« Des films charmants et bien réalisés » (Entretien avec Denise Brisebois)
Copie Zéro : Pourrais-tu expliquer ton travail en tant qu’audiovidéothécaire ?
Denise Brisebois : J’achète des documents audiovisuels, je les conserve, je les diffuse à l’intérieur du collège, je suis le marché pour trouver les documents les plus utiles pour les professeurs et je joue ainsi un rôle d’animatrice auprès d’eux.
Copie Zéro : Comment es-tu venue en contact avec les films de Michel Moreau?
Denise Brisebois : Je ne sais plus exactement, mais c’est sûrement à l’occasion d’un festival ou d’un congrès où j’ai visionné un de ses films. Dans ces cas-là, le processus se ressemble toujours. Lorsque je trouve un film intéressant, je ramasse de la documentation, je la diffuse aux professeurs, j’organise un pré-visionnement du film et si les professeurs voient un potentiel d’utilisation pour le document, je l’achète.
Copie Zéro : Mais comment s’effectue ton premier choix?
Denise Brisebois : Tout simplement en fonction de la banque de cours que le collège offre. Je dois connaître tous les programmes et prospecter le marché en fonction de cela. Je sais également que tel cinéaste a plus de chances de réaliser un film convenant à tel programme.
Copie Zéro : Et Michel Moreau, à quels programmes convient-il au collège Ahuntsic?
Denise Brisebois : Il est utilisé en psychologie, en sociologie et en techniques auxiliaires de la justice, le programme qui vise à la formation des policiers et des intervenants dans l’application de la justice. Lorsque sort un film de Michel que j’estime pertinent, je réunis, selon la polyvalence du film, les professeurs de ces trois secteurs, ou de deux d’entre eux, et je leur montre le film. Je leur demande ensuite comment ils peuvent l’utiliser dans leurs cours et ce qu’ils pensent de la qualité de sa réalisation. Je me charge, moi, de l’évaluation plus technique du film.
Copie Zéro : Quelles utilisations peuvent-ils voir à ces films?
Denise Brisebois : Le professeur pourra vouloir utiliser un document en classe, soit comme déclencheur, soit comme élément de synthèse, soit comment illustration d’une situation donnée. Il pourra aussi souhaiter que le document se retrouve à l’audiovidéothèque dans la banque des films que les étudiants peuvent consulter pour la rédaction de leurs travaux. Par exemple, si un étudiant a un travail à faire sur la délinquance ou la théorie de Piaget, il pourra venir visionner certains films de Moreau. Lorsqu’un professeur adopte un film pour un de ses cours, il va systématiquement l’utiliser à chaque fois que ce cours revient, et cela jusqu’au moment où le film deviendra ou paraîtra dépassé.
Copie Zéro : Est-ce que tu sais comment le professeur évalue le caractère dépassé d’un film ?
Denise Brisebois : Cela varie d’un film à l’autre. Prenons par exemple la série Les exclus. Elle était merveilleuse en techniques auxiliaires de la justice pour parler du phénomène de l’incarcération chez les jeunes ou de la réhabilitation. Durant cinq ans, elle fut utilisée au maximum. Maintenant on ne l’utilise plus parce que les étudiants ne se reconnaissent plus dans l’image de ces jeunes: les vêtements, les comportements, les gens ont changé. Le document est toujours aussi bon et nous, les adultes, on pourrait toujours s’en servir. Mais pour ce type de film qui n’est pas “éternel” comme un film scientifique ou technique, l’effet miroir joue beaucoup. L’actualité d’un film est capitale en sciences humaines et en sciences sociales; à ce niveau, les films de Michel se comparent avantageusement aux autres de sa catégorie.
Copie Zéro : Justement du point de vue de la durée d’utilisation, comment se situent les films de Moreau?
Denise Brisebois : On a fait un peu moins de dix ans avec Les exclus. Par contre nous avons acquis ENFANTS DU QUÉBEC il y a trois ou quatre ans et il marche toujours. L’envers du jeu, à cause de son caractère scientifique, continue à être utilisé. Il arrive qu’on aimerait avoir des suites et des reprises à des films, car quand un film devient dépassé, il n’est pas évident qu’il soit remplacé par un autre; la place qu’il occupait devient vacante.
Copie Zéro : Quel facteur te semble le plus important dans I’utilisation ou la non-utilisation d’un film : la reconnaissance qu’il procure à l’étudiant ou la connaissance qu’il procure?
Denise Brisebois : Autant l’aspect connaissance joue lorsqu’il s’agit d’acheter le document, autant l’aspect reconnaissance devient le plus déterminant une fois qu’on l’utilise. Pourquoi? Pour toutes sortes de raisons très complexes, notamment, et ce serait à nuancer, parce que les étudiants ont peut-être plus de difficulté à conceptualiser ou à concevoir des idées. À ce moment-là, pour comprendre, ils se rattachent davantage à ce qu’ils reconnaissent. Les films de Moreau leur procurent justement cela. Et ces films savent aller les accrocher. Chez Moreau, il y a toujours du raffinement, des clins d’oeil, des détails qui prennent le spectateur. Michel a aussi la faculté de montrer des choses que, tant et aussi longtemps qu’elles ne se retrouvent pas à l’écran, on ne voit pas. Il sait utiliser une forme facilement décidable qui permet d’arriver directement au message.
Copie Zéro : Le fait que ce soient des films québécois est-il un facteur positif ou négatif dans l’utilisation des films?
Denise Brisebois : À cause de la nature des thèmes qu’ils abordent, c’est un facteur positif. Pour que les étudiants se reconnaissent, il faut que le contexte de la situation leur soit familier. Je dirais même que c’est d’autant plus important que plusieurs manuels qui abordent ces questions (les rôles sociaux, les valeurs, la délinquance, etc.) viennent d’Europe ou des États-Unis et donc puisent leurs références dans leur propre réalité qui ne peut pas correspondre exactement à la nôtre. Les films de Michel savent être attentifs à nos particularités.
Copie Zéro : Par qui et comment est utilisé ENFANTS DU QUÉBEC?
Denise Brisebois : On l’utilise en psychologie et en sociologie. Il sert à démontrer le phénomène de la socialisation de l’enfant, à faire réfléchir sur l’institution familiale par la comparaison des quatre familles et à illustrer les rôles sociaux et les valeurs sociales. Il y a tellement de demande pour ce film qu’on en a acheté une deuxième copie. Il faut aussi signaler, et c’est aussi l’intérêt de plusieurs films de Michel, qu’il réalise des oeuvres pas trop longues ou qui, comme dans ce cas-ci, se divisent en partie que les professeurs peuvent utiliser séparément. Un film trop long, c’est-à-dire qui dure quarante-cinq minutes et plus, ne trouve pas aisément sa place au programme des cours et des travaux.
Copie Zéro : La série L’envers du jeu a-t-elle une utilisation plus restreinte?
Denise Brisebois : Oui, seulement en psychologie. Son grand mérite est de rendre accessible un sujet abstrait, la théorie de Piaget. Je crois que Michel Moreau et Édith Fournier ont fait un petit chef-d’œuvre dans le genre, car avec beaucoup de raffinement, on passe du concept à l’exemple et du concept au modèle. Ce passage constant de la théorie à la réalité aide l’étudiant à faire les liens et donc à comprendre.
Copie Zéro : Tu as mentionné jusqu’à présent Les exclus, L’Envers du jeu et ENFANTS DU QUÉBEC. Est-ce tout ce que le collège possède de Michel Moreau?
Denise Brisebois : Non, nous avons aussi LES TRACES D’UN HOMME, mais curieusement le film n’est jamais utilisé. Je crois que c’est à cause du thème. C’est trop dur d’aborder le thème de la mort. Même en philosophie où ce serait peut-être sa place normale.
Copie Zéro : Arrive-t-il que des professeurs demandent de films de Moreau que vous n’avez pas et que vous devriez louer?
Denise Brisebois : Non, pas vraiment, car, par rapport aux cours que nous offrons, nous possédons tous les films pertinents de Michel Moreau. J’ai déjà envoyé de la publicité dans les cours pour UNE NAISSANCE APPRIVOISÉE et EN PASSANT PAR MASCOUCHE, mais ça n’a pas eu l’air de répondre à un besoin. Par exemple les départements qui parlent de la naissance (biologie, radiologie, archives médicales) l’abordent essentiellement sous l’angle médical; le film de Michel se situe à un autre niveau. Il arrive parfois que je revienne à la charge quand il y a un document que j’aime beaucoup. Je vais probablement organiser un prévisionnement de PREMIÈRES PAGES DU JOURNAL D’ISABELLE, car il me semble que ce film pourrait être utilisé pour parler du développement de l’enfant et se retrouver dans la banque de documents pour les étudiants. Car il ne faut pas oublier qu’il arrive que les professeurs donnent un sujet à étudier dans un document audiovisuel. Cette année plusieurs classes de psychologie ont eu à étudier un thème précis dans le bloc d’ENFANTS DU QUÉBEC qui porte sur la famille de campagne; donc les étudiants se sont succédés par groupe pour analyser cette partie du film.
Copie Zéro : Et ces films sont vus sur écran cinéma ou en vidéo?
Denise Brisebois : Exclusivement en vidéo parce que l’utilisation y est plus facile pour les professeurs et les étudiants. J’avais déjà acheté quatre épisodes de la série Les exclus sur film, mais je les ai rachetés plus tard sur vidéo, précisément quand la DGME a acheté les droits de ces films afin de les rendre accessibles à bon marché aux collèges. Le 16mm est vraiment désuet pour l’utilisation pédagogique.
Copie Zéro : Quelles qualités les professeurs et toi-même voyez- vous aux films de Michel Moreau?
Denise Brisebois : Voilà une question difficile à répondre. Je crois que les films de Michel Moreau sont charmants, au sens qu’ils te prennent et te fascinent, qu’ils sont raffinés et techniquement bien réalisés. En même temps ils sont faciles à décoder parce qu’ils ne sont pas des films techniques, parce qu’ils ne sont pas intellectualistes et qu’ils se présentent sous un abord familier même s’ils portent sur des sujets qui n’ont pas été souvent touchés. Michel Moreau est un excellent vulgarisateur, il sait raccrocher la théorie à la réalité. Certains professeurs font remarquer que souvent le point de vue ou la sympathie de l’auteur réussit à transparaître; ils ne disent pas ça comme critique, mais plutôt comme un élément dont on doit tenir compte dans la discussion du film.
Copie Zéro : Trouves-tu qu’il y a suffisamment de documents pédagogiques audiovisuels québécois?
Denise Brisebois : Il y a dix ans, j’aurais répondu non. Maintenant la situation s’est améliorée avec le développement en nombre et en qualité des productions collégiales et universitaires. Néanmoins les besoins sont encore très grands.
Copie Zéro : Au début de cet entretien, nous avons parlé des principaux utilisateurs des films de Michel Moreau. En terminant, pourrais-tu nous dire si les cours de cinéma font appel aux films de ce cinéaste?
Denise Brisebois : C’est curieux, mais quand j’y pense, je dois dire que non. Ni en cinéma québécois ni en analyse filmique. Il faudrait peut-être que j’en parle.
(Entrevue réalisée par Pierre Véronneau en décembre 1985)
Denise Brisebois est responsable de l’audiovidéothèque au Collège Ahuntsic et utilisatrice des films de Michel Moreau depuis plusieurs années.