1949 : Les productions Renaissance : LE GROS BILL, DOCTEUR LOUISE
1949
La première tâche à laquelle doit s’atteler le nouveau conseil est de régler le cas Fields et Than. Le 22 janvier, il résout de leur soumettre une nouvelle entente signée cette fois avec RFD. Le 26 les deux parties s’entendent pour annuler ce qui a été convenu mais non paraphé dans le passé avec l’ex-président bien que les producteurs estiment qu’il y a là obligation morale. En contrepartie de ce désistement, RFD s’engage de façon très précise. Le ou avant le premier mai 1949, la compagnie doit trouver les fonds et les équipements nécessaires à entreprendre un tournage. Aussitôt cette assurance donnée par écrit, les producteurs s’engagent à trouver avant le premier août des conditions de distribution analogues à celles obtenues de AA-Monogram (qui viennent justement d’annuler leur contrat). La compagnie donne aux producteurs, à la signature de l’entente, $10,000. en avance sur ce qui leur sera dû pour la production de deux longs métrages, soit en tout $75,000. pour des films qui devraient être terminés avant février 1950. Ce montant est réparti en plusieurs versements à effectuer à chaque étape franchie par le film : scénario, distribution, recettes, etc. Pour le même prix et à des conditions semblables, les producteurs pourront au besoin mettre en marche deux autres films. L’entente précise en outre que, si jamais, alors que les producteurs sont à Montréal pour tourner, le film en vient à être stoppé pour des raisons qui ne sont pas de leur ressort, ils recevront en dédommagement $25,000. en plus du $75,000. Par contre, s’ils ne sont pas invités à revenir à Montréal ils conserveront l’avance de $10,000 et recevront en plus $30,000. À ces conditions, Than et Fields s’engagent à ne jamais poursuivre DeSève, CISP ou Renaisance Export et à ne jamais réclamer quoi que ce soit pour les contrats ou travaux précédents.
Le jour même où ces accords sont signés, Paul Pratt convoque une conférence de presse à laquelle assistent des journalistes plutôt sceptiques et critiques qui en ont soupé de ces conférences-de-presse-à-projets et qui les prennent maintenant avec un grain de sel. Cette conférence de presse dont on aura le texte un peu plus loin, est néanmoins très importante car en plus de faire état de l’entente conclue avec Than et Fields, elle annonce des projets qui cette fois seront réalisés et réaffirme l’orientation catholique de la compagnie. Mais avant d’aborder ces deux derniers points, finissons-en avec nos producteurs américains. Une fois l’entente signée, Fields repart immédiatement (le 28) pour Hollywood. Seul reste à Montréal le couple Than dont le départ est prévu le 30. Le 29, Than rencontre des journalistes dont Marc Thibeault, de la seule revue de cinéma au Québec qui parle régulièrement de ce qui se passe et se tourne ici, Parlons Cinéma. Il leur raconte en détail et documents à l’appui tout ce qui s’est passé depuis leur arrivée au Québec. L’amertume amène Than à s’interroger sur DeSève, sur ce qu’il est advenu de l’argent de la compagnie et sur la compagnie RFD en général. Thibeault communique son information à l’hebdomadaire The Standard qui la publie en février; Parlons Cinéma fait de même en mars. Cette information est alors largement diffusée dans tout le Québec et tout le Canada. Le 18 mars, RFD réagit en faisant savoir à Than et Fields par ses procureurs qu’elle les tient responsables de tous dommages qui lui seraient causés. Le 21 avril, elle leur récrit pour leur signifier que par leur déclaration à Parlons Cinéma, alors qu’ils étaient sous contrat avec RFD, les producteurs ont violé leurs obligations essentielles et qu’en conséquence cela l’oblige à se passer de leurs services à l’avenir, la justifie de ne pas payer les billets qu’elle leur a signés et même de leur réclamer les $10,000 déjà versés. Naturellement Than et Fields, déjà échaudés par leur aventure québécoise, réagissent en portant plainte le 14 juin et en réclamant le 20 les $40,000. qui leur sont dus. La bataille juridique commence au cours de laquelle on rappellera souvent les faits incriminés.
Le 31 octobre, tout en précisant que Fields et Mme Than n’étaient pas là, les producteurs donnent leur version des faits. Elle tient en quatre points :
- Il avait été entendu entre eux et RFD de tenir une conférence de presse conjointe pour nier les rumeurs qui circulaient au Canada et aux USA imputant les délais à entreprendre les productions à Than et Fields. Or le programme avait eu beaucoup de publicité; on y annonçait la compétence des producteurs. Ceux-ci avaient bien essayé de monter une production, mais Renaissance leur nuisait tout le temps, faisait des promesses qu’elle ne tenait pas et ne fournissait pas le matériel requis.
- Les rivalités et les dissensions internes entre DeSève et les administrateurs, le public et particulièrement les actionnaires en ont pris connaissance et c’est ça qui a amené son renvoi. Cette situation intolérable a miné la confiance des actionnaires et c’est elle qui a causé le plus de mal et le plus grand dommage à RFD.
- Les producteurs apprennent par hasard que RFD a convoqué une conférence de presse pour disperser les rumeurs et parler de la nouvelle entente (du moins c’est ce qu’ils croient). Or rendu là, plutôt de parler de cette entente, RFD annonce un nouveau programme où l’on ne fait pas appel à leurs services. Leur réputation n’est donc pas rétablie. C’est pour cela que Than se voit obligé d’expliquer à quelques journalistes ce qui s’est passé et quels sont ses projets d’avenir. Ce que les journalistes tirent de ces déclarations, ce ne sont pas les producteurs qui en sont responsables, mais RFD.
- La réconciliation ultérieure intervenue entre DeSève et les administrateurs n’a pas réhabilité la confiance du public et des actionnaires. Les vraies causes des pertes financières de RFD, ce sont ces bisbilles et non la conférence de presse de Than.
RFD conteste tout cela. Le 23 novembre, la cour “renvoie ladite inscription en droit, avec dépens”, autrement dit donne raison à RFD. Les producteurs reviennent à l’attaque le 6 décembre. Le 22 février 50, RFD réitère ses mêmes arguments; mais peu de temps après, on apprend que la cause ne peut être inscrite au rôle car RFD fait face à des poursuites en faillite. Le tout reprend finalement en septembre pour aboutir le 6 décembre à un accord hors cour où les deux actions sont abandonnées sans frais. Ainsi se termine l’aventure de trois Américains qui étaient venus contribuer au lancement d’une grosse industrie mais qui étaient tombés au milieu d’un panier de crabes où le signe de croix et le signe de piastre se mariaient mal.
Revenons-en maintenant à la conférence de presse du 26 janvier 49 qui avait pris Than par surprise. Voici le texte officiel de la déclaration de Paul Pratt :
“Ma joie est grande de pouvoir enfin, au nom du conseil d’administration de RFD, vous parler officiellement de notre programme et de nos projets. Depuis longtemps cette conférence est attendue avec impatience, mais cette impatience était au moins aussi grande de notre côté. Vous ne vous attendiez pas à ce que je vous parle des rumeurs plus ou moins fondées ou malveillantes qui peuvent courir dans des milieux mal informés. La vie est trop courte et le temps trop précieux pour les perdre en paroles inutiles. Ce qu’il faut, c’est, après trois ans de dur travail de préparation, passer aux réalisations pratiques d’esprit chrétien. Notre programme est connu, il a été approuvé par les plus hautes autorités. Il est rendu possible par l’unanimité des membres de notre Conseil d’Administration et par la collaboration d’équipes techniques particulièrement qualifiées.
Nous ne faisons pas seulement du film tellement religieux ou de propagande chrétienne. Notre but principal est de lancer sur le marché international de grands films capables de battre des records de succès dans la salle publique comme dans la salle privée.
Nous ne cacherons pas que ce programme est audacieux, qu’il renferme des difficultés toutes particulières et que nous comptons non seulement sur nos efforts persévérants et méthodiques, mais aussi sur la grâce de Dieu pour nous aider.
Nous savons que tous les actionnaires de RFD ont voulu ce but et ont souscrit à cette condition.
Nous remercions donc tous ceux qui ont aidé les artisans de l’énorme travail déjà accompli. Vous connaissez nos studios magnifiquement équipés. Vous avez entendu parler de nombreux films actuellement préparés : DR LOUISE, SACRIFICE, RANÇONS, L’AVALANCHE, GARÇONS, FILLES ET CHIENS, TROMPE LA GLOIRE, L’APPEL DES CLOCHERS, LE DIVIN PARDON, SACERDOCE, LE PAIN DES VIVANTS, PREMIÈRES, etc.
En même temps, nous sommes saisis de diverses productions venues de producteurs étrangers, apportant le financement partiel ou complet d’autres films.
Ces films, nous voulons les tourner en version américaine en même temps qu’en version française, car il ne faut pas oublier que notre action n’est pas seulement canadienne-française, mais d’esprit chrétien, c’est-à-dire internationale.
Nous remercions les évêques qui nous ont approuvés et aidés, tout spécialement Son Excellence Monseigneur Charbonneau, Archevêque de Montréal, Monseigneur Pelletier, Évêque de Trois-Rivières et chargé par tout le Canada de la direction des questions cinématographiques. Nous remercions les autorités civiles qui nous ont facilité la tâche; l’abbé Vachet qui, par son travail depuis trois ans, a eu tant de part à la fondation et au développement de notre société; enfin, tous les actionnaires qui, de près ou de loin, nous ont soutenus dans cette longue tâche qui n’est d’ailleurs pas terminée..
Dès aujourd’hui, je puis vous annoncer que notre travail est prêt pour deux ans à l’avance. Le premier film est commencé. Un des metteurs en scène, monsieur Delacroix, qui a vingt-cinq années d’expérience, vient de nous arriver de Paris pour la mise en scène du DOCTEUR LOUISE. Nous avons ici monsieur Janssens Van Der Sande, président de la Confédération Internationale du Film, reconnue et approuvée par le Vatican, qui a sollicité l’honneur de commanditer le film SACRIFICE qui s’annonce comme devant être un événement cinématographique mondial. Ce dernier film sera présenté à Rome, à l’occasion de l’Année Sainte, à la fin de 1949 par un évêque canadien.
Les décors de ces films sont en train de se préparer et le premier tour de manivelle effectif se fera vers le 15 mars. Il faut en effet le temps de choisir les artistes tant au Canada qu’en France et pour la version américaine.
Vous pouvez vous entretenir avec nos hôtes pour avoir plus de détails. M. Delacroix vous dira que pour le DR LOUISE, nous avons sollicité des artistes comme Annie Ducaux, Jean Murât, Mady Berry, Suzy Carrier, Raymond Cordy, etc. Parmi les musiciens qui doivent collaborer à nos films il y a déjà des noms tels que : Arthur Honneger, André Bloch, président des Conservatoires de France, monsieur Lalande, directeur de l’Opéra de Lyon et de Strasbourg, Prokofieff, sans oublier les maîtres canadiens, à qui nous voulons donner l’occasion de se faire connaître d’une manière internationale. Enfin, plus de soixante convocations sont déjà sous enveloppe à l’adresse d’artistes canadiens parmi lesquels on choisira les interprètes les mieux adaptés au film DOCTEUR LOUISE. Ils rivaliseront certes avantageusement avec les vedettes qui nous arriveront de France
La télévision
Les États-Unis nous demandent d’entrer dans la voie de la télévision et sollicitent de notre société la création de très nombreux films destinés à cette nouvelle activité. Dans tous les domaines de propagande religieuse, de l’éducation et de la culture, nous avons beaucoup de possibilités qui s’affirment et se précisent tous les jours. Monsieur Paul Vandenberghe, dialoguiste français et metteur en scène du DOCTEUR LOUISE, est un auteur célèbre en France, qui ne compte plus ses succès tant au théâtre qu’au cinéma. Il est l’auteur de GRINGELAS, PAS SI BÊTE, LA RAGE AU COEUR. BLANC COMME NEIGE, etc.
Monsieur Delacroix est un collaborateur intime d’un bon nombre de grands metteurs en scène français, tels que : Jean Choux, André Berthomieu, Jean Dreville, Sacha Guitry et aussi Christian Jaque, dont la réputation n’est plus à faire
Monsieur Léo Janssens a été pendant la guerre un des chefs de la résistance hollandaise. Il a sauvé un très grand nombre d’aviateurs, dont plusieurs Canadiens. Il sera chargé des relations internationales tant en Europe qu’en Amérique. C’est un grand industriel hollandais qui apporte son dynamisme et sa compétence au cinéma d’esprit chrétien. Il est venu établir à Montréal le centre international qui travaillera en étroite liaison avec Renaissance Films. Nous sommes autorisés à vous dire que ce centre est actuellement fondé.
Comme il nous est impossible de vous donner d’autres détails aujourd’hui, nous tenons cependant à vous dire que jusqu’à présent la société Renaissance n’a jamais été aussi près du succès.
Une activité débordante commence à se faire jour. Des techniciens nouveaux et des artistes viennent participer aux productions en cours et nous avons la certitude de faire faire à notre compagnie un énorme bond en avant au cours de 1949 par la collaboration internationale qui se dessine un peu partout en faveur de notre activité.
M. Than et M. Fields étaient prêts, le 2 octobre, à tourner leur premier film. Les contrats de distribution avec Allied Artists-Monogram étaient existants et la compagnie distributrice avait accepté les deux premiers scénarios. Une distribution tentative était prête pour le premier film, les contrats d’unions du travail étaient préparés et prêts à être signés, le laboratoire à Ottawa était à notre disposition et même les sites de location étaient choisis.
À cause de raisons incontrôlables, tant pour MM. Than et Fields que pour moi-même, les réalisateurs furent empêchés de tourner ces films. Nous apprécions énormément l’excellent travail de base qu’ils ont, avec Mme Than, accompli pour préparer toute production cinématographique dans notre studio.
Nous sommes heureux d’annoncer que nous avons été en mesure de conclure une entente directe entre notre compagnie et M. et Mme Than et M. Fields. Ils vont faire au moins quatre films pour nous à compter de mai. Ils retournent à Hollywood pour préparer une nouvelle entente de distribution et pour faire la distribution des premiers rôles des deux premiers films.
Renaissance éducationnel
Une section importante de Renaissance Films est le groupe Renaissance Educ. Fondé en juin 1948, ce groupe compte aujourd’hui quatre jeunes canadiens-français : — MM. Jean-Yves Bigras, Yves Jasmin, Éloi de Granmont et Roger Garand.
Cette section s’occupe, à l’instar d’une pareille section du groupe de J.Arthur Rank, de films éducationnels. Comme l’éducation, qui couvre une multitude de sujets et prend une multitude de formes, est surtout adressée aux enfants, la section Renaissance Educ. est connue sous le nom du Coin des Enfants.
Jean-Yves Bigras, et Yves Jasmin sont tous deux d’anciens documentaristes de l’Office National du Film avec six et trois ans d’expérience respectivement. Éloi de Grandmont apporte ses connaissances littéraires et Roger Garand, bien connu par son programme radiophonique “Radio Carabin”, contribue par son expérience de mise en scène acquise à la revue Bleu et Or et à la radio.
La première réalisation de cette équipe a été un album de disques. La première série des contes de Perrault a paru à temps pour le marché de Noël. La réalisation de ces disques n’a commencé qu’à la fin d’octobre et a demandé un véritable tour de force pour que les disques puissent paraître à temps. Une deuxième série des Contes de Perrault sortira probablement pour le marché de Pâques.
Un film de court métrage est sur le métier. Ce film, conçu spécialement pour la télévision, paraîtra également sur les écrans du monde entier, car il pourra être doublé par le simple expédient de changer la bande sonore. Ce film, qui raconte les mésaventures d’une marionnette qui se cherche une compagne, permet de démontrer au public la fabrication compliquée d’une marionnette à gaine. De nombreux artistes canadiens prêteront leur concours à cette production-éclair. Les marionnettes serviront ensuite à la production de nombreux sujets courts pour enfants à la télévision.
Dès l’approbation du budget, le film sera tourné immédiatement et montré en première aux journalistes peu de temps après. Ce travail rapide est nécessaire pour ne pas surcharger le budget et reste quand même assez facile en vue de l’expérience du documentaire de Renaissance Educ.
Le programme de la section Renaissance Educ. est donc très simple: du film et, comme sous-produit, du disque. Le film, qui demande une assez longue période de préparation, est ainsi partiellement payé au départ par son sous-produit le disque.
Un film à long métrage, dont le scénario et le découpage technique sont terminés, commencerait à être tourné au mois de juillet. Ce film, qui n’aura ni l’envergure ni le budget des films sœurs qui se tourneront en même temps, présentera au public international un groupe de vedettes canadiennes.
D’ailleurs, l’expérience que nous pourrons acquérir au contact des équipes françaises et américaines qui tourneront au studio ne pourra être qu’utile à notre formation. N’est-ce pas là un des premiers buts de Renaissance Films : de former des jeunes canadiens pour la télévision et le cinéma canadien de demain?”
Suite à cette déclaration Pratt répond aux journalistes. Quelqu’un lui demande pourquoi produire d’abord le DOCTEUR LOUISE, a budgété à $140,000. sans aucune garantie de distribution alors que pour le même prix Than et Fields ouvrent la voie au marché américain. Pratt reconnaît que ce n’est pas logique du point de vue commercial mais qu’un groupe d’actionnaires préfère cette voie (sous-entendu du cinéma catholique). D’ailleurs Pratt réitère clairement la mission de propagande chrétienne de RFD. Il annonce aussi que la compagnie va hypothéquer son studio pour pouvoir produire DOCTEUR LOUISE (nous reviendrons tout à l’heure sur l’histoire compliquée de ce film). Ce qui est aussi intéressant dans cette conférence de presse c’est qu’on y apprend la présence à Montréal de personnages qu’on est surpris d’y trouver. Delacroix d’abord dont rien ne nous laissait présager la venue imminente et Janssens dont nous avons déjà souligné le rôle à l’OCIC mais dont personne n’a pratiquement entendu parler ici.
Quelle est donc la fonction de Janssens au Canada. Il représente la Confédération internationale du film (CIF). Cette confédération dont nous préciserons tout à l’heure en détail la nature, possède un certain capital qu’elle peut investir dans la production et la distribution. Elle a fait une première expérience avec MONSIEUR VINCENT de Maurice Cloche produit par l’Office familial de documentation artistique dirigé par Georges de la Grandière et dont incidemment DeSève est l’agent exclusif pour le Canada. C’est donc à ce titre de président de la CIF et de personnes-ressources que Janssens se retrouve pour une première fois au Canada. D’ailleurs dans une lettre aux actionnaires datée du 15 mars, le docteur Gilbert, qui est devenu entretemps président de RFD, écrit :
“Depuis de longs mois, vous attendez des nouvelles de votre Compagnie et nous sommes heureux de vous envoyer aujourd’hui notre programme définitif pour 1949 et 1950.
Comment vous le constaterez, Renaissance Films Distribution n’a pas failli à ses promesses : les studios que beaucoup d’entre vous ont d’ailleurs visités sont terminés. La production des films d’esprit chrétien minutieusement préparés est également commencée. Enfin, notre action est internationale puisqu’elle s’exerce déjà sur deux continents.
Le capital-actions souscrit par vous a été consacré, comme convenu, à l’établissement du studio et à l’acquisition du matériel technique.
Nous nous sommes assuré par un contrat avantageux la collaboration de France-Film qui distribuera tous nos films. Nous nous sommes également assuré la collaboration de la Confédération Internationale du Film ainsi que de distributeurs français pour que ces films soient diffusés dans le monde entier dès leur sortie. Enfin, la société FiatFilm de Paris, que nous contrôlons, doublera en toutes les langues nécessaires nos productions.
Nous avons donc la joie de vous annoncer que votre Compagnie est assurée d’un développement extraordinaire dans la mesure où nos amis continueront de nous apporter leur concours fidèle et dévoué”.
D’ailleurs se tient à Paris le 23 mars la réunion du comité exécutif de la CIF constitué de Janssens (Hollande), José Maria Cano (Espagne), Remo Branca (Italie), Vachet (France) et Sam Gagné (Canada) 1. Le comité exécutif adopte les résolutions suivantes :
- “1. Le comité exécutif de la CIF décide :
- d’installer son siège international au Canada et confirme son secrétariat général à Rome.
- de demander une charte fédérale au Gouvernement Canadien. Elle prendra la forme d’une compagnie à capital-actions, compagnie à profits.
Le Comité exécutif de la CIF, si nécessaire, pourra installer son siège dans un autre pays.
- Chaque nation a le droit de déléguer un représentant accrédité auprès de la CIF. Il aura la représentation du capital investi par son pays. Toutefois en raison des nécessités pratiques le Conseil d’Administration devra compter assez de représentants résidant au Canada pour pouvoir délibérer valablement.
- Chaque société nationale affiliée devra personnellement faire sa finance sous sa propre responsabilité et dans le cadre des lois de son pays.
Chaque société nationale s’engage à soumettre le choix de son conseil d’administration à l’agrément du comité exécutif. - Toute Société nationale affiliée à la CIF s’engage à rapporter tout son appui à la Production et à la diffusion des films réalisés ou achetés par la CIF et d’une manière générale à appuyer son action dans tous les domaines. En outre, les Sociétés s’engagent à une aide mutuelle, chaque Société devra étudier les garanties qu’elle peut trouver pour permettre la réalisation de ces mêmes films.
- Le Comité exécutif délégué tous ses pouvoirs à son Président, Monsieur Janssens van der Sande pour signer en son nom toutes les pièces utiles à la constitution, à l’organisation et au développement du département commercial. Il désignera les Directeurs sous la seule réserve d’en aviser le Comité exécutif.
- Le rôle du Secrétaire Général est :
- de maintenir les rapports entre le Saint-Siège et la CIF et de se tenir en relation avec les centres nationaux.
- d’exécuter les décisions du Comité exécutif de la CIF quand ce sera nécessaire.
- d’instituer un bureau de la CIF en Italie.
- La CIF en tout premier lieu organise le financement des productions. Mais son objet est beaucoup plus vaste que la production proprement dite. Toute activité concernant le cinéma, la radio ou la télévision, la distribution de films, la création de studios, des écoles techniques, des journaux et d’une manière générale tout ce qui concerne directement ou indirectement le cinéma, la radio, la télévision, entre dans son but statutaire.
- Pour l’année 1949, la CIF accepte bien volontiers de prendre part au programme de réalisation cinématographique préparé par Les Productions Renaissance de Montréal sur la base de financement d’environ 1/3 du capital nécessaire.
- La CIF étant directement reliée à la Commission Ponfiticale Internationale Cinématographique, instituée au Vatican sous la Présidence de son Excellence Mgr O’Connor, tient à préciser qu’elle reçoit des directives de cette Commission. Elle fait profession d’entretenir avec tous les organismes catholiques les rapports les plus cordiaux et les plus dévoués notamment en ce qui concerne l’OCIC de Bruxelles, dont le terrain d’action est d’ailleurs entièrement différent du sien.
- La CIF déclare qu’elle se met au service de l’Église catholique enseignante et qu’à ce titre elle reconnaît officiellement l’autorité du Magistère Pontifical et de ses représentants dans le monde entier, mais comme le terrain d’action catholique proprement dit exclut toute action industrielle et commerciale, elle déclare se soumettre comme toutes les autres sociétés commerciales catholiques aux règles dictées par l’action catholique en restant tout à fait indépendante.”
On peut se demander maintenant ce qu’est la CIF :
“La Confédération Internationale du Film (CIF) est l’organe central dont les Statuts ont été approuvés à Rome le 27 nov. 1949. Elle crée dans chaque Nation des Sociétés industrielles ou commerciales, dont les formes juridiques peuvent être diverses mais qui s’engagent toutes d’une manière formelle à respecter les Statuts de la Direction de la Confédération. Ces Sociétés nationales au nombre de 61 prennent le nom de CI-FILM qu’il ne faut donc pas confondre avec la Confédération internationale du Film (CIF) proprement dite. Elle possède aussi des correspondants dans 13 pays.
Chaque nation constitue aussi un département national qui s’appuie sur les autres départements nationaux pour la plus grande efficacité d’une action commune.
FORME JURIDIQUE :
La Confédération internationale du film constitue un élément fixe et permanent, générateur de syndicats créés chaque fois que la production d’un film ou d’une série de films est envisagée, dans lesquels les filiales (CI-FILM) entrent en participation.
Cette formule, fort en usage dans l’industrie du film, présente de nombreux avantages :
- Elle évite les grandes immobilisations, et dès lors, les frais considérables et permanents qu’elles entraînent : studios, techniciens, metteurs en scène, artistes, etc… sont loués ou engagés pour le temps strictement nécessaire par le Syndicat.
- Elle procure une base très large pour le recrutement des capitaux nécessaires.
- La formule syndicale limite le risque dans la mesure du possible. Le syndicat, en effet, évite l’immobilisation définitive des sommes engagées. Les statuts des syndicats — dont un exemplaire-type est annexé à la présente brochure — obligent la Confédération à des répartitions régulières.
De plus, les statuts lui imposent l’obligation de rendre compte, périodiquement, de la marche des syndicats, ce qui donne aux syndicataires la garantie que le maximum d’efforts et de précautions est pris pour chaque opération.
FONCTIONNEMENT D’UN SYNDICAT DE PRODUCTION :
Un syndicat est fondé pour chaque film ou pour une série déterminée de films. Des syndicats du même genre sont créés pour l’achat et le doublage de films étrangers.
La création et la gestion du syndicat sont assurées par la Confédération Internationale du Film.
Sous déduction des frais de gestion, les sommes nettes produites par l’exploitation — vente ou distribution — du film réalisé sont IMMEDIATEMENT remboursées aux syndicataires dès les premières recettes. Une SITUATION établissant la marche du Syndicat est envoyée périodiquement.
La durée normale de ces syndicats est de 5 ans. À l’issue de cette période, largement suffisante pour épuiser les possibilités d’un film, le syndicat est liquidé. À la liquidation, les négatifs, copies et publicité avec tous les droits y afférant sont vendus au profit du syndicat.
De cette manière, le commanditaire rentre par tranches successives en possession du capital versé et du bénéfice éventuel réalisé.
Aucune de ces sommes ne peut être engagée, pour aucune raison, sans accord formel du syndicataire, dans d’autres opérations. Les syndicataires gardent la plus entière liberté à l’égard des propositions qui pourraient, dans l’avenir, leur être faites en vue de films nouveaux à réaliser par la constitution de nouveaux syndicats.”
Ce qui pousse RFD à adhérer à la CIF, ce n’est pas seulement les considérations monétaires qu’elle fait miroiter. C’est qu’ils ont en commun une même orientation ainsi qu’on peut en juger par cette citation d’un document CIF :
LE CINÉMA MAÎTRE DU MONDE, VOUS APPELLE…
Il est impossible, disait le Saint-Père, dès 1936, de découvrir aujourd’hui un moyen d’influence capable d’exercer sur les foules une action plus efficace! (Encyclique VIGILANTI CURA)
Il en résulte que toute doctrine qui prétend s’imposer au monde devra se servir du film, autant et sinon plus que de tous les autres procédés de diffusion d’idées. Nos adversaires l’ont trop bien compris.
C’est pourquoi l’existence du film d’inspiration chrétienne s’impose. Il faut porter au monde les principes vitaux de la vraie civilisation et se servir du film pour lancer le Message de paix attendu par tous les hommes de bonne volonté.
Le champ est immense : films puissants, artistiques et émouvants, bien préparés — techniquement et moralement — sur tous les sujets capables d’instruire ou de distraire l’esprit humain; films de pédagogie, films culturels allant de l’intelligente propagande ou de la vulgarisation jusqu’aux travaux scientifiques les plus délicats; films d’information, films religieux, télévision, etc. La pellicule cinématographique se prête aux exigences les plus audacieuses de l’art ou de la pensée.
L’heure est venue de donner une valeur spirituelle à cette industrie merveilleuse et d’unir toutes les forces chrétiennes en vue d’une action positive et pratique dans le domaine du cinéma.
Les chrétiens ne peuvent plus se désintéresser d’un problème aussi grave.
Ils commencent à comprendre que le cinéma est l’une des forces, qui, en ce moment, agissent sur la masse ouvrière, spécialement sur la JEUNESSE, clientèle principale du cinéma.
Une action chrétienne s’imposait sur le plan cinématographique, sous peine de voir la pensée chrétienne progressivement éliminée de l’atmosphère intellectuelle et morale dans laquelle baigne le monde moderne. LES CHRÉTIENS SE TROUVENT ACCULÉS À L’INÉLUCTABLE NÉCESSITÉ DE PRODUIRE DES FILMS QUI RÉPONDENT À LEURS DOCTRINES.
Dans la mesure où ils réussiront à jeter sur le marché des films de valeur, ils contribueront à faire rentrer le christianisme dans les préoccupations d’une foule de nos contemporains.
Il est remarquable que ce devoir moral puisse s’allier en la circonstance à une intéressante opération sur le plan des intérêts matériels. En effet, la production cinématographique s’est montrée d’un rapport excellent chaque fois qu’elle a été sainement et sagement comprise.
Mais, pour rendre efficace une action cinématographique, il est indispensable d’organiser sur un plan industriel et commercial la production et la diffusion des films d’inspiration chrétienne.
Cette entreprise est possible, et même facile, car aujourd’hui les éléments industriels et commerciaux existent, ainsi que tous les éléments utiles de collaboration internationale.
La CIF s’est donné la tâche d’unir en un seul faisceau les multiples activités et possibilités qui se sont multipliées au cours de ces dernières années dans le monde entier. Elle a à sa disposition les moyens techniques les plus modernes, elle collabore avec les firmes internationales de production les mieux qualifiées tant en Europe qu’à Hollywood, et s’assure le concours des artistes les plus aimés du public.
Les circuits de distribution sont avides de distribuer nos films, parce qu’ils savent que ces films ont la faveur d’un immense public et sont de ce fait assurés de recettes importantes.
Le 27 novembre 1949, à Rome, au Siège de la “Civilta Cattolica” un accord notarié a été conclu avec cette Centrale spirituelle et intellectuelle fondée il y a un siècle par Pie IX pour répandre et guider dans le monde entier la pensée chrétienne, ainsi qu’avec la “Pontificia Commissione per la Cinematographia” créée au Vatican.
Désormais la Confédération internationale du film peut poursuivre sa tâche en liaison étroite et officielle avec un des organismes les plus éminents du Saint-Siège.
Sous l’influence de ces idées, l’expérience a été faite sur le marché international.
Le film doit, en effet, s’adresser aux publics européens et américains, en conjuguant les possibilités de ces deux principaux marchés.
Qu’il s’agisse du choix de sujets de films, de leur réalisation technique, de leur interprétation, il faut tenter de les atteindre et de les satisfaire, sans exclusive, sous la seule réserve de la Valeur.
Le film doit donc se garder d’être prédicant ou sectaire. Conçu en fonction du grand public, il doit s’efforcer de plaire, pour arriver à convaincre.
Dans ces conditions, n’est-il pas certain que l’effort mérite d’être tenté?
Comme nous l’avons expliqué au début, nous sommes en face d’une entreprise nécessaire.
Pendant plus de cinquante ans, nous avons laissé “le plus puissant moyen d’influence sur les masses” (Pie XI) répandre “des conceptions sur le monde et la vie inconciliables avec les règles de la sagesse chrétienne” (Pie XII).
La question est de savoir si nous allons, à notre tour, savoir nous servir de ce prodigieux diffuseur d’idées pour en faire un “semeur d’évangile” (S.E. Mgr Ladeuze).
La question n’est pas ailleurs.
Il serait facile d’accumuler ici les textes où les plus hautes autorités supplient les catholiques de prendre à cet égard leurs responsabilités.
Chose inutile, car tout le monde est convaincu. On est même décidé à collaborer. S’il est avéré qu’on se trouve en présence d’un projet de valeur, et qu’on est certain de ne pas gaspiller son argent en pure perte.
L’exposé qui précède s’est efforcé de répondre à cette préoccupation infiniment légitime. S’associer à notre effort, c’est faire une bonne action, et prendre aussi sa part d’une affaire intéressante.
Ceux qui se donnent la peine d’étudier la question appuieront l’action qu’une équipe courageuse est résolue à poursuivre jusqu’au succès.”
La CIF ne manque pas d’ambition. Son projet de production le prouve. Elle entrevoit des opéras cinématographiques, de la télévision en fonction de la famille et de la jeunesse et des méditations évangéliques qui, en utilisant toutes les ressources du cinéma, y compris celles du dessin animé, pénétreront l’âme humaine. Ces grands axes prennent corps dans des films concrets, tous soumis, affirme-t-elle, à l’approbation de la Commission pontificale du Vatican : DOCTEUR LOUISE, RHOTOMAGO LE DIABLOTIN, LA VICTOIRE DU SANG, POPE STORY, BABEL DE DEMAIN, LA FAYETTE, DON BOSCO, L’APPEL DES CLOCHERS, LES MAINS LIÉES, LES LIEUX SAINTS, LA VIE DE JESUS, LE PÈRE PRO. Mais la CIF ne limite pas ses activités à la production cinématographique (ou plutôt aux projets…). Elle organise une association internationale pour permettre l’édition de films de propagande qui ne sont pas nécessairement commerciaux, ni d’une exploitation normale, mais indispensables à la vitalité chrétienne et aider l’Église dans ses activités multiples dans les domaines du cinéma, de la radio et de la télévision. Elle met sur pied aussi des équipes cinématographiques missionnaires (ou Compagnons de St-Joseph) dont l’objet est le recrutement, la formation et l’utilisation des éléments chrétiens dans la production, la distribution et l’exploitation des films; la recherche, l’étude et la préparation de scénarios sont un de leurs objectifs principaux. Finalement, puisque “notre action ne sera efficace que basée sur la prière”, on décide qu’avec l’approbation du St-Siège, chaque premier mercredi du mois serait le jour consacré à prier spécialement St-Joseph, patron du cinéma et que la messe serait célébrée ce jour-là à cette intention. Voilà donc ce qu’est la CIF. Nous allons encore la rencontrer sur notre chemin en rapport avec DOCTEUR LOUISE et lorsque nous ferons le bilan de l’aventure du cinéma catholique au Québec. Pour l’instant nous savons sur quelle base et dans quelles perspectives elle va agir au Québec et se marier à RFD.
Comme tout semble en bon ordre et répondre à ses aspirations en ce printemps 49, Mgr Pelletier peut s’en féliciter au docteur Gilbert :
“Cher M. le Président,
Les nouvelles reçues sont bien encourageantes. Vous avez pu arrêter un vaste programme d’au moins cinq films pour la présente année. Le 19 mars, fête de saint Joseph, vous commencez enfin.
Combien cet espoir d’avoir tout bientôt et de façon continue des films d’un esprit authentiquement chrétien, répond à un besoin; on ne saurait jamais assez le crier. La place que tient le film dans l’éducation parle d’elle-même. On peut même dire qu’aujourd’hui il pénètre, dans une très large mesure, la vie quotidienne des peuples. S’il est bon, quelle puissance de formation! Est-il mauvais, comme c’est le cas trop souvent hélas, quel travail de démolition il accomplit!
Aussi, est-ce avec beaucoup d’intérêt que je suis de près cette production du film vraiment formateur. De tout cœur, je félicite ceux qui se dévouent avec tant de générosité pour cette importante cause. J’ai confiance que nos catholiques, continuant de comprendre leur tâche apostolique dans ce domaine comme dans les autres, seront heureux d’apporter le concours nécessaire à la réussite de cette bienfaisante entreprise. Quel devoir grave n’avons-nous pas de rendre hautement formatrice cette vaste université populaire qu’est le cinéma!
Chargé de cette question du film par l’Épiscopat de la Province de Québec, je ne puis que vous encourager fortement. Avec le concours de tous, le cinéma deviendra un grand serviteur du bien. Mes prières demandent au Ciel que notre jeunesse et nos adultes aient sous les yeux un écran qui reflète toujours l’honneur, l’amour vrai, la vertu, la joie de vivre, la charité envers le prochain, la grandeur infinie.
Recevez, cher monsieur le Président, l’expression de mes meilleurs sentiments avec l’assurance de ma constante collaboration en Notre-Seigneur.”
Cet appui de l’épiscopat est important car il s’agit de reconquérir la confiance du public, émoussée par les déboires antérieurs de la compagnie, pour lui soutirer encore de l’argent. Les écrits de Mgr Pelletier seront d’excellents sauf-conduits, et cela même auprès de la Société des Artisans.
Pourtant, parmi les administrateurs et à l’insu des actionnaires, il se trame à nouveau en coulisses des manœuvres dont la nécessité première ne saute pas aux yeux mais qui serviront encore une fois à détourner des fonds et à priver RFD de revenus éventuels, en concentrant l’activité cinématographique dans des compagnies avec peu d’actionnaires et en faisant jouer à RFD le rôle de bailleur de fonds et de prestataire de services. Alors même qu’il envoie sa lettre rassurante du 15 mars, le docteur Gilbert, poussé par Sam Gagné 2, discute de la création d’une autre compagnie au capital autorisé de $500,000. mais qui ne dépassera pas en fait $40,680.: Les Productions Renaissance 3. Cette compagnie est incorporée le 18 mars. Le même jour, ainsi que cela figure dans la convention de coproduction entre RFD et Les PR en date du 18 juillet qui y fait référence 4 on passe les résolutions suivantes :
“A) — Sur proposition de J.-H. Duval, secondée par Samuel-L. Gagné, il est résolu à l’unanimité d’acheter de Renaissance Films Distribution Inc. qui consent à les vendre, les scénarii du DR. LOUISE, du GROS BILL et SACRIFICE respectivement aux prix de $ 10,000.00, $5,000.00 et $6,000.00.
Pour ces sommes, comme pour toute participation aux productions de Les Productions Renaissance Inc., la Compagnie Les Productions Renaissance Inc. émettra des actions de son capital en faveur de Renaissance Films Distribution Inc.”
B) — Extrait des MINUTES de la même assemblée (18 mars 1949)
“Sur proposition de J.-H. Duval, secondée par S.-L. Gagné, il est résolu à l’unanimité de donner instruction au secrétaire-gérant de préparer, en bonne et due forme, les contrats à être passés entre Renaissance Films Distribution Inc. et Les Productions Renaissance Inc. au sujet des transactions entre ces deux compagnies relatives à la vente de scénarii ci-haut mentionnés et à toute participation de Renaissance Films Distribution Inc. aux productions de Les Productions Renaissance Inc. Ces contrats devront être acceptés et signés par les deux compagnies et copie desdits contrats devra être transmise au secrétaire de la Province, comme l’exige la loi dans le cas d’émission d’actions pour considération autres qu’en argent.”
“Sur proposition de J.-H. Duval, secondée par S.-L. Gagné, il est résolu à l’unanimité que les actions émises dans le public et en faveur de Renaissance Films Distribution Inc. le soient à raison de une action privilégiée de $100.00 pour une action commune de $10.00. 11 est entendu, toutefois, qu’un actionnaire dans le public n’est pas astreint d’acheter d’actions communes.”
“Sur proposition de J.-H. Duval, secondée par S.-L. Gagné, il est résolu à l’unanimité d’autoriser immédiatement l’émission de 25% du Capital commun de Les Productions Renaissance Inc. soit 2,500 actions ordinaires de $10.00 chacune. Sur la base toujours de une action privilégiée pour une action commune, Renaissance Films Distribution Inc., après avoir reçu ces 2,500 actions communes, recevra ensuite au fur et à mesure de sa participation et de sa facturation à l’endroit de Les Productions Renaissance Inc. 2,500 actions privilégiées de $100.00 chacune. Quand le nombre d’actions privilégiées égalera le nombre d’actions communes en faveur de Renaissance Films Distribution Inc., cette dernière compagnie continuera de recevoir des actions privilégiées et communes au prorata de une pour une.”
RFD tient deux assemblées, la première à Montréal le 18 mai et la seconde le 4 juin à Charny chez le docteur Gilbert. Elle accepte les conditions de Les PR et y ajoute seulement la nécessité d’inclure un montant de $7500. pour la construction des décors, la location des studios et pour toutes les dépenses faites ou sommes investies dans LE GROS BILL.
Cette référence au GROS BILL nous amène à parler de la production. Au printemps 49, Les PR publient leur programme. En voici des extraits en fac-similé :
Soulignons tout de suite, qu’à part LE GROS BILL 5, tous les autres films de ce programme, réalisés ou non, sont revendiqués par la CIF au tableau de ses activités ou des projets de ses sociétés fédérées. LES MAINS LIÉES seront réalisées plus tard par la CITEC. RHOTOMAGO LE DIABLOTIN, “une féerie avec morale amusante”, est tournée en versions française et américaine et vendue à la télévision de ces pays; malheureusement nous n’avons pu encore en retrouver une copie. Avant de parler du DOCTEUR LOUISE, voyons le cas du GROS BILL.
À la conférence de presse de Paul Pratt en janvier, celui-ci annonce que Delacroix est à Montréal pour le tournage du DOCTEUR LOUISE. Mais très rapidement on s’aperçoit que ce film ne peut être réalisé dans l’immédiat; on appointe donc Delacroix au GROS BILL. Il s’agit maintenant de ramasser l’argent nécessaire au tournage. Comme nous l’avons vu dans le programme 49, on fait encore appel au public et Les PR émettent des actions 6. Mais comme le tournage se met en branle immédiatement, on ne peut compter exclusivement sur ces sources. Alors d’où vient l’argent? Parlons Cinéma de mai 49 nous en donne un indice. Dans un article intitulé “Le remarquable talent d’homme d’affaires de M. Jos-A. DeSève” on lit : “M. DeSève aurait acheté, pour $200,000. un terrain qu’il avait déjà fait acheter, alors qu’il était président de Renaissance Films, par cette dernière compagnie, terrain situé à l’angle des rues Ste-Elisabeth et Ste-Catherine est… Avec les $200,000. obtenus de France-Film la compagnie Renaissance Films a pu entreprendre la production de son premier film depuis LE PÈRE CHOPIN et deux réorganisations de son bureau de directeurs. Ce premier film, budgété à environ $60,000. est LE GROS BILL”. Cette citation illustre bien l’imprécision que l’on retrouve dans la presse de l’époque quand on parle de Renaissance ou de DeSève.
En fait voilà ce qui s’est passé. Renaissance Cinéma, et non Renaissance Films, comparaît le 21 février 49 devant Lionel Leroux, le notaire de DeSève. Représentée par Edgar Tessier, elle vend à Théâtre Frontenac 7 les terrains de la rue Ste-Elisabeth pour la somme de $264,000 dont $144,000. couvrent le dû sur l’hypothèque originaire. Renaissance Cinéma ne retire donc que $120,000 pour un déboursé initial plus élevé. Par contre nous n’avons aucune preuve que cet argent ait été versé à RFD ou aux Productions Renaissance. Les seules données comptables que nous possédons au sujet du GROS BILL indiquent des avances de RFD d’environ $97,700. (comprenant notamment les frais du studio) et d’avances de France-Film de $25,000. comme à-valoir sur la distribution du film. Mais nulle mention de Renaissance Cinéma. En fait, lorsqu’on touche aux données financières de ces compagnies, on rencontre beaucoup de mystère… 8
Toujours est-il que le 21 mars, l’équipe de tournage se retrouve à St-Gabriel de Valcartier pour tourner les extérieurs du film 9. Début avril, les studios de la Côte-des-Neiges bourdonnent d’activité. À la fin du mois, l’équipe se rend à Maniwaki pour tourner les séquences de drave sous la direction de Bigras ; en effet Delacroix s’envole vers Paris le 28 pour voir au tournage du DOCTEUR LOUISE. Le tournage du GROS BILL se termine le 13 mai. Fin mai, juin : montage. Le courrier du cinéma qui a déjà commencé à faire la publicité du film, écrit : “LE GROS BILL a été tourné dans l’atmosphère de constante vigilance. Ne pas imiter, ne pas chercher à battre un record, ne pas susciter des comparaisons odieuses mais réussir un film canadien franc, loyal, différent… LE GROS BILL est un film qui va à la foule, lui raconte en de belles images une histoire simple mais combien juste, combien humaine. Toucher le cœur de la foule, c’est cela qui compte et c’est cela qu’on a voulu. On l’a voulu avec crânerie et avec conviction. N’est-ce pas avec ces deux qualités-là qu’on arrive à quelque chose dans la vie?”. En juillet Le courrier précise : “LE GROS BILL est un film d’action. Du paysage, bien sûr; de l’atmosphère, cela va de soi mais surtout un rythme sans cesse accentué par une action furibonde, riche de surprises et fécondes en rebondissements. On a reproché un manque d’action aux films canadiens-français réalisés jusqu’à présent. Ce ne sera sûrement pas le cas du GROS BILL. Du commencement à la fin il tient le spectateur en haleine”. La revue Parlons Cinéma donne aussi régulièrement des nouvelles du film, mais sur le mode de la sensation, du “scoop”, de l’exclusivité. La publicité ne manque donc pas.
Le 16 septembre la première du film a enfin lieu au St-Denis en présence des officiels des Productions Renaissance et de France-Film et de plusieurs représentants du monde politique et religieux. Les échos dans la presse sont partagés :
Maurice Huot dans La Patrie
“Nous voulons juger de l’œuvre avec le plus de sympathie possible car il s’agit de cinéma canadien et cela nous tient à cœur. Mais précisément parce que nous avons tous à cœur de voir le film canadien réussir, nous ne pouvons exagérer les mérites d’un film dont les auteurs connaissent les premiers les lacunes. Pas de chef-d’œuvre ici mais un honnête essai cinématographique… C’est par sa technique d’abord que vaut LE GROS BILL… À la projection en effet, le film nous est apparu pauvre en rebondissements et d’une lenteur dépassant la moyenne. Tout est traité de façon trop schématique. Il aurait fallu davantage corser l’intrigue… La technique moderne du cinéma consiste à ne pas trop tarder à plonger le cinéphile dans le vif du sujet. Les scènes du début du film gagneraient à être émondées même si la photographie y est belle. Les belles photos, les scènes pittoresques, ne doivent jamais prendre le pas sur l’action. Le cadre ne doit pas primer la peinture, mais la rehausser tout simplement. Ces scènes de panorama trop prolongées sans que l’action y gagne font l’effet du musicien ou du chanteur qui prolongent une note au-delà du temps requis parce qu’elle leur plaît”.
Le Petit journal
“Scénario : pas riche. Mais il ne faut pas en imputer la faiblesse à M. Palardy seulement, puisqu’il semble que son travail de base a été trop ‘retouché’. Dialogues : pas toujours à point… Mise en scène : généralement dépourvue d’habilité. L’action est beaucoup trop lente, surtout au début. Si bien que le film aurait pu durer une demi-heure de moins sans gêner l’ensemble. La scène de la bataille (pas tout à fait exacte) et celle de la drave (parfaitement réussie) sont supérieures à la plupart des autres scènes de ce film. Ces scènes ayant été réalisées par un ‘gars’ de chez nous, pourquoi ne pas avoir confié toute la réalisation du film à ces messieurs plutôt que de faire venir un metteur en scène français qui, en l’espace de quinze jours, ne pouvait évidemment pas connaître à fond les mœurs de nos paysans… L’interprétation : plus que satisfaisante… Musique : très bien. Maurice Blackburn a droit à des lauriers. Photographie : c’est la vraie vedette du film. Le cameraman Bachelet nous donne là des scènes de toute beauté. En pesant le tout, il convient de dire que cette production nous permet toujours d’espérer dans le cinéma canadien, ce ‘bébé’ qui fait difficilement ses premiers pas, mais qui à l’étonnement de tous peut se mettre un jour à courir tout d’un coup”.
The Standard
“It is unfortunate that LE GROS BILL hinges so strongly on the central character because Yves Henry is no actor. He stalk through reel after reel, a sombre, expressionless primeval giant, in a performance which will satisfy neither the French nor the English speaking audience. But in the minor characters there is a mine of humor. Such stage favorites as Juliette Béliveau, Amanda Alarie and Ginette Letondal steal the entire show”.
Renaude Lapointe dans Le Soleil
“Excellentes images, technique améliorée, action rapide, telles sont, de l’avis de tous, les qualités maîtresses du film… LE GROS BILL est encore un film paysan, dans lequel on a cependant introduit un élément exotique : le neveu du Texas… Le plus sévère reproche qu’on peut lui adresser, c’est celui qui a trait à l’indigence du scénario de Jean Palardy, dont l’intrigue est cousue de fil blanc, et à la lourdeur de son dialogue, semé de quelques incongruités… Bref LE GROS BILL fait honneur à Renaissance Films et s’il est encore un produit pour consommation locale, il marque un progrès sur ses aînés et fait montre de qualités qui permettent au cinéma canadien d’espérer atteindre un jour, qui n’est peut-être pas loin, une plus vaste diffusion”.
Roger Duhamel dans Montréal Matin
“Je crois bien que personne n’a été déçu. La beauté des paysages d’hiver, à la Coburn quand ce n’est pas, hélas, à la Paul Caron, et l’habilité de certaines prises de vue suffisent déjà à nous satisfaire. Le thème est usé à la corde mais il est traité avec adresse… Un jour viendra inévitablement où ces tentatives d’un réalisme un peu terre-à-terre seront dépassées par des œuvres d’une plus forte densité psychologique. Il serait malséant de lui demander de brûler les étapes… Il y a dans tout cela beaucoup de fraîcheur et de spontanéité; c’est déjà un grand mérite. Il y a surtout du métier bien fait… Le scénario et les dialogues sont de Jean Palardy, ancien peintre devenu cinéaste et qu’on ne soupçonnait pas écrivain. Son coup d’essai est prometteur. Ses collaborateurs l’ont brillamment secondé… LE GROS BILL constitue une honorable réussite et laisse présager de très heureux lendemains pour l’art cinématographique au Canada français”…
Cet échantillonnage est assez représentatif des appréciations portées sur le film; il y a parfois un peu plus de louanges sur un point, un peu plus d’agressivité sur un autre, mais tous s’entendent dans le fond. Or quel accueil réserve le public au GROS BILL? Le film tient l’affiche deux semaines à Montréal, Québec, Trois-Rivières, Hull et Sherbrooke. Parlons Cinéma rapporte les données suivantes quant aux recettes du film :
À Montréal, au St-Denis (2400 places), 39,145 spectateurs la première semaine. A Québec, au Cinéma de Paris (1100 places), 20,682 spectateurs. Pour ces deux villes la recette brute atteint donc environ $64,000. ce qui équivaut à 80% du chiffre d’affaire d’UN HOMME ET SON PÉCHÉ qui bénéficiait de l’avantage du succès radiophonique. Pour la deuxième semaine, les recettes atteignent $40,000. Par la suite le film est présenté dans 40 villes du Québec et même au mois de mars dans les salles francophones de la Confédération Amusements. Le succès du film est donc fort raisonnable.
Le dernier tour de manivelle du GROS BILL n’est pas encore donné que Delacroix s’envole vers l’Europe où déjà l’attend Sam Gagné. On se souvient qu’on avait d’abord prévu tourner ce film à Montréal et que très souvent dans le passé RFD en avait annoncé le tournage. Delacroix avait même rencontré la presse à ce sujet le 26 janvier 49 pour en confirmer le tournage à la mi-mars. Il avait alors déclaré : “Ce sujet est un sujet exceptionnel. Certes, comme tout bon film, il sera amusant, intéressant, émouvant. Mais en plus il vise à donner aux spectateurs une leçon d’une haute portée morale, sociale et chrétienne, par l’exposé d’un problème grave et délicat : en étudiant diverses attitudes humaines en présence du problème de l’amour humain, il a l’occasion de dégager la doctrine chrétienne sur l’amour et sur la famille… Bien entendu ce sujet âpre, réaliste, courageux, audacieux même, est enveloppé dans une action prenante, tantôt dramatique, tantôt amusante… Je crois que cette formule courageuse de traiter sous la forme d’un spectacle dramatique ou plaisant une question grave qui souvent est laissée au hasard d’une éducation sans méthode, permet de comparer dans une certaine mesure votre TIT-COQ, que j’ai le grand plaisir de voir hier soir et qui a fait sur moi une très profonde impression. Je souhaiterais infiniment avoir un jour l’occasion d’en tirer un film”.
Laissons pour l’instant ces propos prophétiques. Il semble que malgré tout RFD ait de la difficulté à convaincre des vedettes françaises à venir tourner au Québec. D’autre part la CIF, impliquée dans la réalisation de ce film, tient absolument à obtenir des acteurs bien connus et insiste pour qu’on engage Madeleine Robinson qui a déjà tourné avec Delacroix dans PROMESSES. Il faut dès lors tourner en France parce que cette vedette est forte en demande, qu’elle a des engagements au théâtre et qu’il lui est même difficile de s’absenter de Paris (ce qui expliquera le tournage en studio de scènes qui auraient pu l’être en décors naturels mais loin de Paris). Il est donc préférable, et bien sûr moins onéreux, d’importer en France quelques vedettes québécoises. C’est ainsi que Suzanne Avon (qui part avec Delacroix le 28 avril), Henri Poitras (qui part le 17 mai) et Jean-Louis Roux se rendent à Paris. Dès le mois de mars, RFD envoie de l’argent en France. Au total, de mars à décembre, $99,435 10. Officiellement le film est coproduit par Les PR et FiatFilm dont on sait déjà que RFD est en partie propriétaire.
Le tournage débute le 10 mai. Delacroix y tient le rôle de metteur en scène, Vandenberghe de réalisateur, tandis que le tout se déroule sous la supervision du producteur Vachet. On commence par les extérieurs tournés à Nesle-la-vallée et à Haravilliers. Fin mai, on tourne au studio de Billancourt. Cette partie du travail revêt une grande importance et entraîne d’énormes coûts; on construit 28 décors dont le plus important représente toute la place d’un village. De l’avis du directeur de ce studio, c’est le meilleur décor d’extérieur qu’il ait vu bâtir sur son terrain. Le tournage se déroule sans problème sauf qu’un acteur, André Fadeuilhe, meurt en cours de route, ce qui oblige à modifier un peu le scénario. Tout le travail de montage et de sonorisation s’effectue à FiatFilm. Sam Gagné se rend même à Paris au mois de septembre pour voir où l’on en est rendu et en même temps pour essayer de vendre LE GROS BILL en France (il échouera) et de mettre au point les derniers détails du film SACRIFICE.
Au mois d’octobre commencent à paraître dans les revues spécialisées des photos et des articles sur le film. La sortie se prépare. Le plus intéressant de ces “reportages” paraît dans Le Film : “Le scénario promènera le spectateur dans des milieux aussi nouveaux que : les débuts d’une carrière d’une femme médecin; le dévouement de la médecine aux douleurs humaines; le sacrifice et l’abnégation; la pègre spécialisée qui, non satisfaite du mauvais coup accompli, mâche sa boue pour en salir la réputation des honnêtes gens; et finalement la cour d’Assises d’où la vérité sort triomphante de la malice et de la calomnie. DOCTEUR LOUISE a été une heureuse expérience d’échange entre studios français et canadiens, expérience qui a donné à deux (sic) des nôtres l’occasion de travailler avec des camarades d’outre-Atlantique, expérience qui ouvre en même temps d’intéressantes perspectives entre les industries canadienne et française du cinéma”.
Le 22 décembre, Les PR organisent une avant-première à l’Université de Montréal. René O. Boivin en donne un écho dans RadioMonde : “Le film plaira au public. Ce n’est pas que le scénario soit tellement original ni qu’il soit traité d’une façon tellement neuve, mais l’histoire est en elle-même prenante, il y a des moments où les larmes jaillissent sans effort. Il faut convenir que la production dégage une émotion véritable et que la distribution est bien faite”. Marc Thibeault opine de même : “DOCTEUR LOUISE est un film excellent qui nous fait apprécier un scénario très bien écrit et superbement bien porté devant la caméra. Le mouvement du récit est soutenu par un remarquable tempo et la mise en scène, comprenant un découpage splendide, domine toujours fort heureusement tout ce que la caméra capte et dit. Voilà un film français qui ne souffre pas de lenteurs”. Dans la même édition de sa revue, Thibeault nous fait part d’un problème particulier : la distribution du film. Il avait déjà annoncé, sur la foi de France-Film, que le film sortirait au St-Denis le 7 janvier. Mais voilà, France-Film ne possède pas encore les droits du film, bien qu’ayant déjà avancé $2500. le 15 septembre. Renaissance reluque du côté d’Eagle-Lion, propriété de Rank, qui avait déjà acheté les droits de LA FORTERESSE/WHISPERING CITY. Pourquoi Renaissance se comporte-t-elle ainsi? C’est que si Rank-Odeon contrôle beaucoup moins de salles au Québec que France-Film, il en possède par contre beaucoup au Canada anglais. Or on vient de terminer chez FiatFilm, au coût de $6000., la version américaine du film; la carrière internationale semble donc plus lucrative que la carrière locale. Renaissance cherche donc le partenaire le plus offrant. Sa tactique fonctionne car DeSève consent, deux semaines plus tard, à améliorer son offre initiale.
Le film sort au Cinéma de Paris (460 places) le 4 février 1950 11. La première semaine, il fait 10,812 entrées, la seconde 10,192, ce qui est énorme pour la salle. On le maintient à l’affiche cinq semaines. (Jusqu’au 17 mars. À noter que la semaine du 4 mars le Cinéma de Paris fait relâche à cause d’un léger incendie). Quel écho en donne la presse locale?
Aussi bizarre que cela puisse paraître, pratiquement aucun à part les échos d’avant-première. Tout ce que l’on retrouve, c’est le classique communiqué louangeur du distributeur qui cette fois-ci met l’accent sur le jeu des trois acteurs canadiens “qui ont rendu leur rôle avec ferveur et vérité, ce qui est tout à l’honneur du Canada”. À la troisième semaine, cette publicité apporte une information nouvelle. On sait que le film “s’attaque à un sujet extrêmement sérieux, le traite à fond sans cependant verser dans l’outrance : le drame des naissances illégitimes”. Ce qu’on nous apprend alors c’est que “DOCTEUR LOUISE arrive à temps. On se souvient d’une récente campagne de la police contre les faiseuses d’anges. Les journaux en ont parlé sans trop mâcher les expressions”. Traitant du divorce, de l’union libre et des naissances illégitimes, le film acquiert donc une saveur d’actualité qui doit contribuer à son succès exceptionnel. Il convient de signaler qu’à la même époque, le clergé consacre beaucoup d’énergie à la prise en charge de ces “enfants du péché et de l’amour”, ces milliers de Tit-coq qui fleurissent partout dans la province et qu’au moins deux prêtres-cinéastes s’en sont occupés principalement : Maurice Proulx et Reynald Rivard; les films de Rivard sont particulièrement à voir de ce point de vue.
En France, après une avant-première corporative le 12 décembre, le film sort sous le titre ON NE TRICHE PAS AVEC LA VIE. À Paris, c’est l’Alhambra, une salle de 2600 places, qui le présente. La première semaine, il fait 10,200 entrées, moins qu’à Montréal! La deuxième, 6,227 pour un total des recettes de 2,628,975 francs. Inutile de dire que le film ne reste pas plus longtemps à l’écran; l’actualité doit être moins scandaleuse en France qu’ici. En province les résultats sont du même ordre :
Bordeaux | 1 semaine | 452,160 francs |
Lille | 2 semaines | 941,055 francs |
Lyon | 4 semaines | 1,176,609 francs |
Marseille | 2 semaines | 1,373,075 francs |
Nancy | 1 semaine | 802,620 francs |
On ne le sort pas à Strasbourg ou à Toulouse. Le bilan de rendement des exclusivités est donc de 7,374,494 francs, soit environ $25.000
La critique française apprécie le film fort variablement, selon qu’elle soit plus ou moins sensible à la problématique du cinéma chrétien. L’Index de la cinématographie française estime que ce “sujet mélodramatique est traité avec beaucoup de tact et rehaussé de dialogues sobres et directs. Les nombreux rôles sont très bien typés, sans excès, malgré leurs caractères souvent conventionnels. Bonne technique et mise en scène soignée dans l’ensemble”. Radio Cinéma écrit : “Un film d’inspiration chrétienne n’est pas nécessairement un film religieux. L’abbé Vachet est producteur de son métier (sans doute le seul de son espèce); il a confié la réalisation à René Delacroix, réalisateur chrétien (l’espèce en est rare)… On doit reconnaître un premier mérite au film: il n’est pas prêcheur et parvient à montrer la légitimité de l’attitude chrétienne dans toute sa rigueur… Le film ne peut être comparé aux œuvres d’art qui visent à la perfection formelle et qui sont faites pour la postérité. Son ambition est tout autre. C’est une œuvre utile et presqu’utilitaire, une sorte de documentaire de vulgarisation morale. Dans ce genre difficile, c’est une réussite incontestable”.
Mais hors du milieu catholique, l’avis est tout autre. La fiche Ufoleis y va rapidement : “Valeur cinématographique : scénario moralisant et ennuyeux, mise en scène très quelconque. Interprétation : de bons acteurs. Valeur humaine et morale : on a dit de ce film qu’il ‘posait devant la conscience humaine le problème délicat de l’amour tel que le conçoit l’Église catholique’ (sic); l’humanité y est montrée sordide, égoïste, bête. Le film est pessimiste et malsain. Contrairement à ce que prétend son titre, il triche avec la vie, la vraie, celle où les hommes construisent un avenir meilleur”. Finalement Louis Mortange, dans l’Écran français du 27 mars, pense que “malheureusement le film se lance dans des discours moraux interminables, ennuyeux et pas profonds du tout. En gros, les gens bien sont le médecin, le maire, le curé et le directeur de l’usine; les progressistes, ce sont eux. Les idiots, les retardataires, ceux qui croupissent dans l’immoralité, ce sont les paysans du village et les ouvriers de la fabrique. La thèse est que la bonne volonté, la prière, la propreté, l’emportent sur toutes les vilenies du ‘monde moderne’. Si les femmes se font accoucher par une sorcière, c’est qu’elles sont stupides; si elles font les foins trois jours après une naissance, c’est que leurs paysans de maris sont égoïstes et rapaces; si elles se font avorter, c’est que le manque de courage et l’esprit de jouissance, etc. Mais ce n’est certainement pas parce qu’aucun service social n’est organisé dans le village, ni parce que les paysans mènent une vie aux travaux épuisants, ni parce que la société bourgeoise dans laquelle ils vivent jette l’anathème sur les filles-mères. Tout cela est assez clair. Le film a été fait à l’usage du Canada français. Telle sera donc la fausse image qu’un film qui se veut d’inspiration chrétienne ira porter au Canada”.
DOCTEUR LOUISE soulève enfin une longue querelle au sujet de sa distribution qui en dit long sur les relations Fiat-Renaissance en ce début 50 où tout cafouille côté canadien. Tout à l’heure nous avons parlé d’un accord qu’aurait signé Sam Gagné à Paris en septembre 49. En fait les termes de cet accord avec la Société générale de gestion cinématographique datent du 31 mars 49 et sont formulés par le secrétaire-général de Fiat D. Augerd. Ces accords sont signés suite à la réunion de la CIF du 23 courant à laquelle assistent Gagné et Janssens et à l’occasion de laquelle Les PR engagent ce dernier à titre de gérant des ventes et des achats pour un salaire de $6000. par an et avec un engagement de 5 ans. La convention entre Fiat et SGGC, signée par Augerd, stipule entre autres que “le présent mandat est confié pour la distribution dans les territoires de la France métropolitaine, l’Afrique du nord, les colonies françaises, la Corse, Monaco et la Sarre”. Sa durée est de sept ans. La SGGC garantit un minimum de 15 millions en recettes producteur et peut prélever une commission de 30% jusqu’à ce que les recettes producteur aient atteint un montant de 12 millions et 35% au-delà de 15 millions.
Par ailleurs, Les PR se croient autant responsables de la distribution que Fiat. Elles refilent donc à la CIF, dans des conditions pas très claires et par l’intermédiaire de Janssens, les droits du film pour tous les pays sauf la France et le Canada. La CIF paie $7500. pour ces droits. Pour la Belgique, elle les cède à son associé local Cifilm qui les vend le 3 février pour 300,000 francs belges à la Sogema qui à son tour les revend à Century Pictures. Mais Century ne reçoit jamais de copies car Fiat prétend qu’elle doit contresigner ces accords, au cas échéant elle se réserve le droit de refuser de faire tirer des copies. Century amène donc l’affaire en cour pour se faire rembourser. Janssens, qui doit toucher une commission pour son travail, ne voit l’ombre d’un sou. Le 6 mars, Janssens vend les droits du DOCTEUR LOUISE à l’Export-Film de Frankfurt pour l’Allemagne et l’Autriche; le contrat est signé à Québec. Mais encore une fois, tout sera paralysé. Dans cet imbroglio, la distribution du film en Europe est rendue quasiment impossible. C’est peut-être pour essayer de la clarifier que de septembre 49 à février 50, Les PR envoient 18 télégrammes à Augerd, 3 à Vachet, 3 à Janssens qui est toujours domicilié en Hollande et 3 à Gagné qui se trouve à Paris à la mi-août et à la mi-décembre (donc à l’époque de l’avant-première de DOCTEUR LOUISE) 12. Il ne faut donc pas s’étonner si le délégué du syndic de la faillite Excelsior doit plusieurs fois en septembre et en octobre 50 rencontrer, téléphoner ou écrire à DeSève pour discuter avec lui de la Fiat et du DOCTEUR LOUISE et particulièrement du mandat à donner à Jif à cet effet. Il n’est donc pas surprenant de voir le 28 février 52 la société FiatFilm céder à Gustave Jif, l’homme de DeSève en France, la totalité des recettes part producteur provenant de l’exploitation du Film, après une franchise de 831,081 francs en faveur de la Fiat.
Ces mésaventures européennes nous ramènent à la situation de RFD et des PR au moment où nous les avons quittés à l’été 49. Au mois de mai, RFD décide d’emprunter $300,000 parce que, affirme-t-on, tous les actifs de la compagnie sont immobilisés et qu’il manque de fonds de roulement. Sam Gagné, son secrétaire, convoque donc une assemblée spéciale pour le 4 juin; naturellement tous acceptent de contracter cet emprunt en hypothéquant le studio auprès de la Société des Artisans. Le 10 juin, celle-ci consent $250,000. à être remboursés par versements trimestriels de $5000., le premier devenant dû le premier février 1950. La Société exige en outre que le studio soit assuré et que RFD fasse souscrire $250,000. en actions de son capital social 13. Cet argent, par le biais de la convention de coproduction entre RFD et Les PR, doit servir surtout à financer LE GROS BILL et DOCTEUR LOUISE; effectivement RFD avancera $207,000. à son partenaire. Dans l’immédiat, on pense à des achats plus restreints. On envoie à Syracuse Roger Racine et Jean-Yves Bigras pour qu’ils s’informent sur l’Anscocolor qui revient à peu près à 14¢ le pied alors que la pellicule Kodak revient à 75¢; la prochaine production doit être en couleur. Comme il manque ici d’équipement pour ce faire, le même duo, accompagné de Paul Lamoureux, se rend à Hollywood fin juin pour se documenter sur le sujet et en profiter pour effectuer certains achats. C’est ainsi qu’ils acquièrent particulièrement une “girafe” pour le son et une grue de $7000. pour la caméra. À son retour, Racine est engagé comme permanent par Les PR car les projets ne manquent pas. Il y a toujours le célèbre SACRIFICE (devenu LA VICTOIRE DU SANG) qui, c’est définitif, sera tourné en Anscocolor; on en a modifié le scénario et diminué la figuration. On espère tourner en septembre-octobre, au retour de Paris de Sam Gagné, qui doit mettre sous contrat une ou deux vedettes françaises.
Or ce n’est pas SACRIFICE qui entre en tournage mais LES LUMIÈRES DE MA VILLE. D’où vient ce film dont on n’a jamais entendu parler? Directement du concours de scénario dont nous avons parlé tout à l’heure en en invoquant l’issue. Au début novembre, on proclame Jean-Marie Poirier lauréat et immédiatement on entre en production. On engage Rudel Tessier pour développer le synopsis dans la mesure du possible; il faut tourner à la fin du mois. Le studio est libre, la Selkirk Productions vient d’y terminer FORBIDDEN JOURNEY. Le 28 novembre on débute donc ce nouveau tournage dans des conditions qui obligent Bigras à improviser continuellement et Tessier à écrire au jour le jour. On prévoit que le tournage doit durer 31 jours, avec un budget oscillant entre $80,000. et $100,000. En fait il dure plus longtemps, malgré souvent des horaires de fou : douze heures par jour, de 7 heures le matin à 7 heures le soir. On termine donc le 17 février, après 58 jours de travail effectif. Ce qui cause ce prolongement, c’est le manque de préparation et l’improvisation, c’est surtout la quantité énorme de plans (aux environs de 400), certains demandant une longue mise en place à cause des mouvements d’appareils (la fameuse grue!), et la volonté de Bigras et Garand de “faire un film et non de la mise en conserve”.
Notes:
- À noter que Gagné est d’abord en Europe pour organiser et financer la production du DOCTEUR LOUISE. On trouvera en Annexe VIl un mémoire sur Janssens. ↩
- Peu de temps avant sa mort, Gilbert, affirmant avoir perdu dans tout cela plusieurs dizaines de milliers de dollars, nous avouait avoir été durant ces années 49-50 la marionnette de Sam Gagné qui était lui l’homme de DeSève (et qui devient employé de France-Film en 51 avant même que toutes les affaires des Renaissance soient liquidées et alors qu’il y occupe toujours un poste de direction). ↩
- Cette compagnie élit domicile aux studios de RFD. Lorsqu’elle se transformera en Excelsior, elle ira loger au bureau du notaire Paul Grenier à Québec qui chargera pour ce service $115.00 par mois. ↩
- Cet accord est signé, au nom des Productions Renaissance par Gilbert et Gagné et au nom de RFD par Rosaire Beaudoin et Raymond Dionne avec comme témoins Henri Michaud et Claude Lapointe. ↩
- On retient finalement ce titre lorsqu’on s’aperçoit que LE GRAND BILL existe déjà pour la version française de ALONG CAME JONES. ↩
- Dans une réclamation de septembre 50, Mme M. Préfontaine de la rue Dunlop à Outremont, déclare qu’elle a acheté pour $10,000. d’actions et que celles-ci ont été obtenues “par la fraude, les actes frauduleux, le dol et les fausses représentations”. Ce type de récriminations, on les retrouve à l’époque, on les retrouve encore aujourd’hui dans la bouche de ceux qui ont perdu une partie de leurs économies dans les compagnies Renaissance. ↩
- Théâtre Frontenac est une compagnie incorporée le 28 avril 1937, propriété des mêmes actionnaires que France-Film et qui s’occupe exclusivement de dépenses immobilières. Elle possédait plusieurs terrains et cinémas au Québec qui seront tous vendus au cours des années 60-70 à Ciné-Monde. ↩
- Au sujet des événements que nous venons de décrire, il est intéressant de lire la version qu’en donnent RFD, Leroux et Gagné en cour le 29 janvier 51. Ils essaient de montrer qu’il y a eu magouillage. L’humour de ce témoignage, c’est que ce sont les mêmes personnes qui le dénoncent aujourd’hui, qui l’ont mis au point hier :
“7. Aux mois de janvier, février et mars 1949, la créancière réclamante (RFD) avait commencé la production de deux films intitulés : GROS BILL et DR. LOUISE, suivant des scénarios qu’elle avait fait préparer, elle envisageait même la production d’un troisième film intitulé SACRIFICE, dont le scénario avait été, à sa demande, commencé, et aux fins des productions susdites, elle avait encouru des déboursés s’élevant à environ $25,000.00 et contracté des engagements et obligations pour plusieurs milliers de dollars;
8. Au cours des mois d’avril, mai, juin et juillet 1949, les directeurs de la créancière réclamante, réalisant que les actifs de cette dernière étaient presque totalement immobilisés et que ses disponibilités liquides étaient épuisées, procédèrent à la vente de certains actifs immobiliers pour rencontrer quelques-unes de ses échéances les plus criantes et ils entreprirent des démarches auprès d’institutions bancaires et financières dans le but d’emprunter les sommes nécessaires à la production des films commencés;
9. Au cours de l’été 1949, après plusieurs démarches, les directeurs de la créancière réclamante contractaient un emprunt de $250,000.00 de la Société des Artisans Canadiens-Français, dont le remboursement fut garanti par une hypothèque enregistrée sur le seul immeuble qui lui restait, savoir le studio du Chemin de la Côte des Neiges;
10. Les administrateurs de la créancière réclamante, au lieu de continuer la production des films commencés et ce avec les argents obtenus de la Société des Artisans Canadiens-Français, imaginèrent de confier la production de ces films à une nouvelle compagnie que quelques-uns d’entre eux avaient incorporée au mois de mars 1949 sous le nom de Les Productions Renaissance, et dont ils étaient les actionnaires majoritaires, et ce malgré le fait que cette production aurait pu être confiée par la créancière réclamante à une compagnie filiale dont elle détenait la majorité des actions, compagnie qui était connue sous le nom de Renaissance Cinéma;
11. À cette fin, les administrateurs de la créancière réclamante et plus spécialement ses officiers qui étaient en même temps actionnaires majoritaires et officiers de la faillie, à la suite de plusieurs résolutions plus ou moins claires, cédèrent à la faillie les scénarios et les droits de la créancière réclamante dans ces trois films, savoir : GROS BILL, DR. LOUISE et SACRIFICE, pour la somme de $21,000.00, louèrent à la faillie ses studios pour continuer la production, au prix de $7,500.00, faisaient assumer par la créancière réclamante les frais de production des films susdits, tant ceux passés que ceux à venir, et acceptaient que toutes ces sommes soient remboursées à la créancière réclamante en actions ordinaires et privilégiées émises par la faillite;
12. L’intérêt personnel des directeurs de Renaissance Films Distribution, et de Excelsior Films, en faisant telles transactions, était évident puisque leur intérêt personnel était le même que celui de la faillie et qu’ils n’étaient pas sans réaliser que telles transactions allaient incontestablement à rencontre des intérêts de la créancière réclamante elle-même. Renaissance Films Distribution, et plus spécialement de ses actionnaires privilégiés;
13. La faillie (Productions Renaissance — Excelsior), ses directeurs et officiers, qui étaient également directeurs et officiers de la créancière réclamante, savaient à ce moment que par suite de cette transaction, la créancière réclamante se dépossédait d’un actif d’au-delà de $200,000.00 en faveur d’une nouvelle compagnie contrôlée par quelques-uns de ses directeurs, propriétaires majoritaires de ses actions, alors que ces mêmes personnes savaient également qu’elles ne respecteraient pas les engagements qu’elles avaient pris envers la créancière réclamante de souscrire et de faire souscrire des actions de la créancière réclamante pour une somme de $250,000.00 afin de lui permettre de constituer avec le produit de l’hypothèque de la Société des Artisans Canadiens-Français, un fonds de roulement d’environ $500,000.00 pour continuer la production de films;
14. La faillie, ses officiers et ses directeurs savaient également que cette transaction placerait la créancière réclamante dans l’impossibilité de rencontrer ses engagements envers son créancier hypothécaire et que par le fait même, en plus d’avoir perdu ses films, elle était exposée à perdre son studio et son équipement, seul actif qui lui restait à ce moment;
15. De plus, la situation financière de la créancière réclamante, à ce moment, interdisait à ses directeurs, de même qu’à la faillie qui était au courant de sa situation, de se départir ainsi de tous les avoirs liquides au seul profit d’une compagnie contrôlée par ses officiers et directeurs, mais dans laquelle elle ne devenait qu’actionnaire minoritaire, compagnie qui n’était pas une filiale de la créancière réclamante et dont cette dernière ne pouvait aucunement contrôler l’administration;
16. Les officiers et directeurs de l’une et de l’autre compagnie qui ont imaginé et décidé telle transaction avec la compagnie faillie, de même que cette dernière, savaient que la créancière réclamante n’avait pas le pouvoir de souscrire des actions dans d’autres compagnies, pas plus qu’elle n’avait le droit de se servir du produit de l’hypothèque consenti par la Société des Artisans Canadiens-Français aux fins de production de films qu’elle venait de céder à une autre compagnie et alors que cette dernière serait la seule à en retirer les bénéfices;
17. Le président et les directeurs de Excelsior Films, la faillie, ont à plusieurs reprises admis et reconnu que cette transaction, sous forme de souscription, ne pouvait tenir et à plusieurs reprises, ils ont déclaré formellement qu’ils considéraient cette affaire comme un emprunt qui devait être remboursé à la créancière réclamante, Renaissance Films Distribution;
18. Les résolutions de la créancière réclamante, qui ont été préparées par les directeurs qui avaient un intérêt personnel à ce que cette transaction profite à leur compagnie, la faillie, n’ont jamais été légalement approuvées par ni l’une ni l’autre des compagnies susdites, et lors de l’assemblée des actionnaires de la créancière réclamante, tenue le 4 juin 1949, ses actionnaires n’ont pas été mis au courant des résolutions et règlements passés par les directeurs afférents à cette transaction, bien qu’on leur ait demandé de les approuver, façon de procéder, qui faisait partie du complot général des directeurs et officiers de la créancière réclamante pour faire approuver des actes qu’ils savaient n’avoir pas le droit de poser et qui devaient s’avérer contre l’intérêt de la créancière réclamante et au profit uniquement de leur compagnie, la faillie;
19. Les actions qui ont été émises à la créancière réclamante par la faillie, n’ont jamais été réparties légalement et de plus, contrairement à ce qui paraît être les termes de cette transaction, la facturation qui devait être faite à la compagnie faillie par la créancière réclamante, n’a jamais été faite;
20. Cette transaction qu’on a tenté d’appeler coproduction, n’est aucunement de la coproduction, et en aucun temps, les termes et les modalités d’une coproduction n’ont été établis et arrêtés; par ce truchement, on s’est purement et simplement servi des avoirs liquides de la créancière réclamante pour payer des dettes de la faillie et tenter de lui constituer un actif;
21. Les officiers de la créancière réclamante, qui n’étaient autres que les actionnaires majoritaires et directeurs de la faillie, ont tenté de faire accepter cette transaction par les actionnaires de la créancière réclamante, en traitant les actions de la faillie émises au nom de la créancière réclamante, comme un placement, alors qu’ils savaient que la situation financière de la compagnie faillie, qui souffrait depuis le début d’un manque de capital, dont les administrateurs n’avaient aucune expérience dans la production cinématographique, et ce malgré leur déclaration à l’effet que toutes ces sommes constituaient des avances qui devaient être remboursées à la créancière réclamante, ne justifiait pas d’affirmer que ces actions étaient un placement;
22. La faillie a passé avec la créancière réclamante, le 18 juillet 1949, un contrat sous seing privé relatant certains des termes de la transaction précitée,
23. Par suite de cette transaction et de ce contrat illégaux et nuls, et ce à la connaissance de la faillie elle-même, la créancière réclamante, par ses officiers, a avancé à la faillie et a payé pour elle certaines sommes et certains comptes totalisant $207,000.00, montant qu’elle est légalement fondée à réclamer de la faillite à titre de créancière. » ↩
- Voir en Annexe V (Télécharger pdf) le budget du film ↩
- En août 51, en cour, Gagné déclarera que le film a coûté en tout $140,000. Excelsior, dans sa déclaration de faillite, indique $184,318.77; Selon le devis soumis au Centre national de la cinématographie, on parle d’un ordre de 60 millions de francs, soit environ $200,000.00. ↩
- Avec en complément de programme L’ANNÉE SAINTE A ROME : un bon doublé de cinéma catholique. ↩
- C’est à cette époque aussi que Janssens achète pour Les PR le film espagnol LA MIES ES MUCHA qui ne sera jamais payé et dont il devra faire annuler le contrat. ↩
- On peut se demander aujourd’hui pourquoi les Artisans ont accordé ce prêt alors que peu de temps après RFD se retrouvera en faillite et qu’une enquête tant soit peu sérieuse des finances de la compagnie l’aurait fait pressentir. Nous avons posé cette question à quelques personnes qui ont travaillé à ce dossier à l’époque chez les Artisans. Elles nous ont avoué que RFD jouissait de l’appui moral de l’autorité religieuse et que celle-ci avait pesé directement du poids de ses recommandations pour faciliter l’obtention du prêt. Nous en revenons donc encore une fois au rôle de l’épiscopat, et particulièrement de Mgr Pelletier, dans toute l’affaire RFD. ↩