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Le dilemme du court métrage (de fiction, indépendant, etc.)

La situation du court métrage est bien compliquée! Elle donne l’impression d’un casse-tête avec lequel des enfants se seraient amusés pendant toute une semaine. Les pièces sont toutes tordues et on ne sait combien il peut en manquer. Bref, ça n’a rien à voir avec la recette du pain doré qui, elle, n’a rien à voir avec le court métrage (jusqu’à preuve du con­traire)… Vous voyez ce que je veux dire?… Bon, je vais (naïvement) essayer de démêler ce que j’en pense.

S’il y a des sujets de films impossi­bles à concevoir en moins de 90 minu­tes, il s’en trouve d’autres qui sont exclusivement des sujets de court métrage. Aussi, certains réalisateurs ou scénaristes réussissent mieux dans les sujets courts que longs, dans le documen­taire que la fiction, etc… C’est selon les habiletés, l’esprit, le métier, les préféren­ces. Et puis, en général, critiques et ciné­philes admettent que la qualité d’un film n’a rien à voir avec sa durée de projec­tion et s’entendent pour dire que le court métrage est au long métrage ce que la nouvelle est au roman.

On sait aussi qu’une même idée peut être développée selon un traitement de court ou de long métrage, et donner des résultats différents, mais tout aussi inté­ressants dans chaque cas. Je vais donc essayer d’appliquer ce point de vue et d’établir une version courte et une lon­gue de la situation du court métrage.

Alors pour faire une histoire longue, revenons à cette phrase: “le court métrage est au long métrage ce qui la nouvelle est au roman”. C’est vrai, sans doute. Mais s’il est possible à un écrivain d’accéder à une certaine notoriété et de faire reconnaître la valeur de son travail (“exister” en somme) uniquement par la nouvelle, il en va tout autrement pour le réalisateur de court métrage. Jamais on ne va lui accorder une importance égale à l’auteur ne serait-ce que d’un seul (mauvais) long métrage. En fait, il sera toujours considéré comme un débutant en apprentissage, et s’il a le malheur d’avoir fait trop de “petits films”, on conclura qu’il n’a pas le talent ou l’envergure pour réaliser un long métrage!

D’ailleurs se peut-il qu’un cinéaste ait envie de tourner avant tout des courts métrages? Il s’en produit un bon nombre chaque année, mais bien peu de cinéas­tes veulent se spécialiser dans ce type de production. Il est impensable qu’il en soit autrement: les courts films n’ont pas de débouchés commerciaux, donc on ne leur consacre pas de budgets décents (propor­tionnellement très en dessous de ce que coûte un long métrage). Par conséquent, il leur est difficile de rivaliser, sinon en qualité, du moins en “glamour” avec un film plus long.

Malgré cela, la qualité des “courts- métragistes » a toujours été et demeure excellente. C’est qu’à la pauvreté des moyens, les “courts-métragistes” oppo­sent des efforts d’imagination et un tra­vail de forcené. Même là, il risque de se produire ce qui nous est arrivé dans le cas de L’OBJET : bien que Radio-Canada ait investi dans sa production, les fonc­tionnaires du secteur de la programma­tion s’en sont servi pour combler un vide dans leur grille horaire. Le film d’abord programmé un vendredi fut devancé au lundi…! Nous n’en avons pas été infor­més, nos efforts pour signaler aux médias cette diffusion sont devenus inutiles, etc… Après tout, ce n’est qu’un “petit film”!

Au moins, il a été diffusé et vu par un bon nombre de gens. La distribution en salle est de loin plus difficile. Ici, on a affaire à l’industrie privée. Le raison­nement qui s’y tient est simple et mer­cantile: ajouter un court sujet allonge la durée de chaque séance, le total de pro­jections/semaine va diminuer et les recet­tes aussi. Simple et mercantile. Dans un milieu aussi peu novateur que celui de nos distributeurs, cela suffit à convain­cre. Pourtant, tout ce qui devrait augmen­ter la qualité du spectacle devrait aussi attirer plus de spectateurs.

Actuellement tout l’effort publici­taire tourne autour du long métrage; c’est par lui qu’on attire le public. Parfois les spectateurs s’impatientent d’avoir à atten­dre que commence enfin le film qu’ils sont venus voir. En publicisant aussi le court métrage, on ne risquerait plus d’indisposer le public. Mieux encore, il serait satisfait d’une programmation amé­liorée, plus complète. Le quasi prover­bial “plus de satisfaction pour votre argent” peut et devrait jouer ici. Cela implique une campagne pour informer et populariser une nouvelle formule de séance de cinéma. Puisque les salles de cinéma se vident progressivement, un effort de renouvellement ne peut être que bénéfique.

Supposons que les distributeurs appliquent cette idée. On les imagine aus­sitôt placer en première partie de tout long métrage des vidéo-clips ( en version 35 mm) ou toute autre production émi­nemment commerciale! Bon, c’est à pré­voir! Le court métrage y gagnerait de toute manière, puisqu’un marché s’ouvrirait. Les producteurs de vidéo-clips ne laisseraient pas aller leurs produits pour une bouchée de pain et leurs pressions amèneraient les distributeurs à augmen­ter leurs taux de location des courts métrages, présentement tellement bas qu’ils relèvent autant de l’aumône que du symbolique! De fait, le seul avantage financier d’une distribution en salle est d’obtenir un investissement de la Société Générale du Cinéma afin de gonfler en 35 mm un film habituellement tourné en 16 mm. Par la suite toute entrée d’argent prévisible va servir à rembourser cet investissement (et les autres!). Il faudrait aussi que l’ONF cesse le “dumping” de courts métrages qu’elle pratique depuis toujours. Et puis, tout court sujet que la télé aura diffusé au préalable ne consti­tue plus une primeur et c’est cela que veulent les distributeurs. Voilà enfin ouvert un débouché pour le court métrage indépendant!

Pas tout à fait. Pour financer n’importe quel film, les producteurs ont recours aux institutions gouvernementa­les: la SGC et Téléfilm Canada. Ce der­nier exige de trouver d’abord un investissement de la part d’un télédiffu­seur, qui lui en retour exige l’exclusivité. (Il n’y a pratiquement que les films étu­diants qui échappent à cette loi du milieu!) Alors les distributeurs en salle ne voudront pas d’un court métrage qui n’est plus une primeur! Mon beau châ­teau de cartes s’écroule et me revoici dans un cul-de-sac, mon court métrage sous le bras!

Les médias aident-ils à faire connaî­tre le court métrage? Si peu!… De temps à autre, une ou deux lignes dans un jour­nal, rien à la télé ou à la radio. Pourtant dès que la moindre toile est exposée, la moindre performance est tenue, on le relate en détail. Le court métrage lui ne trouve jamais sa place parce qu’on le con­sidère, non pas comme la manifestation d’un “art”, mais comme sous-produit d’une industrie. Et avec ses vedettes, sa large diffusion commerciale, ses festi­vals, ses budgets publicitaires, l’industrie du long métrage draine toute l’attention.

Si on pose la question aux journalis­tes, ils invoqueront ne pouvoir parler que de films tenant l’affiche. Or un court métrage ne tient pas souvent l’affiche! Je sais par expérience que, même s’il est projeté en complément de programme pendant plusieurs semaines, il y a peu de chance que les médias disent quoi que ce soit de lui tant l’habitude est établie de les passer sous silence.

La perception du court métrage qu’a le milieu du cinéma n’est pas différente non plus et n’incite pas à s’y consacrer. Trois anecdotes le démontrent assez bien. Il y a dix ans, un réalisateur s’exclamait en s’apercevant que j’avais à mon crédit une dizaine de courts métrages: “Mais qu’est-ce que t’attends pour soumettre un projet de long métrage?” Eh oui! A l’époque, tout jeune réalisateur s’empres­sait de tourner un ou deux courts films afin d’appuyer sa “première œuvre”, comme aujourd’hui on fait des commer­ciaux ou des vidéo-clips pour les mêmes raisons. (Évidemment, ce terme de “pre­mière œuvre” ne s’applique qu’au long métrage, tout ce qui fait moins de 60 minutes étant ignoré!).

La Canadian Academy of Motion Picture m’expédia un jour un formulaire d’inscription. J’ai remarqué que le droit de vote pour les prix Genies s’exerçait ainsi : le réalisateur d’un long métrage votait pour toutes les catégories de films, le réalisateur de court métrage unique­ment pour les courts sujets! Ce qui veut dire que l’auteur d’un navet dans le style film de sexe, d’horreur ou autre bouffon­nerie niaiseuse, aurait une compétence suffisante pour juger de la production d’ensemble d’un pays, mais que, par exemple, un Norman McLaren n’est pas apte à voter sur un long métrage!?! J’ai trouvé ceci assez ridicule, sinon insultant, et n’ai pas adhéré à l’Academy.

C’était il y a quelques années déjà, peut-être ont-ils revu ce règlement depuis, je n’en sais rien. Plus récemment, aux Rendez-vous du cinéma québécois, on a affiché de grandes photos de réalisa­teurs. Uniquement des auteurs de long métrage même s’ils en étaient à un pre­mier film. Je l’ai fait remarquer. On m’a répondu qu’il n’y avait là aucune mau­vaise intention, et que le budget réduit avait empêché d’ajouter les photos des “courts-métragistes”. On ne s’est pas demandé s’il y avait des réalisateurs dignes d’intérêt nonobstant la durée de leurs œuvres; mais le manque d’argent a provoqué un automatisme: les réalisa­teurs de long métrage avant les autres.

Est-ce que les courts métrages sont condamnés à demeurer marginaux, mal diffusés, ignorés du grand public? J’espère bien que non! Je vois trois moyens pour corriger la situation du court métrage. Le premier serait d’impo­ser un contingentement par le biais de la loi sur le cinéma. Il me semble qu’on en parle vaguement depuis un bon bout de temps et j’imagine bien où cela se situe dans l’ordre des priorités de nos politi­ciens. On peut douter qu’arrive le jour où les distributeurs seraient obligés de diffuser un minimum de courts métrages. Les effets d’un tel contingentement sont difficiles à prévoir, mais ça ne devrait quand même pas empirer les choses!

Le second, plus modeste et réalisa­ble à court terme, résulterait d’un effort de la part de cinéastes et de distributeurs (les petits sont les plus imaginatifs!): soit de regrouper des courts métrages en des programmes de la longueur d’une séance de cinéma. Un programme basé sur l’humour par exemple obtiendrait beau­coup de succès. On peut imaginer d’autres programmes de films d’anima­tion, de contes fantastiques, etc… Il ne faudrait pas simplement coller bout à bout chacun des films, mais les intégrer par des “liens”, des scènes amusantes ren­forçant le thème choisi pour chacun des programmes. Pensons aux films italiens tels ALLEGRO NON TROPPO, LES NOUVEAUX MONSTRES, à la popu­laire sélection du Festival de “films publicitaires”,… ou aux trois épisodes d’ELVIS GRATTON regroupés en un long métrage qui devrait sortir cet automne.

Un troisième élément de solution serait de créer ici un festival (internatio­nal) de courts métrages comprenant une section compétitive ouverte à tous les pays, mais aussi une rétrospective de la production québécoise, une section ani­mation, une section publicitaire, une sec­tion ONF (s’ils le méritent!), etc… Ce qui attirerait l’attention des médias, du public, des exploitants, etc… créant un effet d’entraînement dont bénéficierait l’ensemble de la production de courts films.

Une manifestation de ce genre con­tribuerait sans doute le plus à tirer le court métrage de son impasse. Elle met­trait en valeur le court sujet en tant qu’œuvre achevée et non seulement comme étape d’apprentissage. On y ver­rait des visions différentes et percutan­tes, on y découvrirait un véhicule d’expérimentation, de recherche formelle ou de contenu, mais aussi des films de facture classique et raffinés.

Voilà pour la version longue de ce portrait de la situation du court métrage. La courte ressemblerait à ceci: pour vou­loir faire un court métrage, il faut avoir le goût du missionnariat doublé d’une tendance masochiste de style “poète maudit”. Être en somme passablement cinglé et ne pas trop s’inquiéter si nos films restent sur les tablettes. Puis, pour que ça change, il va falloir se lever de bonne heure, parce qu’il y a de l’ouvrage à faire.

Cette version courte est sommaire, penserez-vous, mais vous remarquerez que, de la version longue, vous n’en aurez pas retenu beaucoup plus. Il en va de même du court métrage qui va droit à l’essentiel, puisque c’est ce qu’il importe avant tout de se rappeler,

Roger Cantin


Scénariste, caméraman et réalisateur, Roger Cantin est coauteur avec Danyèle Patenaude de plus de trente courts métra­ges dont trois importantes séries intitu­lées INTERLUDES où ils expérimentent les techniques de la pixilation. Ils ont aussi écrit le scénario de LA GUERRE DES TUQUES.