le long des murs, qui sur une chaise, qui sur le “poster” de POUR LA SUITE DU MONDE, donc bien assis autour d’un grand trou vide à remplir, comme un crachoir pour jeunes consomptions. Question de s’assurer que chacun savait bien de quel crachoir il s’agissait, un “smatt” (c’était pas Jean-Claude Labrecque) propose qu’on fasse un tour de table, chacun disant ce qu’il faisait là et surtout ce qu’il attendait de l’Acpav. Belle occasion aussi de dire plus ou moins ostensiblement son nom. C’était bien puisque personne n’avait de NOM mais tous un nom. Chacun y alla donc de sa petite phrase historique. C’était beau et bon d’entendre toute cette jeunesse verte et mauve. “Moi j’connais personne ici mais j’annonce que mon intention est de faire du cinéma, de me prendre pour un réalisateur, et de prendre l’Acpav pour une maison de production, c’est pourquoi je suis ici.”

L’Acpav devait être pendant les 5 premières années de son existence la soupape de sûreté d’une industrie en pleine effervescence. Je crois qu’elle joua bien son rôle, injectant à cette industrie, à petites doses contrôlées, le sang nouveau nécessaire à sa régénération, tout en donnant bonne conscience aux “installés-confortablement” qui évitaient ainsi que les jeunes loups leur sautent à la figure en cette ère du “flower power” qui faisait de tout ce qui avait plus de 35 ans un vieux con irrécupérable dans lequel ne pousseraient même pas les patates du New Brunswick.

Autre souvenir. Une discussion tenue à la même époque où longuement je défendais que le cinéma était d’abord et avant tout un art. De son côté Guy Bergeron maintenait, avec arguments convaincants à l’appui, les producteurs ont toujours des arguments convaincants (convaincant étant employé dans le sens de con vaincre et non pas de vaincre le con, bien sûr) que le cinéma n’était rien d’autre qu’une industrie. Pendant des heures je dus faire face aux sourires et soupirs malicieux de Guy qui semblait dire “ça ne se peut pas être bouché et naïf comme ça”, lorsqu’un jeune blanc bec à grosses lunettes vint se mettre le nez entre nos pieds et lancer désinvoltement, les bras en l’air “voyons donc les gars vous êtes à côté du sujet, c’est bien évident que le cinéma c’est rien d’autre qu’une technique”. Quelques 7 ou 8 ans plus tard j’avoue que peut-être avaient-ils l’un et l’autre raison, mais je maintiens toutefois que le cinéma doit se réaffirmer comme un art. En cette ère de prospectus de financement et de course au film techniquement parfait, il est plus que de mise de l’affirmer bien haut. Même si c’est dans le désert.

C’était le côté “école” de l’Acpav. On y apprenait le métier tout en confrontant nos vues théoriques. Avoir le plaisir et le loisir d’en parler tout en l’exerçant. Nulle part ailleurs n’ai-je pu avant et depuis me trouver dans un contexte permettant ce genre d’exercice. Jamais aussi n’ai-je trouvé ailleurs un tel amour du cinéma vécu dans son quotidien. L’Acpav disait-on à cette époque dans les couloirs du “vrai cinéma professionnel” ce sont des amateurs. Oui, c’est bien ce qu’on était, des amateurs éperdus de cinéma. Personne ne niera aujourd’hui que, sans avoir eu le monopole du “jeune cinéma” en ces années 70, l’Ac­pav aura été très déterminante dans la formation d’une relève qui s’affirme maintenant.

Bien sûr que l’Acpav aura aussi été pour moi une expérience humaine en plus d’un cheminement de production. Comment ne pas parler de Marc Daigle lorsqu’on pense à la Coop. Il en aura été l’âme, souvent le guide, espèce de Talleyrand, pendant ces dix années. Avec discrétion, doigté et détermination à la fois (originaire de la campagne, il a la ténacité et la patience du paysan), il aura su la maintenir en vitesse à travers les pires remous. Comment aussi ne pas penser à René Gueissaz dont la générosité et le sens critique aura nourri plus d’un créateur, à Bernard Lalonde, bulldozer déterminé qui aura réussi à produire des films “pas produisables”, à Bernadette Payeur qui saura passer à travers tout ça sans trop perdre le sourire et son humeur “pas trop pire”.

Pour moi cette période, allant de 1971 à 1977, où mon deuxième domicile était rue Sherbrooke restera un âge d’art. Je souhaite que l’Acpav tienne encore le coup pendant 25 ans, le temps de se faire la crédibilité nécessaire pour entrer dans le Larousse, avec illustration en couleurs d’un jeune cinéaste de 60 ans. C’est peut-être ce qu’il faudra à certains pour comprendre l’importance qu’aura eue l’Acpav dans l’évolution du cinéma au Québec depuis 10 ans.