La Cinémathèque québécoise

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Émotion et maîtrise

C’est à une bonne distance des ima­ges vite faites, de la complaisance parfois, de la facilité à l’occasion et des hybrides produits qui doivent tant au reportage télé­visuel que je situe le vrai documentaire, le seul en fait qui puisse prétendre loger à l’enseigne du cinéma.

Quand une âme habite un documen­taire, si une émotion s’en détache et qu’une sensibilité toute sentie lui est présente, alors je crois qu’il m’est donné de voir du grand cinéma documentaire.

RETOUR À DRESDEN Coll. Cinémathèque québécoise
RETOUR À DRESDEN
Coll. Cinémathèque québécoise

La place et la fonction que donne le réalisateur aux images qu’il tourne et qu’il retient ne sont plus gratuites quand elles dessinent aussi bellement toute la trame de films comme RETOUR À DRESDEN de Martin Duckworth (1986), LE FILM D’ARIANE de Josée Beaudet (1985) et LA FAMILIA LATINA de German Gutierrez (1986).

Et dans ces quelques lignes, je n’ai d’autre prétention que celle de dire tout le plaisir que j’ai eu à regarder ces films documentaires. Oh, ils ne réinventent pas le genre, simplement ils y occupent, à mes yeux, une place privilégiée parce qu’ils ont su négliger la loi du genre au profit de la création.

La qualité du regard et l’implication très marquée du réalisateur dans ces films se traduisent par des documentaires qui se démarquent d’une facture traditionnelle­ment acquise.

Chacun de ces trois films témoigne d’une manière individuelle de saisir une réalité et de «l’interpréter» avec ce je ne sais quoi d’authentiquement personnel.

Martin Duckworth a visiblement été inspiré quand il a choisi de retenir des séquences d’un opéra particulièrement significatif pour Dresden (Der Freischutz de Weber), de retenir aussi avec soin quel­ques documents d’archives. L’inspiration est une chose et le rendu en est une autre.

Et voici que le cinéma alors se trouve enrichi d’une magnifique proposition : tels des mouvements de balancier, ces séquen­ces (opéra et archives) interviennent pour encadrer le nœud du film: la foule de Dresden et d’ex-pilotes de bombardiers en 1945 venus cette fois en mission de paix et se rencontrent sur la grande place publi­que de Dresden : incertitude, insécurité et incrédulité se bousculent dans les âmes… et les visages traduisent, saisis par une caméra réservée et efficace qui nous aura d’ailleurs donné les très belles images du début à l’atmosphère déjà signifiante.

RETOUR À DRESDEN est littérale­ment habité par son réalisateur. Il se pré­sente comme une œuvre simple, superbement construite. Un très fort tra­vail d’organisation du contenu a certes pré­valu à la livraison du produit final. Voilà un film achevé à propos duquel j’éprouve le sentiment que le réalisateur a autant appris que le spectateur.

Il s’agit d’un brillant morceau de cinéma documentaire qui évacue la démonstration, repousse la facilité et qui montre bien qu’un film se «réalise» aussi bien au montage qu’au tournage.

L’atmosphère qui règne dans ce film vaut à elle seule de le voir. Conquis par l’approche chaleureuse et le contrôle de toute la démarche cinématographique, le spectateur peu à peu se trouve «accueilli» par le film. L’émotion patiemment fait son chemin et finit par faire prendre conscience de la guerre ou de la paix, c’est selon.

LE FILM D’ARIANE, appartient tout entier au cinéma. Sans rien fracasser, il vise l’efficacité résultant d’un énorme tra­vail de conception et d’imagination dans l’écriture finale et le montage. Duckworth avait isolé des séquences d’archives qu’il allait insérer à point nommé selon une construction sûre. Ici, la photo d’archives n’a plus ce caractère ponctuel.

Elle constitue l’étoffe même du film. Alliée à un beau et ample commentaire, elle compte sur un sonorisation originale de document d’époque, ce qui ajoute à une réalité sans la tromper.

Le documentaire qui se réclame du cinéma ne saurait s’aligner sur la seule loi du genre pour béatement rendre compte d’une réalité sans interpréter: les reporta­ges télé abondent dans ce sens.

Le FILM D’ARIANE, pas plus que RETOUR À DRESDEN ne triturent ni n’arrangent la vérité. Au contraire, leur grand mérite réside plutôt dans la brèche qu’ils ouvrent dans la tradition.

Et quand l’image, au service de laquelle ces deux films se sont unis, quand cette image permettrait quelque licence aux yeux de malheureux puristes, y aurait-il lieu de crier atteinte à l’intégrité du genre. La poésie connaît bien ses petits écarts à la syntaxe et s’en porte ma foi fort bien! Non! Le vrai documentaire doit plonger dans l’image, le mouvement, l’émotion, l’évocation et ainsi le spectateur vibre-t-il.

L’information passe, l’émotion reste. Le FILM D’ARIANE a osé à sa manière: il communique et parle avec chaleur dans une démarche parfaitement maîtrisée.

LA FAMILIA LATINA Coll. Cinémathèque québécoise
LA FAMILIA LATINA
Coll. Cinémathèque québécoise

D’une facture peut-être plus classique en termes d’approche documentaire que les deux films précédents, LA FAMILIA LATINA m’a immédiatement séduit.

J’ai trouvé fière allure à ce film sans prétention qui déborde de fraîcheur, de spontanéité et d’amour.

Techniquement, Gutierrez a opté pour l’entrevue et le commentaire dit, la caméra complétant: il a choisi des images dont il attendait qu’elles soient révélatrices d’une âme écorchée en terre étrangère, qu’elles en servent l’évocation plutôt que de dres­ser un froid portrait de situation.

Ce film s’interdit le discours politique et la manipulation et relève le défi du cinéma. Il est porteur d’une émotion vive. Regardez un peu comment Gutierrez tra­vaille avec ses gens. De telle manière même, qu’il se dégage un regard révéla­teur sur cette société d’accueil qui est la nôtre. Sans qu’il ne comporte de jugement, le film sait rendre la réflexion sur le plan cinématographique.

Ce film devient le véhicule d’une manière intimiste de dire les choses, de les montrer, ce n’est pas tant à la table de montage qu’il a été réalisé mais bien plu­tôt dans ces personnages et vécus bien choisis, illustrés avec un art consommé de retenue et d’intelligence.

Il veut dire plutôt qu’illustrer et c’est sobrement qu’il décide de le faire. Oui, une certaine pudeur, comme une peur de faire mal, émane de ce documentaire. Et le cinéma n’est pas en reste: une grande rigueur guide toute la démarche cinéma­tographique.

André Dugal


Agent de distribution à l’Office national du film, André Dugal est aussi rédacteur, depuis quatre ans. des textes du programme des Rendez-vous du cinéma québécois. Il a réalisé une série vidéo de 40 épiso­des comprenant des entrevues avec des personnali­tés du cinéma québécois, intitulé D’Images en paroles.