La Cinémathèque québécoise

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Anciens périodiques

I – Du besoin de coordonner les activités cinématographiques du gouvernement canadien dans les domaines de la production et de la distribution (chapitre 24-40)

24 – Actuellement on considère trop l’Office du film comme un département du Ministère de l’Industrie et du Commerce : cela affecte l’attitude des autres ministères. Tout en le maintenant sous la tutelle de ce ministère pour des motifs d’ordre et de raison, il serait sage de redéfi­nir sa position en tant qu’organisme central responsable de l’activité cinématographique de tous les minis­tères. Cela suppose un changement radical dans l’activité cinématographique du gouvernement canadien et il faut donc le détailler minutieusement. La coordination, voilà le vé­ritable besoin.


LE FILM TOURISTIQUE

25 – J’ai découvert qu’au moins quatre ministères s’occupent de publicité touristique. Il faut probablement fai­re un cas à part en ce qui concerne le Canadian National Railways, mais il serait utile de coordonner les services de propagande du Do­minion Travel Bureau, du Parks Bureau et du Ministère de l’Indus­trie et du Commerce. Même si le Dominion Travel Bureau possède un gros budget pour la publicité, il ne dépense pas un sou en cinéma. La responsabilité des films touristi­ques, qu’on s’attendrait à lui voir partager, revient au Ministère de l’industrie et du commerce et au Parks Bureau.

26 – Les circonstances dans lesquelles l’Office du film produit des films touristiques sont fort intéressantes. On pourrait en déduire que le Mi­nistère de l’Industrie et du Com­merce a établi comme politique d’accorder au tourisme une place prépondérante dans sa propagande. Mais il semble que ce ne soit pas tellement une question de politique que de bas prix. On m’a dit que la véritable raison qui explique l’ac­cent mis sur le tourisme est que le Canadian National Railways et le Canadian Pacific Railways coopè­rent avec l’Office, c’est-à-dire fournissent le transport et partagent les coûts, et que si les autres mi­nistères collaboraient aussi, le plan de production de l’année pour­rait être très différent. Il me sem­ble que si cette pratique a pu se justifier par le passé, elle ne cons­titue pas une base de travail solide pour l’avenir. Le plan de production annuel devrait être établi en équili­brant les besoins de propagande en fonction du point de vue national plutôt que selon les relations ami­cales entretenues avec les différents organismes. Il se peut que dans un plan donné où les intérêts de pro­pagande du Canada sont évalués et mesurés, le tourisme conserve sa première importance. Dans ce cas- là, on pourra essayer de soulager l’effort du Ministère de l’indus­trie et du commerce en faisant en sorte qu’une partie de la subvention du Dominion Tourist Bureau serve au cinéma touristique.

27 – Il est aussi important de rattacher la fabrication de films touristiques à un plan de travail unique. Dans le passé, le Parks Bureau menait sa barque indépendamment. Il a dé­pensé beaucoup d’argent mais n’a jamais eu recours aux possibilités techniques de l’Office du film. Com­me je l’ai souligné, les capacités techniques de celui-ci sont élevées et il pourrait accomplir plus de tra­vail qu’actuellement sans augmen­ter son personnel ou ses services. Le gouvernement économiserait en faisant fonctionner l’Office à pleine capacité. Au lieu de ça, le Parks Bureau paie des gens à l’extérieur pour ces services. Sa pratique a été de céder pour une période don­née à une compagnie commerciale les droits de ses films en contre­partie du développement des néga­tifs et de la fourniture d’une copie. Cela équivaut à vendre les droits de distribution pour aussi peu que 50.00 $. Nul doute qu’on pourrait défendre cette politique sous pré­texte que cela garantit une bonne diffusion commerciale. Mais il faut plutôt souhaiter que la dispo­sition des biens du gouvernement se fasse selon une politique arrê­tée et de façon centralisée. On ne peut se satisfaire de ce que l’Of­fice et le Parks Bureau fabri­quent indépendamment l’un de l’autre des films touristiques. Il y a là double emploi. En plus de gas­piller probablement l’argent du gou­vernement en donnant des contrats à l’extérieur, il n’y a aucune en­tente préalable en ce qui concer­ne la production. Il est arrivé que chaque équipe produise des films sur le même sujet, allant même jusqu’à se succéder dans les mê­mes extérieurs, doublant ainsi les dépenses en personnel, en équipe­ment et en voyage. Par exemple, on demanda à chaque ministère un film sur l’Ile-du-Prince-Édouard et ils réalisèrent effectivement cha­cun un film. Ils ont envoyé deux équipes sur place et travaillé séparément à partir de deux scéna­rios différents. C’est seulement plus tard que les deux films furent fondus en un seul. La séparation entre les deux ministères était tel­lement marquée dans le passé que l’Office du film ne pouvait pas comp­ter sur le matériel filmé par le Parks Bureau, même s’il était prêt à le payer.

28 – La même situation se retrouve au niveau de la distribution. Lorsqu’on reçoit une demande d’Afrique du Sud, chaque office envoie séparé­ment ses films. La même chose se répète pour l’Angleterre. La dis­tribution des films du Parks Bureau n’y a même rien à voir avec celle qu’organise l’Ambassade du Canada. Il ne faut pas être surpris de voir que les films canadiens sont partout et nulle part, en con­currence quant aux conditions de distribution et d’emprunt, et hors de contrôle du point de vue de la propagande.

29 – Il faut déraciner cette habitude de disposer de l’argent de la produc­tion et de la distribution à la pièce et sans discipline. Il faut dresser chaque année un plan de distribution qui réponde aux intérêts du Parks Bureau et du Travel Bureau. Il faut utiliser les services de production du gouvernement. Les différentes subventions pour la publicité tou­ristique doivent couvrir une partie de leurs coûts. Il faudrait engager une équipe créatrice qui donnerait les meilleurs résultats cinémato­graphiques et, on l’espère, amène­rait une meilleure diversité dans le style des films. L’Office du film devrait prendre en charge toute la distribution publique à partir d’une politique d’emprunt uniforme. Si le Parks Bureau et le Dominion Tra­vel Bureau tiennent à s’occuper de la distribution spécialisée, rien n’empêche qu’un organisme cen­tral, l’Office du film, veille à la distribution large tandis que cha­que ministère pourrait obtenir des copies pour ses besoins particuliers et ses conférences. Ou encore, si la production est centralisée à l’Office du film, rien n’empêche qu’un ministère supervise la fabri­cation de films destinés à des usa­ges particuliers. Ce qui semble inadmissible, c’est que chaque mi­nistère, par amour propre, puisse avoir sans limites son propre ser­vice cinéma, multiplie les dépen­ses cinématographiques du gouver­nement et oublie de cette manière les intérêts de la propagande du Canada en entier.

30 – En passant à travers les activités cinématographiques des autres ministères, on constate qu’il y a peu d’exemples où l’on ait bien pris en considération les besoins de la propagande canadienne.


FILMS SUR L’AGRICULTURE

31 – Le Ministère de l’agriculture a dans le passé utilisé le cinéma à des fins d’enseignement et il n’y a aucun doute que cette sorte de travail est mieux accomplie dans le réseau d’enseignement qui relève de ce mi­nistère. Ces films ont été donnés à contrat à l’Office et leur distribu­tion spécialisée prise en charge par le Ministère. On voudrait s’as­surer néanmoins que celui-ci dis­pose d’avis compétents en ce qui a trait à l’achat d’équipement, à l’entretien des copies et aux nor­mes de projection. Dans le passé, ce ministère a fait deux films des­tinés au grand public et s’est occu­pé de leur distribution. Nous som­mes alors dans un autre domaine qui requiert une connaissance pro­fessionnelle des méthodes et des possibilités de la distribution large et qui serait mieux accompli par un organisme central et compétent mis sur pied par l’Office du film.

32 – Le film actuellement en tournage sur le réaménagement agricole dans les Prairies fait ressortir la distinction entre film pour ensei­gnement spécialisé et pour grand public. Dans le premier cas, le film aurait bien pu être supervisé par les spécialistes du Ministère et distribué dans son réseau d’enseignement. Dans le second, il n’y a aucun doute que la responsabili­té de la réalisation aurait dû reve­nir au Commissaire à la cinématographie, l’expert en la matière, et celle de la distribution à l’Of­fice du film qui possède la compé­tence en ce domaine. Il ne semble pas que le Ministère ait su ce qu’il voulait et il s’est donc assis entre deux chaises. L’Office du film m’in­forme que dans un premier temps, il a envisagé de rivaliser avec le film américain THE RIVER (de Pare Lorentz, n.d.l.r.) et de fai­re le récit épique du développe­ment rural de l’Ouest. Le film toutefois a subi rapidement l’in­fluence castratrice des experts du ministère et à mon avis il est en train de dégénérer en une série de diapositives animées pour lan­terne magique, d’aucune utilité pour des fins de propagande.

33 – Tous savent aussi que le Ministère de l’Industrie et du Commerce a investi beaucoup d’argent pour réa­liser des films sur la culture des fruits. Comme dans le cas du Domi­nion Tourist Bureau, il convient de se demander si les services des fruits et du marketing du Ministère de l’Agriculture n’auraient pas mieux fait de subventionner ces films à même leurs budgets de pu­blicité et de laisser ainsi le Minis­tère de l’Industrie et du Commerce libre de dépenser ses argents à d’autres fins de propagande.


FILMS SUR LES PÊCHERIES

34 – Les mêmes constatations s’appli­quent aux dépenses publicitaires du Ministère des pêcheries. Ce minis­tère a dans le passé fait des films pour ses besoins particuliers et l’Office a été payé pour ses servi­ces techniques. Une compagnie pri­vée a réalisé récemment un film pour lui. Les films sur la pêche tournés par l’Office n’ont pas re­çu d’aide financière du Ministère, même s’ils servent sa publicité. Cela reflète probablement la poli­tique d’attribution des crédits au service de la publicité du Ministè­re des pêcheries.


FILMS SUR LES MINES

35 – Dans un chapitre précédent, j’ai déjà parlé du film du Ministère des mines consacré aux mines d’or. Cet exemple est si caricatu­ral qu’il ne vaut pas la peine d’y revenir. À l’instar du film sur le réaménagement agricole, ce film aurait pu être une excellente pro­pagande de prestige. À l’origine, il devait être la continuation d’une série de conférences radiophoniques très réussie patronnée par le Ministère des mines. Encore une fois la main pesante de l’expert ministériel s’abattit pour figer la conception du film. Dans le cas présent, cet expert non seulement prit en charge la supervision du film mais aussi sa réalisation, sans voir la nécessité de faire du repérage et d’obtenir un bon scé­nario. Comme il fallait s’y atten­dre, on tourna plusieurs milliers de pieds de film sans s’attarder à ces petits problèmes que sont l’em­placement de la caméra, la continuité, l’intérêt visuel, toutes cho­ses qu’un réalisateur profession­nel essaie de résoudre toute sa vie. Pour  empirer le tout, ce re­présentant du Ministère entreprit de monter lui-même le film, au point de couper au milieu d’une sé­quence « pour accélérer le rythme ». On dut se rendre encore une fois dans la région des mines quand il devint évident que cette méthode d’amateur conduisait au cul-de-sac.

36 – Il est difficile de comprendre pourquoi, dans l’état actuel du développement cinématographique où l’on reconnaît partout qu’il faut être compétent pour faire un film, on devrait maintenir un tel état de choses. Par cette pratique, le Ministère des mines gaspille son ar­gent, ses chances et le précieux temps de ses experts. Cela prive l’Office du film de la chance de développer son potentiel créateur, et le Canada d’excellentes occa­sions d’obtenir de bons films de propagande. Le Ministère des mi­nes possède indubitablement du matériel magnifique pour le ciné­ma. Il est dès lors de la première importance que son activité ciné­matographique s’aligne sur une po­litique de propagande unifiée.


LES AUTRES DÉPARTEMENTS DU MINISTÈRE DES MINES ET DES RICHESSES NATURELLES

37 – D’autres films intéressants sont disponibles dans ce Ministère. Le Bureau de géologie et de topographie a filmé en muet certaines de ses expéditions, présumément pour ses archives. Lui aussi utilise son personnel pour le tournage et le montage; l’Office du film ne l’aide que pour les travaux de laboratoi­re. Je ne suis pas passé à travers le matériel de ce service, mais à première vue il me semble qu’il intéresserait des sociétés savan­tes d’outre-mer. Il y a avantage à développer la propagande cinématographique non seulement pour le grand public mais aussi pour les publics spécialisés, tels ceux des sociétés savantes. Il faut creuser cette possibilité autant en ce qui a trait au travail du Bureau de géo­logie qu’à ceux des Affaires in­diennes, des Territoires du Nord-Ouest, du Conseil national de la recherche, du Musée national de l’homme, de la Galerie nationale, etc. Telle a peut-être été la pré­occupation du Musée national de l’homme en ouvrant sa propre cinémathèque, en préparant un catalogue et en visitant les organis­mes qui pourraient être intéressés par son travail. Mais excepté là où ces films sont utilisés par des conférenciers des ministères, il n’y a pas de raisons que ces films ne soient pas pris en charge par une cinémathèque centrale et s’insèrent dans un réseau de distribution répondant aux besoins de tout le gouvernement.


LE BUREAU DES AFFAIRES DU NORD-OUEST ET DU YUKON

38 – L’activité cinématographique de ce bureau est particulièrement intéressante. Depuis le début des an­nées 20 jusqu’en 1930, il a filmé les expéditions effectuées dans l’Arctique et l’Office du film s’oc­cupait du travail technique. Depuis 1930 et jusqu’à l’an dernier, on s’en est remis au travail amateur d’un ou deux membres de l’expédition. L’an dernier, il semble qu’on ait en­gagé un caméraman pigiste et que l’Office ait fourni les services de laboratoire. J’ai déjà vu une bonne partie de ces films qui totalisent plusieurs milliers de pieds et qui ont coûté, je pense, assez cher. Je doute qu’il y ait eu un scénario ou même un thème pour l’un ou l’autre de ces films; les péripé­ties des expéditions semblent plu­tôt avoir été assemblées approxi­mativement, sans souci de faire de la propagande autour du travail du gouvernement dans le Nord.

Il se peut que le Ministère estime que ces films ne sont utiles qu’à lui seul. Il n’empêche qu’on devrait réaliser un ou deux films qui ra­conteraient et feraient connaître à tous de façon vivante le travail du gouvernement dans le Nord. La re­nommée de la Russie en ce qui regarde son travail dans l’Arctique pourrait être égalée si seulement le Canada faisait part de façon créa­trice de son propre travail dans le Nord. Ces films devraient être néanmoins tournés d’après des scé­narios bien préparés et par des professionnels. Il est malheureux de constater qu’en dépit des milliers de pieds déjà tournés, on n’ait pro­duit aucun film qui ait frappé l’ima­gination du public.


LE MINISTÈRE DES POSTES

39 – Au plan cinéma, ce ministère offre les mêmes possibilités que le Ge­neral Post Office britannique et sous plusieurs aspects les surpas­se même. Il peut jouer sur la gran­deur du continent pour faire l’his­toire des communications et sur la variété même des méthodes utili­sées par les postes pour donner une idée très juste de la vie et du progrès au Canada. Le Canada pos­sède une histoire passionnante dans e domaine du service postal aérien dans l’Arctique. Pour ses films, le Ministère ne fait pas appel à l’Of­fice du film mais engage et paie les compagnies privées. Chaque année il loue du temps-écran dans les cinémas pour sa campagne » postez tôt ». Il tourne de simples comptes-rendus de ses activités et a parfois jusqu’à payer pour les projeter en salles. Comparons ça aux méthodes du General Post Office et à la renommée nationale et internationale qu’a acquise son ser­vice cinéma. Avec les mêmes moyens au plan documentaire, le General Post Office non seulement ne paie pas les salles mais encore obtient de biens meilleurs tarifs de location que tout autre service qui produit du court métrage en Angleterre… Son circuit de diffusion non commercial dépasse celui le tout autre organisme national et es écoles lui font confiance. Je suggère que les activités du Ministère des postes s’intègrent progressivement dans un plan global de propagande au plan de la production et de la distribution. Le Ministère de­vrait passer par l’Office du film et essayer de traduire ses très intéressantes activités dans des films plus ambitieux et de meil­leure qualité.

40 – Les ministères qui ne se sont pas encore lancés dans le cinéma, mais qui pourraient fournir de bons sujets de propagande ou de docu­ments filmiques, sont la Gendar­merie royale du Canada, le Domi­nion Water and Power Bureau, la Canals Administration, le Marine Services, le Air Services, le Con­seil national de la recherche et le Ministère de la santé nationale. Il est étonnant que malgré sa notorié­té mondiale, on n’ait pas encore réalisé un film décrivant les acti­vités de la Gendarmerie royale du Canada. Dans un pays riche en cours d’eau et en ouvrages de gé­nie adjacents, il faut creuser les possibilités cinématographiques des Dominion Water and Power Bureau et Canals Administration. Le Con­seil national de la recherche peut fournir des sujets intéressants pour diffusion large ou spécialisée. Le Ministère de la santé distribue, à ce qu’on m’a dit, quelques films d’origine américaine. Toute politique du cinéma devrait naturellement répondre aux besoins domes­tiques, quitte à ce que les films soient de moindre intérêt pour dif­fusion outre-mer. Ceci dit, le ci­néma a des qualités exceptionnel­les pour faire œuvre de propagande dans le domaine de la santé et son utilisation est très répandue parmi les ministères de la santé des autres pays. Les Services de la Marine ont réalisé quelques comptes-rendus cinématographiques par le passé, entre autres un sur la route de la Baie d’Hudson et un au­tre, très détaillé, sur les canaux du St-Laurent dont certaines images furent apportées en 1931 en Angle­terre où l’on réalisa un film, THE GREAT ST-LAWRENCE RIVER, qui occupe une place d’honneur à l’Empire Library. On m’a dit qu’on n’a pas réalisé un tel film au Ca­nada à partir de ce même matériel. Les Services de l’air, comme ceux de la marine, foisonnent de sujets qui conviennent au cinéma. J’ai vu des documents bruts sur le travail aérien dans l’Arctique, sur le servi­ce postal, sur la protection fores­tière et les relevés aériens, mais on n’en a jamais tiré aucun docu­mentaire. Il est évident que l’aviation civile canadienne devrait avoir une place de premier choix dans tout plan de production cinémato­graphique.