La Cinémathèque québécoise

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3.4 : La série « Profils et paysages » (1958-1959)

La série Profils et paysages fait donc suite à Panoramique. Le virage est manifeste. On souhaitait des fictions, on passe à des documentaires. On reprend une thématique qu’avait mise de l’avant le studio «B» anglophone au début des années 50, lors de la création de la fameuse série Faces of Canada (Silhouettes canadiennes). Cette série, qui voulait à capter le Canadien dans son environnement, correspondait à l’essor du nationalisme canadien-anglais.

Six ans plus tard, on retrouve cette idée de silhouettes, mais cette fois-ci au moment où le nationalisme canadien-français émerge au sein de l’ONF 1 :

Les films de cette série se proposent de dessiner le «profil» de personnalités marquan­tes dans notre milieu et d’aller, par la caméra, à la recherche de «paysages» géographi­ques, sociaux, intellectuels… ou simplement humains, qu’ils habitent.

La série tentera de cerner la personnalité de ces hommes et de ces femmes dont on peut dire qu’ils expriment, par leur activité créatrice, les dynamismes de notre vie natio­nale. Entrent dans cette catégorie aussi bien les romanciers, les poètes et les peintres que les industriels et les éducateurs. Tous ceux, en somme, qui ont imprimé au milieu le signe de leur pensée, de leur énergie, de leur sensibilité, tous ceux dont l’identifica­tion créatrice à la vie de notre peuple en a fait des êtres à la fois exceptionnels et exem­plaires.

Dans cette série, comme le dit Forest, il s’agit de combiner deux types d’information : au moyen d’une entrevue «capter sur film l’expression réelle et entière d’une personna­lité»; puis «réaliser la trame visuelle du film, inventer un certain nombre de séquences filmées qui alterneront avec les morceaux d’interview, pour les illustrer ou les prolon­ger». La liste des personnalités envisagées est assez révélatrice: elle va de Gabrielle Roy à Fred Barry en passant par Joseph Simard et Maurice Richard. Mais c’est le domaine des arts qui domine.

Le 19 septembre, le choix s’arrête sur une liste de dix noms, mais le produit final diver­gera légèrement: Charles Forest, Félix Leclerc, Fred Barry, Germaine Guèvremont, Henri Gagnon, John Lyman, Marius Barbeau (deux films), Pierre Beaulieu (deux films); cer­tains noms sont reportés à la deuxième phase de la série. Des gens retenus, la publicité de l’Office affirme : «Les forces vives d’une nation encore jeune s’expriment en eux et par eux».

La conception de la série présente problème. En cours de réalisation, alors qu’il sou­met son programme pour l’année 1959-60, Forest écrit:

Malheureusement, nous devons faire des projets d’avenir sans avoir pu vérifier toutes nos hypothèses de départ. La production courante n’est pas suffisamment avancée pour offrir des données concluantes. Pour l’instant, nous savons surtout que la production de «Profils» entraîne des problèmes pratiques d’un caractère inédit. Mais nous avons confiance de surmonter ces difficultés et d’en aboutir bientôt aux premiers résultats concrets qui prouveront la fertilité et la souplesse de cette nouvelle formule 2.

En fait, même si la formule s’avérait féconde, elle recèle des limites étroites, détermi­nées tant par l’attrait véritable du personnage interviewé que par la relation à établir entre lui et le paysage qu’il doit animer.

On peut s’étonner de ce que les producteurs soient surpris d’un tel état de chose; en fait le direct n’en est qu’à ses premiers balbutiements et les cinéastes doivent faire preuve de beaucoup d’imagination pour apprendre la meilleure façon de l’apprivoiser. On s’aperçoit en outre que de tels sujets s’adressent à des secteurs limités de l’auditoire, plus cultivés que le spectateur moyen et prêts à partager les préoccupations du champ de discipline des personnalités interviewées.

En effet, et c’est probablement révélateur de la provenance sociale des cinéastes, de leurs intérêts et de leurs sympathies quant au choix des vedettes, six intervenants sur huit appartiennent au monde des arts et de la culture. On peut d’ailleurs présumer qu’un tel choix a valeur de manifeste; il permet d’affirmer un dynamisme culturel et national trop souvent nié au sein de l’ONF et singulièrement ignoré de la cinématographie gouverne­mentale québécoise.

On peut même croire que si l’on eut demandé aux cinéastes de l’ONF quel domaine était le plus représentatif de l’envergure culturelle du Québec d’après-guerre, ils auraient affirmé, fidèles en cela à la formation humaniste reçue au cours classique: les arts et le champ culturel, et non pas, par exemple, la science 3. Incidemment, la deuxième phase de la série Profils rendra hommage à Cyrias Ouellet, homme de science à l’université Laval 4.

Règle générale, le public auquel la série était destinée en fut fort satisfait; sa présenta­tion suscite l’enthousiasme des chroniqueurs. Tel parle du magnifique court métrage et des qualités cinématographiques de GERMAINE GUÈVREMONT 5, tel autre du spec­tacle d’une rare authenticité qu’est PIERRE BEAULIEU 6, tel autre de véritables petits chefs-d’œuvre qui dépassent par la richesse et la poésie des images le cadre du simple documentaire 7.

Notes:

  1. Léonard Forest, Profils et paysages, 3 juillet 1958.
  2. Léonard Forest, Ébauche de programme pour 1959-60, séries de télévision, 24 septembre 1958, p. 3.
  3. Ce film sera précédé d’une longue et intéressante recherche menée par Jean-Luc Pépin sur l’his­toire de l’enseignement des sciences au Canada français.
  4. Raymond Duchesne, La science et le pouvoir au Québec (1920-1965), Québec, Éditeur offi­ciel du Québec, 1978, p. XVII, rappelle que la science était l’objet d’une condescendance et d’une indifférence mêlée d’ignorance qui «tenait sans doute pour beaucoup à la croyance popu­laire qui voulait que les Canadiens français n’aient jamais excellé dans les carrières scientifi­ques et techniques».
  5. Jean Bouthillette, «Germaine Guèvremont, romancière», Photo-Journal, 28 mars 1959.
  6. «Pierre Beaulieu, agriculteur», La Presse, 16 avril 1959.
  7. Paul Coucke, «Traits de plume». La Patrie, 15 mars 1959.