La Cinémathèque québécoise

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Anciens périodiques

Faire des films de dix secondes

Je suis une cinéaste “du marché privé”. Je fais du cinéma d’anima­tion. Est-ce un art, une industrie, un commerce? Suis-je graphiste, animateur, réalisateur, producteur, cinéaste? Je veux bien me coller toutes ces étiquettes.

Depuis 7 ans, jour après jour, image après image, je fais du film. Depuis 7 ans, à la même fenêtre. Au dehors tout est stable, le paysage est le même, au dedans tout s’est bousculé. Tout a commencé avec Québec Love. Une chanson qui devient film d’anima­tion fait par huit étudiants pleins d’enthousiasme, qui vivent une aventure de création collective, qui forment une compagnie dont je suis présidente pendant 4 ans. Et j’y mets tout ce que je suis à apprendre mon métier, à bâtir notre territoire, à survivre à l’aide de subventions, en faisant du film d’auteur. Puis vient le moment où j’ai voulu aller vers autre chose. Je quitte les Films Québec Love, j’ouvre Animabec.

Avec Animabec, je fais ce que je voulais faire. Mes films d’animation sont des ouvertures d’émission télévision (ex : l’Objectif), des iden­tifications de poste (ex : Ballons Radio-Québec), des signatures (logo animé) de compagnie. Ma formation de designer graphique m’oriente vers ce type de films. C’est un produit cinématographi­que qui me permet l’exploitation d’une conception graphique de l’image en mouvement. C’est un court format (5-10-30 secondes), qui demande entre 2 semaines à 3 mois de temps de production.

Je peux donc faire plusieurs films dans une année, explorer plusieurs concepts graphiques, découvrir plus d’un effet visuel, évoluer rapidement.

J’aime aussi le médium de la télévision. C’est un médium où l’électronique s’ajoute au film, et en animation graphique, l’électroni­que est une dimension intéres­sante. C’est un médium qui appelle une communication directe. Quand on rentre chez les gens régulière­ment avec une même image, com­me on se trouve à le faire avec une identification de poste, il faut pouvoir aller les chercher et con­tinuer à le faire même après 6 mois de diffusion. C’est un défi intéres­sant, faire un film que les gens ont envie de revoir souvent.

Mon option est très spécialisée. J’y vis donc l’inconvénient de me sentir isolée dans cette démarche. Je ne me rattache à aucun milieu, à aucun groupe. Je fais du film, mais du film d’animation; je fais du film d’animation, mais pas du film d’auteur comme à l’ONF ou chez les indépendants; je fais des com­mandites mais pas beaucoup de publicité et pas du tout de cartoon comme la plupart des autres studios d’animation. Je suis spécialisée dans une spécialité. Avec tout ce que cela comporte. Mais j’ouvre un marché. C’est long et difficile mais c’est passionnant car c’est moi qui établis les règles du jeu.

Ma liberté n’est pas pour autant totale. J’ai des compétiteurs et ce sont des monstres : Radio-Canada avec son équipe permanente d’animateurs, Los Angeles et New-York avec l’animation par ordinateur. Il me faut donc être aussi bonne que l’entreprise d’Etat, offrir autant que la  “greatest America” avec sa “greatest animation” électronique, sans toutefois y avoir autant de temps, autant de moyens, autant de budget.

Mais j’ai des choses à offrir.

Je suis propriétaire, c’est mon entreprise, j’y fais ce que je veux et cette motivation me donne beaucoup d’énergie. Je suis Québécoise et j’ai une culture à of­frir à mes semblables, ceux-là qui sont mes téléspectateurs. J’ai la créativité à opposer à la commercialité des compagnies d’animation électronique. Et j’ai de l’endurance, je saurai attendre l’évolution de cette mentalité de colonisé, et le changement de ce système où l’Etat compétitionne son industrie