À n’importe quel prix?
Depuis toujours, le cinéma québécois a vécu ou plutôt survécu selon des principes cyclothymiques. 1981 n’a pas échappé à cette règle: une année de vaches maigres, une année de vaches grasses et ça recommence. Ce n’était pas normal, mais on s’adaptait.
La tradition (orale) voulait que chacun apprenne sur le tas et beaucoup s’improvisaient qui technicien, qui réalisateur, qui producteur; après tout ça ne fait de mal à personne et puis tout le monde a bien le droit de s’essayer. Et puis, on avait le bon droit pour nous puisqu’il n’y avait pas d’écoles de cinéma. De même les compagnies de production poussaient comme des champignons; un film: un producteur “pouf”; une série: une maison de production “pof”; une “chicane”: deux maisons de production “pouf, pof”. Ça allait vaille que vaille.
Si vous vous interrogiez sur la compétence ou sur l’éthique professionnelle, vous ne trouviez guère de répondants. Pourquoi? Oui pourquoi ce flux toujours suivi d’un reflux inexplicable? Pourquoi ces courbes malicieuses acceptées de toutes et de chacun comme un mal nécessaire ou à tout le moins inévitable? Là dans ces graphiques, 1981 n’aura été qu’une baisse parmi tant d’autres, plus difficile puisque les années précédentes avaient connu des hausses plus vertigineuses.
Personne ne pouvait répondre ni pour 1981, ni pour 1977, ni pour les autres années que j’ai volontairement oubliées. Lorsque la manne est tombée, il fallait remplir ses paniers et faire ses provisions en vue des temps mauvais. Encore aucune réponse.
Le Syndicat national du cinéma s’interrogeait, ouvrait déjà le débat en 1980 sur l’apprentissage, sur le perfectionnement, sur le professionnalisme et tout ce qui en découle. C’est demeuré un débat isolé, inachevé. Quelquefois, un technicien recevait une bourse (rarement). Durant quelques mois, il ou elle pouvait acquérir des éléments essentiels à sa profession, puis revenait dans le milieu cinématographique québécois essayant au mieux de conserver ses acquis sans pouvoir les partager et souvent se retrouvant cloisonné dans cette nouvelle spécialité ou l’oubliant, faute de pratique.
Lorsque les courbes de l’industrie furent en hausse, on n’y pensa guère, trop occupés à travailler. On manqua même de techniciens spécialisés dans ce nouveau développement; les politiques fiscales d’Ottawa semblaient un élément prometteur à la montée d’une industrie enfin nationale, nous appartenant, et puis la toujours possible télévision à péage montrait le bout de son nez.
C’était en 1979 et puis plus rien, l’incertitude. En 1981, la chute de notre industrie nous montrait l’ampleur de l’iceberg, la non-confiance, la méfiance, les essais d’Ottawa qui avait si peur de reparler cinéma en chambre (les investisseurs perdaient de l’argent), l’avortement de la loi du cinéma à Québec, l’Institut essayait d’aborder les problèmes différemment avec son plan quinquennal. Tollé du milieu. Commande d’un rapport à la Commission d’étude sur le cinéma et l’audiovisuel. Doutes. Refonte du plan quinquennal. Hurlements! Tous les essais, tous les échecs. Qu’est-ce qui est à nous? Qu’est-ce qui ne l’est pas? La relève se meurt faute d’oxygène. Les vieux survivent assez bien merci!
Le chantage par les temps qui couraient demeurait le plus bel outil des producteurs. S’il n’y a pas de productions et que tu veux travailler, tu le fais aux conditions qu’on t’impose pour de bien bonnes raisons, le manque d’argent ou la compétition. Peu importe, nous parlerons d’ententes tacites; enfin, c’est ce que nous entendrons souvent. Qui paie la note? Si tu veux progresser dans le cinéma, tu dois fonctionner. Pour rien ou pour des prunes, l’important c’est de travailler. Qui se préoccupe du perfectionnement, des conditions de travail quand la loi du silence prévaut sur tout? Qui se préoccupe d’une vie normale pour chacun d’entre nous?
Peut-être croyez-vous que je m’éloigne du sujet: le cinéma et les techniciens et techniciennes du cinéma en 1981. Mais non, je vous parlais au passé, à l’imparfait, je croyais que ça changerait. Mais les conditions de 81 se retrouvent en 82. Hier, c’est aujourd’hui. Il n’est pas facile de fonctionner, “bien” c’est encore plus difficile! Mais pas à n’importe quel prix!