1950 : LES LUMIÈRES DE MA VILLE; les faillites de Renaissance; le destin de l’abbé Vachet et de FiatFilm durant les années 50;
1950
Mais ce retard s’inscrit dans un contexte de tensions, de guerre de nerfs au sein de la compagnie et entre la compagnie et le personnel, causées par les problèmes financiers que traversent les Renaissance et sur lesquels nous reviendrons bientôt. L’événement qui fait déborder la coupe, c’est le party publicitaire du 13 janvier qui se tient dans les décors du cabaret du film, le Flamand rose, avant qu’ils ne soient démolis. À cette soirée assiste gratuitement tout le gratin politique, artistique et cinématographique de Montréal : Camillien Houde (qui raffole des manifestations cinématographiques), Gratien Gélinas, Paul l’Anglais, René Germain, Jacques Normand, Roger Baulu, etc. Mais selon certains actionnaires, dont Sam Gagné, cette soirée est une dépense inutile, surtout que déjà on a de la difficulté à payer le personnel du film et le laboratoire ASN. La tension augmente tellement que le 27 janvier les techniciens du film, membres du local 734 de l’IATSE, se réunissent pour décider de la ligne de conduite à adopter. Le contrat entre le syndicat et Renaissance leur interdit la grève; mais on ne sait jamais dans de telles circonstances. Le représentant international de l’IATSE, Scoppa, doit intervenir personnellement pour calmer tout le monde. Finalement les choses se tassent et Bigras devient président du local 734 en remplacement de Richard Jarvis, démissionnaire pour raison de conflit d’intérêts.
Durant tout le mois de mars, les choses ne vont guère mieux; selon certaines sources, plusieurs techniciens auraient appris leur renvoi dès le 19 février. Le tournage est terminé et on n’a pas encore commencé le montage. Pas d’argent; il y a déjà presque $110,000. de dépensés et il faut prévoir encore au moins $25,000. (le budget total déclaré sera de $119,456.39). La situation complètement détériorée du studio et de la compagnie de production (Les PR changent de nom et déménagent à Québec) ne facilite pas la reprise du travail. Finalement au cours de l’été on remet le film en chantier et le 7 octobre, il peut enfin connaître sa première au St-Denis. Le maître de cérémonie le présente en ces termes; d’ailleurs repris par la publicité :
“Mesdames,
Messieurs.
Dans quelques instants l’écran de cette salle sera illuminé par LES LUMIÈRES DE MA VILLE un film IMAGINÉ RÉALISÉ INTERPRÉTÉ par des CANADIENS FRANÇAIS,
LES LUMIÈRES DE MA VILLE est entièrement le fruit d’un long et patient travail d’une équipe de jeunes techniciens et artistes canadiens-français qui, travaillant jour et nuit avec acharnement et enthousiasme, ont voulu prouver que les Canadiens français pouvaient réussir et briller au cinéma.
Depuis des années vous réclamez du cinéma exclusivement canadien-français. Et vous avez raison d’insister. C’est votre droit.
LES LUMIÈRES DE MA VILLE répond magnifiquement à votre appel. Avec crânerie, avec talent et courage une équipe de jeunes a réalisé ce film.
CETTE ÉQUIPE DOIT-ELLE VIVRE OU MOURIR? LA RÉPONSE VOUS APPARTIENT. CETTE ÉQUIPE NE VOUS DEMANDE RIEN… sinon l’encouragement de votre présence et celui de vos applaudissements
RIEN… sinon un supplément de quelques cents (pas même le coût d’un paquet de cigarettes)
UN DEVOIR QUI NE SE DISCUTE PAS!
Je m’adresse à tous mes compatriotes. Le film LES LUMIÈRES DE MA VILLE est le fruit du travail d’une équipe de jeunes Canadiens français qui entendent prouver que nous pouvons briller et réussir au cinéma comme en d’autres domaines. Ces jeunes méritent votre encouragement total. Voir ce film, en parler, le recommander à vos amis est votre devoir. C’est tout ce que je vous demande, vous n’avez pas le droit de leur refuser un tel appui.
De votre encouragement dépend l’avenir immédiat de ces talentueux canadiens français.
Ou ils continuent dans ce domaine ou ils abandonnent. C’est à vous, mes compatriotes, de donner la réponse.
LES LUMIÈRES DE MA VILLE a été conçu et réalisé par ces jeunes gens. Ils n’ont pas failli à la tâche, à vous d’en faire autant.”
On mobilise aussi les acteurs du film pour veiller à la publicité. C’est ainsi que Monique Leyrac passe au programme de radio de l’armée canadienne COUP DE CLAIRON mis en ondes spécialement à l’occasion de la guerre de Corée. Voici quelques extraits du script de l’émission pour illustrer ce genre de publicité;
“Mesdames, messieurs, une vedette de la radio, de la scène et maintenant du cinéma, NOTRE vedette de la soirée, Monique Leyrac.
– Colonel, mesdames, messieurs. Ce soir, c’est la première fois qu’il m’est donné de chanter pour des soldats. Et de me voir ainsi dans ce grand arsenal… de vous voir tous aussi sympathiques, aussi accueillants… je vous avoue que c’est émouvant.
– Oh, c’est bien réciproque Monique. En vous voyant, on comprend facilement que les lumières de ma ville brillent de si beaux feux. Car vous savez les gars que Monique Leyrac est la vedette du film canadien LES LUMIÈRES DE MA VILLE (applaudissements).
– Merci… C’est bien joli tout ça, mais j’espère tout de même que vous ne me croyez pas aussi perfide que le personnage que je joue dans le film.
– Oh, pour ça, n’ayez crainte, Monique. On n’a qu’à admirer votre sourire pour être immédiatement convaincu du contraire. Trêve de boniments, place à la musique.
– Ma première chanson, c’est la chanson titre des LUMIÈRES DE MA VILLE. Les lumières de ma ville, ce sont les lumières de votre ville, les lumières de toutes les villes de chez nous. Souhaitons que jamais aucune agression, d’où qu’elle vienne, ne les empêche de briller, ne les oblige de s’éteindre”.
Le Film et Le courrier du cinéma participent aussi à cette campagne de publicité en publiant photos et communiqués. Mais malgré tous ces valeureux efforts, le film ne tient l’affiche que deux semaines et le succès critique est quelconque :
Roland Côté dans Le Canada
“Faire la critique d’un film canadien est la chose la plus délicate qui existe dans ce domaine. Si vous êtes dur pour une telle production, on vous accusera de manquer de patriotisme, de vouloir tuer une industrie naissante, de ne pas être compréhensif et peut-être même de parti-pris. Si vous adoptez l’attitude contraire sans raison, eh bien! l’on vous accusera d’être faible, d’être mou, de manquer de cran et voire même de stupidité. Encore deux ou trois films canadiens et le chroniqueur cinématographique du Canada commencera à perdre ses cheveux!
Après avoir vu LES LUMIÈRES DE MA VILLE au théâtre Saint-Denis, il ressort, à notre avis, que nous ne pouvons pas faire du cinéma sans l’aide de cinéastes de l’extérieur, qu’ils viennent d’Hollywood, Londres ou Paris. L’équipe de LUMIÈRES DE MA VILLE est jeune, elle a du talent et beaucoup de possibilités; mais il faut qu’elle soit guidée, dirigée; on ne s’improvise pas cinéaste. Quelqu’un pourra peut-être arriver à faire un court sujet intéressant, qui a de l’allure, qui sorte de l’ordinaire, comme ce fut le cas de Claude Jutras l’année dernière. Mais quand il s’agit de réaliser un film de longue durée, c’est une tout autre histoire. Et même si LUMIÈRES DE MA VILLE est cinématographiquement mieux que ses prédécesseurs, il ne reste qu’un effort. La première erreur : la longueur.(…)
La deuxième erreur : la faiblesse du dialogue. L’histoire de LUMIÈRES DE MA VILLE n’est pas très forte, mais si elle avait été apprêtée à une meilleure sauce, elle aurait pu être digestible. Le dialogue est médiocre du commencement à la fin. Rudel Tessier a l’art d’employer des mots redondants, qui rebondissent et qui ne veulent rien dire; il se répète; il manque de finesse, de pétillant et d’originalité.
La troisième faute : la lenteur. Ça ne marche pas; on dirait que les interprètes sont perclus et qu’il leur faut toujours dix ou quinze secondes pour s’asseoir ou poser un geste. (…) Une intéressante : les chansons. (…)
Le côté technique est loin d’être parfait. Tout d’abord dans le montage, le “flashback” est très mal fait. À certains moments, on se demande si on est dans le présent ou dans le passé. Ce qui est pis encore, on reprend trois ou quatre scènes. La synchronisation des paroles et des lèvres n’est pas toujours parfaite; il en est ainsi de la bande sonore.
Il ressort donc qu’il reste encore fort à faire au Canada avant de pouvoir réaliser des films convenables. Et la conclusion la plus logique à tout cela, c’est qu’il faudrait avant de commencer un film, faire venir de l’étranger un metteur en scène, un dialoguiste qui pourrait travailler avec nos auteurs, un monteur expert et un directeur de photographie.”
G.M. dans Le Devoir
“Vous aimez la chansonnette? Alors, ni une, ni deux; rendez-vous derechef au Saint-Denis, voir LES LUMIÈRES DE MA VILLE. Cinq compositions charmantes d’un Canadien français, Pierre Petel, y sont très agréablement interprétées par Monique Leyrac et Paul Berval, et mises en scène d’une façon parfaite.
Le reste du film vous paraîtra peut-être moins heureux. J’ai bien de la sympathie, voire de l’amitié, pour le cinéma canadien-français, mais que diable : le scénario de LUMIÈRES DE MA VILLE va un peu trop loin dans le sens du mélo pour que je m’y attache sérieusement. Je lui reconnaîtrais bien, à la rigueur, cette qualité de n’être pas tiré d’un de nos innombrables romans-savons… C’est un commencement de commencement. Mais ce n’est tout de même pas assez pour soutenir l’intérêt pendant plus de deux heures…
Un mélo, dis-je. Encore : un mélo lentement dénoué, aussi peu pressé qu’une argumentation philosophique. Le problème du mouvement, à ce qu’il me paraît, demeure le principal qu’ait à résoudre notre jeune cinéma. Cela n’avance pas… Encore s’il s’agissait, dans LUMIÈRES DE MA VILLE, que d’une carence technique; mais les acteurs eux-mêmes parlent aussi lentement qu’ils le peuvent, mettent une éternité à laisser les poignées de porte, jettent des regards qui durent une heure! (…)
Le découpage est également pour quelque chose dans cette lenteur, si je ne me trompe. Certain “flash back” qui multiplie par deux les claques reçues par le méchant Noël Gauvin (sic) ne fait que brouiller les cartes et ralentir l’action, sans profit aucun pour le spectateur. Passe encore que l’action n’avance guère, mais qu’elle se répète…
Huguette Oligny domine nettement, très nettement, la distribution. Éliminées les imperfections inhérentes à une première expérience cinématographique, elle ferait une excellente — et belle — artiste. Malheureusement, son protagoniste Guy Maufette montre de plus en plus qu’il n’a pas l’étoffe d’un jeune premier. Il n’a pas bonne voix, ne sait quoi faire de ses mains, etc.”
Même opinion dans la plupart des journaux. Seules les revues spécialisées à fonctionnement publicitaire osent se réjouir : “LES LUMIÈRES DE MA VILLE éclairent les vacances du cœur… LES LUMIÈRES prouvent que les Canadiens français peuvent briller et réussir magnifiquement au cinéma… Il a été ovationné par le public et la critique. Ce qu’on a fait de mieux à date, tel a été le verdict unanime”
C’est donc avec un tel verdict unanime que s’éteint la production Renaissance. Il nous reste maintenant à voir comment se termine l’aventure des compagnies. Ce n’est pas tâche facile car beaucoup de confusion règne et les circonstances des faillites ne sont pas très claires. Il y a encore aujourd’hui beaucoup d’amertume envers X ou Y chez ceux qui y ont perdu plusieurs milliers de dollars. Les acteurs principaux encore vivants ne sont pas très enclins à éclairer ou à remuer tout ce passé. Cela explique donc que nous soulèverons certaines questions qui demeureront sans réponse. Pour plus de clarté, nous traiterons séparément de l’histoire de chaque compagnie bien que les événements se soient déroulés simultanément et se renvoient l’un à l’autre. Pour vous retrouver dans cette chronologie, vous pouvez vous référer au tableau en annexe (Télécharger pdf).
La dernière fois que nous avons parlé de RFD, c’est lors de l’hypothèque de $250,000. Cette hypothèque a pu en surprendre certains puisque la compagnie avait amassé pour plus de deux millions de dollars en capital (voir Annexe VI (Télécharger pdf)) Cette hypothèque avait été accordée sur la valeur de la bâtisse et du lieu. Un des aspects de cette valeur, c’est le système de climatisation. Le 20 février 48, la compagnie Mongeau & Robert avait fait une soumission de $30,000. pour climatiser le plateau, la salle d’enregistrement, les bureaux et le laboratoire de Phoenix. Comme Berthold Mongeau est administrateur de RFD, il remporte le contrat et DeSève le signe le 24 février; celui-ci s’engage alors à payer d’avance une partie de l’installation. En 49 tout est terminé. Mais le 2 novembre, il reste encore $13,685.55 à payer. Mongeau décide alors de prendre des procédures. Le 2 février 50, Mongeau demande la saisie de ses biens et le protonotaire lui en accorde la permission. Le 11 mars il reprend son système de climatisation. RFD essaie d’annuler la saisie en demandant à interroger Mongeau. La cour le lui permet et les deux parties comparaissent le 28 juin. Naturellement, comme RFD ne peut nier devoir de l’argent, la cour confirme la saisie du matériel de climatisation.
En ce mois de février 50, les choses se précipitent. RFD doit à Alliance Electric Works depuis six mois $2662. AEW demande que RFD soit mise en faillite. On doit entendre la cause le 3 mars; mais la veille AEW retire sa demande car la compagnie l’assure qu’elle est à nouveau solvable. AEW n’est pas la seule compagnie à être créancière de RFD mais c’est la seule qui prend des procédures dans l’immédiat. À la fin février, RFD a toujours pour plus de $50,000. de comptes payables. Comme elle ne peut honorer ses dettes, elle propose aux créanciers non-garantis d’en venir à un arrangement légal. Elle estime que si on lui donne “un délai raisonnable, elle pourrait opérer de manière à faire des profits et à payer dans ledit délai les créanciers non-garantis”. Le 4 mars, on demande à la cour de pouvoir convoquer une assemblée des créanciers et on lui fournit le bilan financier de la compagnie tel que vous le retrouverez en Annexe VI (Télécharger pdf). La cour acquiesce à cette demande et l’assemblée des créanciers, à laquelle assiste aussi la Société des Artisans, a lieu au palais de justice le 24 mars (la journée même où la cour permet à RFD d’interroger Mongeau & Robert). La plupart des créanciers sont présents par procuration. Parmi les personnes connues on y remarque Hector Perrier et Pierre Harwood (de Phoenix). Mais c’est Jacques Beauchemin, avocat de RFD, qui possède le plus de procurations. La compagnie soumet aux créanciers sa proposition d’arrangement; elle s’engage à leur payer “100 cents dans la piastre” de la manière suivante : 20% six mois après la sanction de la proposition, 30% douze mois après, 50% dix-huit mois après. On prend le vote; 50 pour (totalisant $27,178. de créances) et un contre. La proposition est sanctionnée le 30 mars.
Mais les créanciers ne s’en tirent pas pour autant. Le 26 septembre, RFD revient à la charge. Elle affirme que depuis le jugement sanctionnant l’arrangement proposé et accepté, l’état financier, le bilan et spécialement l’actif de la compagnie a grandement changé et diminué de sorte qu’il lui est absolument impossible de parfaire l’arrangement qu’elle avait proposé aux créanciers ordinaires. Elle demande donc à la cour de suspendre cet arrangement et de lui permettre d’en proposer un nouveau. Elle affirme avoir en caisse $ 12,000. pour couvrir le nouveau compromis. La cour acquiesce le 28 et le 10 octobre RFD propose aux créanciers un nouvel arrangement de “30 cents dans la piastre”. Trente-huit personnes votent pour (totalisant $20,907.) et huit contre ($5046).
Revenons maintenant un peu en arrière. Le 16 mars, le nouveau président de RFD Rosaire Beaudoin envoie une lettre alarmiste aux actionnaires en leur parlant de curieux problèmes financiers; il y a de quoi, nous venons de le voir. Il convoque une assemblée spéciale pour le 25 mars, le lendemain de l’assemblée du premier arrangement. A cette assemblée assistent environ 225 actionnaires. On les met au courant des derniers événements. Certains demandent des explications, d’autres une réorganisation administrative. Mais personne ne sait que faire et les responsables cachent en grande partie la vérité. La Société des Artisans qui n’a rien d’une organisation philanthropique et qui ne se laisse pas bercer par les belles phrases des administrateurs de la compagnie, ne sort pas éblouie des réunions du 24 et 25 mars. Comme RFD n’a pas payé le premier février son versement de $5000. ni les intérêts dus sur la somme empruntée, comme elle n’a pas fait assurer le studio et que les Artisans ont dû le faire pour $2017., comme le système de climatisation a été saisi (bien que l’accord définitif de la cour n’a pas été donné) ce qui cause une détérioration et une perte de valeur à l’immeuble d’au moins $100,000., comme RFD n’a pas exécuté son obligation de faire souscrire $250,000. en actions de son capital social autorisé de façon à avoir $500,000. de liquidités, la Société des Artisans se croit fondée d’exiger de RFD $229,722. couvrant le capital prêté, les intérêts, la prime d’assurance et une indemnisation de $37,500. La Société demande donc à la cour de déclarer le terrain et le studio hypothéqués pour cette somme et de condamner RFD à vendre en justice, dans les quinze jours, le studio de la Côte–des-Neiges. Le 15 avril, RFD nie toutes les déclarations des Artisans. Mais peine perdue, le 30 juin, la cour la condamne à payer $299,722. avec intérêt de 5% à compter du 3 avril, à quitter son immeuble et à le vendre aux enchères dans les quinze jours. RFD ne s’exécute pas.
Pendant que RFD est aux prises avec l’arrangement et les Artisans, du côté des Productions Renaissance ça ne va guère mieux. LES LUMIÈRES DE MA VILLE piétine; le tournage terminé, on ne sait quand va débuter le montage (ce sera en juin) 1 Le 3 mars, Les PR obtiennent des lettres patentes supplémentaires qui autorisent son changement de nom en Excelsior Films et le transfert de son siège social à Québec au bureau du notaire Grenier. Vers cette date-là aussi arrive au Québec Janssens pour occuper son nouveau poste; son premier geste canadien est la signature du contrat de DOCTEUR LOUISE avec Export-Film au nom des Productions Renaissance qui portent pourtant à cette date leur nouveau nom; comme quoi tous ces changements de noms n’étaient pas toujours connus même de ceux qui travaillaient pour la compagnie. Excelsior ne connaît pas une activité fulgurante. Pratiquement on peut dire qu’elle ne fait que remettre en marche LES LUMIÈRES DE MA VILLE. Le 2 août, son conseil d’administration, sur proposition d’Henri Giguère et Georges Audet, autorise le président J.B. Villeneuve à signer une cession de biens. La faillite est déclarée le 3. Excelsior n’aura duré que 5 mois.
On a maintenant plusieurs chats à fouetter. Le premier est la complétion des LUMIÈRES DE MA VILLE. On discute la question avec DeSève car c’est France-Film qui administre alors le studio Renaissance pour $1.00 et RFD doit normalement avancer de l’argent à Excelsior pour ses productions. Nous ne connaissons pas en détail les termes des ententes intervenues avec DeSève; on sait par exemple que le 9 septembre il se porte locataire du studio pour $75. par mois (alors que pour le tournage on chargeait $6000.). De toute façon c’est lui qui voit à la finition du film et particulièrement au contrat des Bigras.
Le second, beaucoup plus crucial, est de voir aux créances. Jacques LaRue est nommé syndic de la faillite. L’assemblée des créanciers du 22 août le confirme dans ces fonctions. À cette assemblée assistent notamment les administrateurs Gilbert, Duval, Giguère et Audet, des représentants de plusieurs compagnies et administrateurs et naturellement Janssens qui essaie de se faire nommer inspecteur de la faillite en prétextant une énorme créance ($96,000.) avec Excelsior. Mais comme son nom ne figure dans la liste des créanciers que pour $82., on ne l’appuie pas. Ce sont les avocats de France-Film/RFD, de Gilbert et de la Banque provinciale (à qui l’on doit $111,788.33 obtenus nous ne savons pas dans quelles circonstances) qui sont nommés. Les créanciers prennent connaissance du bilan de la compagnie.
Comme on le voit, dans l’actif, le plus gros montant à part les films provient de l’appareillage du studio de Montréal (dont on ne sait pas de quelle manière il est tombé entre les mains d’Excelsior). Le 28 août, suivant une résolution des inspecteurs, le syndic envoie son représentant à Montréal prendre possession de ce matériel. Celui-ci est accueilli par Sam Gagné et le procureur de RFD de même que par DeSève (décrit par LaRue comme l’actionnaire majoritaire de RFD!). Ces trois personnes déclarent qu’elles n’ont “aucun droit et aucun lien sur lesdits machinerie et équipement”, qu’ils ne contestent aucunement le droit de propriété de la faillie mais qu’ils refusent toutefois au syndic d’en prendre possession. Gagné précise : “Nos instructions sont de laisser sortir cet équipement pour aucune considération”. Le syndic se voit donc obligé dès le lendemain d’en appeler en cour de cette attitude de RFD. Le 30, l’avocat de RFD lui téléphone. Que lui dit-il? On l’ignore. Mentionne-t-il les $207,000. qu’Excelsior devrait à RFD? Probablement. Chose sûre, on n’entendra plus jamais parler de cette vente du matériel par Excelsior.
RFD n’a pas qu’à se battre contre Excelsior. Elle est elle-même poursuivie par la Société des Artisans et par ses créanciers. Nous avons déjà expliqué comment elle propose à ces derniers un nouvel arrangement qu’ils acceptent. Par contre avec les Artisans, c’est plus difficile. Le 23 septembre, RFD décide de se désister de son appel du 28 août contre ceux-ci, mais elle ne quitte pas pour autant le studio où l’on est en train de terminer LES LUMIÈRES DE MA VILLE 2. Le 27 octobre la Société se plaint de cet état de fait et signale que sa patience a des limites. Le conseil d’administration de RFD se voit donc obligé d’informer ses actionnaires de la tournure des derniers événements. Il convoque une réunion pour le premier novembre. On y déclare notamment (tel que rapporté dans une lettre du 21 novembre) :
- “La compagnie se trouve dans une situation extrêmement difficile par suite de son incapacité de rencontrer les échéances en capital et en intérêts sur sa dette hypothécaire;
- À la suite de ce défaut, le créancier hypothécaire a obtenu par jugement de cour le droit de faire vendre les biens hypothéqués;
- Aucun plan de réorganisation n’a été soumis par les actionnaires eux-mêmes, malgré certaines tentatives discutées au cours des différentes assemblées générales de cette année;
- La collaboration de spécialistes en finance s’impose pour tenter un suprême redressement
Après discussion sérieuse de cette situation, les administrateurs ont décidé à l’unanimité de demander à Clément, Guimont Inc., courtiers en obligations de Québec, s’ils accepteraient de se charger de l’étude des possibilités de réorganisation et de refinancement de la compagnie.
Les officiers de Clément, Guimont Inc. ont effectivement été rencontrés. En raison de l’importance des intérêts en jeu et des capitaux compromis, ces messieurs ont accepté d’entreprendre sans délai une étude complète et objective des affaires de Renaissance et faire rapport de leurs conclusions le ou vers le 15 janvier 1951.
Dans les circonstances, nous ne pouvons nous empêcher de vous exprimer notre très vive satisfaction, partagée d’ailleurs par tous les groupements intéressés de voir une maison de finance aussi sérieuse et aussi hautement réputée accepter d’entreprendre un tel travail. Même si une réorganisation s’avérait impossible, nous pourrions au moins nous rendre le témoignage d’avoir épuisé tous les moyens en vue de sauver une partie de l’avoir des actionnaires dans notre entreprise et d’avoir recouru aux meilleurs services professionnels possible dans ce domaine.”
Notes:
- Ce même mois de février, Les PR achètent de la compagnie Emelco de New York le film TIERRA DEL FUEGO pour la somme de 25,000. ; elles n’en paient que $1795. À la mi-octobre, ce film sera vendu à la corporation épiscopale de Trois-Rivières. ↩
- Il faut signaler que le premier octobre la compagnie Renaissance Cinéma est légalement dissoute, ce qui l’empêchera d’être prise dans la tourmente et d’avoir à expliquer publiquement ses revenus et dépenses. ↩