Conversation à bâtons-rompus avec moi-même
Juin 1980
Le cinéma et l’enfance
“La belle, de ses mains gracieuses, caressa le visage de la bête meurtrie. Son geste ressemblait tant à l’amour que le monstre en perdit sa laideur.”
Je sortis de la salle de projection des Franciscains de Québec, avec une drôle de sensation au creux de l’estomac. A dix ans, pour vingt-cinq cents, je venais d’attraper le virus du cinéma. J’en étais redevable à un certain Jean Cocteau, je le sus plus tard.
Ainsi, chaque samedi, durant deux ans, mon frère et moi, gravissions immanquablement le grand escalier menant à la haute-ville pour aller nous enfermer dans la pièce bruyante, sombre et magique. La veille au soir, nous avions eu droit à une projection différente à l’école de notre paroisse. C’est donc au milieu des cris, des bousculades, des sucres d’orge, des croustilles et des amourettes que je fus contaminée, à jamais, victime du ravissement.
Aujourd’hui, il n’y a plus d’endroit où l’enfant peut se retrouver maître de son sort, sa solitude protégée par la pénombre, héros de mille aventures. Dans les cinémas on lui offre, à l’occasion, quelques films cent fois passés sur le petit écran. Terminé ce sentiment d’excitation à la tombée de la lumière, à l’apparition de la première image: Mary Field nous a quittés depuis longtemps et les producteurs ont oublié, à nouveau, les enfants. Pas tous heureusement et, depuis quelque temps, au Québec, l’on travaille pour eux, avec eux, et ils en sont ravis.
Enfance, petit monde où je me sens si bien. Enfants blonds, roses et ronds, toute ma vie je vous ai observés, du coin du coeur. Dictateurs si vulnérables! Je ne pouvais faire autrement que de vous dédier mes premières images.
Juin 1981
La porte de service
Comme la majorité des apprentis-réalisateurs, je suis entrée dans le monde des fabricants d’images par la porte de service ou, si vous préférez, via le court métrage. Ce format me semblait alors (et me semble toujours) idéal pour apprendre les rudiments du métier de cinéaste.
Pour mon premier film, j’ai adopté, un peu malgré moi, le procédé “essais et erreurs” apprivoisant, par la suite, la technique extraordinaire du montage. Miracle! La danse, qui m’avait tant envoûtée, le long de mon adolescence, s’est réveillée au milieu de mes images, vibrante et sensuelle. Je venais de faire mes premiers pas dans un monde fascinant et cruel à la fois, où les poches se vident en un tour de manivelle et où la confiance chavire au premier murmure perplexe d’une salle.
Monde du Cinéma avec un grand C! Monde du long métrage de fiction! Le court métrage, lui, sert de tremplin ou de carte de visite, en vue d’accéder à “la respectabilité” du quatre-vingt-dix minutes! Et si le bonheur, pour certains, se trouvait dans les petits films? Et si ces derniers s’avéraient aussi importants et intéressants que le long métrage pour l’évolution de cet art où le créateur doit être aussi rusé que l’homme d’affaires afin de protéger son intégrité d’auteur? Depuis longtemps, en littérature, la nouvelle a obtenu ses lettres de noblesse. Et personne ne s’en porte mal! C’est à croire que le court métrage n’existe que pour Norman McLaren (que j’admire beaucoup) ou pour l’animation!
Juin 1982
Court métrage et financement
Les salles de cinéma ne s’intéressent plus au court métrage. Il y a bien eu quelques efforts pour encourager les exploitants à diffuser ce genre de films. En effet, l’Académie du cinéma canadien, conjointement avec le Conseil des Arts du Canada organisait, ces dernières années, un “Palmarès du court métrage indépendant”. Pour assurer la diffusion en salle (avant un long métrage) des films choisis, ils allaient jusqu’à payer les droits pour une période de trois ans. J’ai eu la chance de remporter un de ces prix: jamais le film n’a été exploité et je ne suis pas la seule. On peut constater là l’intérêt de ces multinationales face au court métrage.
En France, une loi oblige les exploitants de salle à réserver 1% de leur recette pour la diffusion de courts métrages. Ils versent bien le pourcentage. .. mais ne passent pas le sujet court, lui préférant la publicité, beaucoup plus payante! Il semble donc que là comme ici, le court métrage demeure le tremplin, la carte de visite, etc.
Pour rester réalisateur de court métrage, il faut donc être riche ou se ficher de ne l’être jamais, car il faut continuellement débourser de sa poche. L’on peut, à l’occasion, réaliser des commandites, devenir publiciste, exercer un deuxième métier ou avoir la chance “inouïe” d’entrer quelques années à l’ONF. On peut aussi s’avérer complètement fou, mais cela vaut aussi pour le réalisateur de long métrage! Folie douce ou furieuse où le créateur, pour s’exprimer, doit traverser les méandres tortueux du financement et des échéances.
Pour ajouter une note à cette suite d’éléments baroques débordant d’optimisme, ajoutons que, depuis quelques années, la télévision, ce sauveur du court métrage, dernière mamelle du petit réalisateur, s’éloigne de ce format qui lui semble, de plus en plus, inadéquat et perdu dans une grille horaire où l’on se préoccupe de moins en moins de la formation culturelle du spectateur.
Juin 1983
Le court métrage et le spectateur
Le plus frustrant pour un réalisateur de court métrage, c’est le manque d’interaction avec un vrai public. C’est par ses rires, ses silences interrogateurs ou émus, ses murmures désapprobateurs ou ravis, que le réalisateur peut se corriger, s’améliorer ou, tout simplement, s’encourager. C’est là, à mon avis, l’importance des Rendez-vous du cinéma québécois et des autres manifestations du même genre, trop rares, malheureusement! Comme ce serait agréable, de temps en temps, des programmes de courts métrages, dans un vrai cinéma, avec un vrai public aux sens à fleur de peau et non pas muet, comme à la télévision!
Le court métrage est donc plus souvent, hélas! sur les tablettes qu’ailleurs. Même pour les distributeurs, ce format n’est pas très intéressant puisque le travail nécessité par les négociations s’avère plus ou moins rentable. Il faut donc trouver un agent qui adore le film ou possède le feu sacré pour sa profession avec, en plus, un brin de folie. Et malgré tout, il y en a!
Juin 1984
Le court métrage et la relève
S’il est maintenant si difficile de trouver de l’investissement pour le court métrage, comment les jeunes et les moins jeunes (ceux qui, comme moi, sont arrivés sur le tard) feront-ils pour accéder à ce monde du cinéma et y apporter du sang nouveau? Je ne connais personne prêt à assurer le financement d’un long métrage comme premier film d’un nouveau venu. Ce dernier devra donc débourser de sa poche (comme je l’ai fait pour quatre de mes courts métrages). Il lui faudra aussi tourner dans des conditions très artisanales, sacrifiant trop souvent l’esthétisme apporté par une bonne technique au profit de l’originalité alors que les deux font si bon ménage. Par la suite, ce sera les longues séances, perlées de sueur, devant la table de montage afin de corriger les malheurs dus à de mauvais équipements. Quêter à droite et à gauche, promettant des salaires, en différé, qui ne rentreront jamais; s’éterniser sur un cinq minutes. Puis faire juger son œuvre fragile par des personnes qui, pour n’avoir pas vécu ce pénible processus, s’attristeront de ne pas y retrouver l’insolite d’un Resnais ou l’éclat d’un Spielberg. Et si, malgré tout, notre nouveau réalisateur perce, il sera, trop souvent hélas! devenu amer ou dictateur et son plaisir pour la création sera mort, étouffé par l’agressivité.
Juin 1985
Réaliser en dehors de Montréal
Faire du cinéma, en dehors de la Métropole, offre des avantages comme des désavantages. Nécessairement, les budgets seront plus élevés du fait de l’éloignement des laboratoires, des principaux investisseurs et de certains techniciens et comédiens. Les frais de téléphone, de transport, d’expédition et de per diem seront souvent exorbitants. Heureusement, les sociétés d’aide au cinéma comprennent bien ces dépenses inévitables et n’en tiennent pas trop rigueur aux boîtes de production régionales.
Par contre, en tant que réalisateur, être éloigné de “la jungle”, comme on dit, s’avère très intéressant pour garder une certaine liberté d’esprit face à sa créativité. Se tenir loin des potins et des opinions, parfois blessants, fait office d’armure à notre trop grande sensibilité. Quant à moi, même dans ma ville, je préfère me tenir en dehors du milieu. Il faut dire que j’ai deux priorités: ma famille et le cinéma. Je n’ai ni le temps, ni le goût, de courir, de faire du “lobbying” ou des courbettes à droite et à gauche. Je profite de mes temps libres pour visionner les meilleurs films qui nous arrivent, tout en m’efforçant de garder intact mon envoûtement pour la beauté des images et leur histoire.
Je veux avoir et me faire plaisir en réalisant mes films, écrire et tourner les récits que j’aime. Travailler dans des conditions humaines (à l’instar des tournages de Jean Pierre Lefebvre), avec des budgets raisonnables (c’est gênant de dépenser tant d’argent pour du rêve en boîte alors que le tiers du monde crie sa faim!). Des films sans message ni symbolisme conscient, juste un peu d’espoir, de fraîcheur et de poésie afin d’apporter quelques instants de détente à des spectateurs fatigués de se battre avec la vie. Un cinéma moins néfaste qu’un joint ou un verre de gin!
Je suis une solitaire qui protège sa solitude tout en livrant une part de ses rêves. Et même si cet isolement s’avérait néfaste pour ma profession, tant pis! Jamais je n’accepterai de jouer de la politicaillerie. Le cinéma est sans doute une très belle histoire, mais il n’est pas une question de vie ou de mort: l’être humain, en chair et en os, demeurera toujours, pour moi, plus important que les ombres évoluant dans la noirceur de la caverne. Mais je ne dis pas que je n’aurais pas mal si je devais me retirer, car je ressens une véritable passion pour ce métier extravagant!
Stella Goulet
Depuis 1980, Stella Goulet a réalisé PIC ET PIC ET CONTREDANSE, MÉLODIE MA GRAND-MÈRE, TROIS PETITS TOURS… et, avec Daniel Guy, LES CHEVAUX D’ACIER. Tous ces films ont été produits par Spirafilm de Québec.