La Cinémathèque québécoise

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Un regard à partager avec le monde

Blight never does good to a tree… but if it still bear fruit, let none say that the fruit was in consequence of the blight.

— William Blake

Cette phrase est extraite d’un livre qui s’intitule SILENCES écrit par un écrivain américain, Tillie Olsen, et publié par Delacorte Press/Seymour Lawrence.

C’est mon livre de chevet depuis un bon moment, un ami qui me rassure que je ne suis pas seule et qui m’aide à comprendre.

Un témoignage d’une femme cinéaste? Je regimbe. Pourquoi pas un témoignage de cinéaste tout simplement? Idiote. Comme si nous pouvions, nous, les femmes, oublier la condition dans laquelle nous devons créer. Un premier film que j’entreprends à l’aube de mes quarante ans. Il faut être folle. Il faut vouloir vivre, survivre. Malgré tout. Créer. Parler. Hurler. Est-ce par réaction à la nullité de nos premières créations. Dans un con­texte d’acceptation par la société. D’un enrichissement. Aurions-nous ce même besoin de créer si… là n’est pas la question, mais demeurera encore longtemps une question.

ÇA PEUT PAS ÊTRE L’HIVER ON N’A MÊME PAS EU D’ÉTÉ est l’histoire d’Adèle, une femme de 57 ans qui a toujours vécu pour et par les autres. Deux générations plus tard, je suis une autre Adèle. Deux générations qui ont connu beaucoup de changements. Grâce à des femmes de courage qui nous ont tracé le chemin et à des hommes de bonne volonté, nous avons le privilège (?) de nous exprimer en plus grand nombre publiquement, de participer à la vie culturelle, politique du monde d’aujourd’hui… et je réalise un premier film, un film dramatique, un long métrage. Un miracle. Je suis cinéaste. Je suis toujours une femme. Ça ne change pas. Pas beaucoup. Ou si peu.

Le cinéma dans ma vie n’en sera que sa continuité. J’écrirai tou­jours. Je pense. Même en silence. Ferai-je toujours du cinéma? Je ne le sais pas. Nous sommes au Québec. Le cinéma francophone est aussi coûteux que le cinéma anglophone canadien ou américain, mais plus difficilement rentable. C’est ce qu’on dit. On verra bien. Oserai-je continuer si je ne peux, comme le dit également Woody Allen, faire au moins un dollar avec mon film afin d’en faire un autre? Je suis, je l’ai dit, une autre Adèle, donc, très pragmatique. La situa­tion du cinéma en ce moment au Québec est à un tournant. Ça tourne, ça tourne. Il faudra analyser, se questionner. Je serai la première à le faire. Parce que le cinéma, pour moi, c’est d’abord ça. Une réflexion. Qui passe par l’écriture d’abord. Puis un regard que je veux partager. Partager avec le monde dans lequel je vis pour qu’eux à leur tour passent à la réflexion. Ensemble, nous évoluerons.

Que dire de ma découverte logistique du cinéma? Les merveilles d’un plateau de tour­nage. Cet air de complicité, d’affec­tion qui flotte dans l’air. La découverte de métiers si peu con­nus. Tes personnages qui prennent vie et qui, à ton insu, s’épanouis­sent et t’apportent une troisième dimension. L’expérience de plateau, ces semaines de tournage sont certainement les moments les plus intenses, les plus agréables, les plus ardus de l’expérience cinématographique. Ça, je m’y at­tendais. Ce que j’ignorais devait venir plus tard.

Mes plus grandes découvertes se situent, bizarrement, au niveau sonore. J’ai découvert la force du son, sa magie, sa richesse et son encombrement également. Le silence n’existe plus. Notre cinéma qui se tourne presque toujours en location devient donc très difficile à contrôler. Peut-être est-ce mon amour également de la parole qui me fait respecter le son? Je sais que je ne tournerai plus de la même façon.

Je ne peux pas pour le moment élaborer sur mon expérience cinématographique. Le voyage n’est pas terminé. Je n’ai pas de recul. Enfin juste assez pour me permettre d’admirer et de respecter les cinéastes de chez nous, les défricheurs de ce métier. Les Brault, les Labrecque, les Jutra et les autres. Juste assez pour savoir que la venue des femmes dans ce métier, je pense aux Dansereau, Lanctôt et à toutes celles qui se lèvent à l’horizon, ap­portera une autre couleur à notre cinéma québécois, l’enrichira sûre­ment. Juste assez pour savoir que les jeunes qui se dirigent dans ce métier partageront plus tôt que nous le domaine des idées et ap­porteront eux aussi à leur tour une autre facette à notre cinéma.

En tant que cinéaste, au Québec, je me permets d’être optimiste.