La Cinémathèque québécoise

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Le cinéma : de plus en plus autonome

Le cinéma québécois est né du documen­taire, a gagné ses lettres de noblesse grâce à lui et, porté encore par lui, jette toujours un regard sur les problèmes collectifs de la société actuelle. On retrouve aussi cette même démarche, depuis vingt-cinq ans, chez les cinéastes de longs métrages de fic­tion. Faut-il rappeler que nos premiers films de fiction devaient, au départ, être — dans la majeure partie des cas — des documentaires, documentaires détournés en films de fiction par certains cinéastes (Groulx, Lamothe, Carie) qui profitèrent de l’enthousiasme des années 60 et d’un certain laxisme administratif qui allait de pair avec la complicité de la gérance. Mais ces films se réclamaient tous de la vérité du documentaire.

En fait, nos documentaires étaient filmés comme des fictions (LES RAQUETTEURS, LES BÛCHERONS DE LA MANOUANE, GOLDEN GLOVES, VOIR MIAMI, etc.). Et les spectateurs qui ont vu à leur sortie LE CHAT DANS LE SAC ou LA VIE HEUREUSE DE LÉOPOLD Z, les ont regardés comme des documentaires. Une même volonté “eth­nographique” supportait toutes ces réali­sations, privilégiant le réel à l’imaginaire.

Il n’est pas surprenant qu’en 84, au moment où la fiction redémarre (excellente année), redécouvrant l’imaginaire, le désir et le rêve, comme le soulignait Michel Euvrard 1, qu’un long métrage comme LE DERNIER GLACIER ait été réalisé, ins­crivant toute la problématique cinémato­graphique des 25 dernières années de notre histoire filmique (ne vient-on pas aussi de fêter les 25 ans de la production française de l’ONF?). Jacques Leduc et Roger Frap­pier, parlant des 25 ans d’une ville minière, Schefferville, quintessencient, en deux heures magnifiques, à peu près tous les sujets qu’avaient abordés nos films depuis la Révolution tranquille, investis­sent le documentaire par la fiction, et vice- versa, — coprésence de deux genres qui indique parfaitement le paradoxe de notre cinéma. LE DERNIER GLACIER fait une mise au point nette, nouvelle et rigoureuse, sur la question du comment-faire un film, qu’il soit de type documentaire ou fictionnel.

Léa Pool, réalisatrice de LA FEMME DE L'HÔTEL qui a obtenu le Prix L.-E. Ouimet/Molson 1984 Photographie Alain Gauthier
Léa Pool, réalisatrice de LA FEMME DE L’HÔTEL qui a obtenu le Prix L.-E. Ouimet/Molson 1984
© ACPAV

C’est que cette oeuvre de Leduc et Frappier, par une voie tierce et intrinsèquement cinématographique, en n’occultant pas les fondements ontologiques du 7e art, sem­ble déjà indiquer qu’on saura mieux à l’avenir répondre à la question du comment-faire. Ce n’est donc pas un hasard que LE DERNIER GLACIER soit apparu sur nos écrans en 84 en même temps que les meilleures fictions québécoi­ses depuis des lustres. La question du comment-faire semble bien avoir été réso­lue chez SONATINE de Micheline Lanctôt, LA FEMME DE L’HÔTEL de Léa Pool, JACQUES ET NOVEMBRE de Beaudry et Bouvier et, dans son genre, LA GUERRE DES TUQUES d’André Melan­çon. Et comme contre-exemple de ces démarches, j’indiquerais LES ANNÉES DE RÊVES de Jean-Claude Labrecque, entreprise tout à fait bâtarde quant au comment-faire.

Comme bilan de l’année 84, on peut soutenir que la fiction affirme de plus en plus son autonomie, c’est-à-dire là où le cinéma, par ses propres moyens, s’affirme lui-même pour lui-même.

André Roy


Écrivain et critique de cinéma, André Roy col­labore à la revue Spirale.

Notes:

  1. Dans son pénétrant article, “Le cinéma post­référendaire”, Le Devoir, 6 avril 1984, pp. 19 et 26.