La Cinémathèque québécoise

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Le droit de rêver

L’enfance,
C’est encore le droit de rêver,
Et le droit de rêver encore,
Mon père était un chercheur d’or,
L’ennui, c’est qu’il en a trouvé
l’enfance.
Jacques Brel

C’est vrai. André Melançon a écrit et réalisé des films pour enfants. Du moins, ceux qui aiment bien les catégories — qui, dit-on, facilitent tellement la vie — les clas­sent ainsi. La chose n’est pas totalement fausse. Mais il faut se méfier des œuvres «pour enfants». Surtout que certaines per­sonnes, quand on leur parle des enfants, deviennent complètement Jell-O, échafaudent des théories en crémage de gâteau et se mettent à rêver. L’enfance, c’est bien connu, est le royaume du rêve. Et les films de Melançon, en bons films «pour enfants», ne font pas exception à la règle. Ils sont bourrés de rêves. Seulement, ses rêveurs et ses rêveuses — les personnages et héros quotidiens — n’ont jamais besoin de vivre leurs aventures à travers une len­tille vaselinée. Chez lui, les princes char­mants n’enfilent pas leurs collants, les belles princesses risquent de s’empoussiérer, les grenouilles sont en chômage… et vous ne verrez pas un enfant blond sur le dos d’un grand oiseau. Pourtant, les films de Melançon sont pleins de rêves. Ils for­ment même, de l’un à l’autre, une reven­dication. Ils exigent le «droit de rêver».

Rêve au poing comme une arme ou une banane

COMME LES SIX DOIGTS DE LA MAIN
COMME LES SIX DOIGTS DE LA MAIN

Dans le premier film d’André Melan­çon, DES ARMES ET LES HOMMES (1973), il n’y a pas d’enfants. On y ren­contre deux sortes d’adultes : d’un côté, le «vrai monde» — des amateurs de tir ou d’armes à feu, des policiers ou d’anciens militaires, des prisonniers, des ex-tueurs — autour duquel s’articule la portion docu­mentaire du film. De l’autre côté, il y a les acteurs — des «bums», un brave intel­lectuel armé, un professeur de balistique un peu fou, des victimes payées pour rece­voir des balles — ce sont les inventions de l’auteur. Dès ce premier film, on recon­naît les deux niveaux du discours de Melançon : le documentaire et la fiction. Les adultes qui jouent dans ce film ont finalement l’air de grands enfants. Pour eux, posséder une arme à feu, se prome­ner dans la société avec un revolver en poche, c’était un rêve. Déjà, un autre aspect de la revendication de Melançon se manifestait: retrouver ce qu’il y a de l’enfant chez l’adulte.

Il faut souvent entendre les adultes dire, en sortant d’un cinéma : «Oui, j’ai vu BACH ET BOTTINE (ou LA GUERRE DES TUQUES) avec mes enfants. Ils ont aimé ça. Moi aussi, j’ai aimé ça!» Bien sûr, Melançon n’a pas conçu les idées origina­les de ces deux longs métrages. Le scéna­rio de BACH ET BOTTINE est de Bernadette Renaud alors que l’on doit celui de LA GUERRE DES TUQUES à Danyèle Patenaude et Roger Cantin. Mais ces deux films restent dans la même lignée que COMME LES SIX DOIGTS DE LA MAIN ou des six courts métrages de Zig­zags. Pourquoi les rêves ne seraient-ils que l’affaire d’une courte période de la vie? On peut rêver n’importe quand. C’est ce que font ceux qui inventent des histoires, qu’elles se transforment en films ou en livres. Ils portent leurs rêves à bout de bras. André Melançon a réalisé des films pour enfants, soit. Mais l’important est de se rendre compte qu’il a inventé des his­toires dans lesquelles il a mis ses rêves d’enfant. Et ses histoires pour enfants, ce sont des histoires pour tout le monde.

Des miroirs déformants…

Les adultes sont comme ça, eux aussi, ils aiment bien entendre la vieille formule que des siècles ont utilisée: «Il était une fois…», vieille formule qui arrête le temps et nous fait pénétrer dans un autre monde, parfois près du nôtre, mais tellement plus complet parce qu’il comprendra la struc­ture d’une histoire, parce qu’une histoire commence… parce qu’un autre humain vient de décider de poser son histoire devant les autres qui choisissent d’écouter avant de poursuivre la leur. Les films de Melançon ont des yeux, ils nous regardent. Ils sont des espèces de miroirs déformants pour parler aux adultes aussi, à ceux qui se croient plus loin, plus haut, souvent moins naïfs, alors que pourtant…

…pour montrer la réalité

Ce n’est pas tout de jongler avec le rêve. On a aussi besoin du réel sur lequel les rêves peuvent prendre leur élan. C’est ainsi que, d’un film à l’autre, les enfants de Melançon se retrouvent face à eux- mêmes. Ils peuvent se reconnaître. En d’autres mots, reconnaître leur monde, celui de leurs jeux et d’un quotidien qui leur ressemble… et, en plus, reconnaître leur manière de voir ce monde. Parce que, chez Melançon, c’est ainsi: à l’exception de ses œuvres de fiction les plus récentes (BACH ET BOTTINE et LE LYS CASSÉ dont le scénario est de Jacqueline Barrette), ce sont des enfants face à eux-mêmes qui vivent leurs aventures. Les adultes, s’ils apparaissent, ne sont finalement qu’acces­soires. Et les enfants, s’ils imitent parfois les adultes, sont indépendants. Ils avancent dans leur propre histoire. Ils affrontent des problèmes, bien sûr. Des problèmes de leur niveau. On les rencontre tout au long de la série Zigzags. Sylvain, le petit gar­çon à lunettes veut, comme les grands, un emploi d’été (LE LÈVE-TÔT); Paulo porte son amour sur sa ROUTE DES ÉTOILES; Manon vit des PEURS BLEUES quand elle va garder; Jean-Louis rêve de jouer la comédie où il aurait évi­demment LE BEAU ROLE. Ainsi, dans les histoires de Melançon, les jeunes retrouvent non seulement leurs petits pro­blèmes et leurs petites joies, mais aussi leur langage et surtout, grâce au talent excep­tionnel du directeur d’acteur qu’est André Melançon, ils reconnaissent leurs attitudes. Tout cela mêlé à l’humour qui, évidem­ment, veille au grain, le sourire au coin des lèvres. Parce que, si les petits drames sont nombreux, rien n’est vraiment désespéré. Tant qu’on a la débrouillardise.

Trois…deux…un…zéro…

Puis vient le moment où l’on décolle. C’est là que l’histoire prend sa folie. C’est là que Melançon se met à rêver. À ce niveau, aucun des films d’André Melan­çon, même s’ils donnent parfois l’impres­sion de couler comme les choses de la vie, ne ressemble à un documentaire. Parce que Melançon nous fait profiter de ses rêves. Avez-vous pu imaginer un seul instant que des enfants, aussi doués soient-ils, aient pu construire un château de neige semblable à celui de LA GUERRE DES TUQUES. De même, les jeunes des «OREILLES» MÈNE L’ENQUÊTE ou des SIX DOIGTS DE LA MAIN possèdent tou­jours des lieux de rencontre, des cabanes, qui tiennent du rêve. Et puis, je pense aussi à cette initiation des SIX DOIGTS DE LA MAIN. Vous vous êtes déjà mis en boule au cœur d’un pneu. Eh bien, dans LES SIX DOIGTS, l’initié réussit même à dévaler le Mont-Royal. C’est du rêve à l’état pur. Mais ces rêves-là prennent tou­tes leurs forces quand ils rejoignent les rêves de tout le monde. À ce niveau, les films de Melançon, s’ils ont l’air d’être pour enfants, rejoignent chacun d’entre nous. Nous finissons toujours par y décro­cher un de nos rêves.

Et les adultes apparaissent

Dans les épisodes de Zigzags ou dans LES SIX DOIGTS DE LA MAIN, les adultes ne sont pas tellement présents. Quand ils se mêlent à l’histoire, ils finis­sent par devenir sympathiques. Le «Polock» des SIX DOIGTS finira par subir l’initiation du groupe, lui aussi. On nous laisse même sur l’idée qu’il dévalera le Mont-Royal en boule au centre du gros pneu. Oui, les adultes restent loin des jeux d’enfants. Mais, quand ils viennent mêler leurs rêves aux jeux des enfants, cela prend la forme d’un documentaire : LES VRAIS PERDANTS. Ce film où l’on nous mon­tre l’entraînement de «jeunes espoirs» de divers domaines et les commentaires de leurs parents devient rapidement un mani­feste clair. Il faut laisser rêver les autres. Si on n’avait pas déjà compris le message à travers les films de fiction, il ne peut maintenant être ignoré. Et puis, il fallait certainement LES VRAIS PERDANTS pour rejoindre cette quête d’amour que vit la petite Fanny de BACH ET BOTTINE. Orpheline, elle revendique, elle aussi, le droit de rêver. Le même droit que pleure l’héroïne du LYS CASSÉ, qui, victime de l’inceste, n’a pas pu rêver sa vie.

Les films de Melançon mettent toujours en scène des enfants, mais ils commencent à regarder de plus en plus les adultes dans le blanc des yeux. Les adultes et surtout ceux qui entravent la liberté d’inventer la vie.

Une revendication!

Les films d’André Melançon revendi­quent donc le droit de rêver — par et au nom des enfants et pour les adultes aussi —, le droit de rêver au présent, et surtout que la matière du rêve soit le quotidien. Ainsi, entre la conscience et le clin d’oeil, la vie a des chances d’être plus belle… du moins plus espérante.

Raymond Plante


Auteur d’émission de télévision et de livres pour enfants, Raymond Plante est aussi responsable des collections jeunesse aux Éditions Québec/Amérique. Il vient de publier Le dernier des raisins, un roman pour adolescents.