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Huitième tournée (1903)

Novembre 1904 :

“M. le vicomte d’Hauterives faisant sa huitième tournée annuelle au Canada, tournée qui est toujours un événement pour nous, arrive directement de St-Louis, où il a passé 20 semaines durant l’Exposition.

Les fameuses scènes en couleurs, dont nous avons déjà eu l’occasion de voir quelques échantillons ont été déclarées par tout le monde, les plus belles et les mieux colorées en existence.

L’appareil entièrement nouveau, invention de M. d’Hauterives, a été déclaré par tous les exposants du congrès d’Optique, le plus par­fait qui existe, tant au point de vue de la stabilité que de l’absence de ces vibrations si fatigantes pour la vue.

Les scènes nouvelles nous promettent un vrai régal artistique, ce sont : LE GRAND OPÉRA DE FAUST, avec la fameuse nuit de Valpurgis et le grand ballet – L’ATTAQUE D’UN TRAINLES VOLEURS DE BANQUELE CHAT BOTTÉMARIE-ANTOINETTE OU LA RÉVOLUTION FRANÇAISECHRISTOPHE-COLOMB, etc.

M. d’Hauterives est engagé pour 5 dimanches au Parc Sohmer, à Montréal, à un prix extrêmement élevé; de là il retourne aux États-Unis où l’attendent les engagements les plus flatteurs.

Qu’on ne manque donc pas ces soirées” 1

L’Historiographe ne fut sûrement pas acclamé à un congrès d’Optique. Pour le reste cependant, son ‘‘manager’’ disait vrai. Après un rapide saut en France, il avait passé avec sa mère l’hiver aux Bermudes, où ils avaient loué une maison et une salle de cinéma. On peut songer sans trop d’erreur, que la comtesse devait en avoir assez des hivers nord-américains. Revenue sur le continent, elle ouvre à St-Louis le Dreamworld 2 pour profiter de la foule à l’Exposition Universelle, visitée aussi par de nombreux Canadiens : Henri Rolland 3, de St-Jérôme, une vieille connaissance des Hauterives … les gagnants du concours de popularité organisé par La Presse (17 août 1904) et bien d’autres, dont le géant Beaupré qu’on exhibait dans un kiosque. 4

L’Exposition est elle-même le sujet de quelques bobines ajoutées au répertoire de l’Historiographe, qui comporte dorénavant tous les succès de l’époque, français ou américains. Ses concurrents aussi d’ailleurs. À Montréal, la Kinetograph Company of New York continuait régulièrement ses projections au Parc Sohmer avec les mêmes nouveautés, sauf en été. En été donc, A. Read gérant du Riverside Park, ajoute les vues animées aux autres attractions 5.

Le Musée Eden n’est plus le seul commerce de projecteurs et de films. En 1904, ouvre deux portes à côté, 202 St-Laurent, le Canadian Mutoscope Co. 6. Les spectacles aussi se diversifient. La London Bioscope déroule à nouveau sa série LIVING CANADA 7 en y ajoutant encore quelques bandes filmées sur place (PROCESSION DE LA ST-JEAN, TOURNOI ATHLETIQUE DE McGILL, INSPECTION DES CADETS DU MONT ST- LOUIS) et des actualités comme LA GUERRE RUSSO-JAPONAISE 8. Ce dernier sujet est proposé deux fois de suite au public de Québec, Henry Levy de la Vitagraph s’y amenant en août après les gars de la Bioscope qui y sont passés en juin 9.

Ernest Ouimet, l’électricien du Théâtre National et du Parc Sohmer, ne se contente plus d’aider les autres à tourner la manivelle. Depuis avril 1904, Bert Fenton lui avait confié le soin de présenter les vues aux entractes du National 10. Il disait lui-même qu’ayant conservé le projecteur tout l’été, il ne manquait pas d’en profiter pour présenter à son compte d’autres spectacles 11 (dont cependant on ne trouve pas trace en cette année). Sa renommée se propageait, grâce aussi à Émile Bélanger qui l’encensait dans sa rubrique de spectacles à La Presse : “Dans les entractes, l’habile électricien du Théâtre National présentera de nouvelles vues animées pleines d’actualité.” 12 Cependant, l’Historiographe semble encore le favori :

“C’est amusant, c’est beau, c’est merveilleux! voilà ce que nous avons entendu dire à plusieurs reprises par des personnes de tout âge qui avaient assisté aux très intéressantes représentations de M. le vicomte d’Hauterives.

Et de fait, c’est bien le cas de dire ici: il faut l’avoir vu pour le croire. Une révolution complète dans l’art d’amuser le public et de lui faire passer agréablement de longues veillées, de l’émerveiller et de l’instruire.

Le déplacement d’une troupe d’opéra, de comédie ou de vaudeville, coûte beaucoup d’argent et demande une organisation spéciale. M. le vicomte d’Hauterives a simplifié tout cela. Dans quelques caisses de modeste grandeur il transporte des millions d’acteurs, des trains de chemin de fer, des bateaux à vapeur, des monuments et des sites. Espaces sans limites, détails à l’infini, défilés d’armées nombreuses, caravanes innombrables, scènes grandioses, le tout brillant, vivant, d’un réalisme à donner des illusions aux plus sceptiques. Un pareil spectacle vaut dix fois son argent.

Aussi tous les spectateurs savent-ils gré à l’Union Musicale qui a eu l’excellente idée d’inviter le propriétaire de l’Historiographe à venir passer ici une couple de journées.” 13

Si flatteur envers le vicomte, le journaliste de Trois-Rivières l’est beaucoup moins pour son public :

“Jeudi soir (10 mars 1904, N.D.L.R.) pendant la représentation de l’Historiographe, quelques polissons se sont vu mettre à leur place de la belle façon. Nous espérons que la leçon leur sera utile. La scène représentait la marche à travers le désert des Rois Mages et de leur nombreuse suite. C’était si beau, si grandiose, qu’on ne trouvait pas de paroles pour exprimer son admiration. Mais il faut croire que certains jeunes vagabonds tiennent à prouver qu’ils n’ont pas le moindre sentiment de dignité personnelle. Au moment où un troupeau de moutons entrait en scène, ces sauvages se sont mis à bêler et à pousser d’autres cris. Alors M. d’Hauterives crut bon d’intervenir: “Je suis heureux de constater, dit-il, que toutes les bêtes ne sont pas dans le tableau.” Ceci fit plaisir à tous les spectateurs sauf, naturellement, à ceux qui avaient mérité d’être rappelés à l’ordre.

Autre fait: dans les galeries il y avait des individus qui s’amusaient à cracher sur les spectateurs du parterre. Ici encore, hâtons-nous de le dire, il s’agit d’une exception; la chose n’en est pas moins regrettable. Ces mal élevés ont été rappelés à la bienséance (comprennent- ils le mot) et on les a prévenus qu’une autre fois ils ne s’en tireront pas sans punition sévère.

On vous dira peut-être qu’il vaudrait mieux ne pas parler de ces choses-là. Ce n’est pas pour notre plaisir que nous en parlons, mais il arrive un temps où le silence devient une véritable faute.

Trois-Rivières a une bonne réputation et les gens grossiers, mal élevés y sont rares. Pourquoi laisserait-on pleine liberté à ceux qui font exception à la règle? Pourquoi permettrait-on à quelques brebis galeuses de gâter tout un troupeau? L’école de réforme et le pénitencier ne sont pas faits pour les canards.” 14

Les représentations ont néanmoins bien du succès 15. Une semaine plus tard, on retrouve M. le vicomte d’Hauterives et la comtesse sa mère à St-Hyacinthe 16 où la salle Montcalm est le théâtre… de nouvelles difficultés :

“Le vicomte d’Hauterives a remporté un succès encore plus grand que d’habitude. La salle Montcalm était bondée de spectateurs aux quatre séances qu’il a données. L’affluence considérable qui assistait aux représentations laissait prévoir tout le désastre que produirait une panique. Les deux escaliers étaient obstrués par une foule de personnes arrivées trop tard, alors que tous les sièges étaient depuis longtemps vendus.

Le chef Berthiaume s’est ému et il a exigé qu’une issue soit construite donnant sur la rue Cascade. Ce sera un poteau de sauvetage qui partira de la galerie pour descendre et venir aboutir près de la porte de la garde Salaberry. On doit en commencer la construction immédiatement.” 17

Le dimanche suivant, “c’est avec plaisir que les nombreux habitués du Parc Sohmer ont salué de nouveau le retour de M. d’Hauterives et ses vues animées en couleurs.” 18 L’Historiographe projette LA CASE DE L’ONCLE TOM, en dernière partie du spectacle de variétés où se produisaient aussi Mme Schell et ses lions dressés, l’équilibriste new-yorkais Bennie Meyers, le magicien Carman et le ténor A. Normandin 19. Le vicomte clôt le spectacle avec beaucoup d’à-propos, montrant LE SOIR DE L’ELECTION : quelques semaines plus tôt, on célébrait au Parc la victoire de Sir Wilfrid Laurier après une soirée où les résultats de l’élection étaient projetés sur un écran avec une lanterne magique montrant aussi les photos des candidats.

Le lendemain, lundi 21 novembre, l’Historiographe se dirige vers St-Jérôme : trois séances. “Le succès financier a été bon…” 20 Puis, dimanche 27 novembre encore le Parc Sohmer, où l’on tente de racheter le Waterloo de l’automne 1903.

“Voici ce qu’en dit un de nos principaux citoyens (devinez lequel? N.D.L.R.) qui a assisté à ces représentations: “Les glorieuses pages d’histoire, si merveilleuses qu’elles semblent sortir du domaine de la réalité et appartenir plutôt à la légende vont revivre devant le public, pendant environ 28 minutes, au Parc Sohmer demain après-midi et soir: secouant la poussière du tombeau grâce au génie et à l’art moderne, le petit caporal va revivre avec ses grenadiers, ses gloires, ses colères; la redingote grise, le cheval blanc, Fontainebleau, le mameluk Roustand, Joséphine, Marie-Louise, les maréchaux, toute cette éblouissante, enivrante gloire va sortir du voile du passé, va être idéalisée en visions sublimes de couleurs et de réalisme au moyen du parfait appareil de M. le vicomte d’Hauterives. Scènes inoubliables où l’on voit Napoléon depuis Brienne jusqu’à Ste-Hélène; les scènes sont au nombre de quinze, jouées par les meilleurs artistes de France dans des décors de toute exactitude. Les costumes sont magnifiques et le coloris des scènes a été fait avec le plus grand soin. Ce spectacle sera certainement le plus remarquable de la saison au point de vue historique; une harmonie appropriée, composée et dirigée par M. Ernest Lavigne, accompagnera chaque scène et le programme se terminera par des scènes mystérieuses et comiques, entre autres LE MOUSQUETAIRE MAGIQUE, etc, etc.” 21

Les commentaires du spectacle furent du même style : “La légende du petit caporal soulèvera toujours un enthousiasme bien facile à expliquer dans le cœur des Canadiens français. 10 000 personnes ont applaudi à maintes reprises plusieurs des principales scènes. M. d’Hauterives mérite certainement les nombreuses marques de faveur que lui a prodiguées son auditoire aux deux représentations.” 22

Le reste du mois de décembre se raconte sur le même ton. “Lisez les affiches placées un peu partout en ville” 23, “La vicomtesse d’auterive sera ici” (sic) 24, “les vues sont exemptes de ces vibrations qui se rencontrent dans les instruments de moindre valeur. Le public a été très satisfait.” 25 “The views were very distinct”. 26 “Foule chaque soir.” 27 “600 personnes à la première représentation.” 28

LES VICTIMES DE L'ALCOOLISME de Ferdinand Zecca
LES VICTIMES DE L’ALCOOLISME de Ferdinand Zecca
collection : Cinémathèque française

Victoriaville, Parc Sohmer, Joliette, Parc Sohmer, Sorel, Parc Sohmer, Sherbrooke, Parc Sohmer: tel était l’itinéraire de cette tournée où les acclamations semblent avoir surgi tout au long du parcours. Seule note discordante: Sherbrooke. Presque personne au Théâtre Clément : “Il y avait peu de monde, très peu de monde. Quel dommage qu’on ne sache pas mieux distinguer le beau d’un burlesque fastidieux.” 29

À Montréal, le Parc Sohmer n’est pas la seule borne du parcours. La salle des frères de Ste-Brigide, rue Maisonneuve 30, l’Engineer’s Hall, rue Wellington 31, l’Hôtel de ville de St-Henri 32 accueillent aussi l’Historiographe vers la mi-décembre. Le périple finit le 25 décembre au Parc Sohmer, évidemment avec VEILLÉE DE NOËL et LA PASSION

Notes:

  1. L’Écho des Bois-Francs, 3 décembre 1904
  2. Correspondance. À la tournée précédente, le vicomte avait déjà annoncé sa présence à St-Louis pendant l’Exposition.
  3. Le St-Laurent, 19 août 1904
  4. La Presse, 5 juillet 1904
  5. La Presse, 28 mai, 11 juin et 23 juillet 1904
  6. Lovell’s Guide, Montréal 1904-1905
  7. La Presse, 18 juin 1904
  8. La Presse, 19 juillet, 22 octobre et 29 octobre 1904. L’Événement, 24 juin 1904
  9. L’Événement, 15, 16, 18, 19, 20, 24 août 1904. L’Événement, 24 juin 1904
  10. La Presse, 2 avril 1904
  11. The Montreal Gazette, 21 avril 1962
  12. La Presse, 2 avril 1904
  13. Le Trifluvien, 11 novembre 1904
  14. Le Trifluvien, 11 novembre 1904
  15. La Patrie, 10 novembre 1904
  16. L’Union, 11 et 25 novembre 1904; La Tribune, 18 novembre 1904; Le Courrier de St-Hyacinthe, 19 novembre 1904
  17. L’Union de St-Hyacinthe, 25 novembre 1904
  18. La Presse, 22 novembre 1904
  19. Le Canada. 19 novembre 1904
  20. Le Canada, 26 novembre 1904
  21. La Presse, Le Canada, 26 novembre 1904
  22. La Presse, 25 novembre 1904
  23. L’Écho des Bois-Francs, 26 novembre 1904
  24. L’Union des Cantons de l’Est, 10 décembre 1904
  25. L’Écho des Bois-Francs, 10 décembre 1904
  26. Sherbrooke Record, 22 décembre 1904
  27. Le Courrier de Sorel, 16 décembre 1904
  28. Le Courrier de Sorel, 16 décembre 1904
  29. Le Progrès de l’Est, 23 décembre 1904
  30. La Presse, 6 décembre 1904
  31. Le Star, 10 décembre 1904
  32. La Presse, 15 décembre 1904