La Cinémathèque québécoise

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Un cinéaste qui voit bien… avec le coeur!

André Melançon n’a jamais cessé de me surprendre, de surprendre tout court, devrais-je dire. Je l’ai connu il y a plus d’une vingtaine d’années à l’occasion d’un cours que je donnais aux étudiants en psychoéducation.

Ce qui me frappe d’abord chez lui c’est ce mélange tout à fait harmonieux de naï­veté et de profondeur, de sérieux et d’humour… un peu comme s’il avait découvert une façon tout à fait originale d’être simple et authentique. Après tout, André est peut-être un original authentique!

BACH ET BOTTINE Photographie Jean Demers
BACH ET BOTTINE
Photographie Jean Demers

Mais ce qui me frappe plus encore chez André, c’est la qualité de sa présence, laquelle est toujours une présence active et créative. Par exemple, si nous lui racon­tons quelque chose, il a une telle façon d’écouter, de réagir, de partager et d’ima­giner qu’il nous amène nous-mêmes à mieux connaître et découvrir ce que nous étions précisément en train de lui appren­dre. Je crois que c’est ce regard créatif, à la fois affectueux et respectueux, que révèle toujours un peu plus chacun de ses films.

C’est avec la même qualité et le même succès (mais je ne dirais pas la même aisance) qu’André Melançon passe des films documentaires, aux films d’observa­tion et aux films de fiction.

On retrouve dans toutes les productions d’André le même souci de l’être humain, la même préoccupation de la qualité de vie et de la qualité, surtout, des rapports sociaux.

Fondamentalement et professionnelle­ment, André Melançon demeure un psychoéducateur. Il est éducateur, per­sonne n’en doute, et pas du tout un ensei­gnant: il ne transmet pas, il n’interprète pas, il ne discourt pas, il fait voir, il rend présent, il fait découvrir, du dedans!

C’est au monde de l’enfant que Melan­çon s’est d’abord intéressé, surtout parce que la vie s’y retrouve à un état plus pur, parce que la joie de vivre y est encore grande et parce que les capacités d’émer­veillement, d’imagination et de création y sont flamboyantes. C’est d’ailleurs à ce niveau de l’émerveillement et de la créa­tion que Melançon se sent et se révèle le plus près des enfants et, généralement, leur meilleur complice. Qu’on songe aux films «LES OREILLES» MÈNE L’ENQUÊTE, LES TACOTS, COMME LES SIX DOIGTS DE LA MAIN, LA GUERRE DES TUQUES. Dans ces films, on a non seulement l’impression que Melançon a su repérer des enfants extraordinaires de sim­plicité et de vérité, mais que des enfants ordinaires, tels qu’on peut les rencontrer un peu partout, ont su se trouver un com­plice extraordinaire pour se dire et se révé­ler eux-mêmes aux adultes que nous sommes.

Melançon ne donne pas de cours, il n’élabore pas de théorie, il ne cherche pas non plus à illustrer ou à concrétiser des théories, comme d’autres cinéastes l’ont souvent fait. Il nous met en contact direct avec des enfants à qui, grâce à son art, à ses habiletés techniques et à son savoir psychologique très affiné, il permet d’être vrais, que ce soit dans un décor naturel, comme dans les films cités plus haut, ou dans un décor artificiel qui met plus en évi­dence les comportements des enfants et leurs interrelations, comme dans les docu­ments OBSERVATION 1, 2 et 3. Ces documents permettent une analyse quasi microscopique des comportements d’enfants. On y voit comment des jeunes (garçons et filles) prennent contact avec un environnement étranger et avec des enfants inconnus. Très tôt s’établissent des rap­ports affectifs spontanés (d’attirance ou de rejet) et fort surface les tentatives d’affir­mation de soi et la recherche de pouvoir et de leadership, surtout face à ceux qui sont de l’autre sexe.

Mais je voudrais parler un peu plus des films qui m’apparaissent à moi les plus déterminants dans la carrière de Melançon, à savoir ceux qui portent sur les relations entre enfants et adultes.

Bien sûr, Melançon a un parti pris pour l’enfant et pourquoi pas, puisque c’est en même temps un parti pris pour la Vie, pour le Respect de la Vie. Ce parti pris est par­ticulièrement évident dans le film LES VRAIS PERDANTS. Melançon montre bien que pour être de bons parents, la bonne volonté ne suffit pas. Quand les parents font autant de sacrifices pour assu­rer à leur enfant le championnat ou la médaille d’or, est-ce vraiment pour lui? Ont-ils raison de forcer (tout en douceur) l’enfant à rentrer dans le système de com­pétition, dans une société agressive et vio­lente? C’est avec beaucoup de force et de tact que Melançon pose ces questions à chacun de nous.

Dans BACH ET BOTTINE, comme auparavant dans la série La parole aux enfants, c’est l’enfant lui-même qui devient éducateur de l’adulte; c’est lui qui le rend capable d’aimer, de le dire, et qui l’aide à devenir un adulte un peu plus authentique.

Enfin, LE LYS CASSÉ, le tout dernier film de Melançon, s’attaque au problème le plus délicat et le plus cruel des relations parents-enfants. Ce film porte non plus sur les vicissitudes des rapports de pouvoir, mais sur la pathologie… des rapports d’amour, à savoir les relations incestueu­ses. Comment aimer si mal? Comment aimer et haïr aussi fort en même temps? Encore une fois, c’est avec beaucoup de doigté, de discrétion et de franchise qu’André Melançon interroge et qu’il fait réfléchir.

Décidément, André Melançon n’a pas fini de nous étonner…

Charles E. Caouette


Charles E. Caouette est professeur au Département de psychologie à l’Université de Montréal. Il s’inté­resse tout particulièrement aux alternatives en édu­cation et à tout ce qui prépare et préfigure l’Ère du Verseau.