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Les francophones et leur production de 1939 à 1964

Nous retracerons ici l’histoire des Canadiens français à l’ONF et nous y situerons leur production. Nous verrons comment se développera leur engagement et dans quelles circonstances l’ONF en viendra à franchir de nouveaux pas en faveur des francophones. La période de l’histoire de l’ONF que nous couvrons dans ce travail s’échelonne de sa fondation à la création de la Production française en tant qu’entité autonome; cela veut donc dire que nous débutons en principe notre étude en 1939 pour la terminer en 1964. Cependant nous retiendrons dans notre corpus des productions dont l’année de copyright peut se situer hors de notre période (vg en 1965), mais dont le numéro de production, c’est-à-dire le numéro séquentiel dont est doté tout projet à l’ONF aux fins administratives, lui correspond.

Ces vingt-cinq années doivent être subdivisées pour plus de convenance. Nous avons choisi une périodisation en fonction de critères propres au corpus parce qu’elle corres­pond à des moments significatifs et déterminants de l’histoire de l’ONF 1 et du groupe canadien-français. La première période débute avant la création de l’ONF en mai 1939 et se termine avec le départ de son concepteur et fondateur John Grierson en novembre 1945; elle est déterminée par le fait que le Canada est en guerre et que l’ONF est intégré à sa machine de propagande.

La deuxième période va de l’automne 1945 à l’automne 1956 lorsque l’ONF aménage dans de nouveaux locaux à Montréal. En effet, jusqu’alors, l’ONF avait pignon sur rue à Ottawa, près du pouvoir politique et loin de la population francophone et particulière­ment des créateurs et artistes québécois. Le déménagement à Montréal, à proximité de la télévision de Radio-Canada, qui devient un client privilégié de l’ONF, va favoriser le recrutement de cinéastes ainsi qu’un nouvel essor de la production; il constitue donc un moment-charnière. Cette période est marquée par la domination anglophone, le change­ment fréquent de commissaires, la réévaluation du rôle de l’ONF dans l’audiovisuel cana­dien et le début de la contestation extérieure de la place des Canadiens français au sein de l’Office.

La troisième période va de l’automne 1956 à 1964, année de la création officielle de la Production française comme entité autonome. Cette période est celle de l’essor, de la contestation extérieure, des revendications intérieures, du dégel de la société québécoise et de la nomination du premier commissaire francophone. À la fin de cette période, le cinéma québécois commence aussi à exister à nouveau hors de l’ONF, les gouvernements mettent en place des mécanismes qui leur permettront d’intervenir pour soutenir et déve­lopper l’industrie privée, les cinéastes québécois se seront regroupés sur la base d’intérêts professionnels et l’aventure du long métrage et du cinéma direct en tentera la majorité. C’est cette période sur laquelle on a le plus écrit et dont on connaît mieux les réalisations.

C’est à cette époque qu’on commence à délaisser la dénomination de Canadien français pour lui substituer Québécois. Cette mutation sémantique traduit une mutation nationale et sociale importante qui correspond à l’émergence d’une nouvelle conscience historique. Mais cette conscience n’est pas encore entièrement présente pendant la période qui nous occupe; ç’aurait été d’une certaine manière abus de langage d’appliquer un qualificatif plein de connotations nouvelles à un groupe qui se pense en tant que Canadien français avec sa paradigmatique propre: anglais, canadien ou même canadian, et dont la conscience de son aliénation nationale ne fait qu’émerger à la fin de notre période 2. C’est pourquoi nous avons retenu l’appellation «canadien-français» pour désigner les cinéastes et leur production.

Notes:

  1. Même si l’appellation officielle Office national du film date de 1939, elle n’était pas fréquem­ment utilisée à l’intérieur de l’institution; même les francophones disaient travailler au National Film Board. Par contre, à partir du milieu des années soixante, certains cinéastes et critiques de cinéma décideront qu’on doit appeler NFB l’ONF d’avant 1964 et que l’appellation ONF doit être réservée à l’après-création de la production française.
  2. Les textes à ce sujet sont fort nombreux. Pour donner une indication péri-cinématographique, voir le texte du poète Paul Chamberland, «Mise au point», Lettres nouvelles, février 1967, cité par Gilles Marsolais, Le cinéma canadien, pp. 141-144.