La Cinémathèque québécoise

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Anciens périodiques

L’inaliénable continuité

Il est difficile et douloureux de parler au passé de quelqu’un qui a occupé une grande place dans sa vie. Pendant six mois, Claude nous a donné le temps de mesurer l’importance du regret que nous avons de n’avoir pu partager son angoisse durant ces dernières années.

J’ai vécu la moitié, les trois quarts de ma vie de cinéaste avec lui. Nous avons partagé des enthousiasmes, des expériences, des illusions, et des réussites. Mais la présence de Claude dans ma vie fut particulièrement précieuse au début. Bien que plus jeune que moi de deux ans — et à 20 ans la différence est plus grande —, j’ai tout appris de lui ou par lui.

Les premières notions d’optique c’est Claude qui me les a enseignées, mes premières images de cinéma je les ai tournées avec la Bolex que le père de Claude, le docteur Jutras, lui avait achetée.

Je profite de l’occasion pour dire ici combien fut précieux le milieu familial de la rue Sainte-Famille. Le docteur Albert Jutras, grand radiologiste à l’Hôtel-Dieu, fut notre premier producteur, la mère de Claude, Rachel Gauvreau Jutras, fut notre première productrice déléguée. Ils nous ont parrainés, ils nous ont encouragés. Peut-être que sans eux, aussi paradoxal, mais pourtant bien évident que cela paraisse, Claude serait devenu médecin, et moi architecte, comme ma mère l’avait souhaité. Nous leur devons aussi d’avoir été nos premiers critiques impitoyables.

Claude Jutra était le cinéma. Il était à la fois 24 images-seconde et poésie (PIERROT DES BOIS), il était montage, quintessence du cinéma (LES ENFANTS DU SILENCE), il était sensibilité et poésie, il était plan, cadrage et création, il était un dictionnaire de cinéma (IMAGES EN BOITE), il était à la fois homme de science et homme de lettres, il dessinait et peignait comme un artiste, il écrivait comme un poète.

À cause de sa présence parmi nous, nous étions promus à l’excellence. Claude était un défi, un maître, un copain.

Une part de Claude se retrouve dans ceux qui l’ont côtoyé.

Ce qu’il nous a donné demeure inaliénable et le continue.

Michel Brault


Ce texte est la communication faite par Michel Brault à l’église Saint-Louis-de-France le 15 juin 1987 lors d’une cérémonie religieuse à la mémoire de Claude Jutra.