Anne Claire Poirier de A à Z
Bio-filmographie commentée par l’auteure
Anne Claire Poirier est née à Saint-Hyacinthe le 6 juin 1932. Elle fait une licence en droit et travaille à Radio-Canada en tant que comédienne, animatrice et scripteure. Elle manifeste un intérêt marqué pour le théâtre et une grande passion pour le cinéma. En 1960, à 28 ans, elle entre donc à l’Office national du film. Comme souvent c’est le cas pour une nouvelle venue en production, elle est affectée au service des versions. Progressivement elle devient assistante au montage ou à la réalisation (un travail pas toujours mentionné au générique, comme dans LOUIS-HIPPOLYTE LAFONTAINE de Patry (1962), puis monteuse. Anne Claire Poirier fera même, plus par plaisir qu’autrement, de brèves apparitions dans quelques films, dont LES BACHELIERS DE LA CINQUIÈME de Perron et Séguillon (1962) et À TOUT PRENDRE de Jutra (1963).
1962
Ma première étape dans le cinéma fut le montage. C’était un choix, un choix qui avait en même temps quelque chose d’obligatoire, en ce sens que c’était de toutes les portes techniques la seule qui m’était ouverte. Je me souviens, à l’époque, avoir eu envie d’aller faire un stage à la caméra et ce me fut complètement impossible pour des raisons aussi ridicules que le poids des instruments; cette porte-là, la plus directe avec l’image, m’étant interdite, j’ai choisi, avec raison je pense, le montage. C’était au début du cinéma qu’à l’époque on qualifiait de “vérité” et qui depuis, plus justement je pense, s’est appelé ‘‘direct ’’, où une grande partie du film se structurait dans la salle de montage. J’ai appris là le concret de l’image, je l’ai touchée, j’ai pris connaissance de la texture du cinéma; j’y ai appris, comme ç ’a été notre cas à tous, ce qui marche ou ce qui ne marche pas, non pas à partir de théories ou de cours que j’aurais suivis, mais sur le tas, comme ça, dans une salle de montage, sans trop savoir pourquoi; j’ai appris par la pratique quand deux plans marchent l’un à la suite de l’autre, quelle longueur il faut leur laisser. Apprendre ainsi à découvrir et à respecter son sens du rythme, son sens à soi du rythme, parce que c’est le seul qu’on pourra transférer au film, en respectant bien sûr celui du sujet; je ne dis pas que le rythme vienne de nulle part ou seulement du monteur, mais qu’il provient de la rencontre du monteur avec un sujet. C’était quand même la période en or en ce qui concerne le montage parce qu’on y apprenait en même temps, sans s’en rendre compte, la réalisation; on structurait beaucoup, à ce moment-là, après que le film eut été tourné. Donc c’était un choix, un choix que je n’ai jamais regretté. Ce furent des moments très heureux. Je pense par exemple à QUEBEC-USA où Claude Jutra et Michel Brault m’ont invitée à partager leur passion. Je pense au talent extraordinaire de Gilles Groulx au montage. C’était une époque d’enrichissement extraordinaire, par le travail qu’on faisait et par ceux qu’on fréquentait. Après ça ce fut la merveilleuse expérience de JOUR APRES JOUR qui fut très déterminante pour moi, qui m’a confirmée ou plutôt qui m’a rassurée dans mon choix du cinéma, c’était la première fois que j’assumais la responsabilité entière de ce miracle qu’est le montage. C’est à partir de là que je me suis sentie très heureuse, très confortable et que j’ai fait le choix de faire du cinéma mon métier, pour toujours. La connaissance concrète du métier acquise par le montage a eu, je pense, des effets sur mes films subséquents, au niveau de la structure de mes films par exemple. Cela a eu aussi des effets au niveau de ma réalisation; le montage m’a beaucoup facilité la tâche parce que visuellement et concrètement je comprenais ce qui peut ou non s’enchaîner. Je pense par exempte à ce problème mi-concret, mi-abstrait qu’est l’axe; moi, ça ne m’a jamais trop posé de problème et c’est en faisant du montage que je l’ai compris. Si je pense plus spécifiquement aux FILLES DU ROY et à MOURIR À TUE-TÊTE, ce sont des films conçus à partir d’une connaissance et d’un amour du montage. JOUR APRES JOUR, ce fut l’extraordinaire découverte de Maurice Blackburn. On dit que ce sont les autres qui nous font; Maurice porte ta plus lourde responsabilité, tout au moins une des plus lourdes (pour ne pas l’affoler), de ce que je suis devenue. C’est extraordinaire à quel point il m’a fait devenir qui je suis. À beaucoup de niveaux, c’est un être que j’aime, donc qui m’a beaucoup apporté au plan purement personnel. Par contre ce n’est pas lui qui m’a apporté Marthe, je me la suis choisie moi-même… Quel amour du métier il a! L’an dernier, quand il a reçu le prix Albert-Tessier, j’ai trouvé merveilleuse l’idée de ceux qui le lui ont accordé parce qu’il est sûrement un de nos plus grands cinéastes. La passion du cinéma, il est un de ceux qui me l’a communiquée avec le plus de force et d’exigence, d’emballement et de sens du désir, de sens du risque aussi. JOUR APRÈS JOUR pour moi, c’est tout ça.
1963
On a beaucoup blagué à la fête de départ de Jacques Bobet sur cette habitude qu’il avait de “s’entourer” de femmes. Ça ne s’arrêtait pas à une pure fantaisie. C’était aussi une manifestation de très grande confiance envers les femmes. Quand JOUR APRÈS JOUR fut terminé, je n’ai pas eu à aller le voir; il est venu me trouver en me disant qu’il était convaincu que j’avais l’étoffe pour faire de la réalisation et qu’il serait content de me confier un film. Comme il avait déjà programmé une série sur le Canada anglais, le premier film que j’ai réalisé en faisait partie; j’ai assisté Claude Fournier pour CALGARY STAMPEDE et Claude a fait les images de 30 MINUTES, MISTER PLUMMER; c’est ainsi que nous sommes partis, en pays étranger. Le commentaire de MISTER PLUMMER a été écrit par Jacques Bobet. Il ne voulait pas son nom au générique disant que c’était un plaisir qu’il se faisait. C’est un texte que j’aime beaucoup et que j’ai eu beaucoup de plaisir à lire; à ce moment-là, je sortais de mes études de théâtre, j’avais fait de la radio, j’avais dit JOUR APRÈS JOUR et c’est par plaisir que j’ai choisi de lire ce texte.
1964
LA FIN DES ÉTÉS
16mm, n. & h., 28 minutes 5 secondes, 1964
Réalisation : Anne Claire Poirier. Scénario : Anne Claire Poirier, Hubert Aquin. Images : François Séguillon. Avec : Geneviève Bujold, Etienne Aubray, François Tassé, Monique Chabot, Jean-Paul Dugas, Jean Brousseau. Musique : Jean Vallerand. Montage : Anne Claire Poirier, Éric de Bayser. Prise de son : Joseph Champagne. Mixage : Ron Alexander, Roger Lamoureux. Gérant de production : Léo Ewaschuck. Script assistante : Suzanne Mercure. Monteur de son : Sidney Pearson. Assistant cameraman : Robert Michel. Eclairagiste : Jean-Jacques Parent. Assistant à la prise de son : Jean-Guy Normandin.
Tournage : Du 12 septembre au premier octobre 1963 à Valleyfield et Montréal Devis : 30 018.06$ Devis révisé : 40 979$ Première : À Radio-Canada Titres de travail : DRAMATIQUE À LA FIN DES ÉTÉS DRAMATIQUE 3 : LA FIN DES ÉTÉS Numéro de production : 63-860 (studio G) Distribution : Office national du film
Ce n’était pas par naïveté ou par hasard que j’ai employé cette forme de texte, mais consciemment. À l’époque ça n’était pas à la mode, c’était presque quétaine, hors courant. On était en plein éblouissement du cinéma direct. C’était un coup d’éclat quand on faisait un film sans un seul mot. Or moi j’ai adopté le parti-pris contraire; j’aime bien avoir le sens de la contradiction d’autant plus que je n’ai jamais compris ce phénomène du silence-absence; les mots, la parole peuvent avoir une telle puissance d’émotion; il faut bien reconnaître que l’art avec lequel nous nous exprimons est visuel, très concret, qui a un rapport moins direct avec l’âme que le son; l’œil va chercher à l’extérieur de soi tandis que le son pénètre, entre en nous-mêmes. Je ne parviendrai jamais à le rejeter. Nous l’utilisons peut-être parfois comme béquille, je ne crois pas que ça puisse remplacer les images; comme j’ai beaucoup d’affection pour les sons et les mots, ça m’a peut-être parfois joué de vilains tours et c’est un risque que j’assume. J’ai toujours cet amour du son qui entre en moi. Pierre Schaeffer disait un jour que ce n’est pas pour rien que l’œil, c’est masculin et que l’oreille, c’est féminin. L’œil est davantage associable à l’organe sexuel mâle extérieur, tandis que l’oreille serait plus semblable au vagin… et pourquoi pas?
1965
LES LUDIONS est un film qui appartient davantage à Eric de Bayser qu’à moi en ce sens que c’est un film qu’il a entièrement conçu et structuré.
Ce que je trouve tout à fait extraordinaire en pensant à mes premiers films, c’est qu’ils me font le même effet que des bouffées de chaleur, une espèce de chaleur intérieure qui monte subitement, violemment, une chaleur étrange qui surprend, qui peut même angoisser si on ne sait pas ce que c’est; la chaleur que provoquent en moi ces génériques-là, qui est aussi étrange et violente, je la reconnais, je la reconnais bien, c’est mes jeunes trente ans, c’est aussi et surtout ceux qui ont habité ces années-là et qui m’ont permis d’être ce que je suis et ce que j’étais à ce moment-là. Je pense à Claude Jutra, Claude Fournier, Gilles Groulx, Michel Brault, Marcel Martin, Léonard Forest, Clément Perron, Marc Beaudet… et à Jacques Bobet qui a pris la responsabilité de faire de moi une réalisatrice. En ce qui concerne mon expérience théâtrale, elle est là. Un peu comme mon vécu d’En tant que femmes depuis 1970. On ne peut pas avoir une chose et vivre comme si on ne l’avait pas. Mon option pour le cinéma n’a pas marqué la fin de mon amour pour le théâtre, l’acquis théâtral antérieur reste là, notamment dans mes relations avec les comédiens, qui sont des collaborateurs en qui j’ai très confiance, à qui je laisse une large part de responsabilité parce que je connais leurs capacités; j’apprécie tout ce qu’ils peuvent m’apporter. Certains qualifient mon cinéma de théâtral et je n’arrive pas à considérer cela comme un reproche. Évidemment je peux, par option, comme dans la séquence du tribunal de MOURIR A TUE-TETE, user de formes théâtrales; pour moi, ça reste du cinéma. Au théâtre, il n’y a pas de gros plans ou de travellings; le spectateur choisit ce sur quoi il veut focaliser son attention alors qu’au cinéma je l’oblige à poser son regard sur quelque chose de précis et de grossi que moi, je choisis. C’est pour ça que je n’ai jamais très bien compris cette espèce d’allergie qu’ont certains devant l’utilisation d’une formule de transposition plus prononcée en cinéma. Je pense à des films comme PHEDRE ou LES TROYENNES qui n’ont pas peur d’utiliser directement le théâtre. Beaucoup de cinéastes sont très théâtraux. On les accepte plus facilement de l’étranger que de chez nous. Je pense que c’est peut-être à cause de notre expérience du cinéma direct dans lequel on s’est particulièrement manifesté. Je trouve extraordinaire ce que plusieurs de mes confrères font, mais moi, ça ne me stimule pas, je ne saurais pas comment faire ça. J’ai besoin de la transposition et elle ne me gêne pas. Je rêverais même d’avoir la possibilité de faire des films comme ceux de Marcel Camé ou de Jean Cocteau où la transposition était évidente et où le cinéma n’avait rien à voir avec le vérisme. Moi je n’aime pas beaucoup le vérisme. Je trouve que ce qu’on rencontre quotidiennement doit être communiqué comme on le ressent et non pas comme on le voit. La transposition, pour moi, c’est de ne jamais oublier d’investir ce qu’on a ressenti devant une certaine réalité. Le cinéma direct transmet, fort heureusement, beaucoup de subjectif. La fiction le fait d’une autre façon et moi j’y suis plus confortable. Ça dépend peut-être aussi de mon amour du théâtre et je voudrais pousser ça plus loin. Propos d’Anne Claire constitue une série de 12 émissions diffusées du 8 septembre au 10 décembre 1965 à Femmes d’aujourd’hui. Ces propos ont été tenus à partir du 6e mois de grossesse de la cinéaste et, sous forme de journal, relatent son expérience et ses sentiments quotidiens. Nous avons retenu des extraits qui touchent directement au métier d’Anne Claire Poirier ou au cinéma en général. Évidemment la lecture entière de ces propos peut éclairer le premier film qu’elle réalisera par la suite, DE MÈRE EN FILLE, qui, portant sur la maternité et la grossesse, fait écho et prolonge à la fois l’expérience vécue et sa relation télévisuelle.
Émission du 15 septembre 1965
J’ai un métier que j’aime et en dehors duquel je ne serais pas heureuse. Avant ma première grossesse, mon métier avait toujours été pour moi la chose la plus importante, celle qui prenait la plus grande place dans ma vie et occupait la plus grande part de mon énergie. (…)
J’ai un métier qui demande beaucoup de disponibilité intérieure. Est-ce que je l’ai encore, est-ce que je peux encore faire en moi le vide… pour faire les trouvailles d’imagination derrière ce vide? Suis-je libre?
Émission du 23 septembre
Heureusement que les hommes ne peuvent pas savoir vraiment ce qu’est la maternité, car ils seraient jaloux! Je crois même que c’est par un réflexe inconscient de compensation qu’ils se sont accaparés pendant si longtemps du pouvoir et des domaines de la création; ils tentent de combler sur les plans social, intellectuel et matériel une participation moins totale et consciente à la vie elle-même.
J’exerce moi-même un métier créateur, et bien je sais que ce qui s’apparente le plus à la grossesse, c’est l’état d’exaltation à la fois craintive et agressive, que j’ai connu lors de la préparation et du tournage d’un film: c’est là, véritablement, une période d’enfantement, mais il y manquera toujours la participation corporelle, l’incarnation. (…)
Émission du début octobre
Je me sens écrasée sous le poids de responsabilités auxquelles je ne peux même pas faire face correctement et il y aura bientôt un nouveau bébé… je ne vois pas le jour où je reprendrai le dessus. (…) Ma première sortie est une bouffée de joie qui correspond merveilleusement à mon état et à mon tempérament : le film LE BONHEUR d’Agnès Varda.
Je ne trouve pas de mots pour exprimer l’émotion, la tendresse et la profonde admiration que m’inspire ce film. C’est l’œuvre d’une femme préoccupée, je devrais dire occupée par l’amour et le bonheur. Je voudrais en parler pendant des heures… et puis non, c’est un film auquel on pense en silence, presque dans le recueillement. Le bonheur n’est pas un sujet de discussion, mais de méditation. Enfin une œuvre qui ne juge pas, où il n’y a pas de place pour les ‘bons’ et les ‘méchants’, la ‘récompense’ et la ‘punition’.
Émission du début novembre
J’ai parfois la tentation de vivre l’expérience de rester à la maison avec les enfants pendant un an ou deux; je suis beaucoup plus près d’eux actuellement que de mon travail (que j’ai — de toute évidence — négligé depuis un an).
Pour le moment, je me sens ni malheureuse ni frustrée de la situation, peut-être à peine un peu coupable en face de mon métier, mais la plongée directe et même double que je viens de faire dans la maternité devait normalement me distraire de mes habitudes et de mes attitudes passées; c’est une transformation de vie intérieure autant que matérielle qui entraîne une réadaptation pas toujours facile et évidente.
Si déjà je sens une négligence en face de mon travail, est-ce qu’un arrêt prolongé ne risque pas de diminuer l’intérêt? N’est-il pas grand temps justement de m’organiser matériellement pour pouvoir m’y remettre à fond intellectuellement le plus vite possible après la naissance de Nicolas?
C’est là un choix qui ne dépend que de moi, qui ne peut être que très personnel — aucune loi, aucune règle générale ne peuvent me dicter mon choix — la solution d’une autre n’est pas la mienne et je dois trouver ma vérité en moi seule.
Je n’ai jamais cru et je ne crois pas davantage aujourd’hui — où je suis en cause — que les enfants réclament et nécessitent la présence constante et sacrifiée de la mère; je trouve justement cet aspect de sacrifice et de martyre particulièrement malsain et néfaste pour tout le monde. (…)
Si le choix m’apparaît plus difficile que prévu, ce n’est surtout pas par sens du sacrifice, au contraire, c’est que je découvre dans la maternité et dans la réalité des enfants une source d’épanouissement et de joies imprévues.
Je sais d’autre part que mon métier m’est nécessaire, et il ne faudrait pas risque de reporter un jour sur les enfants la responsabilité d’une profonde frustration, de laquelle je serais seule coupable.
Je suis contente de retrouver le film LE BONHEUR, dans mes Propos parce que j’aime Agnès Varda et que j’aime toujours ce film. ‘‘Je me sens un peu coupable en face de mon métier”. Moi et plusieurs femmes avons vécu une vie où il y avait toujours une culpabilité quelque part, soit par rapport au métier quand je vivais une période particulièrement heureuse et remplie avec les enfants, soit au contraire par rapport aux enfants lorsque je vivais des moments d’exaltation professionnelle ou de travail intensif. Dans un sens ou dans l’autre, j’ai souvent été piégée par la culpabilité. Je l’ai fréquentée, elle m’a fréquentée assidûment. Je parlais de la naissance éventuelle de Nicolas; eh bien! ce n’est pas Nicolas qui est là, c’est Yanne, une belle fille de dix-neuf ans!
Ce projet s’est imposé à la suite de mes deux maternités. Il ne faut pas oublier également qu’il y a un lien entre le film et Les propos d’Anne Claire que je tenais à Radio-Canada. Un lien au niveau de l’anecdote, mais surtout au niveau du fait que l’émission m’entraîna à verbaliser et à révéler ce que je sentais et que je pensais, à éliminer un premier niveau de fausse pudeur.
J’ai choisi de tourner une partie du film en Tchécoslovaquie parce que je cherchais un endroit qui aurait trouvé LA solution à la garde des enfants afin que la femme puisse vivre une vie de travail, une vie professionnelle sans angoisse, du moins avec une angoisse moindre que celle que j’avais connue, sans culpabilité surtout. À travers tout ce que j’avais lu, la Tchécoslovaquie me semblait le pays le mieux organisé en ce sens que déjà avant la guerre le pays était réputé pour ses recherches et ses réalisations dans le domaine de l’éducation. Sur place j’ai déchanté, non pas devant la qualité de leurs garderies — je pense qu’en effet ils avaient sûrement les garderies les plus exceptionnelles au monde —, mais devant cette façon enrégimentée d’élever les enfants. Des spécialistes se plaignaient amèrement du manque d’individualisme et de créativité qu’entraînait l’éducation en garderie. J’ai donc découvert que la garderie trop organisée n’était pas LA solution.
Peut-on dire que DE MÈRE EN FILLE soit un film féministe? C’est sûrement un film féminin et un film féministe inconscient. La grande partie consciente de mon cheminement féministe n’était pas faite; mes maternités ont sûrement été le point tournant de mon éveil. DE MÈRE EN FILLE, c’était une femme qui disait SA vérité et réclamait SA place dans la vie. C’est, des choses que j’ai faites, le film qui a sûrement le plus vieilli, c’est un phénomène intéressant, car il démontre le bout de chemin parcouru par les femmes. Depuis l’éveil des femmes, c’est le film qui a été le plus susceptible de vieillir et pourtant à l’époque il est apparu comme un film d’avant-garde, très audacieux, exceptionnel. Il manifeste donc de la transformation des mentalités depuis vingt ans.
1969
1971
J’ai réalisé des commandites comme j’ai fait des versions. Je me souviens d’avoir eu du plaisir avec Clémence Desrochers et Yvon Deschamps pour un film sur l’impôt. Je concevais ça comme un exercice de style parce c’est un travail qui ne prenait pas trop de ma vie intérieure; ça m’obligeait à travailler vite et ça m’apportait de l’expérience. Le 29 mars 1971, Anne Claire Poirier, Jeanne Morazain Boucher et Monique Larocque rendent public le texte En tant que femmes nous-mêmes… qui définit le programme En tant que femmes. Deux pages situent d’emblée le sujet:
Il s’agit pour nous d’aller plus loin dans l’exploration, non plus seulement de la “situation et des problèmes”, mais de la réalité de la femme en l’abordant par l’imagerie existante:
- l’image qu’on lui impose
- l’image qu’on se fait d’elle
- l’image qu’elle projette d’elle-même
- l’image qu’elle se fait d’elle-même.
Nous voulons que cette étude soit vivante et qu’elle oblige la femme à prendre conscience des réalités sociales auxquelles elle participe — publicité, média (littérature, télévision, cinéma), morale sociale et religieuse, loi, structures familiales, monde du travail, etc… — pour qu’elle découvre si celles-ci respectent sa réalité profonde et lui permettent un comportement social conforme à cette réalité propre. (…)
RECHERCHE ACTUELLE ET RECHERCHE ACTIVE
Par recherche actuelle, nous voulons indiquer que notre préoccupation première n’est pas l’historique de l’évolution de la femme et des mouvements féministes, mais la femme dans sa dimension actuelle, dimension qui dessine son visage “restauré” des années à venir.
C’est pourquoi nous nous intéresserons davantage aux événements et aux documents de l’actualité; de même, nous nous attarderons à la problématique et aux thèmes autour desquels se cristallise sa vie de femme des années 70.
Recherche active ne signifie pas seulement l’utilisation des moyens audiovisuels dans le but d’observer des phénomènes ou de recueillir de l’information, mais aussi dans le but de provoquer des réactions et l’expression des motivations profondes du comportement de la femme d’aujourd’hui.
C’est pourquoi il nous apparaît essentiel de créer, de produire et d’utiliser des situations et des documents-chocs qui serviront de catalyseurs et provoqueront des réactions spontanées et révélatrices chez les femmes à qui ils seront présentés. Les réactions engendrées seront elles aussi enregistrées sur film ou magnétoscope et ces documents pourront être utilisés pour fins d’analyse, de réactif ou servir de produit de distribution.
Je pense que ce texte du 29 mars fut notre première manifestation du désir, non pas de faire un film, mais un programme de films. Le premier objectif de la série était de briser l’isolement de la femme qui nous apparaissait le constat le plus dramatique et le plus urgent à corriger. Curieusement, ces jours-ci, je parlais avec Jeanne Morazain de l’isolement de la femme face à l’ordinateur; Jeanne est à la pige et utilise beaucoup son ordinateur. Un des constats qu’elle faisait devant cette machine magnifique et fort utile est que les femmes qui travaillent à la maison devraient être sur leurs gardes, car l’ordinateur est l’outil parfait pour creuser l’isolement de la femme, car il lui donne l’illusion de travailler “dans le monde” tout en les laissant isolées avec leurs enfants et un ordinateur. On n’a pas réglé ce problème. Mais, maintenant, on est plus attentives! Le texte le plus important qui précise la problématique et les perspectives du programme En tant que femmes est dû à la plume d’Anne Claire Poirier et Jeanne Morazain Boucher et est daté du 16 septembre 1971; il s’intitule En tant que femmes. Rapport de recherches et constitue l’aboutissement de trois mois de réflexion. Nous en avons retenu les extraits suivants :
OBJECTIF 1: Briser l’isolement de la femme
Cet objectif est un préalable à la réalisation des autres objectifs que nous poursuivons. La femme quel que soit son statut, ménagère, travailleuse ou professionnelle, quelle que soit sa classe, assistée sociale, prolétaire ou bourgeoise, souffre d’un isolement qui la place dans un état d’insécurité constant.
Une insécurité affective parce qu’elle est placée devant le dilemme de taire sa réalité, de s’abstenir d’en discuter avec ses proches ou de risquer de heurter cet entourage, son mari et ses enfants, en exprimant une situation ou des malaises qui les impliquent. Qui prendrait le risque de se faire répondre: “Tu ne m’aimes pas?” — “Si tu m’aimais pas, tu ne dirais pas cela!” —“Pourquoi, t’es tannée de nous autres, maman?” — Que ceux qui ne l’ont jamais dit nous jettent la première pierre!
“Ce que nous attendons des sexes influence les interactions que nous avons avec les autres de façon à ce qu’ils répondent à nos attentes. Parce que nous croyons en certaines choses relatives au sexe opposé et à notre propre sexe, nous exerçons sur eux d’imperceptibles pressions pour les forcer à répondre à nos attentes. Nous structurons nos relations et définissons la situation de manière à ce que l’autre se sente obligé d’agir comme nous le désirons ou qu’il mette fin aux relations en refusant de répondre à notre attente.; (Lambert, op. cit., p. 8)
L’insécurité sexuelle découle directement de la précédente de même que de l’absence d’une éducation sexuelle réelle et de l’existence de tabous anachroniques. (…)
OBJECTIF 3 : Participation à la naissance d’une société nouvelle
Tandis que le premier objectif a pour but de développer la conscience collective des femmes en tant que groupe, que le deuxième cherche à provoquer chez elles une prise de conscience d’elles-mêmes, le troisième est orienté vers l’éveil d’une conscience sociale. Encore une fois et logiquement, ce dernier objectif découle des deux autres, car tout processus de libération s’appuie sur la recherche et la découverte de son identité.
Nous ne croyons pas devoir ici insister sur la nécessité et l’urgence de la participation des femmes à l’élaboration de cette société nouvelle si on ne veut pas perpétuer un régime aliénant autant pour l’homme que pour la femme. (…)
De la lutte que les femmes mèneront pour leur propre libération naîtra une action sociale plus large qu’il est aussi dans nos objectifs d’encourager; il ne faudrait surtout pas sous-estimer le potentiel des femmes du point de vue de l’action sociale. L’expérience d’autres luttes nous autorise à exprimer cette confiance.
En tant que femmes, c’est toute une étape de ma vie, autant comme personne que comme cinéaste; c’est une période très riche autant au niveau de ma prise de conscience, de mon devenir, que des films qu’on y a faits, des êtres avec qui j’ai travaillé. Je suis contente d’avoir travaillé avec Jeanne Morazain et d’avoir eu cette idée de ne pas limiter à un seul film tout ce nouveau mouvement qu’on sentait au début des années 70 et de l’avoir partagé avec d’autres. J’aime cette série aussi parce qu’elle a fait commencer ma collaboration avec Marthe Blackburn qui a été déterminante dans tout le cinéma que je fais depuis. Ce fut une période de travail très intensif, mais c’est aussi une période d’ouverture au monde et à moi-même, donc aux autres, parce que je pense qu’on ne peut commencer à s’ouvrir aux autres que dans la mesure où on se définit. Pour moi, c’est une période bouillante, un peu comme la période québécoise préréférendaire; heureusement, pour En tant que femmes, je ne pense pas avoir perdu le référendum!
1973
Dans La “femme”, une réalité en devenir daté de juin 1973, Anne Claire Poirier fait un peu le bilan du travail accompli à En tant que femmes depuis plus de deux ans et tâche de convaincre Radio-Canada de s’associer à la diffusion des films qui sont en train d’être réalisés dans le cadre du programme:
Briser l’isolement de la femme est un “objectif préalable à la réalisation des autres objectifs que nous poursuivons. La femme quel que soit son statut, ménagère, travailleuse ou professionnelle, quelle que soit sa classe, assistée sociale, prolétaire ou bourgeoise, souffre d’un isolement qui la place dans un état d’insécurité constant” (…) “La sécurité et la confiance nées de la solidarité dont il est question dans le premier objectif génèrent une capacité d’assumer sa propre vie, d’en devenir responsable. Malgré les avantages apparents et superficiels que procure la dépendance, la femme doit en arriver à accepter le défi de l’indépendance, si elle veut cesser de vivre par procuration et dans un univers artificiel”. (Extrait du rapport de recherches général.)
UNE DÉMARCHE SOCIALE
Notre réflexion nous a également faire voir que la démarche féministe était une démarche profondément sociale qui avait pour but ultime la restauration de certaines valeurs humaines dont la négation est aliénante pour tous, telles l’affectivité et l’émotivité, la disponibilité aux autres… Par le fait même nous étions amenées à rejeter certaines autres “valeurs” telles l’esprit de compétition et de domination et leurs conséquences immédiates, les concepts de hiérarchisation et de conquête. En somme nous pouvions identifier deux patterns aliénants, celui imposé à la femme et celui imposé à l’homme, et nous désirions leur disparition et des changements sociaux pour l’avènement d’une société plus humaine. (…)
L’ÉQUIPE DE PRODUCTION
L’équipe de production a suscité le regroupement d’un nombre imposant de femmes cinéastes ou en voie de le devenir. Le critère de sélection le plus important a été la volonté de s’engager dans une démarche à la fois professionnelle et personnelle. Grâce à des rencontres régulières, l’équipe s’est rapidement retrouvée sur la même longueur d’onde, et ce, malgré des différences très marquées de personnalité et d’antécédents. Dès ce moment, le groupe est devenu un lieu privilégié, un catalyseur, qui accélérait la démarche personnelle de chacune et favorisait un approfondissement des questions soulevées. Plusieurs ont reconnu des faits qu’elles n’avaient jamais oser s’avouer ou oser exprimer. Très vite également, il nous fut possible de vivre selon les valeurs humaines auxquelles nous donnons priorité dans notre “rêve” social. Ni compétition, ni hiérarchie, mais une grande vitalité créatrice! (…)
DES FILMS PERSONNELS AVANT TOUT
Tout d’abord, nous avons convenu que les films du programme avaient plus de chance d’être significatifs et efficaces si chaque réalisateur concevait et réalisait, en choisissant elle-même le sujet et la forme, le film qui correspondait le plus à ses préoccupations personnelles, à son émotivité et à sa subjectivité. L’authenticité et la qualité de l’engagement devenaient les principaux critères d’acceptation d’un projet de film. La collégialité qui existait au niveau de l’équipe de production et qui avait aiguillé chaque réalisateur au cours de la genèse de son projet continuerait cependant de s’exercer positivement tout au long de la période de production. Cette décision, de même que l’impossibilité de dissocier les différents aspects de la vie, ont entraîné l’abandon des films thématiques.
UN LANGAGE QUI PASSE PAR LE CŒUR
De plus, la conscience que chacune avait acquise du public éventuel du programme, forçait à abandonner un langage trop didactique. Nous avions appris que seul un langage direct et émotif nous permettrait de rejoindre et d’éveiller la conscience collective. C’est ce même souci de l’auditoire qui, au cours de la scénarisation des FILLES DU ROY, par exemple, a fait que l’humour n’a pas été retenu, au niveau de la forme: il faut être déjà pas mal libéré pour se regarder avec humour!
Je constate à la lecture de tous ces textes se rapportant à En tant que femmes qu’il y a un extraordinaire bout de chemin qui a été fait. Je pense que le rêve d’une Société nouvelle, inscrit dans cette démarche, est amorcé.
Pourquoi j’ai produit les films des autres avant de tourner moi-même ? C’est assez simple; pour des raisons bêtement pratiques; c’était plus facile pour moi de démarrer la série au niveau de l’ensemble, d’organiser le travail collectif, d’apprendre la production, une chose nouvelle pour moi; donc je pense qu’au début je n’aurais pas pu assumer la production de l’ensemble si j’avais moi-même commencé par réaliser un film. Il fallait que la série soit quand même bien partie, ce qui n’empêche pas qu’avec Marthe, on ait commencé à scénariser. Le temps de réalisation est tombé à la bonne place.
1974
Le projet initial des FILLES DU ROY tient en cinq pages signées Anne Claire Poirier, Marthe Blackburn et Jeanne Boucher. Leur début situe bien les intentions du film:
Une incursion dans l’histoire du Québec nous a fait constater que l’“histoire” officielle présente des héros : Champlain, d’Iberville, Montcalm, Dollard, etc… et, des saints : les huit martyrs canadiens.
Par ailleurs, nous n’avons découvert qu’une seule héroïne, Madeleine de Verchères, qu’on a d’ailleurs affublée d’une réputation douteuse — et, quelques bienheureuses, des servantes exemplaires : Marguerite Bourgeoys, Marguerite d’Youville, Katéri Tekakouita…
Les femmes d’ici appartiennent à une longue lignée de servantes qui nous ont légué de génération en génération un poids de servitudes de plus en plus lourd à porter. Aujourd’hui, nous tentons de nous relever à jamais et de sentir la caresse du soleil. Ce que nos mères n’ont pas dit, nous le dirons pour elles, avec une telle affection, qu’elles ne renieront pas leurs filles. Nous dirons l’importance de leur rôle pour la survie du peuple québécois. Nous dirons qu’elles n’ont pas été “bienheureuses», mais des “mères et martyres” — elles n’étaient pas vierges et elles n’ont pas toujours joui — afin qu’elles remplacent sur nos autels et monuments ces héros et martyrs dont la mémoire glorieuse n’a perduré, bien souvent, que grâce à leur silence. Nous dirons qu’il n’y a pas eu évolution, mais dégradation de l’image de la femme jusqu’à son visage le plus aberrant, celui de la femme-objet. Elles étaient venues pour servir les bâtisseurs d’un “Nouveau Monde” — elles n’ont pas cessé de servir, de veiller et de peupler, mais le Nouveau Monde a pris un air d’Ancien Monde et, dans la mesure où elles étaient fidèles à cette tradition de service, le nombre des services à rendre n’a pas cessé d’augmenter. Ce poids de servitudes, que nous nous sommes partagées, nous est aujourd’hui devenu intolérable.
C’est à travers huit personnages, autour desquels gravitent une foule anonyme de femmes-martyres, que nous trouvons l’histoire de cette servitude et de cette dégradation. Chacun de ces personnages évoque la mémoire de sœurs regroupées en cinq chœurs.
Ce film est à l’origine de ma longue et magnifique collaboration avec Marthe Blackburn. Bien que nous soyons très différentes, nous sommes complémentaires, nous aimons les mêmes choses et nous pensons de façon très semblable. La formulation à la fois symbolique et très réelle du film, et les divers niveaux d’approche qu’on va plus tard retrouver dans MOURIR À TUE-TÊTE, je pense que c’est un langage dans lequel Marthe et moi avons trouvé un certain confort. J’espère qu’on le réutilisera.
Le 7 juin 1974, Anne Claire Poirier publie un texte sur ce que serait le prolongement normal du programme En tant que femmes. Le titre à lui seul est à la fois un programme et un étendard : Proposition pour un studio ayant à sa tête une tête et un cœur de femme. En voici les deux premières pages :
Le caractère spécifique du studio que nous proposons, donnant ainsi suite à une demande précise qui nous a été transmise par la direction de l’Office national du film, découle des objectifs prioritaires qui président à sa formation: d’une part, permettre aux femmes de participer au processus décisionnel et à l’élaboration des politiques; d’autre part, promouvoir, organiser et mettre sur pied un “lieu” de production facilement accessible et en quelque sorte privilégié pour les femmes.
Si la formation d’un tel studio présente un intérêt indéniable pour les femmes, nous y voyons également un intérêt tout aussi indéniable pour l’ONF. Tout d’abord, nous croyons fermement que la production de l’ONF se trouvera enrichie par l’addition de films exprimant le point de vue des femmes et leur vision du monde. Car pour nous, et il est important de le préciser au départ, il ne s’agit pas de produire des films traitant de sujets “dits féminins”, mais d’ouvrir un moyen d’expression, avec toute sa gamme de styles, de techniques et de formats, à un groupe qui n’a pas jusqu’à maintenant été autorisé à le faire. Mais, tout en étant d’abord un lieu de regroupement des femmes, ce studio demeure ouvert à tous les cinéastes. S’il comporte un programme spécifique à l’intention des femmes, ce studio peut également animer un programme général qui, nous l’espérons, sera caractérisé par sa réflexion et son invention. L’ONF doit être autre chose qu’un simple témoin du changement social par ses films: il se doit d’être un participant actif de ce changement, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un des changements — nous en avons l’intuition — les plus importants de notre époque.
Fortes de l’expérience de production de la série En tant que femmes, nous savons qu’il est nécessaire pour atteindre ces objectifs de mettre sur pied une structure souple qui permette la participation et la collégialité, qui soit mobile et dynamique. C’est pourquoi nous proposons une structure basée sur le décloisonnement des fonctions de façon à utiliser au maximum les ressources humaines et à empêcher le confinement, jusqu’à l’usure, des individus dans un carcan. Nous ne voyons pas pourquoi il serait interdit à une personne qui en a la compétence professionnelle d’élargir son champ d’activités et de partager son temps entre différentes fonctions, offrant ainsi aux diverses facettes de sa personnalité et de ses aptitudes des débouchés dans l’action. Ceci implique bien sûr que la confiance, la communication et la participation auront été telles, que la continuité des opérations sera assurée. Nous ne voyons là rien d’impossible: nous savons par expérience que c’est possible et générateur au niveau de la création.
À cette première condition de réussite et d’efficacité, une structure souple, s’en ajoutent d’autres. Tout d’abord, la formation d’un noyau de base permanent, de façon à rendre possible cette continuité, en plus de permettre une réelle participation des femmes à la vie de l’ONF : comité du programme, atelier des cinéastes, comité de direction et ce à long terme. Nous sommes convaincues d’ailleurs que l’ONF bénéficiera grandement et assez rapidement de cet apport nouveau.
C’est dire qu’il est essentiel que l’ONF embauche, en production, d’une façon permanente et immédiatement un certain nombre de femmes. Comme point de départ, nous proposons l’engagement de quatre (4) femmes : un producteur et adjoint au chef de studio, une réalisatrice d’expérience, une réalisatrice plus jeune et une recherchiste-scénariste.
Le caractère professionnel du programme de production et d’entraînement que nous avons élaboré nous apparaît comme une condition essentielle de succès. Nous ne voulons pas produire de “demi-projets” ou créer une “sous-classe” d’artisans du cinéma, ou encore restreindre la richesse et la variété de l’expression par des insuffisances dans la connaissance du moyen. C’est aussi une des raisons pour lesquelles le programme d’entraînement prévoit, d’une part, des stages avec des équipes “normales” sur des productions diverses, et, d’autre part, une utilisation autonome de l’équipement professionnel, mais dans le cadre de projets à la mesure d’un débutant: des projets courts qui traitent de questions ou d’histoires simples. Vu l’absence en nombre suffisant de personnel féminin, il va de soi qu’on ne pourra arriver, dans les premières années, à un équilibre heureux entre l’utilisation des réguliers et des pigistes.
En ce qui concerne le métier de productrice, je dois avouer qu’à la fin de la série, c’était quand même navrant de voir se terminer quelque chose qui avait tant besoin de continuer à vivre. À l’époque, avec le directeur de la production française Yves Leduc, nous avions demandé au gouvernement un budget spécial pour continuer, sur une période de cinq ans, l’expérience d’En tant que femmes, à l’intérieur d’un studio qui eut été mixte. Nous pensions qu’il ne fallait pas instituer ce programme à l’intérieur d’un studio exclusivement féminin. Du côté français, il y avait déjà des femmes avec des acquis professionnels importants, même si nous étions peu nombreuses; un mouvement se dessinait de femmes solidement installées dans la profession; on avait moins besoin d’un studio de formation, ce qui était davantage le cas des anglophones. À partir de là, étant donné que les films que nous entendions poursuivre se situaient au même niveau professionnel que ceux de nos confrères, on ne voulait pas créer un studio à part, à petit budget, où les critères de sélection et de qualité eussent été différents. Je craignais le ghetto! Je ne regrette pas nos idées. Je n’ai aucune amertume sur ce qui est arrivé, sur cet argent que nous avons demandé et qui est allé ailleurs, il est bien utilisé. Les femmes, tout comme leurs confrères, devaient avoir le droit d’aller dans le studio de leur choix et de choisir leur producteur. Quand Yves m’a proposé la responsabilité d’un studio, j’ai accepté. Afin de vivre une forme de continuité avec ce que j’avais entrepris avec En tant que femmes, — rester disponible aux autres femmes cinéastes —. Il me semblait normal de donner à l’Office ces deux années un peu moins personnelles au plan du travail, de m’occuper d’administration et de collaborer aux politiques de l’institution. Je n’ai pas regretté ce choix, je trouve que j’y ai appris beaucoup. Notamment, en produisant les films des autres, j’ai appris à les aider à être eux-mêmes, ce qui n’est pas facile pour une cinéaste qui avait tendance, au début, à vouloir que les autres fassent les films qu’elle ferait elle-même. Ce fut très enrichissant. Ce furent des années très positives, mais je ne crois pas que je pourrais remplir ces fonctions à coeur de vie, par caractère, par choix.
1975
C’est le premier film de facture plus linéaire que j’ai réalisé. C’est peut-être dû au fait que le film est parti d’un scénario de Louise Carré, qui était déjà structuré, auquel Marthe et moi avons travaillé, pas au niveau de sa forme — on a gardé la forme initiale —, mais en modifiant et en ajoutant des choses, par exemple la séquence de la nuit des deux soeurs qui dure vingt-cinq minutes; d’ailleurs le comité du programme m’avait défié à ce sujet en disant que ce n’était pas faisable alors que je savais bien que oui, ayant moi-même passé de longues nuits blanches à parler avec d’autres femmes. C’était ma première collaboration avec Michel Brault. Il avait été mon premier maître. Je n’avais jamais osé lui demander de “daigner” travailler sur un de mes films. C’est peut-être le fait d’avoir osé demander à Georges Dufaux de faire avec moi LES FILLES DU ROY — je me rappelle, je me sentais bien petite — qui m’a rendu si “audacieuse je n’ai jamais regretté cette collaboration qui dure toujours et qui j’espère durera longtemps.
Si j’ai à la fois produit et réalisé deux de mes propres films, ce fut pour des raisons purement circonstancielles. LE TEMPS DE L’AVANT appartenait à la série En tant que femmes et comme je déléguais à Laurence Paré beaucoup de responsabilités de production, je n’ai pas eu à supporter deux fardeaux pendant le tournage. Je lui ai confié beaucoup de responsabilités dont elle s’est acquittée à mon plus grand avantage, ce qu’elle a continué à faire depuis, sur tous mes films! Tel que le prévoyaient les objectifs du programme, les films d’En tant que femmes furent l’objet d’études et d’enquêtes sociologiques particulières et de diffusions encadrées. Nous avons retenu quelques passages ayant trait aux FILLES DU ROY et au TEMPS DE L’AVANT. Le premier rapport s’intitule Les filles du roy : compte-rendu des commentaires et réactions recueillies par téléphone à la suite de la présentation du film à la télévision et fut rédigé par Danielle Lareau, tandis que le second porte comme nom Distribution communautaire du film “Le temps de l’avant” auprès du public masculin et fut coordonné par Hortense Roy.
Premier rapport
LES FILLES DU ROY constitue sans aucun doute le film le plus ardu à évaluer à partir des commentaires du public. Le contenu d’un tel film permet très difficilement à un public de s’exprimer de façon constante. Alors que les trois premiers films de la série En tant que femmes ont provoqué chez les spectateurs des commentaires d’un même ordre, donc facilement analysables, LES FILLES DU ROY a donné lieu à plusieurs types d’interprétation à cause de sa facture complexe. Certains ont eu des réactions d’ordre strictement émotif, d’autres d’ordre tout à fait intellectuel. Plusieurs sont intervenus à ces deux niveaux, mais en donnant libre cours à leur interprétation. Si l’idée générale du film a été saisie par la majorité, le point de départ des commentaires a été loin d’être le même pour tout le monde. Les sollicitations multiples que présentait LES FILLES DU ROY ont attiré autant de réactions diverses qu’elles correspondaient à certains aspects de la vie des gens. Il se trouve aussi que plusieurs ont eu de la difficulté à s’exprimer à cause de l’émotion suscitée par le film. Or, rien n’est plus difficile à exprimer dans un rapport comme celui-ci que l’émotion à peine verbalisée. Qu’une personne bafouille sous son emprise, répète dix fois que ce film est merveilleux ou pleure en donnant ses commentaires, devient un phénomène extrêmement significatif pour ceux qui recevaient les appels, mais perd beaucoup de sa densité lors de l’établissement des catégories. C’est sans doute pour cette raison que cette étude ne rend pas parfaitement l’attitude du public face à LES FILLES DU ROY, même si tous les éléments exprimés verbalement par le public ont été pris en considération. Une des caractéristiques marquantes de cette population a été sa distribution à peu près égale dans les différents groupes d’âge et l’espèce de consensus qui a suivi la projection de ce film. (…). Ainsi, les 15-25 ans et les 36 ans et plus se sont dits généralement d’accord avec la revalorisation du rôle premier de la femme et des gestes qu’elle pose à la maison. Pour les plus âgées, il est facile de croire que cette valorisation venait étayer des principes avec lesquels elles avaient toujours vécu avec plus ou moins de satisfaction. Les plus jeunes semblaient voir dans cet aspect du film un retour aux sources, phénomène qui est actuellement très vivant dans la nouvelle culture. Il était possible de pressentir, chez les plus jeunes, une espèce de romantisme dans leurs commentaires à l’égard de la maternité, de l’allaitement et de l’amour. Le groupe des 25-34 ans est celui qui a le plus contesté le film, mis à part bien entendu le groupe plus âgé qui a vu dans LES FILLES DU ROY un “film de cul”. Il faut souligner que ce groupe est celui qui compte, chez les femmes, le plus de “professionnelles”. C’est dans ce groupe d’âge également qu’on reproche le plus au film de ne montrer qu’un aspect particulièrement pénible du travail de la femme: celui des métiers de services; de valoriser tout un aspect du rôle de la femme: celui de mère et d’épouse, auquel elles ne voulaient plus croire parce qu’il prolongeait la soumission et l’infériorité de la femme; d’être une démonstration claire et cohérente de l’exploitation de la femme et un point de départ pour une lutte un peu plus organisée sur le plan pratique. (…)
Une des principales caractéristiques du groupe des hommes est sans doute celle de compter le plus grand nombre de théoriciens de toutes sortes. Étudiants et professionnels n’ont pas résisté à reporter le problème de l’exploitation de la femme au niveau de l’exploitation en généra] et à affirmer que cette situation n’est surtout pas le propre de la femme. N’étant impliqués ni dans l’un, ni dans l’autre, c’est sans doute là, de la part de ces patrons ou futurs patrons, de ces maris ou futurs maris, une façon fort élégante de s’en distancier que de maintenir le débat sur un plan strictement idéologique. De plus, les hommes se sont sentis oubliés par ce film. Ils auraient voulu voir davantage ce que faire vivre une famille implique. Par contre, les femmes ont plutôt trouvé réaliste le thème de l’absence de l’homme, autant à cause des longues heures de travail qu’à cause de la faible part de responsabilités qu’il prend dans l’éducation des enfants. (…)
Deuxième rapport
LE TEMPS DE L’AVANT est le seul film de la série En tant que femmes qui fait l’objet d’une distribution communautaire dont l’un des objectifs principaux est de recueillir à son sujet les réactions du public masculin.
Un tel projet représente une réponse précise à de nombreuses demandes exprimées de la part d’hommes et de femmes depuis les premières lignes ouvertes après la télédiffusion par Radio-Canada des quatre premiers films de la série en 1974, et à l’occasion de la présentation de chacun des films. Enfin en avril 1976, lors de la réunion d’évaluation de l’opération communautaire, auprès d’auditoires féminins à travers le Canada français, avec le film LE TEMPS DE L’AVANT, une demande plus officielle nous est adressée dans le but d’obtenir “un projet spécialement pour les hommes, avec animateurs seulement”. Point n’est besoin d’attendre une autre occasion pour franchir une nouvelle étape.
Le sujet du film LE TEMPS DE L’AVANT si profondément enraciné dans le quotidien des hommes et des femmes, au coeur d’espoirs soutenus et de drames silencieux, devient tout désigné pour la poursuite du travail réclamé. (…)
Le milieu masculin pris au dépourvu par la thématique du film.
Le projet démontre que le milieu masculin comme tel a été pris par surprise par le thème de l’avortement tel que présenté dans le film LE TEMPS DE L’AVANT. Difficultés énormes de rejoindre des groupes, départs des participants avant la fin des séances de visionnement ou au moment de la discussion, persistance à confiner le débat à un niveau social et économique plutôt qu’à un niveau affectif, manque de vocabulaire pour parler des problèmes affectifs, voilà autant de faits qui démontrent que le public masculin a été pris au dépourvu par la thématique du film. (…)
Choix du film LE TEMPS DE L ‘AVANT comme principal outil d’intervention.
Le public masculin s’est souvent montré “expéditif” vis-à-vis la question soulevée dans le film; d’une part, on prétextait la longueur du film pour décliner l’invitation à le visionner et, à plusieurs reprises, lors des visionnements, la gestuelle des participants a démontré que certaines séquences les incommodaient (“on se croisait et décroisait les jambes, on allumait des cigarettes, etc…”). (…)
Il semble qu’il soit possible d’affirmer que parmi les films de la série En tant que femmes, LE TEMPS DE L’AVANT, plus que tout autre, était un outil d’intervention efficace auprès d’auditoires masculins parce qu’il fait choc, est insécurisant et fait une percée dans un réseau étanche de clichés masculins; le film a laissé peu de participants dans un état indifférent.
À quoi ont servi ces enquêtes? C’est vrai que ça avait une influence sur les films subséquents en ce sens que ça nous permettait de mieux connaître le pouls du public. C’était un travail qui avait un but sociologique et ce sont surtout des spécialistes de lecture sociale qui s’en sont servis. Les cinéastes directement concernées avaient intérêt à voir ces rapports. Comme nous étions toutes très averties de ce travail de la distribution, ça pouvait nous servir pour les films subséquents; c’est essentiel pour un cinéaste de savoir comment le public réagit à son film. Je suis heureuse de mentionner ici le travail d’Hortense Roy, qui a été une collaboratrice extraordinaire dans la série des femmes et à Société nouvelle.
1976
1977
FAMILLE ET VARIATIONS de Mireille Dansereau, 75 mn 15 s production (Société nouvelle) |
LES HÉRITIERS DE LA VIOLENCE de Thomas Vamos, 56 mn 50 s production |
LE MENTEUR (1ère partie —L’ALCOOLISME : LA MALADIE) de Robert Séguin, 82 mn 25 s (2e partie — L’ALCOOLISME : LA THÉRAPIE), 82 mn 35 s production |
LA P’TITE VIOLENCE d’Hélène Girard, 71 mn 57 s production (Société nouvelle) |
QUÉBEC À VENDRE de Raymond Garceau, 58 mn 57 s production |
RAISON D’ÊTRE d’Yves Dion, 78 mn 20 s producteur exécutif |
1978
MOURIR À TUE-TÊTE est le produit de la conjugaison de deux projets de film. En cours de route les deux projets furent fusionnés en un. Voyons comment Anne Claire Poirier et Marthe Blackburn présentaient leur démarche :
Au cours de nos recherches et de notre réflexion pour la série En tant que femmes, il serait superflu de dire que notre information et notre cheminement aient pu se limiter à la cadence des six films qui ont été produits entre 1971 et 1975. Plus nous avancions dans cette recherche, plus nous trouvions le choix de nos sujets restreint, devant l’abondance d’information “vive” qui nous parvenait. Nous étant engagées dans cette introspection de la conscience féminine, nous ne pouvions que continuer l’angoissante réflexion commencée, et pousser plus loin nos interrogations en assumant les révélations qu’elles comportent.
C’est ainsi que nous est apparu de façon prioritaire, la nécessité pour ne pas dire l’urgence des deux films que nous vous proposons en prenant pour sujet : le viol.
Pendant quatre ans, autant que la sexualité et la prostitution, c’est un sujet que nous ne nous sentions pas en mesure d’aborder, même si la pression des témoignages recueillis et l’exigence des milieux de travail et d’écoute où nous avons oeuvré, nous incitaient à le faire. Nous ne nous sentions pas prêtes. C’est que nous ne nous étions pas rendues compte que ces trois sujets étaient peut-être connexes et que le viol, revisité dans l’ensemble de son historique et de sa permanence comme premier et ultime moyen d’oppression, pouvait à lui seul établir une conjoncture avec les deux autres. (…)
Pourquoi deux films sur le viol?
Parce que, sur le viol, tout est encore à dire. Pas parce que le sujet n’a pas été traité au cinéma. (…) Notre volonté dans le premier film, c’est de l’aborder de l’intérieur; donc, tenter de sentir et de faire sentir ce que c’est que d’être violée, ensuite d’en suivre les répercussions consécutives qui souvent sont fatales. Nous avons les preuves que certains suicides, reconnus légalement comme suicides, ne sont que des dégradations psychotiques successives à un viol. Nous ne voulons pas tenter de regarder le viol, mais de le faire vivre de l’intérieur dans l’intensité de sa violence. Maintenant. À des fins complémentaires de logistique, nous avons besoin de vous persuader que pour scénariser le premier film, il nous faut l’apport de la recherche du deuxième, en ce sens que l’information que l’on veut mettre dans le dossier viol qui sera le sujet du second (sous la forme documentaire) nous permettra de mieux cerner et de mieux approfondir la véracité du premier: l’un devenant tributaire de l’autre. Autrement dit: dans une première étape, nous allons trouver notre matière brute, pour élaborer le deuxième. Nous avons besoin, pour la compréhension et le poids des personnages, de nous appuyer sur une recherche fondamentale qui ne ressortît pas de la fantaisie et du simple droit de raconter une histoire: un événement qui ravage un être sain, au point de le pousser à la mort, présuppose une détérioration lamentable des rapports humains devant lesquels on ne peut plus éviter de se poser les vraies questions.
Les vraies questions, nous essaierons de les absorber dans le deuxième film. Pourquoi le viol existe. Comment il est la réalité quotidienne des femmes dans la rue, dans leurs maisons, à leur travail, en vacances, le jour, la nuit, sans considération d’âge ni de conséquences. En quoi le viol est un crime beaucoup plus politique que sexuel.
En démasquant un nouvel élément de leur oppression, peut-être la clef essentielle: répression physique, historique, processus conscient d’intimidation, de culpabilité et de peur, les femmes se doivent d’arriver à détruire l’idéologie monstrueuse du viol, de manière à lui “dénier tout avenir”.
Nous avons, hommes et femmes, des fantasmes différents qui sont devenus trop lourds à porter: il faut essayer d’en prendre conscience et de cesser de taire ce qui représente le trop-plein des préoccupations collectives. Le viol est une affaire d’homme. La justice aussi. D’hommes qui, comme tels, s’appliquent à renvoyer sur la femme la responsabilité du problème. C’est cette responsabilité que, pour l’espace de deux films, nous sommes prêtes à assumer, avec l’aide de toutes les femmes qui nous ont apporté leur connaissance.
MOURIR À TUE-TETE, j’ai l’impression que c’est un film sur lequel tout a été dit ou sur lequel j’ai tout dit. Probablement parce que c’est un film avec lequel j’ai beaucoup voyagé, rencontré beaucoup d’auditoires, répondu à beaucoup de questions. Je ne veux donc pas me répéter. Ce film est l’aboutissement de la série En tant que femmes, pas au sens que ce soit le dernier film directement rattaché à la réalité et l’identité des femmes, — il en reste beaucoup à faire et j’en ferai d’autres, —, mais au sens d’avoir été réalisé en continuité avec la série.La série En tant que femmes avait donné lieu à des pratiques de diffusion originales où l’enquête jouait un rôle primordial. Le service de la mise en marché française entreprit de récidiver à l’occasion de la télédiffusion de MOURIR À TUE-TÊTE à Radio-Canada. Cela donna lieu à la publication de Enquête sur les réactions de l’auditoire après la première télédiffusion canadienne du film Mourir à tue-tête. Nous avons retenu quelques passages de la conclusion:
Nos résultats permettent de conclure que présenter le viol comme “un crime politique de domination qui passe par le crime sexuel” et d’associer cette démonstration aux réactions psychosociales d’une victime, répondaient à des préoccupations réelles chez la population. (…)
Ce n’est pas tout d’aborder un bon sujet, encore faut-il que le traitement cinématographique soit en mesure de livrer son contenu, que la structure du film soutienne les intentions de production aussi bien que l’intérêt du cinéspectateur. Sur ce dernier aspect, rappelons que le film a captivé son public. En effet, très peu de répondants nous ont rapporté que le film était la cause même de leur interruption d’écoute.
Le public est toutefois resté critique à l’égard du film MOURIR À TUE-TÊTE. L’analyse de nos résultats montre qu’au plan narratif, le public n’est pas unanimement favorable. Au plan réalisme, le viol montré dans MOURIR À TUE-TÊTE est, selon les téléspectateurs, illustratif, mais non représentatif de ces agressions sexuelles. Alors que la scène du tribunal avait soulevé chez plusieurs critiques de cinéma un certain scepticisme, le public a, pour sa part, bien apprécié cette partie du film. En effet, selon ce qui se dégage des résultats, elle permet la transposition de la thèse sociale du film dans le réel.
Les personnages masculins de la partie fiction du film ont été perçus vraisemblables, ce qui a certainement permis au film de susciter de fortes réactions émotives chez son public. En ce qui concerne les hommes du film, il faut cependant ajouter que le monologue du violeur (ses motifs) semble être l’élément le moins convainquant pour les téléspectateurs. (…)
On peut ainsi affirmer que MOURIR À TUE-TÊTE traite efficacement la facette du vécu du viol par une victime, ou pour reprendre l’expression de l’équipe de production : “la détérioration lamentable des rapports humains qui entraîne le ravage d’un être sain.”
Il semble être difficile pour le public d’en rester à l’exposé du problème du viol sans véritable esquisse de solution. L’ensemble des commentaires défavorables au récit va dans ce sens.
La discussion de cette insatisfaction s’inscrit dans celle des décisions de l’équipe de production du film. Il faut tenir compte que le public s’est montré d’accord avec le fait que MOURIR À TUE-TÊTE traite du viol en le dénonçant. L’appréciation du récit a révélé que la moitié du public considère le film satisfaisant et complet en soi. Certains sont d’avis que le “pourquoi du viol” n’est pas suffisamment exploité. Enfin, d’autres estiment qu’il aurait fallu montrer des solutions ou “ce dont a besoin une victime de viol pour s’en sortir”. Notons que l’aspect “solutions du viol” ne s’insérait pas dans les objectifs de production du film. Ces commentaires traduisent un réel désir chez la population d’aller plus à fond sur la question du viol. (…)
Les résultats du sondage ont permis d’évaluer à environ deux millions le nombre de personnes qui, suite à la télédiffusion de MOURIR À TUE-TÊTE, avaient discuté du viol ou du film, au moment de l’entrevue téléphonique. À lui seul, ce fait permet de conclure que cette production cinématographique a le pouvoir d’alimenter en contenu les interactions des individus.
Nos résultats démontrent que les hommes ne réagissent pas au film de la même façon que les femmes. En effet, ils ont trouvé MOURIR À TUE-TÊTE plus long et plus difficile à comprendre. Ils ont été plus souvent d’avis que les personnages masculins du film étaient “pires” que les hommes dans la réalité. Ils ont aussi moins discuté du film que les femmes. De ces diverses réactions, on peut dégager qu’en général le public masculin a été moins touché émotivement en regardant MOURIR À TUE-TÊTE.
1981
Le comité du programme, tel qu’il existait en 1981, était un lieu composé de cinéastes et recevait, acceptait ou refusait les projets de films. Les personnes présentes posaient des questions, débattaient longuement entre elles et invitaient réalisateurs et producteurs à venir défendre ou expliquer leur projet. Anne Claire Poirier dut se soumettre à ces règles internes. Nous avons choisi des extraits du Procès-verbal de la 462e réunion (du 6 août 1981) pour donner une idée des palabres qu’on y menait:
Pas de participation possible de la SDICC à LA MISE EN QUARANTAINE avant qu’un film de l’industrie privée ne soit entrepris pour assurer la réciprocité. Or, aucun projet de cet acabit ne se présente par les temps qui courent. D’autre part, la maison de production Nanouk Films qui devait éventuellement être le répondant du film d’Anne Claire Poirier et le coproducteur, s’est finalement désistée, après de longues tergiversations, avouant son incapacité à trouer la part de financement nécessaire à un tel film dans le privé. Aucun effort par ailleurs n’a été fait par Jacques Vallée et compagnie auprès d’autres producteurs privés. Tout se passant comme si on avait lancé la serviette et que l’on considérait que LA MISE EN QUARANTAINE était un projet d’auteur, un film typiquement Onfien, guère susceptible de trouver preneur dans l’entreprise privée (cette dernière assertion étant plutôt déduite par les membres qu’affirmée cependant par Jean-Marc Garand). (…)
Le processus d’analyse étant donc à nouveau déclenché, les lectures et avis pour et contre commencent à s’entrechoquer. Achèvement qui comble ceux qui étaient déjà en faveur du film, mais qui ne touche guère ceux que le projet ne satisfait pas. Ceux-là refusent de croire pertinent et valable le traitement dramatique inventé par les scénaristes (Blackburn-Poirier). Ils considèrent que ce “trip” personnel s’adresse à un groupe par trop restreint et grand bourgeois et qu’il ne peut, en aucune façon, être ressenti par le grand public. Problèmes donc d’identification et risque trop grand d’un non-attrait pour le public des salles. Toutes sortes de nuances évidemment viennent pondérer ces jugements dont quelques-uns portent sur la reconnaissance quand même du métier et des qualités de la réalisatrice.
Par contre, ceux qui défendent le film parlent d’une fresque très au point d’un milieu déterminé, beaucoup plus largement répandu ici qu’on ne l’admet. Ils admirent un scénario original, très bien fait, susceptible à leurs yeux de toucher, pour différentes raisons, bien du monde. Ceux-là estiment que la réalisation d’un tel film propose un grand défi qu’Anne Claire est fort capable de relever et que cette production, authentiquement onéfienne, tant par sa thématique nouvelle que son traitement, ajoutera un témoignage important au rôle spécifique de l’ONF. (…)
Le passage d’Anne Claire Poirier et de Jacques Vallée, ensuite, au Comité voit la réalisatrice reposer la problématique très personnelle de son film — sa peur de vieillir — qui est en même temps un problème ressenti par plusieurs à l’approche de la cinquantaine. Elle défend le choix qu’elle a fait, face à cette peur, de tenter de retrouver, dans l’intégrité de l’enfance et de l’adolescence, des valeurs pures, sentiments qu’elle propose comme éléments de continuité lors de ces difficiles passages d’un âge à un autre, et particulièrement face à la cinquantaine. Son film est un conte, bien sûr, un pari à l’égal de celui qu’acceptent de tenir les protagonistes qu’elle met en scène. Des discussions avec Anne Claire on retient que rien n’est ici solution, mais recherche; que sur la voie d’une lucidité qui semble être le seul lieu de refuge possible à un moment donné pour les adultes, — une lucidité sans cesse repoussée, parce que guère facile à assumer —, son film s’inscrit comme une quête nouvelle d’espoir fondée sur ce que la vie peut avoir préservé de meilleur en nous et que l’enfance habite comme de plein droit.
“Ce n’est pas un film d’action, mais un film “des temps” (de l’homme), un film d’acteurs aussi, parce que l’être humain constitue ici tout le paysage”.
Si je m’embarque sur le sujet du comité du programme, ça pourrait être très long. Je vais quand même donner les éléments qui me paraissent essentiels. Le comité du programme tel qu’il existait — je dis bien tel qu’il existait, car depuis quelques mois il n’a plus la même structure ni la même signification — a été un des outils de travail les plus importants et les plus enrichissants de l’Office du film, quoique j’en aie subi les affres quelquefois. Chacun d’entre nous reconnaît sa grande valeur. La remise en question du comité est due à la situation économique de l’Office. Le comité perdait beaucoup de sa liberté; il fallait le réformer. Nous vivons actuellement ‘‘à l’essai ’’ une structure proposée par le directeur de la production française; il est évident que ce nouveau comité entraîne beaucoup moins d’implication des individus et du collectif. Je doute qu’on y retrouve le même dynamisme parce qu’il n’y a plus de sentiment d’appartenance; c’est probablement le gros problème de l’Office actuellement; on est en train d’éliminer de toutes parts cette espèce de miracle qui a toujours existé à l’ONF. Quand le superbe monsieur Grierson a fondé l’Office, je ne sais pas s’il s’en est rendu compte, mais il a insufflé à ceux qui l’habitent une fierté, les Anglais disent « dedication”. C’est peut-être difficile à comprendre pour ceux qui sont à l’extérieur. On retrouve ce sentiment d’appartenance, peu importe le secteur dont on relève, du laboratoire ou de la production. Ça existait aussi au comité du programme, c’était un des lieux où ça se manifestait. Avec la nouvelle formule, on ne retrouvera pas ça; c’est à nous d’être assez vigilants pour ne pas perdre nos lieux de manifestations d’appartenance. À partir du moment où on éteindra ce sentiment, l’institution perdra sa “spécificité”!
1982
J’ai toujours plus de difficulté à parler de LA QUARANTAINE parce que c’est mon petit dernier. Je sais que ce film a eu une réception tout à fait divisée. Il y a des gens qui n’aiment pas du tout ce film; moi je l’aime. C’est un film que je trouve juste, que je trouve vrai. Je ne pense pas que le sujet du film contraste avec mes films précédents. Avec Marthe, nous avons pris le parti-pris d’éliminer tout ce qui pourrait sembler théorique ou didactique. Les préoccupations qu’il souligne, qui l’habitent, ne sont pas tellement différentes des choses que j’ai traitées auparavant, ça concerne encore beaucoup les relations des gens les uns avec les autres, leur vie intime; à ce niveau-là, je trouve que c’est dans la lignée de mes autres films. La structure est peut-être un peu plus linéaire, mais encore… Je suis portée évidemment à le défendre quand les gens l’attaquent; je n’aime pas ça quand on ne m’aime pas; je suis comme tout le monde!
Comme nous l’avons souligné dans le Dossier de la Cinémathèque consacré aux 25 ans de la production française à l’ONF, la pertinence ou non de réaliser des films de fiction à l’ONF fut toujours l’objet d’un débat passionné. Même parmi les réalisateurs, les avis divergeaient, selon notamment les orientations cinématographiques individuelles. Après son expérience de productrice, Anne Claire Poirier devient partie prenante de ce débat en proposant la réalisation de LA QUARANTAINE et en publiant le 13 décembre 1982, avec les deux autres “gros canons” de la fiction onéfienne, Francis Mankiewicz et Jean Beaudin, un texte d’intention intitulé L’existence et la pertinence d’un cinéma de fiction à l’ONF. À signaler que depuis ces deux réalisateurs ont quitté l’ONF.
Thème privilégié de discussions périodiques depuis vingt ans. Chaque moment de crise provoquée soit par des problèmes budgétaires, des critiques et des attaques du “privé”, des questionnements du gouvernement et aujourd’hui les recommandations du Rapport Applebaum-Hébert entraînent automatiquement la remise en question de la production de longs métrages de fiction.
On pourrait ici reprendre et élaborer encore une fois les arguments en faveur d’un tel cinéma, mais nous ne croyons plus à une attitude défensive, nos films sont nos vrais arguments et nous affirmons qu’il est essentiel d’en continuer et surtout d’en stimuler la production. Cependant nous soulignerons trois aspects essentiels et concrets de notre mandat à l’appui de notre position.
1- La nécessité d’un cinéma de fiction culturel soumis à d’autres impératifs que la pure spéculation commerciale.
2- L’obligation d’assurer la continuité d’une œuvre cinématographique nationale adulte. La continuité d’une œuvre collective ne peut être générée que par la continuité d’œuvres individuelles basée sur l’acquis et la maturité personnelle et créatrice des cinéastes.
On parle trop souvent de “recherche” et de “prototype” en pur théoricien. Chaque nouveau film est un prototype et la recherche prend son fondement dans la continuité d’une œuvre individuelle. On oublie trop souvent la dimension philosophique de la recherche pour se réfugier dans la technologie, tant à la mode. Qu’est-ce que l’écriture dramatique littéraire ou cinématographique si ce n’est la recherche d’expression de l’âme humaine.
3- Notre devoir face aux contribuables est de les rencontrer face à face sur les grands et petits écrans. On cherche désespérément à trouver une définition à la spécificité de l’ONF; elle est très simple et très concrète: nos films appartiennent à la population plutôt que d’appartenir à des producteurs individuels. Ceci, pour nous, entraîne l’obligation de nous confronter avec les propriétaires de nos films et de les laisser nous juger. À quel titre voudrait-on nous protéger contre nous-mêmes face aux compromis possibles de la fiction. Laissons ce droit au public, c’est d’ailleurs le juge souvent le plus sévère.
Les problèmes auxquels nous faisons face sont complexes et multiples et viennent surtout d’un manque de vue d’ensemble et d’analyse sérieuse de la situation du long métrage non seulement à l’ONF, mais dans sa réalité existentielle. Le cinéma est un art et n’ayons pas la prétention de la réinventer: nous devons le pratiquer tout en connaissant les règles du jeu. Pour ce faire nous devons nous donner les moyens de centraliser l’information et de nous équiper de façon spécialisée. (…)
Conséquences
Interne :
Nous cesserons d’être les méchants qui prennent l’argent des autres et surtout nous pourrions envisager devenir des cinéastes à plein temps, avec un rythme de production qui nous permettrait de devenir enfin des cinéastes adultes et expérimentés.
Externe :
Organisés ainsi ouvertement, les coproducteurs connaîtraient les règles du jeu et ne tenteraient plus de nous imposer les leurs… et si des critiques et des condamnations devaient venir de la part du gouvernement ou de quelque commission, nous saurions à qui elles s’adressent. Nous sommes prêts à prendre ce risque, il est moins affolant et moins destructeur que la stagnation actuelle.
Le fait que Jean et Francis soient partis depuis ce document est très révélateur de la situation à l’Office. Je peux difficilement parler de la situation actuelle, car elle est embrouillée. Au moment où nous avons écrit le texte, c’était en réponse à des attaques directes; en période de crise, les longs métrages de fiction sont toujours les premiers attaqués parce qu’on dit qu’ils coûtent plus chers — ce qui n’est pas vrai! si je fais tous les deux ans et demi un film qui coûte un million deux cent mille dollars, je ne dépense pas plus que celui qui fait un documentaire de six cent mille dollars par année; les documentaires sont devenus très chers. — D’ailleurs il ne faut pas calculer le prix des films à la minute, car de ce point de vue le cinéma d’animation est le plus cher. Le prétexte d’argent a toujours été un faux prétexte. C’est évident que pour faire un long métrage de fiction, il faut toujours beaucoup d’argent d’un coup.Je pense qu’à ce niveau, le type de cinéma qu’on fait a souvent été mal administré et actuellement ça crée les problèmes qu’on a. Je reste convaincue que le langage cinématographique de fiction est un langage qu’obligatoirement on va continuer d‘utiliser. Je ne vois pas pourquoi tout à coup l’ONF se retirerait d’une forme d’expression cinématographique; pourquoi pas celle de l’animation? Si on disait ça, tout le monde serait scandalisé, et ce ne serait pas plus scandalisant! Mes positions restent aussi fermes aujourd’hui. Je ne crois pas que l’Office soit le lieu pour faire du film à grand déploiement et à gros budget. Je pense que nous demeurons le lieu d’un cinéma plus intimiste, basé sur un autre critère que les gains et profits. On nous casse actuellement les oreilles à vouloir nous imposer un certain esprit de marketing. S’il est un endroit où le marketing ne devrait pas être à la base de la production, c’est bien l’Office.
1985
Quelle est l’orientation de l’ONF aujourd’hui? Je crois que le gros problème est justement son manque d’orientation. J’ai l’impression que depuis quelques années l’ONF s’est excusé d’exister et que ses positions ont trop souvent été de défense ou de soumission, sans suffisamment affirmer l’existence de l’ONF. Il y a eu un manque de fermeté, de passion, d’amour de l’institution de la part de ses dirigeants qui ont trop facilement laissé aller des morceaux, un peu comme pour excuser l‘Office “d’être”. Avec beaucoup d’autres, je suis convaincue que le cinéma culturel canadien et québécois ne peut exister en force que si l‘Office national du film existe. L’Office reste un lieu privilégié et ce n’est pas pour rien que des cinéastes sont heureux d’y revenir; je pense entre autres à Gilles Carle, Denys Arcand, Michel Brault, qui sont fiers de faire des films chez nous parce qu’ils savent qu’ils pourront travailler en toute liberté. Quand je dis que l’Office, c’est davantage un cinéma libre, un cinéma d’expression, je ne parle pas d’un cinéma égoïste ou d’un cinéma en vase clos, je parle d’un cinéma moins directement relié aux critères purement commerciaux. Je pense que si on veut continuer d’exister culturellement sur le plan cinématographique, le Canada ne peut pas se passer de l’Office national du film. Il faut arrêter de quémander notre existence. Comment le faire? C’est pour y parvenir que j’ai accepté un mandat au syndicat pour essayer, avec d’autres, de réfléchir à l’urgence de notre affirmation. Nous existons. Nous avons atteint la quarantaine. Qu’on arrête de nous faire croire que nous sommes vieux. Nous devons être capables d’assumer notre maturité. Je suis tout à fait d’accord pour le sang neuf, le sang jeune, mais il faut absolument que ce soit parallèlement à la continuité des gens qui ont atteint la maturité dans leur métier. On ne peut pas avoir une culture nationale sans ça. Quand on dit que l’Office continuera surtout avec des pigistes, je ne crois pas à ça. Je ne crois pas que l’ensemble des pigistes représente un pourcentage de qualité plus grande que l’ensemble des réalisateurs de l’ONF. Je ne me sens pas du tout coupable de travailler à l’Office du film; au contraire je me sens privilégiée et heureuse. J’assume maintenant ma responsabilité syndicale parce que j’estime que c’est le seul canal par lequel on peut tenter collectivement d’affirmer notre existence. Dieu sait que je n’ai pas un caractère à demander la permission d’exister. Je ne crois pas au statu quo, mais les changements qui sont à vivre, il va falloir les penser avec dynamisme et surtout avec audace. Je ne suis pas prête à me vendre. Je ne suis pas prête à écarteler l’ONF, à ce qu’il disparaisse. J’aimerais laisser culturellement en héritage à mes enfants une institution aussi extraordinaire. Je ne suis pas sûre de réussir, mais j’aurai honte si on faillit à cette tâche!
(Les commentaires d’Anne Claire Poirier ont été enregistrés au magnétophone en réaction à une filmographie et des textes soumis par Pierre Véronneau; celui-ci les a transcrits et ils ont été revus par la cinéaste).