La Cinémathèque québécoise

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2. Coopératisme

L’intérêt porté au mouvement coopératif ne s’est jamais limité au coopératisme agri­cole. Au contraire, les films ont touché presque tous les domaines où cette philosophie s’est appliquée. Ce phénomène n’est pas exclusif aux francophones. Les anglophones ont consacré au coopératisme plus de films que leurs collègues francophones. Cela pour plu­sieurs raisons. Mentionnons en particulier que plusieurs sympathisaient avec la Co-operative Commonwealth Fédération (CCF); toutes les occasions étaient bonnes pour passer leur enthousiasme pour des réalisations coopératives.

2.1 : Coopératisme — première période

Quatre «Reportages» font allusion au coopératisme. Deux d’entre eux en vantent l’apport à l’effort de guerre; un troisième dit les mérites du couvoir coopératif. C’est néanmoins le Reportage 48 intitulé LA MOISSON DE LA MER qui en constitue l’aval le plus clair. Il porte sur le coopératisme chez les pêcheurs, une formule qui règle la pratique de ce métier et leur assure des revenus supplémentaires, mais encore qui développe le sens de la coopération (que le film dit naturel chez les Canadiens français), forme à la démocra­tie, éduque à la responsabilité collective et individuelle et influe sur la vie privée des familles. Tout indique que ces quatre «Reportages» sont tributaires d’une manière ou d’une autre du travail du caméraman Jean Palardy qui, sur le terrain, possédait une marge de manœuvre suffisante pour choisir des sujets qui correspondent à ses goûts.

Les francophones tenaient souvent à affirmer leur spécificité dans les domaines dont ils traitaient et à relier leurs réalisations à des facteurs culturels plus larges. Pour ce qui est du coopératisme, le cas le plus patent est celui de LES CAISSES POPULAIRES DES­JARDINS de Palardy (1945)

Le cinéaste marque l’originalité des Caisses par rapport aux Credit Unions. Mais il va plus loin en soulignant leur dimension idéologique. Dès le début du film, il énonce que la coopération est consubstantielle à l’existence même du Canada français depuis trois cents ans, particulièrement en milieu rural. En conclusion il affirme que le coopératisme va contribuer à la régénérescence du Canada français en consolidant ses assises (la famille, la religion, la terre) et en assurant le bien-être économique du peuple tout entier.

On constate que le film prend vite une orientation reliant terre, travail, famille et coopé­ration. Le réalisateur a dû estimer que son propos serait affaibli par l’introduction de la variable urbaine et industrielle que prévoyait le scénario, les Caisses populaires étant nées en milieu urbain et y ayant des assises importantes. Mais cela n’aurait pas été propice à la glorification idéologique qu’il se proposait de faire: en cette fin de guerre, les appels à la paix et à la concorde se conjuguent avec patrimoine familial, et patrimoine familial avec peuple fort ayant foi en la terre qui est son avenir.

En milieu rural, les coopératives sont plus nombreuses et peuvent être portées au crédit d’une tradition culturelle nationale. Comme le film devait être utilisé principalement dans les circuits ouvriers, on pouvait espérer ainsi non seulement qu’il transmette des connais­sances, mais aussi qu’il serve au ressourcement culturel et national.

La lecture du coopératisme que révèlent les films de la première période montre bien qu’on relie ce thème à l’agriculturisme, ce qui correspond à la pensée de certains ténors de cette dernière idéologie. Même si Palardy ne souscrit pas à tous leurs points de vue, il prône à leur instar le développement de la coopération comme moyen de survivance nationale et d’action salvatrice.

2.2 : Coopératisme — deuxième période

Durant cette période, le thème de la coopération n’est pas davantage présent; peu de films en font leur objet premier. Par contre il demeure relié au thème agricole, comme un corollaire qui va de soi. Dans VERS L’AVENIR de Blais (1947), on établit une équa­tion d’égalité entre coopératisme et modernisation agricole. L’image renforce ce point de vue en montrant une corvée pour bâtir une grosse grange; elle renvoie ainsi aux notions de traditions coopératrices qui seraient innées au Québec et les couple à celles de progrès et d’affirmation sociale. Même si le commentaire ne souligne pas cette perspective, l’image l’ajoute. La même idée se retrouve dans QUÉBEC 20e SIÈCLE de Garceau (1952).

Par ailleurs c’est avec MONTÉE de Garceau (1949) que certaines contradictions se font jour. Jusqu’au début des années quarante, il semblait naturel que le mouvement agricole aille de pair avec le mouvement coopératif; ils s’appuyaient mutuellement et contribuaient à leur développement respectif. Avec la fin de la guerre, des heurts se produisent. C’est à qui aura la primauté sur l’autre. L’UCC pense que c’est elle 1 :

L’UCC poursuit directement le bien commun de la profession agricole… Au contraire les coopératives poursuivent des fins particulières, limitées: l’amélioration des condi­tions économiques des cultivateurs, et certaines fins sociales déterminées…

Le film fait bien attention de ne pas prendre position dans ce débat dont il connaît les termes. En accordant la parole aux deux tendances contradictoires qui existent alors au sein de l’UCC et qui aboutirent en 1953 à l’abandon par celle-ci de ses activités coopérati­ves, Garceau ne tranche pas dans le débat; il suit même les conseils de Jean-Charles Falardeau pour qui l’UCC et le mouvement coopératif ont été des facteurs importants d’affirmation sociale et d’appropriation collective pour les Canadiens français 2.

Cette sensibilité aux divergences idéologiques qui traversent la classe agricole marque les deux seuls autres films de la deuxième période qui abordent cette question. Dans CHAN­TIER COOPÉRATIF (1955), Palardy publicise la formule coopérative des chantiers fores­tiers mais indique qu’elle a été établie par l’UCC pour protéger les 85% d’ouvriers de la forêt qui étaient des cultivateurs et pour aider à canaliser cette source importante de revenus vers l’amélioration des fermes et l’établissement des fils de cultivateurs. Encore une fois le coopératisme est donné comme facteur de ressourcement collectif autant maté­riel que moral, et comme moyen de rendre l’individu conscient de ses responsabilités et de lui permettre de prendre en main son développement. On le présente aussi explicite­ment comme moyen à l’intérieur du système capitaliste de réaliser une émancipation rela­tive — ici dans un seul secteur d’activité — qui peut préfigurer l’émancipation économique générale des Canadiens français.

Dans un autre film, AGRONOMIE (1955), Palardy vante les succès multiples de la Coopérative agricole de Granby. Il met surtout l’accent sur l’étroite coopération qui a existé entre agronomes et cultivateurs pour établir cette entreprise florissante. Il suit en cela la suggestion du recherchiste du film, l’agronome Napoléon Leblanc qui, dans son rapport 3, considère que le cadre idéal pour réaliser un film sur l’agronomie est cette Coo­pérative, un phénomène économique d’importance nationale qui indique à l’agriculture québécoise une voie pour s’adapter aux exigences de l’économie industrielle moderne. Ainsi donc, avec ce film se réalise la fusion du volet idéologique du mouvement coopéra­tif avec son volet économique.

Photo de tournage : LES BRÛLÉS de Bernard Devlin (1958)
Photo de tournage : LES BRÛLÉS de Bernard Devlin (1958)
© ONF

2.3 : Coopératisme — troisième période

Avec cette période, l’intérêt pour le coopératisme s’estompe. Ce sujet exerce peu d’attraits sur les jeunes cinéastes. Deux seuls films y font allusion sans que cela soit leur thème premier; les deux appartiennent à la série Profils et paysages. Dans PIERRE BEAULIEU, AGRICULTEUR que nous avons déjà rencontré, le héros clame sa foi dans le mou­vement coopératif, facteur d’entraide. Le second film, CHARLES FOREST, CURÉ-FONDATEUR de Palardy (1959) porte sur un prêtre néo-écossais dont la vie est intimement liée à celle des pêcheurs acadiens et dont l’action s’identifie à celle du Père Coady à qui les Maritimes doivent leurs associations coopératives de pêcheurs.

La présence du thème coopératif dans la production canadienne-française tient en bonne partie à l’enthousiasme que lui manifestait Palardy et, à un moindre degré, les cinéastes de sa génération qui partageaient ce credo: Garceau, Blais, Devlin. Le fait que le coopé­ratisme, à part son côté Caisses populaires, n’exista pratiquement qu’en milieu rural et ne trouva écho, dans les productions de l’ONF, que dans ce contexte, explique que son sort ait été intimement lié à celui des productions agricoles, à l’évolution thématique qui s’y manifesta et plus globalement à l’intérêt qu’il présentait dans la société en général.

Cependant on doit admettre que si l’on regarde l’ensemble des films coopératifs, on y retrouve les principaux facteurs qui rendent ce modèle économique attrayant et en font un rouage important dans la transition du Québec traditionnel au Québec moderne: 1- le coopératisme assure l’éducation et la formation de ses membres, 2- leur fournit des servi­ces, 3- permet de résoudre partiellement certains problèmes sociaux (logement, consom­mation) et économiques (crédit), 4- favorise la modernisation des équipements, des modes de production, de gestion et de distribution, surtout dans le secteur agroalimentaire, 5- et finalement, puisque les institutions coopératives sont contrôlées par des Québécois, leur permet de jouer un rôle dans des secteurs d’où ils sont traditionnellement absents, mais qu’ils voudraient de plus en plus investir dorénavant.

Le thème du coopératisme annonce l’idéologie de rattrapage et de participation qui, selon Rioux, se dégage dès le début des années soixante. Pas étonnant alors que durant les années 70 plusieurs Québécois et plusieurs cinéastes retrouveront pour le coopératisme l’enthou­siasme de naguère.

Notes:

  1. Cité par Claude Beauchamp, «La coopération agricole», in Fernand Dumont et al. op. cit., tome II, p. 103.
  2. Dans une lettre au producteur James A. Beveridge datée du 27 octobre 1948, Falardeau écrit : In short, one of the main ideas to stress, even delicately, is the fact that the UCC along with the Caisses populaires and the Co-operative movement, has been one of the most important framework within the Quebec habitant has leamed (or has he?) to develop initiative, self-assertion and community-consciousness.
  3. L’agronome: travail de recherche, 1954, 14p.