La Cinémathèque québécoise

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Conclusion

Comme on le voit, la création de la production française est le fruit d’un mouvement qui débute en 1942 et donna lieu périodiquement à des manifestations de courage et de combat. La guerre voit la naissance d’une French Unit qui bénéficie d’une marge de pro­duction fort convenable. L’après-guerre correspond à des années sombres; les francopho­nes frôlent l’assimilation. L’arrivée de la télévision, la conjoncture politique et les pressions extérieures amènent un changement positif. À partir du milieu des années cinquante, le mouvement s’accélère, le groupe québécois se renforce, les œuvres s’affirment plus soli­des, plus créatrices, d’une diversité stylistique stimulante.

En 1964, avec la création d’une Production française autonome, le cinéma francophone onéfien, comme la société dont il participe, de Canadien français devient québécois, dési­gnant ainsi son appartenance. On affirme, à l’ONF et hors l’ONF, on consacre au grand jour une situation trop longtemps recelée, contenue, maintenue. Mais cette institutionna­lisation est en retard sur la conjoncture et sur les attentes des cinéastes. Les mesures de contrôle qu’impose Juneau en lançant la production française provoquent une crise de crois­sance grave, une hémorragie créatrice et occasionnent du désarroi durant quelques années. Mais le potentiel est là et elles ne résisteront pas bien longtemps.

Notre période se termine ici, sur une nouvelle structure appelée à évoluer au fil des ans en fonction des problèmes et des obstacles qui confronteront encore les cinéastes. L’évo­lution de la conjoncture cinématographique influencera l’ONF; nous pensons notamment à la création de la Société de développement de l’industrie cinématographique canadienne dont les décisions n’iront pas toujours dans les directions que souhaitaient les cinéastes en 1963-64. Dans ces circonstances vont revenir à l’ONF certains cinéastes qui l’avaient quitté entre 1963 et 1966 et vont y entrer des jeunes qui faisaient alors leurs premières armes de façon indépendante.

C’est en 1967 que la production française connaîtra réellement un nouveau départ. Comme c’est souvent le cas, des textes importants baliseront la réflexion qui y préside. Le pre­mier est dû à la plume de Jean Le Moyne qui est le penseur officiel de la production fran­çaise en ces années soixante. Il s’intitule La médiation de l’O.N.F. et est daté d’août 1967; à l’étape du brouillon, il se nommait Vers un renouvellement de l’ONF et son pre­mier chapitre était intitulé symptomatiquement «À propos d’un malaise»: la désaffection des cinéastes, la programmation incohérente et l’hésitation des réalisations.

Appelé à réagir à cette première version, Fernand Dansereau précisera que la malaise commence avec l’arrivée de la télévision qui a enlevé son marché à l’ONF en ce sens que les gens ne se déplacent plus pour voir ses films et donc qu’il n’y a plus de nécessité au travail des cinéastes; pour Dansereau, la question du long métrage est une réponse qu’ont fourni spontanément bon nombre de cinéastes à cet état de fait; cette porte de sortie du côté des salles pouvait donner une nouvelle assiette à leur existence. Ces quelques consi­dérations précisent le contexte qui sévit à la fin de la période que nous étudions.

Le second texte, Examen des tendances du groupe français à l’ONF date de 1968 et sa responsabilité revient à Jacques Bobet qui va jouer un rôle capital en ces années de relance; il prolonge la réflexion de Le Moyne et éclaire principalement la question du long métrage. Il y a enfin un texte de Pierre Lafleur sur les versions et adaptations qui comprend des réflexions générales sur la production française et sur le bilinguisme et le biculturalisme qui s’inscrivent bien dans la nouvelle évaluation que l’on fait de la produc­tion française à l’ONF 1.

L’histoire du groupe français à l’ONF témoigne donc d’un mouvement continu vers l’émancipation et la prise en charge des cinéastes par eux-mêmes. Cette évolution s’est effectuée par paliers, suite aux pressions de la conjoncture (p. ex. la télévision) ou de for­ces extérieures (p. ex. la campagne de presse, la Révolution tranquille). L’équipe française a souvent trouvé comme point de ralliement des projets qui ont mobilisé au même moment une bonne partie de ses effectifs.

Ce développement graduel s’est poursuivi au-delà de 1964 selon un schéma qui, par certains côtés, rappelle les années antérieures (p. ex. comme point de ralliement le long métrage de fiction ou le projet «Société nouvelle»), mais autour de préoccupations et d’enjeux différents. Certains estiment d’ailleurs en ces années-là que le cinéma québécois ne pourra être libéré ni à l’ONF, ni tant que la société québécoise ne sera pas libérée; ils diront que la liberté de ce cinéma passe par celle de sa société et que celui-ci pourrait par ailleurs y contribuer et l’accélérer.

Ce point de vue, qui a marqué une décennie de manifestes, de mémoires, d’analyses ou de revendications se comprend entre autres par l’histoire du cinéma francophone à l’ONF; il indique combien histoire, cinéma et société sont intimement liés. En fait l’évolution de l’équipe française est nécessairement tributaire de l’histoire politique et sociale du Québec et du Canada et se présente donc comme le reflet, dans un champ particulier qui a aussi ses déterminismes propres, d’une conjoncture plus globale.

Nous en avons relaté dans ce chapitre la chronique générale. Pour mieux mettre en lumière cette articulation particulière et voir de quelle manière elle se réalise dans le détail, nous étudierons dans le chapitre suivant un certain nombre de thématiques concrètes. Dans la thèse originale, nous appuyons aussi notre étude sur l’analyse d’une cinquantaine de films.

Notes:

  1. À noter que les anglophones passent également par une période de remise en question comme en témoigne par exemple NFB 1964… some observations, un mémoire de 21 pages remis à Guy Roberge par des producteurs de cette section Nick Balla, Ron Dick et Don Fraser.