Après Baudelaire
Michel Moreau est au milieu d’une belle bataille. Disons : le documentaire ne passera pas. Mais c’est une petite phrase trop simple, la question est plus large. C’est celle de la liberté. D’ailleurs c’est ce qu’a toujours fait miroiter le cinéma, aux foules du monde entier, et depuis le début. La liberté du cow-boy, ou du luxe, ou du voyage, etc. Mais dans une seule position, celle de l’évasion, du rêve. Loin du réel réalisable. Au niveau d’une certaine aliénation.
Mais le cinéma est jeune, très jeune à côté du théâtre ou de la peinture, et son évolution ne fait peut-être que commencer, n’en déplaise à ceux qui le voient déjà moribond. Les grandes choses sont à venir. Difficile à concevoir peut-être, mais par analogie, la littérature ne s’arrête pas après Victor Hugo, après Rimbaud, le cinéma… Pas plus qu’après Welles, après Godard… Car le réel est toujours là qui interpelle, exigeant sans cesse au moins d’être nommé. Suivi à travers ses entourloupettes et métamorphoses et sans cesse nommé, parce que le contraire c’est l’aliénation, vieux concept qu’on aime bien ne plus appliquer qu’à des individus, mais qui pourrait encore servir socialement… Le documentaire mort? Le cinéma mort? Nonsense! Il en est lui aussi à ses entourloupettes et métamorphoses. Et maintenant l’évolution fait rage, quelque chose de neuf cherchant à se faire voie. Mais quoi? Qui sait?
Or ce quelque chose, on le voit parfois qui travaille à sourdre dans certains films de Michel Moreau. Qui s’accroche systématiquement au réel, au trivial. Tout en se préoccupant, double mouvement, sans cesse d’accéder à un espace neutre. On parle de documentaire, on parle de fiction, on parle de mêler les deux, mais ça ne veut pas dire encore grand-chose: c’est le phénomène nouveau qu’il faudrait pouvoir savoir nommer. Différemment. Le terme n’est pas trouvé. Mais le sens affleure. Comme dans cette phrase de Godard : “Je suis parti de l’imaginaire et j’ai découvert le réel; mais, derrière le réel, il y a à nouveau l’imaginaire.”
On parle de chants nouveaux. Le réel vient à peine de commencer à se laisser explorer par le cinéma. À quelque temps devant nous, l’an 2000, qui va commencer un samedi matin, ça va être un drôle de fin de semaine. Par exemple pour ceux qui attendent ce jour-là pour faire leur magasinage, quand ils vont voir dans les vitrines : SOLDES DE FIN DE SIÈCLE! LIQUIDATION DU MILLÉNAIRE!… Pour ne prendre qu’un exemple fantaisiste. Qu’est-ce que ce sera? Documentaire ou fiction ou quoi? Rien que le regard libre.
Jean Chabot
Jean Chabot réalise des films depuis plus de vingt ans. Toujours, dans ses courts et longs métrages, il fut préoccupé par la réalité et l’imaginaire du réel et le rapport du cinéma au réel et à la fiction. Des préoccupations à le mettre sur la même longueur d’onde que Michel Moreau.