La quête du royaume : trois hommes, trois paroles, un langage
Le langage filmique peut-il être un guide de la réalité sociale, le reflet d’une certaine culture? Le cinéma direct, mis à l’honneur par Pierre Perrault, se penche-t-il véritablement sur la parole d’homme québécois?
Mon hypothèse est la suivante :
S’il y a en chaque Québécois « une quête du royaume », le cinéma peut-il révéler un langage unique qui surgirait de notre « être enfoui, caché, de notre être collectif? » J’ai écouté et regardé agir trois (3) personnages. Dans le fatras de leur comportement, de leurs discours, pour savoir si véritablement ils poursuivent cette quête, s’ils aboutissent à un langage unique, eux qui ne se connaissent pas et dont les problèmes quotidiens sont différents.
Ils actualisent, leur existence qui est singulière au sens de différente, peuvent-ils parvenir à un langage qui recrée la vie d’un groupe ethnique qui se cherche et se quête un royaume?
J’investigue donc ce style cinématographique singulier dans son organisation sémiotique pour en extirper sa spécificité.
J’explore donc 1) la narrativité, soit : ce que les personnages disent d’eux-mêmes, des événements de leur vie, 2) la sémantique soit : le message final, structuré comme le fait filmique livré aux spectateurs, ce qui a justifié que je me suis interrogée sur l’énoncé le plus constant de Pierre Perrault. Ce sont ses propres commentaires :
« J’œuvre dans l’inattendu, je ne fabrique ni les discours, ni les situations, je ne tire aucune conclusion. La réponse est à trouver ».
Ce cinéma-là est donc autre chose qu’une machine à raconter des histoires, devenue tellement à la mode que son ampleur a fait basculer des films tels ceux dont on parle comme des îlots de marginalité, alors que le long métrage à fiction romanesque depuis si longtemps a trouvé la voie royale de l’expression filmique. Je me suis mise à penser le cinéma vécu comme fait social, ou fait de civilisation. Un fait qui conditionnerait à son tour l’évolution du film comme une réalité sémiologique, d’une façon indirecte mais qui serait efficace, un peu comme des événements de linguistique externe (conquêtes, colonisations, niveaux de langue) événements influençant le fonctionnement interne des moyens d’expression d’une communauté correspondant à un mode de pensée très spécifique. Cette expressivité cinématographique, peut-on la rechercher selon une méthode qui se rapprocherait de la linguistique?
Pierre Perrault dit : « Je suis au cinéma par la parole. Il est impossible qu’un homme n’ait rien à dire. Cela dépend de la question qu’on lui pose et de celui qui la pose. Et sa parole ne contient pas toutes les possibilités. C’est le cheminement radiophonique qui m’a conduit à la découverte de la parole vécue, qui ne se fabrique pas. » Il a fréquenté le naturel avec le magnétophone. Ce naturel réentendu, réécouté, scruté, est devenu une mémoire vivante. Il la tire des bandelettes, fait des transcriptions quasi totales, tout le matériel sonore devient un système de consultation chronologique de sa mémoire cinématographique et il réfléchit le son. Il l’apprécie, lui donne une valeur graphique en soulignant ce qui peut signifier davantage. Il note des rapprochements possibles, fréquente les paroles comme des êtres, soupèse leur poids, vérifie la signification, réfléchit au ralenti les événements et les paroles et découvre des dimensions invisibles. Ce que seule la parole peut communiquer, déceler, surprendre, amener à la conscience.
Je réfléchis sur un commentaire de Barthes dans Degré Zéro, qui parlant d’un personnage proustien, dit qu’il se condense dans l’opacité d’un langage singulier et que à ce niveau il s’intègre et s’ordonne dans sa situation historique (profession, classe, culture, fortune, hérédité, biologie). L’écrivain suivrait les langages réellement parlés comme des objets essentiels, pour épuiser le contenu de la société, l’écriture deviendrait l’acte lucide d’information de la parole réelle des hommes, comme s’il devait apprendre en le reproduisant le détail de la situation des hommes murés dans la langue de leur classe, de leur région, de leur profession, de leur hérédité et de leur histoire.
Si cela est vrai, la parole des hommes, des films de cinéma direct ne serait-elle pas l’indice d’un monde intérieur collectif? Le film étant la représentation d’événements et de discours réels, il doit pouvoir livrer des messages en fragments hétérogènes pour en venir à former une écriture complexe. Et si on les relie entre eux dans une seconde lecture par le montage, ces fragments peuvent-ils aboutir à un langage unique?
Il est indéniable que ces témoignages ont été entendus et vus.
C. Metz, il y a longtemps, a parlé d’une démarche qui peut se concevoir ainsi : l’objet naturel, le discours, ou la parole, serait un simple point de départ. L’analyser au propre, au figuré, isoler des éléments constitutifs, c’est le moment du découpage. C’est le préparatif, le vrai départ filmique, c’est la patiente reconstitution de l’objet initial, qui serait l’imaginaire du discours, l’intelligibilité de l’objet naturel, un mécanisme expressif, et pour ce mécanisme expressif le sens naturel des êtres dans leur globalité, sans signifiant distinct doit s’unir à la signification enfouie et délibérée, qui ne se conçoit par un acte organisatoire distinct, ce par quoi le sens est redistribué. »
Signification pour signifier découpe des signifiés discontinus afin d’informer un sémantisme amorphe.
Achat du magnétophone, découverte! Le début de sa culture (au sens collectif)… Toute une littérature orale, écoutée 10, 20, 30 fois. Ces paroles pétries, qui ont levé comme du pain, autant de révélations d’évidences invisibles au départ et qui malmènent la conscience.
Le cinéma dans sa technologie est soumis à l’évolution technologique et peut faire une chose, perfectionner l’impression de réalité et si cette réalité existe, la rendre encore plus visible.
Comment le cinéma signifie-t-il ses successions, ses hiatus temporels, la causalité, la proximité, l’éloignement spatial, questions majeures en sémiologie du cinéma? L’articulation filmique, c’est la dénotation elle-même, construite, organisée, codifiée, c’est l’intelligibilité filmique.
On peut penser que dans le langage cinématographique, c’est : 1) la littéralité du texte, 2) effets étant une autre couche de signification. C’est à ce niveau que joue le processus de création. Ici je dirais, une langue est parlée, les actants l’utilisent, mais livrer un langage cinématographique collectif, unique, jusqu’à un certain point, c’est l’inventer, je veux dire concevoir cela comme entreprise sémiologique, une recherche ouverte. Le langage filmique n’étant pas simple mais pas insurmontable, on pourrait envisager une pratique méthodologique qui étudierait les paroles comme des événements, ce qui ne donnerait pas lieu à une recherche scientifique mais des agencements, des schémas de phrases, des écritures parlées au sens barthien des « types de paroles » pour aboutir au sens à un langage filmique qui serait un langage unique à travers des personnages éloignés les uns des autres et qui livrerait ce langage comme une prise de conscience collective.
Ernst Cassirer, dans La philosophie des formes symboliques, dit que « le langage devient un des moyens fondamentaux de l’esprit, grâce auquel s’accomplit le progrès qui nous fait passer du monde des sensations à celui de l’intuition et de la représentation. » Ce langage porte déjà un germe de travail intellectuel qui s’extériorise par la suite lors de la construction du concept comme un concept scientifique, comme unité logique d’une forme. C’est l’origine de cette fonction universelle de division et de liaison qui trouve son haut degré d’expression consciente dans les analyses et les synthèses de la pensée scientifique.
Le film présente des événements, des discours réels.
Le cinéaste, fait face à des éléments qui existent, signifient en dehors de lui; la facture livrée comme message, c’est la façon dont les messages des individus sont livrés les uns aux autres, segmentés, associés, dissociés, pour articuler le récit filmique. Son rôle ne peut ignorer, ni notre réaction, si on peut vérifier que la voix électronique a mené Perrault à écouter, vérifier, juxtaposer la parole et que par un instinct d’artiste créateur cette vérification lui révèle des éléments ignorés au départ lorsqu’il associe verbe et image et qu’il livre son analyse, nous entrons dans le sens de la réponse qui serait codée.
Si, quand on filme on donne l’impression de la réalité, pourquoi ne présenterait-on pas le monde réel avec plus de vérité que nature? Une sorte d’hyperréalisme pour présenter une image de cette réalité plus concentrée que nature même.
Pour expliquer cette hypothèse, je prends trois passages dans Le règne du jour, dans Un pays sans bon sens! et dans Un royaume vous attend.
La mémoire enregistrée et filmée de ces trois paroles révèle trois visions :
Mythique | — | face à l’héritage ancestral |
Épique | — | face aux problèmes des hommes politiques |
Tragique | — | face au contexte ethnique. |
Pour vous expliquer cette hypothèse, je choisis trois passages dans les films de Perrault où parlent et agissent,
Alexis Tremblay | dans | Le règne du jour |
Maurice Chaillot | dans | Un pays sans bon sens! |
Hauris Lalancette | dans | Un royaume vous attend et Gens d’Abitibi. |
La mémoire enregistrée et filmée de ces paroles me révèle trois visions : une vision mythique face à l’héritage ancestral (Alexis Tremblay), une vision épique face aux promesses des hommes politiques (Hauris Lalancette), une vision tragique (Maurice Chaillot) face au contexte ethnique qui le minimise dans sa langue.
Alexis Tremblay part pour la France avec sa femme Marie afin de relever la trace de ses ancêtres. Grâce à une archiviste, Madame Montagne, Alexis, pieusement, peut baiser le contrat de départ de Pierre Tremblay son ancêtre né près de La Rochelle et il parle à son fils Léopold lequel il force à baiser ce contrat. Il lui déclare que son règne est fini mais que le voyage de Léopold n’étant qu’en cours, il doit l’enseigner à ses enfants.
Il visite des cimetières de militaires en Normandie, lit les inscriptions « Mort pour la France » déclare « Ben! ils gardent des souvenirs, eux autres…. » Un garde-chasse et sa femme racontent que les Allemands avaient découvert les activités du maquis et qu’il a été déporté à Buchenwald. Alexis dit : « Quand je r’garde madame…. quelle inquiétude vous avez eue », elle répond : « J’étais française à 100% », Alexis s’exclame : « La parole belle!! ça c’est un mot de français — nous n’avons p’us d’sang français, on n’a pus…. »
Il a une telle conscience ancestrale, la délignée est tellement importante pour lui que dans une boutique à St-Malo il demande à un constructeur naval : « Ast’heure, vous avez pas aucun souvenir comme on peut dire par exemple, soit de la Grande Hermine ou de la Petite Hermine ou de l’Émérillon…. »
Le marchand lui répond : « J’sais pas du tout comment c’était. » Il est étonné, surpris, il ne saisit pas, il discute avec Marie de la nécessité de la mémoire du passé. « Si Jacques Cartier avait eu pensé seulement qu’à lui, il serait pas venu en Canada. Après moi, il y a du monde, tu transmets un peu de ce que toi… ton naturel, et… »
Cette conscience ancestrale est si grande qu’il monnaye l’achat d’une horloge grand-père et son argument pour faire baisser le prix c’est : « Concédez un peu, par rapport que mes ancêtres partent de la France! » Le film se termine sur le sang français à L’Île-aux-Coudres.
« Avec tout ça, est-ce que les Français vont revenir au Canada? » de demander la petite fille d’Alexis.
« Pour reprendre le Canada? C’est tout le temps des choses que l’bon Dieu peut permettre, j’l’sais pas, j’l’souhaiterais ben, par exemple. On doit dire… que nous ne voulons pas chasser l’anglais, du moins, on désire avoir notre part… de lui répondre Alexis. »
À partir de ce voyage au pays des ancêtres, au retour, à la toute fin du film, qui n’a pas de réponse, pas d’épilogue, « on désire avoir notre part… » l’épilogue demeure dans l’esprit des spectateurs.
À partir de cet énoncé, on peut supposer que le cinéma direct peut être lu et vu selon certains modèles utilisés pour des genres littéraires. Ce que j’ai fait avec Un pays sans bon sens lorsque Barthes 1 dit que lire est un travail de langage et lire c’est trouver des sens, et trouver des sens, c’est les nommer (les découvrir) c’est un travail inlassable une analyse toujours en progrès, qui porte sur un thème unique « la notion d’appartenance » du royaume ancestral. Si le rôle du cinéaste c’est de se porter à la défense de ce qui est, non seulement il doit avoir la mémoire de ce qui est, mais aussi il doit pouvoir articuler ce qu’il sent confusément au départ, « en continuant ce travail, ma conscience a augmenté, dit-il et mon identité aussi », c’est peut-être ce travail de conscience qui l’a amené à Un pays sans bon sens.
Christian Metz dit « qu’il y a des régions du préconscient qui sont tenues à l’écart de la conscience ». Il importe donc de sortir dans l’analyse du niveau événementiel de la parole, pour scruter la proportion cognitive sous-jacente et chercher à tirer au clair l’organisation de la narration filmique.
Dans Un pays sans bon sens, le personnage qui d’une façon tragique recherche son royaume, son appartenance : c’est Maurice Chaillot.
Il est né dans l’Ouest de parents canadiens-français venus là pour être cultivateur et pour mieux vivre. Milieu catholique, paroisse canadienne-française, bref il était Canadien français dans un groupe de 7-9 ou 10% français et il déclare qu’il avait honte de sa mère lorsqu’elle lui parlait français dans l’autobus, qu’il avait l’impression qu’elle crachait sur lui, il lui disait de lui parler anglais dans l’autobus afin que personne ne se rende compte qu’il était Canadien français. Puis un jour, arrive René Lévesque à Winnipeg, alors que Chaillot y est professeur de lettres à l’université, il a le choc de sa vie et croit voir descendre le Messie… Malgré tout ce début d’éveil de conscience, il ne vient pas étudier au Québec, il part pour la France, où il croit pouvoir trouver son épanouissement. Il retrouve l’équipe de tournage à Paris par un hasard de mémoire de Perrault et lentement sa conscience grandit, et avec angoisse on le voit sur les quais à Paris qui explique à quel point il est divisé, il se cherche une appartenance. Si les gens me demandent : « D’où venez-vous », je réponds : « Je suis du Québec même si je n’ai, jamais vécu au Québec ». « Si je quitte Paris, je ne peux en rentrant à Winnipeg dire que c’est mon coin de monde, même les arbres me sont hostiles. Si je rentre, je rentre à Québec que je ne connais pas, d’ailleurs, parce que c’est la seule chose que j’ai! » Chaillot a perdu son village, il a pris la fuite parce qu’il étouffait il s’est fait Parisien mais au pays des ancêtres, il s’est développé une conscience, une conscience de son peuple, il réalise que la fuite en France c’est le courage du faible. Découvrir la présence de René Lévesque à Winnipeg c’est comme le point de fixation de départ de son identité; Lévesque est le référent, ses dires deviennent la référence, soit le commencement de la mutation psychologique en profondeur de Chaillot. Ce pétrissage de l’âme de Chaillot l’implique à appréhender l’intérieur de ses comportements, à saisir le dessous de sa vie. Pour que son identité, sa recherche d’appartenance se démarque, il fallait une anomalie. La caméra devient analytique. Elle nous en fait montre. Comme un tourniquet qui saisit Chaillot.
Le tourniquet de sa vie : ce sont les énoncés de Lévesque. En eux réside toute la vérité vécue de Chaillot. Loin de lui-même, dans cette phrase (comme une entité linguistique) il y a un sens qui dénoue le sens de ce que Chaillot vit. Il faut concevoir Chaillot divisé en deux sujets, en deux cultures, en deux langues, en deux espaces divisés, cette division de l’écoute de sa vie constitue en termes de communications : « Un bruit » qui rend sa vie risquée, incertaine. « Ce bruit » bascule dans le discours de Lévesque et est donné aux spectateurs pour qu’ils s’en nourrissent. C’est une contre-communication. Ce qu’ils consommaient avant c’était un défaut de communication. Un manque dans le message de Chaillot, ce que toute structuration édifie dans un message et lui donne un aliment nécessaire : c’est la contre-communication. Nous, les spectateurs, nous devenons les acolytes, non de Chaillot, mais du discours, parce que ce discours lui-même joue sur la division du monde. Ce discours nous fait saisir l’histoire de Chaillot parce qu’il fait état de l’aveuglement de la division de la vie Chaillot et il l’offre au spectateur comme une sorte de déchiffrement.
Chaillot pose tout le problème complexe du langage. « Le langage, dit Adam Schaff, crée la réalité du monde. Cette réalité est étroitement rattachée a la culture et donc le langage serait le reflet de la réalité.
Homboldt dit : « Que l’homme pense comme il parle, en second lieu, il parle comme il pense. Ceci veut dire que le langage influence le reflet qu’on se fait de la réalité qui elle est le reflet du comportement social d’une part, et que d’autre part le langage est le produit de ce reflet, le produit de la pratique sociale. » Face à ce commentaire dans le film même, on rejoint par le langage filmique la difficulté de Chaillot, telle qu’exprimée par un avocat de Toronto, Carrik, qui dit : « The basis difficulty in Canada is the language problem. » Comment avoir une vie basée sur deux langues, si en parlant anglais Chaillot ne s’isole pas de la réalité sociale qui est celle de l’anglophone, donc sa réalité de comportement en est une d’abdication face à sa communauté ethnique qui est sans droit précis, faisant de lui un être minimisé dans sa réalité sociale ethnique, mais s’il ne s’isole pas de son groupe social francophone, il s’isole en lui-même, puisque la réalité qui l’entoure quotidiennement n’a rien à voir avec la réalité sociale majoritaire anglophone. Ce qu’il exprime, c’est le produit du reflet social de sa vie quotidienne.
Si on revient à mon idée de départ, à savoir que l’attitude mythique d’Alexis peut se comparer à celle de Chaillot qui est tragique.
C’est comme si le tourniquet tournait en sens inverse, ou plutôt revenait sur lui-même.
Dans C’était un Québécois en Bretagne, Madame et dans Un royaume vous attend et Gens d’Abitibi, Hauris Lalancette, c’est le cultivateur qui a grandi en Abitibi. Son père était arrivé dans les années trente, parti d’Acton Vale parce qu’un royaume les attendait. « J’ai marché l’Abitibi par la main avec mon père et Réal Caouette. » Il était membre actif du crédit social. Il a acquis là sa formation politique et il s’est aperçu que le crédit social n’était plus crédible lorsque le P.Q. s’est formé et il s’est présenté comme candidat péquiste en 1970.
Il fait un voyage en Bretagne et comme Alexis, il est très étonné de l’ignorance des Bretons qui n’ont jamais entendu parler que certains Bretons ont quitté la Bretagne pour venir au Québec. Il vit dans la fierté d’être propriétaire, il ne peut comprendre qu’on travaille pour des seigneurs. Il essaie de confondre les Bretons sur notre climat, il veut étonner, « c’est formidable comme c’est frett… » on sent l’importance du père dans sa vie (parallèlement à Alexis, qui lui devenu vieux sent l’importance de la continuité. « Après moi il y a du monde, toi tu vas me continuer… ») Hauris a cette même conscience :
« Mon père a ouvert un pays avec huit enfants, pas de mère, dans la misère, mais le système a pas voulu qu’y soit récompensé. Trop pauvre pour mettre de la graisse dans les moyeux des roues. C’était pas si drôle que ça l’Abitibi. C’est pour ça que j’suis pas surpris qu’y on magané les femmes et les enfants. Y avait fait accroire à nos pères qu’y avait un royaume qu’y attendait… »
C’est un lutteur, il raconte une épopée, il a un style épique comme Alexis a le verbe mythique. Dans Pour la suite du monde il dit : « C’est la plus belle pêche qui peut se faire, on fait ça pour la suite du monde, la suite va se garder, nous autres on va s’en aller. »
Hauris, conteur épique, s’exclame :
« Il y a 25 ans de travail et de sacrifices sur la terre, mais j’ai marié une fille qui aimait la terre, je lui faisais accroire qu’on aurait un royaume mais on est encore dans l’espérance de vivre, mais à se pose des questions car, son père aussi il avait dit que le grenier du Québec c’était l’Abitibi, que la terre c’était notre royaume, mais on est un peuple intelligent mais malade en soi. »
Il ajoute :
« Il y a seulement la politique qui va finir par nous imposer une valeur qui est à nous autres, parce que d’après moi on était des esclaves car un vrai Québécois c’est d’être certain que son patrimoine lui donne à manger, j’veux pus travailler pour la Domtar, j’parle pas de veaux d’or, j’parle de la liberté. Aie! On a cru au coton à la colonisation, on avait fait un évangile de la colonisation, amenez vos lunchs les petits gars, quand tu t’es fait dire ça à trente ans, j’pense pas que tu puisses être prêt à te vendre. »
On pense au discours d’Alexis qui dit qui croit que le Canadien français a pas été traité comme qu’y méritait, c’est lui qui a commencé à fonder le pays. Mais la France l’a négligé, mais les Canadiens français seraient heureux sous la France parce que les Français c’est pareil comme les ancêtres. Parallèlement on pense au tragique de la situation de Chaillot qui s’en va en France croyant y trouver son appartenance, mais qui se rattache aux phrases de René Lévesque à Winnipeg qui lui a dit qu’y avait de la place pour lui au Québec et qu’il pourrait s’assumer au Québec.
Et, de dire Chaillot, « Pour moi, c’est une véritable ivresse d’avoir goûté, d’avoir senti une identité qui est la mienne. Pour la première fois de ma vie, je découvrais des choses. » Autrement dit, qu’un royaume l’attendait.
Hauris dans Gens d’Abitibi parle de la même ivresse, du même rêve. « On a oublié notre bien fondamental, notre pays. On était pas nombreux, mais c’était de bon cœur. » Les Abitibiens ont rêvé de construire quelque chose de beau, mais comme le système les aidait pas, y’ont eu les maladies des mines à la place, il sent et dit la même chose que Chaillot. Son royaume n’est pas à lui comme Chaillot dit que Winnipeg lui est hostile parce qu’il ne peut pas vivre en français donc ne se sent pas chez lui.
Si on se met à réfléchir sur le sens de l’image, on peut référer à ce que dit Yves Lacroix. Il dit que le « montage est une lecture du réel » et Perrault dit que cette lecture devient une écriture à partir du moment où il se préoccupe de fournir au spectateur les outils de perception pour qu’il puisse pénétrer à l’intérieur le plus profondément possible de la matière vécue qui est enjeu, le montage décante. Il consiste à découvrir un certain ordre qui permet aux éléments de s’éclairer les uns les autres, c’est une façon de communiquer. C’est pourquoi le cinéma est une organisation du réel en vue d’une lecture éventuelle qui exige des monteurs une attitude d’esprit, un degré de participation qui sont de l’ordre de la création et d’une création non pas fictive mais vécue; et je ne m’étonne plus que les monteurs des films se lient d’amitié avec le contenu comme s’ils avaient vécu le tournage. Le tournage demeure un aspect accidentel de notre participation au vécu : monter c’est revivre comme tourner c’est vivre.
Le film par définition est un système composé d’éléments strictement filmiques et d’éléments non spécifiques à ce langage cinématographique telle la parole des actants dont l’organisation évidemment se manifeste au montage tout comme l’image filmique.
Je définis le montage par « organisation des éléments au sein d’une séquence. » Avant le montage, les relations entre éléments sont hétérogènes. Un plan de séquence deviendrait l’équivalent d’un énoncé linguistique comme premier niveau, de là, nous irons vers un deuxième niveau qui dépassera la surface de l’image et établira une relation entre la simultanéité de l’événement filmé et le déroulement du contenu filmique
L’univers visuel décrit, à ses messages inscrits dans les énoncés ou dans la contradiction des énoncés et ceci nous permettra d’instituer l’image comme une valeur objective.
Exemple : La crise de Chaillot en est un modèle. En énonçant misère, honte, départ, donc le dénouement de sa crise, le lisible devient une vérité historique. Son camarade de chambre donne la lexie qui surmonte le récit Chaillot, « speak white » (sens herméneutique équivoque pour des étrangers) lui qui connaît l’expression, a le désir de fuir, car cette expression l’installe sur le tremplin de la médiocrité canadienne-française, vue par les autres habitants de la ville parlant une autre langue. Dans l’Ouest, son père cultive la terre pour mieux vivre (sème — richesse). Il laisse miroiter la décision paternelle comme une décision pour fuir la misère.
L’image d’une ferme surgit, elle devient un énoncé linguistique précis :
C’est son enfance, la ferme, la neige, le fermier canadien-français catholique, 7 à 10% de Canadiens français catholiques dans l’Ouest. Ce pourcentage qu’il énonce laisse miroiter ce qu’il énonce : « on est influencé par ce que le milieu pense de nous. Peu nombreux, noyés dans la majorité enfouie sous « speak white« , il reçoit la blessure au cœur, elle va perdurer. Cette blessure il l’exprime : J’avais honte de ma mère / j’étais découvert, on connaissait mon identité.
Il saute par-dessus le Québec. Pour vivre à Paris car il a la connaissance de la puissance de l’anglais sur sa propre culture.
Parler français : “c’était assumer ce qu’était un Canadien français pour un anglophone : un arriéré.” Cet agir de Chaillot, cet agir tragique a une valeur de comportement parallèle à la valeur symbolique et mythique d’Alexis lorsqu’au champ comme fermier à l’Ile-aux-Coudres, il dit : “les Canadiens français seraient heureux sous la France”. Il ne refuse pas son île mais son rêve, le rêve du pays ancestral, son désir que la France revienne prendre le Canada… C’est la mère patrie, le synonyme du refuge comme c’est le milieu nécessaire à Chaillot (du moins il le croit).
Parallèlement Hauris s’est fait offrir un royaume, il en connait la misère, l’image montre un vieillard qui a une hache à la main, arrache des petits arbres, des roches de sur sa terre, il fuit ce mirage et par la politique il vit son épopée et lutte contre le système qui a fait de lui “un esclave”.
En conclusion, je dirais avec Cassirer que : “le langage est le créateur de l’image du monde situé dans la conscience”. Pour faire l’expérience de la quotidienneté, on doit pouvoir rendre compte des liens qui existent entre la parole exprimée et ce que l’image nous livre. Cette réalité, Perrault l’a perçue dans la parole écoutée, cette réalité est intensifiée par l’image qui a les codes du discours, par moments elle est claire, tous peuvent la saisir, par moments, le symbolisme l’obscurcit. Ex. : (des caribous à la file indienne comme symbole de soumission).
Ainsi, sur L’Île-aux-Coudres face aux commentaires de Chaillot représente la même misère.
Pour symboliser la misère vécue par Chaillot, Hauris qui explique sa vie et parle du royaume promis et veut construire un pays. Il parle devant une salle vide, c’est le symbole de la misère qu’a tout un peuple à construire un pays.
Si ce cinéma direct est un genre particulier, j’affirme qu’il est reconstruit par le cinéaste mais le plus objectivement possible et qu’il nous livre une certaine vision du monde, (le texte fait image l’image fait le texte!)
En conclusion, je veux dire que le mythe d’Alexis, mythe au sens anthropologique, décrit par Guy Gauthier, “où l’on se remémore au commencement qui n’a pas forcément existé,” comme Québécoise, plusieurs parmi nous l’ont vécu et le vivent encore, que la situation tragique de Chaillot, ceux qui parmi nous ont vécu dans des villages français ont vécu le drame Chaillot lorsqu’ils sont venus vivre à Montréal puisque le signe de réussite était de se fondre à l’élément anglophone donc de ne plus avoir d’identité propre, et que l’épopée de l’Abitibi, bien des colons l’ont vécue. Cette quête du royaume, nos colons du Témiscouata la cherchaient aussi avec avidité dans les promesses des hommes politiques qui fascinaient leur imaginaire. Il m’aura fallu du temps pour faire à travers les films de Perrault la lecture du langage unique de ma collectivité : ce cinéma est construit à même l’imaginaire du discours collectif de plusieurs d’entre nous, je le regarde ce cinéma comme un essai quasi scientifique construit le plus objectivement possible en passant par la perception créatrice du cinéaste et il me livre cet amour sans bon sens, de la terre de ses aïeux.
Cet amour qui a cessé d’être innocent peut-être que le jour viendra où les cinéphiles le liront comme un film scientifique révélant une grande partie d’un langage unique de notre collectivité.
Notes:
- Je me suis servi de S/Z de Barthes et de sa codification pour faire une grille d’analyse à propos d’Un pays sans bon sens! ↩