« Anne Claire a une façon très ouverte et affectueuse de diriger une équipe » (Entretien avec Michel Brault)
Michel Brault : Anne Claire réalise un cinéma d’auteur et c’est d’ailleurs une caractéristique de la plupart des cinéastes québécois. En tant que groupe culturel, nous essayons toujours de nous démarquer de ce que les autres font un peu partout dans le monde. Et Anne Claire tente doublement de se différencier en tant que femme et que Québécoise.
Copie Zéro : Quelles sont les caractéristiques du travail d’Anne Claire Poirier par rapport à ses relations avec l’équipe technique, ou encore, avec les acteurs?
Copie Zéro : Comment situerais-tu l’oeuvre d ‘Anne Claire Poirier dans l’ensemble de la production québécoise?
Michel Brault : Elle sait très bien ce qu’elle veut; ce qui ne l’empêche pas d’être très souple et d’accepter des suggestions. Il est souvent difficile de travailler avec moi, car ayant déjà fait de la mise en scène, je peux quelquefois influencer les décisions des réalisateurs surtout dans les situations où il faut être efficace et rapide. Par ailleurs Anne Claire a une façon très ouverte et affectueuse de diriger une équipe technique. J’adore travailler avec elle.
En ce qui concerne les rapports avec les acteurs, je me considère comme le premier spectateur. Je suis le premier à voir l’image comme un écran et, de ce fait, je peux mieux observer le jeu des comédiens. Habituellement le réalisateur accepte que je lui fasse part, d’une façon discrète, de mes remarques à ce sujet. En général, Anne Claire, comme la plupart des réalisateurs avec lesquels j’ai travaillé, semble apprécier cette coopération de ma part.
Copie Zéro : A-t-elle une conception particulière du rôle d’un directeur de la photo?
Michel Brault : Non, les réalisateurs d’ici ont une conception nord-américaine, donc à peu près identique, du rôle d’un directeur photo; seuls les Français en ont une idée différente.
Copie Zéro : Même pour une cinéaste femme?
Michel Brault : Cela ne change rien. Comme pour tous les metteurs en scène, elle recherche une image la plus efficace possible et qui soit belle et chaleureuse.
Copie Zéro : Votre collaboration a commencé avec LE TEMPS DE L’AVANT; est-ce que votre façon de travailler, votre conception visuelle s’est diversifée ou a évolué dans les films ultérieurs?
Michel Brault : Non, pas tellement. On n’établit pas le style d’un film à l’avance, on le découvre au fur et à mesure qu’on le fait. C’est le film même qui impose son style, rarement l’on se base sur une conception prédéterminée ou sur les films précédents.
Copie Zéro : Dans ce premier film que vous faites ensemble, tu semblés éclairer d’une façon autonome, ton approche est expressionniste alors que le film est plutôt intimiste. À quoi est due cette différence?
Michel Brault : Peut-être que l’on ne se connaissait pas assez bien! Je me rappelle quand même avoir voulu donner à ce film un style qui dépasse la vie de tous les jours, car je le percevais comme étant un propos sur le quotidien. Je voulais par cette approche différente, lui donner une facture perceptible à un autre niveau, au-delà de la vie de tous les jours. Tant mieux si c’est réussi.
Copie Zéro : Peut-on dire que pour Anne Claire Poirier, la création des images c’est une affaire à voir, à chercher ensemble, entre toi et elle?
Michel Brault : Oui, elle sait ce qu’elle veut obtenir comme résultat et elle me laisse libre d’inventer une image qui corresponde à son désir. Comme les situations dans ses films ne sont jamais spectaculaires, mais plutôt intérieures, et comme elles impliquent souvent plusieurs personnages, il faut se consulter pour arriver à tout filmer sans que cela ne coûte trop cher. On ne peut pas se permettre de tourner pendant deux ans le même film et de reprendre constamment les scènes.
Copie Zéro : Par exemple, pour la scène du viol dans MOURIR À TUE-TETE, cette idée de filmer à partir du point de vue de la victime, c’est une de tes suggestions?
Michel Brault : Non, c’est une idée d’Anne Claire; comme celle d’ailleurs de tourner dans un camion. J’ai complété ce choix par un éclairage approprié, par une lumière venant de l’extérieur et pénétrant par le hublot à l’arrière du camion.
Copie Zéro : Est-ce que tu choisis le format de la pellicule à utiliser?
Michel Brault: Non. Malgré que le format 16mm nous soit habituellement imposé par le budget, souvent restreint, j’aime beaucoup l’utiliser même s’il est plus exigeant techniquement. Vouloir tourner absolument en 35mm peut quelquefois retarder ou compromettre le tournage d’un film. Il vaut mieux tourner en 16 et le gonfler en 35 par la suite, selon que les besoins de la promotion et de la diffusion l’exigent comme ce fut le cas pour MOURIR À TUE-TÊTE et pour LA QUARANTAINE.
La différence entre le 16 et le 35 est une préoccupation de spécialistes qui n’a pas beaucoup à voir avec la création cinématographique. Il y a des films tournés en 16mm qui sont aussi impeccables que des 35, seules des personnes averties peuvent en voir la différence.
Copie Zéro : Est-ce que tu as eu ton mot à dire sur le choix et l’utilisation des extraits d’archives dans MOURIR À TUE-TÊTE?
Michel Brault : Non, pas du tout.
Copie Zéro : Es-tu impliqué déjà à l’étape du scénario?
Michel Brault : Oui, mais cela varie d’un film à l’autre. Pour LA QUARANTAINE je lui ai suggéré, entre autres, de réduire le nombre de personnages, car je pressentais d’importants problèmes de mise en scène. Et pour tous les films, nous avons fait les repérages ensemble.
Copie Zéro : Est-ce qu’elle prépare un découpage technique précis?
Michel Brault : Aucun réalisateur n’arrive sur le plateau avec un découpage technique; ils ont plutôt des notes ou des indications pour certains plans et scènes. Il est d’ailleurs préférable de mettre la scène en place avec les comédiens et, ensuite, d’y travailler le découpage technique. C’est un processus plus normal qui permet de prendre en considération l’orientation de la lumière naturelle (rarement prévue dans un découpage préalable) et le jeu des comédiens.
Copie Zéro : Est-ce qu’elle t’a parlé de son prochain film? Souhaites-tu tourner de nouveau avec elle?
Michel Brault : Oui, Anne Claire me parle toujours de son prochain film et je désire travailler encore avec elle.
(Résumé d’un entretien réalisé par Pierre Jutras et revu par Michel Brault.)
Directeur de la photographie, caméraman et réalisateur, Michel Brault a, entre autres, réalisé LES ORDRES, ENTRE LA MER ET L’EAU DOUCE et collaboré aux longs métrages de Claude Jutra À TOUT PRENDRE, MON ONCLE ANTOINE, KAMOURASKA. Avec Anne Claire Poirier, il est responsable des images de ses trois derniers films : LE TEMPS DE L’AVANT, MOURIR À TUE-TÊTE, LA QUARANTAINE.