Un bon livre et un bon film :
tandem gagnant
Ce n’est pas un secret. Les films et les séries télévisées sont des repères de toute première importance pour les adultes qui choisissent leurs livres. Les listes de best-sellers et les files d’attente des bibliothèques confirment cet intérêt. Pour les enfants et les adolescents, le même phénomène d’attrait opère. Mais dans le secteur des produits culturels pour les jeunes, les tandems heureux ne sont pas légion et la rareté québécoise était criante jusqu’à tout récemment. Avec LA GUERRE DES TUQUES et BACH ET BOTTINE, les jeunes ont accès à des produits de grande qualité.
Cette qualité est tributaire d’un ensemble de facteurs qui jouent simultanément. L’histoire est une vraie histoire, elle raconte des événements qui font sens. Les situations conflictuelles sont suffisamment tendues pour créer une atmosphère dramatique soutenue. Les personnages sont attachants et ils nous rejoignent directement sur le plan affectif. Le suspense est mené rondement, on a hâte de savoir ce qui arrivera aux personnages. Le rythme des actions soutient l’intérêt, on ne s’ennuie pas. Le thème résonne, il correspond à des parcelles de notre vécu. Je viens de décrire un récit, qu’il soit film ou livre. Le récit c’est le coeur du tandem. L’agencement textuel et l’écriture filmique organisent, transforment, enrichissent et rendent lisible et visible. C’est la complémentarité des talents qui façonne la réussite et qui crée la magie de la séduction auprès des publics. Une séduction efficace et riche parce que tous en profitent, les consommateurs autant que les producteurs.
Pour les enfants, surtout pour ceux qui sont au stade de lecture qu’on appelle le passage de l’album au roman, l’avantage du tandem film-livre est indéniable. Ils sont sécurisés au départ par le film. «208 pages de texte à lire c’est tout un contrat… quand on n’est pas sûr d’aimer ça… Je l’ai lu parce que je savais que ça en valait la peine». «Je l’ai lu en trois jours… le soir de 8 à 9 h… Cela fait seulement 3 heures… Je ne savais pas que je lisais si vite… Cela m’a donné le goût de lire d’autres livres aussi épais». Un autre enfant me dit: «C’était tellement bon que j’oubliais que je lisais! Je souriais d’avance parce que je savais ce qui allait arriver et j’avais hâte». D’autres ont choisi des passages qu’ils aimaient pour les lire à haute voix en donnant toute l’expression nécessaire aux personnages, comme s’il était en séance de «casting»…
Ceux qui n’avaient pas «encore…» vu le film inventaient à partir de leurs lectures le choix des images qu’ils feraient… s’ils étaient réalisateurs. Ils comparaient et discutaient leurs trouvailles avec ceux qui avaient vu le film. Des enfants plus jeunes, de même que ceux qui avaient des difficultés en lecture, mais qui avaient vu le film demandaient qu’on leur lise des passages à haute voix. Ils interrompaient la lecture en anticipant les actions et les répliques. Si tout cela n’est pas une démonstration du plaisir de lire et de l’habileté à lire des enfants, si tout cela n’est pas l’apprivoisement critique du cinéma, je me demande ce que c’est…
Les adolescents, eux aussi, ont eu la lecture facile et le plaisir actif. Une fois qu’ils avaient bien situé la clientèle cible en déclarant que: «Ces films et ces livres étaient très bons pour des jeunes d’environ 8 à 11 ans», ils étaient prêts à parler de leurs propres intérêts à voir et lire ces tandems. Avec l’immunité du critique, ils ne craignaient pas d’être pris pour des «bébés» et ils commentaient abondamment…
«C’est incroyable tout ce que le narrateur du livre est obligé d’expliquer pour qu’on comprenne seulement en lisant… Les détails des décors et les descriptions de personnages, il en faut beaucoup et cela ne doit pas être facile à faire». «Il y a des parties qui ne se traduisent pas dans le livre. Par exemple les scènes où il y a beaucoup de personnages qui font tous des actions ensemble… Dans le livre, l’auteur doit choisir ce qui est plus important, alors que l’image montre tout à la fois et en plus dans le film on entend les dialogues.» Ces commentaires relèvent d’une bonne compréhension de la communication, des médias et de la structuration des messages.
Les adolescents peuvent et aiment faire ces démarches d’analyse sur des produits qui sont faciles d’accès pour eux au niveau du sens. Avec cette pratique, ils peuvent s’aventurer avec plus de chance de succès dans la lecture et le visionnement de BONHEUR D’OCCASION, LE MATOU ou Lance et compte… En plus de tout cela, un autre avantage appréciable doit être souligné. Les jeunes qui parlent ainsi, et ils sont nombreux, apprennent à mieux structurer leurs propres messages écrits et ils ont le goût de mieux articuler les jeux de rôles qu’ils improvisent et les vidéo-clips qu’ils aimeraient faire…
Pour les auteurs Bernadette Renaud, Danyèle Patenaude et Roger Cantin, j’imagine que le cinéma représente aussi un intérêt considérable. C’est un moyen très efficace de diffusion de leurs œuvres et ils peuvent jouer avec la polyvalence de l’écriture. Les jeunes qui lisent leurs livres se sentiront attirés par d’autres titres du même auteur. Le même phénomène joue pour les adultes n’est-ce pas?.. .Dans le cas de Bernadette Renaud, les enfants reconnaissent ainsi l’auteure du Chat de l’oratoire (publié chez Fides) et Émilie la baignoire à pattes (publié chez Héritage), titres qui ont eu de très bons succès. Et ils surveilleront la sortie des prochains…
De plus, je suis persuadée qu’avec l’éditeur Québec/Amérique, les auteurs se réjouissent des chiffres de ventes. Raymond Plante, directeur de la collection où sont publiés les romans est fier de dire que 21 000 exemplaires de La guerre des tuques sont vendus. Et, 23 000 exemplaires de Bach et bottine, en trois mois, c’est toute une performance. L’orchestration de la promotion, la sortie simultanée du film et du livre, la reprise de l’affiche publicitaire pour la page de couverture, l’insertion de photos tirées du film…ont supporté sur le marché la qualité des produits.
Pour le réalisateur, je suis convaincue qu’il est essentiel de pouvoir travailler avec des «histoires» de qualité. André Melançon, en plus de compter sur sa créativité, sa force de travail et son charisme (qualité qu’il est temps de remettre à l’honneur chez les producteurs culturels…), peut donc, aussi, profiter de la promotion des livres pour la diffusion de son oeuvre. Pour les enfants, le nom d’André Melançon à l’endos d’un livre est déjà une bonne garantie de qualité et une invitation directe au cinéma. Pour le producteur, Rock Demers, je considère que la seule chose à faire est de continuer à miser sur la fusion de talents aussi importants.
Par ailleurs, du côté des médias, il me semble qu’ils ont raté un niveau d’intérêt. C’est excitant et réconfortant de traiter des succès semblables. Ils l’ont fait, et ce, très bien pour les films. Mais, je regrette qu’ils n’aient pas su profiter davantage de ces moments forts pour mettre aussi en lumière l’intérêt des livres. Ils ratent ainsi une belle occasion de dire aux adultes que la lecture d’un livre peut être, et est, un loisir tout aussi passionnant que le visionnement d’un film pour les jeunes. Je pense qu’une meilleure couverture de l’accueil du phénomène film-livre pourrait quelque peu compenser pour les hauts cris trop souvent alarmistes concernant la piètre qualité du français chez les enfants et les adolescents… Ils auront certainement la possibilité de se rattraper bientôt avec ce qui s’en vient…
Je suis tellement contente de constater que de plus en plus au Québec nous assumions le fait que des succès culturels peuvent être aussi des succès économiques.
Michelle Provost
La guerre des tuques
Danyèle Patenaude, Roger Cantin, illustrations Réal Godbout, éditions Québec/Amérique, collection Jeunesse-romans, 1984, 168 pages.
Bach et bottine
Bernadette Renaud, photos Jean Demers, éditions Québec/Amérique, collection Jeunesse-romans, 1986, 208 pages.
Est aussi paru Comme les six doigts de la main Scénario et dialogues André Melançon, adaptation Henriette Major, photo Y. Ste-Marie, éditions Héritage, collection Pour Lire avec Toi, 1986, 111 p.
Michelle Provost est conseillère en littérature pour la jeunesse, vice-présidente de Communication-Jeunesse et auteure des guides pédagogiques en littérature pour la jeunesse du ministère de l’Éducation.