La Cinémathèque québécoise

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Quelques mots sur le cinéma québécois

On a remercié tellement de monde, ici ce soir, que ça ressemblait à la soirée des Oscars, à un moment donné. Je n’ai jamais de ma vie parlé sur un “rostrum”, alors je suis vraiment très intimidé. D’autant plus que j’ap­prends à l’entrée, tout à l’heure dans quel contexte je vais adresser la parole. Je m’attendais à des jeunes étudiants et étudiantes, quelque chose de plus léger, un contexte un peu moins formel. Avoir su, je me serais préparé beaucoup plus sérieusement que je ne l’ai fait. Parce que là, on m’a dit qu’il fallait quand même essayer de faire un “round-up” de l’histoire du cinéma québécois. Oh! Le contrat était un peu plus gros arrivé à Ottawa qu’il ne l’était en partant de Montréal! C’est ça le fédéralisme!

Bon alors, là, je ne sais pas trop par quoi on va commencer! Je m’étais dit, en m’en venant, que j’allais parler un peu contre le Pape. Parce qu’on a tiré sur le Pape aujourd’hui et si le Pape avait été un dictateur en Amérique latine ou un méchant Président améri­cain, personne ne se serait vraiment attendri et certains même auraient été carrément réjouis. On peut se per­mettre des digressions intellectuelles, comme ça, on peut penser que le Pape est aussi un dictateur et puis qu’il re­présente pour une masse importante de l’humanité le poids oppressif de la conscience qui va bien. Le Pape est le contraire d’un iconoclaste; le Pape est le contraire des libres penseurs et on me le rappelait tout à l’heure, le Pape est contre la contraception! J’en parle un peu à la légère, mais ce n’est pas vraiment à la légère parce que j’ai une affection pour les libres penseurs et j’ai une affection pour les anarchistes légers. Et c’est dans ce courant d’affection-là que les films que j’aime et dont j’aimerais me rapprocher s’ins­crivent.

CHRONIQUE DE LA VIE QUOTIDIENNE de Jacques Leduc. © ONF
CHRONIQUE DE LA VIE QUOTIDIENNE de Jacques Leduc.
© ONF

C’est comme ça qu’on en revient au cinéma québécois vous voyez. Je vais vous dire deux mots du film que vous allez voir ce soir. Ce que vous allez voir ce soir appartient à la tradition du cinéma direct. Je pense que les ana­lystes un peu plus subtils pourront nuancer cette assertion, mais en gros, ça appartient carrément à la tradition du cinéma direct, du moins dans la façon dont ça a été tourné, dans le mode de production… et le cinéma direct est à l’origine de tout le cinéma québécois. 

Il y a quelques exceptions, quelques rares exceptions, mais tous les ci­néastes québécois qui ont aujourd’hui 35 ans et plus sont passés par l’école documentaire, par l’école du cinéma direct. C’est notre histoire; c’est là que ça commence et on a beau rejeter nos aînés (et je le ferais volontiers), n’em­pêche qu’on y est tous passés. En pensant que je m’adresse à des pro­fesseurs et à des “scholars”, j’me dis que ce sont des bouts d’histoire qui sont bien connus et que j’ai bien peu de choses nouvelles à ajouter!

Et il y a une deuxième génération de cinéastes qui est en train de naître, ou qui est née, qui est là, qui émerge et qui ne provient pas de la même école.

Il y a eu un phénomène nouveau dans le cinéma et ça a été la création des écoles de cinéma en Europe, en Amérique puis au Canada. L’en­gouement des plus jeunes pour le cinéma, pour l’audiovisuel, les con­cepts de communication qui se sont développés et qui font que le cinéma n’est plus juste le cinéma. Avec la mul­tiplication des supports, les marchés se sont ouverts. Toutes ces choses-là font qu’on assiste maintenant à une émergence d’un autre type de ci­néastes, qui n’appartiennent pas, his­toriquement, à cette école documen­taire, à l’école du cinéma direct, et commencent à faire des films.

Et comme il y a des professeurs de cinéma dans la salle, on peut en profiter pour inviter à réfléchir sur l’image de la cinématographie qui est mise de l’avant par l’apprentissage scolaire du cinéma par opposition à l’appren­tissage sur le tas; où mènent — et comment y mènent-ils — les cours qu’on donne, les films qu’on analyse, cette connaissance académique…? Mais ça est une autre question, et un autre contrat!

Je mentionne ça, parce que j’aurais aimé dire deux mots au sujet du cinéma de l’avenir, du cinéma tel que j’aimerais le voir se développer. Je re­gardais un catalogue récemment dans lequel il y avait 514 titres de films, essentiellement des courts métrages produits au Québec en 79. Je re­gardais les sujets, et j’me disais : “C’est juste des sujets! » Tous des films à sujets; sur les 514, tous des films à sujets; il y a un film sur une vieille dame de la rue St-André; il y a un film sur une enseignante un peu spéciale en Gaspésie; il y a des films sur les personnes handicapées; y’a des films sur ci, y’a des films sur ça, mais toujours sur des sujets et moi je pense que le cinéma de l’avenir est sans sujet. Le cinéma de l’avenir est un cinéma de point de vue.

J’me plais souvent à dire que quand je pense, je pense; je suis ici, je pense; je vous parle, je pense (pas trop vite par exemple, pas assez vite, parce que je parle plus vite que je pense, mais je pense tout de même!!); si je m’en vais l’autre côté de la scène, je vais penser encore; si je m’en vais l’autre côté de la rue, encore je vais penser. Partout où je suis, je pense. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’être à une place en particulier pour tourner. Filmer est un acte de la pensée, comme jouer du piano ou comme écrire. J’aime croire que les films, à l’avenir, vont s’éloigner des sujets et se concentrer davantage sur les points de vue qui nous amènent à filmer, à filmer d’une telle manière plutôt qu’une autre, à nous pencher sur les choses et les êtres de façon parti­culière. Sans égard au sujet, un film doit être violent, ou lyrique, ou tendre ou tout ce qu’on voudra.

Il y avait un projet de film que je voulais faire et qui va dans le sens de la vision qui précède le sujet. J’aurais voulu faire un film sur un sujet au ha­sard; peut-être que des gens auraient pu fournir des sujets, des dates, des noms, ce que vous voudrez, qu’on aurait pu mettre dans un chapeau et choisir au hasard, ç’aurait été la pre­mière séquence du film. Et là-dessus, amorcer une recherche, comme pour un film de fiction ou comme pour un documentaire, quitte à décider que c’est juste bon pour un film d’animation de 5 minutes… Il n’est pas nécessaire de choisir des gros sujets pour faire des petits films; ça ne fait pas né­cessairement des meilleurs films!

Et puis je ne dis rien de tout le plaisir de faire, parce que tout le plaisir du cinéma — ça doit être pareil en pein­ture ou en musique — est dans le faire.

Bon… j’achève, patience!

M’en venant, j’écoutais l’émission Radio On Tap; c’est une émission de la CBC qui commence à 19h05 je crois. Et je trouvais séduisante l’analogie qu’on faisait entre “radio” et “tap”, t’sé ça met déjà l’eau à la bouche un petit peu… Mais j’avais un chagrin en dedans de moi parce que j’me disais que la radio, ça a quelque chose de direct, en anglais on dit “immediacy”, que le cinéma n’a pas, qu’on n’a pas en cinématographie. Ça prend tellement de temps… Peut-être qu’une des bé­quilles les plus effrayantes du cinéma, c’est le temps que ça prend pour faire un film.

Et parlant du temps que ça prend et du temps qu’il fait, je vous rappelle, pour finir, qu’il ne faut jamais trans­planter ses tomates avant le premier juin!

Peter Harcourt : J’aime bien votre idée qu’à l’avenir, les films soient davantage de points de vue que de sujets. Est-ce ce qui vous permet de passer aisément de la fiction au direct sans limites particulières dans votre choix?

J.L. : Je vous avoue ne pas avoir réellement pensé à cela. J’aime beaucoup le cinéma et je ne fais pas de grandes dif­férences entre court et long métrage, entre fiction et docu­mentaire. Je comprends qu’il existe des problèmes de durée, mais des problèmes de genre, ça me dépasse un peu parce que je trouve que plusieurs bons films n’ont pas de genre particulier; ils ont le leur. Conséquemment, on n’a pas à alterner de ce qu’on appelle fiction à ce qu’on appelle do­cumentaire. Vous n’avez qu’à vous insérer quelque part, dans un sujet qui vous convienne.

Jean-Claude Jaubert : Vous avez placé la première généra­tion de cinéastes dans le documentaire et ensuite vous avez parlé de cette deuxième génération qui, elle, n’aurait pas passé à travers cette école du documentaire.

Et pourtant lors de la semaine du cinéma québécois il y a eu ce grand article, enfin, je ne sais pas si on peut le considérer comme grand, mais enfin cette attaque en tout cas très forte, contre le cinéma québécois envahi par le patrimoine; dans cet article on disait donc que la nouvelle génération de cinéma ne semblait plus savoir faire autre chose que des films à sujets et l’auteur de l’article disait qu’un étranger qui verrait le Québec à travers le cinéma québécois, penserait que tout le Québec est occupé à danser, turluter, faire des ceintures fléchées, etc. Donc comment se fait-il que cette nouvelle génération qui n’est pas passée à travers l’école documentaire soit surtout intéressée par le documentaire.

J.L. Je suis obligé de corriger une de vos assertions. Il n’y a pas que la nouvelle génération qui fasse des films sur les ceintures fléchées. Non seulement ça, il y a que le mouve­ment a d’abord été amorcé par les cinéastes les plus glo­rieux de la province de Québec et qu’ils se sont lancés à corps perdu dans les films artisanaux. C’était des films qui se vendaient avec une telle facilité à la T.V. d’État… par exemple la série sur la musique traditionnelle a bien marché et la série de l’Office du film sur les métiers traditionnels marche. On a fait des films sur les courtepointes, on a fait des films sur les façons nouvelles de tricoter, etc. Ce n’est donc pas un champ de sujet qui appartient exclusivement au jeune cinéaste au contraire.

Une voix : C’est tout à fait condamnable, y’en a assez, on en a jusque là!


Cet article a été écrit par Jacques Leduc, critique et cinéaste à l’ONF, il a à son actif de nombreux films dont ON EST LOIN DU SOLEIL, TEN­DRESSE ORDINAIRE, CHRONIQUE DE LA VIE QUOTIDIENNE. Il prenait la parole dans le cadre du Martin Walsh Memorial Lecture.